Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

14 de setembre de 2021
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Pierre Manent-Pascal Bruckner: «Le pire ennemi de l’Occident, c’est l’Occident lui-même»

El proppassat 10 Le Figaro publicava aqueixa entrevista a dos lliurepensadors francesos eminents:

Il y a vingt ans les tours jumelles du World Trade Center s’effondraient à New York, et avec elles, nombre d’illusions intellectuelles. Le rêve d’une paix perpétuelle, d’une mondialisation heureuse et d’une convergence démocratique laissait place au retour du tragique. Vingt ans plus tard, les talibans sont de nouveau maîtres de l’Afghanistan, des régimes autoritaires s’assument et l’islamisme triomphe en plusieurs points du globe. L’Occident a-t-il encore un avenir? L’auteur de Situation de la France* s’inquiète de voir triompher sans partage le dogme qu’il n’existe pas de peuples aux différences culturelles profondes, mais seulement des individus titulaires de droits. Pour sa part, l’auteur du Sanglot de l’homme blanc**, favorable à l’intervention en Irak en 2003 avant de modifier sa position, déplore le sentiment de culpabilité maladive de l’Occident qui conduit au suicide civilisationnel.

LE FIGARO. – Il y a vingt ans avaient lieu les attentats du 11 Septembre. Comment avez-vous perçu cet événement à l’époque? A-t-il bouleversé chez vous des certitudes intellectuelles?

Pierre MANENT. – Je me souviens fort bien de cette fin de journée et de mes sentiments sur le moment et les jours suivants. Stupeur d’abord bien sûr, mais surtout colère et humiliation: la ville-monde était frappée avec une diabolique habileté et férocité, je me sentais moi aussi atteint et humilié, je désirais vivement que le crime fût puni et l’affront vengé, et pour cela que les Américains frappent durement ceux qui venaient de les attaquer. Ils frappèrent durement certes, mais au lieu de s’en tenir là – de s’en tenir à la légitime rétribution -, ils s’engagèrent dans une action indéfinie qui, vingt ans après, s’achève par une défaite éclair. Jamais les Américains n’ont aussi mal conçu, mal conduit, mal conclu une entreprise.

Au lendemain de l’attaque, désireux d’effacer au plus vite l’affront, ils ne prirent pas le temps d’évaluer sobrement la situation. Or, aussi cruelle et humiliante fût-elle, la destruction des tours jumelles n’entamait pas la puissance américaine et ne modifiait pas substantiellement le rapport des forces. Mais la République impériale, qui, depuis la chute du Mur, se sentait toute-puissante, se vit soudain vulnérable. Elle en éprouva une panique qu’elle exorcisa par une affirmation démesurée de son droit et de sa force, et qui fut en somme la première grande panique du nouveau millénaire.

Pascal BRUCKNER. – Les attentats du 11 Septembre m’ont horrifié sans me surprendre. J’avais déjà vu à Sarajevo, lors de la guerre, les pickups remplis de soldats de l’islam, revenus d’Afghanistan, oriflammes au vent. Les moudjahidines armés par la CIA contre l’URSS allaient retourner leurs fusils contre leurs anciens alliés. J’ai été atterré en revanche par les commentaires d’une partie de la presse qui attribuaient aux États-Unis la responsabilité de ces attaques: Jacques Derrida, mais surtout Jean Baudrillard ont expliqué très doctement que l’Amérique, concentrant entre ses mains une puissance énorme, recevait la monnaie de sa pièce. L’«autre», en l’occurrence l’islam, lui administrait une correction bien méritée. Une journaliste d’Europe 1 me demanda si les tours du World Trade Center ne symbolisaient pas une arrogance insupportable pour les peuples pauvres. Rappelons qu’en 2021 la plus haute tour du monde, la Burj Khalifa, est à Dubaï. Le 11 Septembre marque un double tournant: un nouvel ennemi est né mais, cet ennemi, les élites s’évertueront pendant au moins quinze ans à le nier. Le schéma que j’avais déjà analysé en 1983 dans Le Sanglot de l’homme blanc est le suivant: on nous attaque, donc nous sommes coupables. C’est à la victime de s’excuser d’avoir été frappée. Enfin l’argument burlesque de «l’islamophobie» a servi de cataplasme idéologique pour frapper toute critique de l’islam politique d’interdit. La seule fonction de ce terme est de rendre une religion intouchable alors qu’on peut allègrement piétiner le christianisme sans risques.

De même que nous ne voyons pas pourquoi ils nous résisteraient quand nous intervenons chez eux, nous ne voyons aucune raison de leur dire non quand ils se présentent chez nous. L’intervention humanitaire et l’acceptation de fait inconditionnelle de l’immigration sont deux faces d’une même représentation de l’humanitéPierre Manent

Entre 1989 et 2001, l’Occident a cru dans la possibilité d’une paix perpétuelle et d’une démocratie universelle. De quoi s’est nourrie cette illusion?

P.M. – La peur de la guerre revient, mais pour le moment les «chiens de la guerre» n’ont pas été lâchés. Il n’y a rien aujourd’hui qui ressemble non seulement bien sûr à la Première ou à la Seconde Guerre mondiale, mais rien non plus à la guerre de Corée ou à la guerre du Vietnam. Rien non plus qui ressemble à la crise de Cuba. Mais la guerre est toujours possible, et nous devons nous y préparer selon la nature et le degré de la menace.

Votre question lie étroitement paix perpétuelle et démocratie universelle. De fait, la «grande illusion» de la fin du millénaire précédent portait principalement sur la démocratie, la paix devant en être la conséquence. Le président Bush pensait que, étant égaux et semblables, tous les hommes désiraient naturellement jouir des bienfaits de ce régime et que donc l’objectif de «démocratiser» le Proche-Orient par une application résolue de la force américaine en quelques points stratégiques était à la fois désirable et praticable. Ce président américain fut fort impopulaire chez nous, mais en somme il ne faisait que prendre au sérieux la religion démocratique qui est la nôtre. De fait les Français et les Anglais l’imitèrent en Libye avec les résultats que nous pouvons constater. L’«intervention humanitaire» résume les illusions de la période. Sûrs de notre bonté et de notre compétence, nous postulons que «les autres» se conformeront docilement à nos vœux. Au nom de l’égalité et de la ressemblance humaine, nous exerçons soudain sur eux une supériorité écrasante et humiliante. Nous agissons au nom de l’humanité, pourquoi nous résisteraient-ils? Nous allons répétant que «l’homme est un être de culture», mais nous agissons comme si «leur» culture était un vêtement importun qu’ils abandonneront dès qu’ils verront paraître nos avions dans leur ciel ou nos vaisseaux sur leurs rivages.

Il faut admettre que nous nous traitons nous-mêmes comme nous les traitons. De même que nous ne voyons pas pourquoi ils nous résisteraient quand nous intervenons chez eux, nous ne voyons aucune raison de leur dire non quand ils se présentent chez nous. Nous mettons alors un point d’honneur à accepter de bonne grâce leur «différence». Ainsi «l’intervention humanitaire» et l’acceptation de fait inconditionnelle de l’immigration sont deux faces d’une même représentation de l’humanité: les différences entre les hommes – régimes, religions, mœurs, etc. – n’ont aucun sens profond, elles sont des accidents superficiels sous lesquels vit ou attend de vivre celui que nous connaissons bien, le seul que nous voulions connaître, l’individu titulaire de droits. Alors les bombarder chez eux ou leur ouvrir les bras chez nous, c’est la même démarche pour faire surgir en eux celui qui nous ressemble.

L’Europe ne croit plus au mal, elle ne connaît que des malentendus à résoudre par la concertation. Si nous sommes gentils avec nos adversaires, ils seront gentils avec nous. Or, la première tâche d’une grande puissance est de savoir désigner ses ennemisPascal Bruckner

P.B. – Pendant cette décennie doucereuse, nous avons vécu dans le conte de fées néolibéral: l’économie et la prospérité allaient assurer le bonheur du genre humain, endormir les passions belliqueuses, transformer le fanatique en ami de la tolérance. Le marxisme gisait dans les poubelles de l’histoire, les idéologies étaient mortes. Place au doux commerce et à l’esprit de calcul. Résultat: en 2021, le communisme est bien vivant en Asie du Sud-Est, en Chine, à Cuba. Plus de 1,5 milliard d’hommes se réclament encore de Marx, Engels, Lénine, Staline. C’est pas mal pour un cadavre! Enfin, la guerre revient partout, le djihadisme triomphe en Afrique, en Asie Centrale, la Russie agresse ses voisins, les chrétiens d’Orient vivent une extermination progressive, les cartels de la drogue ensanglantent l’Amérique latine. La paix perpétuelle promise en 1989 ressemble étrangement à un charnier. L’Europe ne croit plus au mal, elle ne connaît que des malentendus à résoudre par la concertation. Si nous sommes gentils avec nos adversaires, ils seront gentils avec nous. Elle n’aime pas plus l’Histoire: celle-ci est un cauchemar dont elle est ressortie à grand-peine, une première fois en 1945, une seconde en 1989. Elle se calfeutre contre ce poison à coups de normes, de règles et de procédures. Or la première tâche d’une grande puissance est de savoir désigner ses ennemis: écoutons Poutine, Erdogan, Khamenei, Xi Jingping et prenons-les au sérieux. Sur ce plan, la France est la seule qui ait maintenu, avec la Grande Bretagne, une capacité militaire et l’arme nucléaire. L’échec de l’intervention au Sahel s’explique aussi par la frilosité de Bruxelles et de Berlin. L’Europe veut être une grosse Allemagne qui bat sa coulpe et fait des affaires. Sans une armée forte et dissuasive, pas de liberté, pas de démocratie.

Pierre Manent, vous avez étudié l’histoire de la nation européenne. Vingt ans après le 11 Septembre, pensez-vous qu’elle est de retour?

P.M. – L’important est de saisir la dynamique historique. À partir du XVIe siècle, l’Europe a de plus en plus complètement imposé son ordre au monde. En même temps que les nations européennes renforçaient et perfectionnaient leur ordre intérieur, et formaient le cadre de déploiement des révolutions industrielle et démocratique, l’ensemble européen exerçait son ascendant sur le reste du monde. L’Europe était un concert de nations qui formait à l’égard du reste du monde comme un empire mondial. Le langage des «valeurs» méconnaît le lien intrinsèque entre ce que nous continuons d’admirer, le progrès technique et politique, et ce que nous avons décidé de détester, l’exercice de la puissance ou la domination. Dans la nation moderne comme dans la cité antique, l’effort pour faire entrer le peuple dans la chose commune fut un prodigieux multiplicateur d’énergie. Les nations capables de maîtriser le processus parvinrent à une telle supériorité de compétences qu’elles furent entraînées irrésistiblement à ce «partage du monde» dont elles ne savent comment s’excuser aujourd’hui. Non seulement elles ne veulent plus exercer la force vers l’extérieur – et elles s’en ôtent délibérément les moyens – mais elles renoncent même à cette force intérieure qui permet à un groupe humain de se donner forme en décidant pour lui-même.

Pascal Bruckner, vous aviez soutenu la guerre en Irak en 2002. Vingt ans plus tard, le chaos au Moyen-Orient est total et les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan. Pensez-vous aujourd’hui que le droit d’ingérence était une erreur?

P.B. – Ce fut une erreur et je l’ai reconnu dans Le Figaro, un an après. La faute principale en revient au proconsul Paul Bremer qui a commis l’irréparable: démanteler l’armée de Saddam au lendemain de la chute du dictateur, ce qui a provoqué la fureur des cadres et des officiers dont beaucoup passeront ensuite au service d’al-Qaida et de Daech. Un bémol toutefois: la disparition du régime de Saddam a été saluée comme une bénédiction par l’immense majorité de la population, les 60 % de chiites et les 20 % de Kurdes. Seuls les sunnites se sont sentis frustrés de leur protecteur. Cela condamne-t-il toute ingérence? Je ne le crois pas. Mais l’Amérique de Bush a eu le tort et de se disperser et de nourrir des ambitions démesurées qui se terminent aujourd’hui par une pantalonnade. Elle a voulu édifier, à Bagdad et à Kaboul, une démocratie instantanée, comme le café du même nom, sans tenir compte des mentalités qui accompagnent ce régime. Il faut frapper l’adversaire et partir, laisser aux forces en présence le soin de trouver une solution politique. Contre-exemple: l’Occident n’est pas intervenu en Syrie, Obama s’est rétracté, seule la Russie a soutenu sans scrupule le régime meurtrier de Bachar et cette guerre de neuf ans a été la plus abominable du nouveau siècle, des deux côtés. Depuis quarante ans, l’Amérique perd toutes ses guerres et manifeste l’impuissance de l’hyperpuissance. Elle réjouit ses ennemis et désole ses alliés. Qui peut encore accorder le moindre crédit à sa parole? Les djihadistes du monde entier jubilent après la chute de Kaboul. Ma conviction? Le 11 Septembre recommencera, il est le visage de notre avenir.

Selon vous, les vingt dernières années ont-elles été celles d’une déroute de l’Occident?

P.M. – L’Europe, les États-Unis et le Canada jouissent encore d’une situation enviable. Nous voulons croire qu’elle tient à l’attrait de nos «valeurs» et de notre mode de vie. Elle tient surtout à ce qui nous reste de l’ascendant acquis dans les siècles de l’empire européen – à ce que nous étions plus qu’à ce que nous sommes – et aussi bien sûr à la protection assurée gratuitement par l’empire américain. En dépit de ses doutes croissants sur la fiabilité de cette protection, l’Union européenne refuse de constituer une défense européenne crédible: quand on déclare depuis plus d’un demi-siècle que l’on va faire quelque chose, c’est que l’on ne veut pas le faire. Seuls le Royaume-Uni et la France parviennent encore à préserver une armée digne de ce nom. Pour combien de temps? Honteux et confus d’avoir dominé le monde, les Européens ont décidé de se livrer à lui en s’ouvrant sans réserve à la circulation des flux – marchandises, capitaux, êtres humains. Nous avons décidément tenu trop de place, il est temps de nous effacer… C’est le fond de la cancel culture dont nous feignons de nous indigner.

P.B. – «Aucune puissance ne peut détruire l’esprit d’un peuple, soit du dehors, soit du dedans s’il n’est déjà lui-même sans vie, s’il n’a déjà dépéri», disait Hegel. Le pire ennemi de l’Occident, c’est l’Occident lui-même, la haine qu’il nourrit à l’égard de ses réalisations. Jusque-là, seule l’Europe s’adonnait à cette dénonciation mécanique et réclamait le monopole universel et apostolique de la barbarie ; l’Amérique, déjà en proie à une guerre des cultures qui pourrait vite dégénérer en guerre civile, la rejoint, au moins à gauche du Parti démocrate en instaurant la réécriture de sa propre histoire. De part et d’autre de l’Atlantique, les colporteurs de la flétrissure pullulent: ils veulent nous persuader que le monde occidental est une machine à déshumaniser qui a mis la planète à genoux en la détruisant. Naître européen, c’est porter sur soi tout un fardeau de vices et de laideurs, c’est reconnaître que l’homme blanc a semé le deuil et la ruine partout où il a posé le pied. Exister pour lui, ce devrait être d’abord, selon nos flagellants, s’excuser. La férocité est blanche comme nous le disent nos «antiracistes», blanche et non pas noire ou asiatique: l’homme blanc est génétiquement déterminé à tuer, massacrer, piller, violer. D’où ce contresens hallucinant: les seules cultures qui se sont mises à distance de leur propre barbarie, qui ont inventé l’anticolonialisme, l’antiracisme et dénoncé la traite sont précisément celles qu’on accuse de ces maux. Rappelons ce fait: l’Europe n’a pas inventé l’esclavage, elle a inventé l’abolition. Le premier pays à l’interdire fut le Portugal en 1761, suivi du Danemark et de la Norvège en 1782, le dernier le Niger en 1999 qui l’a criminalisé en 2003. Mais rappeler qu’il y eut trois traites, l’orientale qui commence dès le VIIe siècle, l’africaine et l’atlantique qui relève encore du tabou, du moins de l’inconvenance. Nous n’avons même plus le droit de nous réjouir de nos progrès, juste le droit de nous couvrir la tête de cendres. Seul est dénoncé comme criminel celui qui, à juste titre, dénonce ses propres forfaits: la Russie réhabilite Staline, la Chine honore Mao Tsé-toung, la Turquie nie le génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens et ne rêve que de finir le travail mais les coupables, c’est nous!

Le 11 Septembre semblait donner raison à l’hypothèse formulée par Samuel Huntington d’un «choc des civilisations». Vingt ans plus tard, l’affrontement entre islam et Occident vous paraît-il plus ou moins d’actualité?

P.B. – L’islam n’est pas un bloc, heureusement, il est divisé et pluriel. L’affrontement n’est pas entre islam et Occident mais à l’intérieur de l’islam entre les conservateurs et les réformistes. Ne méconnaissons pas l’impatience de la liberté au sein des sociétés arabo-musulmanes: les progrès de l’athéisme, les conversions secrètes ou tout simplement l’indifférence religieuse vont en augmentant. L’Orient lui aussi est touché par la grande promesse des Lumières. Il faut aider partout ces hommes et ces femmes qui se battent pour le droit de croire ou de ne pas croire. Bénis soient les sceptiques et les apostats qui souhaitent refroidir le fleuve ardent de la foi. L’islam conquérant est plus faible que nous ne pensons ; nous sommes plus forts que nous le croyons.

P.M. – Depuis sa fondation il y a quatorze siècles, l’islam a été l’ensemble humain le plus constamment et radicalement opposé à l’Europe. C’est pour cela précisément qu’il est aujourd’hui l’objet d’une telle complaisance dans une Europe qui ne veut surtout pas se reconnaître ni se ressembler.La rhétorique du «choc des civilisations» est superficielle. L’islam n’est pas simplement une autre religion, ou une autre civilisation. L’islam s’est défini et construit contre le judaïsme et le christianisme, contre les écritures juives et chrétiennes. Il entend rétablir la vérité révélée à Abraham, Moïse et Jésus, mais faussée et trahie par les juifs et les chrétiens. Pour l’islam, tous les hommes naissent naturellement musulmans. Pour le christianisme, être chrétien résulte d’un choix de la liberté – d’une conversion. L’Europe «post-chrétienne» vit encore de ce libre choix de l’âme dont elle prétend s’être libérée. Entre l’Europe et l’islam, la question de fond n’est pas celle de la démocratie ou de la laïcité, ni celle des «mœurs». Elle concerne la vie de l’âme.

Le terrorisme, les crises migratoires puis la crise du Covid ont vu les libertés considérablement réduites dans des objectifs de santé et de sécurité. Finalement, le régime occidental de la démocratie libérale, le fameux «monde libre» n’était-il pas un régime pour temps calmes, voué à disparaître dès que l’histoire s’agite? Le passe sanitaire durera-t-il aussi longtemps que les portiques dans les aéroports?

P.M. – Le rétrécissement continu des libertés dans nos pays est un fait avéré mais qui reste énigmatique. Ce sont les sociétaires eux-mêmes qui, dans les différents domaines d’activité et de vie, se surveillent et se dénoncent les uns les autres. Osons une hypothèse. Dans le commerce social, nous devons nécessairement tenir compte de nos qualités respectives – de nos différences. Dans toute relation intervient presque toujours ce que Rousseau appelle une «inégalité de crédit et d’autorité». Or, la religion de l’égalité et de la ressemblance humaine a pris sur nous un tel empire que nous voulons chasser de toutes nos relations jusqu’à la dernière trace d’inégalité. Nous ne pourrions y réussir qu’en immobilisant entièrement et définitivement toute vie sociale. Les militants peuvent bien dire qu’ils sont des victimes ou parler au nom de celles-ci, à l’instant ils revendiquent cette «inégalité de crédit et d’autorité» dont ils prétendaient nous délivrer. Leur tyrannie est ridicule, mais elle est aussi démoralisante, car l’égalité qui avait été le principe de mouvement de la société moderne se retourne en son contraire, devenant un principe d’arrêt et de stérilité. Lorsque la Cour de justice de l’Union européenne décide que les militaires des États membres sont assujettis au même droit du travail que n’importe quel travailleur, sauf en opérations, non seulement elle montre peu d’intérêt pour les besoins de notre défense, mais elle introduit une distinction – entre opérations et temps ordinaire – qui tend à détruire l’unité, et donc le sens même, de la vie et de la vocation militaires. Nulle «forme de vie» particulière, nulle vie dévouée, ne doit rompre la parfaite égalité et régularité du paysage social.

P.B. – La pandémie porte un coup fatal à l’hubris moderne: la science et la médecine ne peuvent guérir toutes les maladies. Ce scandale absolu – incurable est le seul mot obscène de notre langue -, nous le traduisons en termes de liberté bafouée, de complot des laboratoires ou des gouvernants alors qu’il s’agit d’une limite de nos capacités. Contrairement à ce que proclament certains matamores, nous avons raison d’avoir peur et de vouloir nous protéger même s’il faut veiller aux abus toujours possibles. La sécurité sanitaire est la première condition de la liberté. Le grand enjeu pour moi n’est pas là. Une partie de nos élites, surtout à Bruxelles veut la mort de l’Europe au nom de la justice climatique, du péché colonial. Rappelons que le «grand remplacement» est d’abord un idéal de l’ultragauche avant d’être le cauchemar de l’extrême droite. Quand un Yves Cochet réclame de limiter les naissances en Europe pour accueillir les migrants, quand la romancière Marie Darrieussecq prévoit que l’humain du futur sera beige et que le «petit Blanc» devra disparaître dans un métissage général, quand le philosophe Alain Badiou appelle de ses vœux la migration massive «pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s’achève», ils militent ouvertement pour notre effacement progressif. Mais à ce désir d’extinction répond un véhément désir de résurrection de la part des peuples. La décadence n’est pas une fatalité, c’est le projet d’une minorité influente. Que pouvons-nous répondre à cette fraction du Vieux Monde, gagné par le défaitisme et qui veut mourir? Simplement ceci: après vous. Si vous désirez disparaître, ne vous privez pas. Mais laissez les autres vivre. La résistance contre le nihilisme s’organise: le suicide civilisationnel n’est pas une option!

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