Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

10 de maig de 2024
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Georges-Elia Sarfati: “Passé/présent : Sur deux formes historiques de l’antisionisme”

Georges-Elia Sarfati (philosophe, linguiste, psychanalyste) publica ahir a Tribune Juive aqueixa reflexió ben documentada:

Il est temps de clarifier les choses, et d’apporter un soupçon de différenciation dans le chaos du discours contemporain. La flambée judéocide qui s’est emparée du monde depuis le 7 Octobre 2023 se paye de mots, et la majorité de ses acteurs voudraient à peu de frais s’exonérer de l’accusation d’antisémitisme, sous le prétexte qu’ils n’ont rien contre les Juifs en tant que tels – du reste il s’en trouve parmi eux pour ajouter à leur confusion – mais qu’ils se révoltent contre “Israël qui commet un génocide contre le peuple palestinien”. Ce n’est pas le lieu de rendre compte de l’un de ces mantras, partie intégrante de la désinformation contemporaine. Sa simple mention suffit ici à indiquer qu’une idéologie en action se soucie peu de nuance, moins encore de vérité. Parmi les détracteurs officiels d’Israël, à commencer par la nébuleuse politique institutionnellement organisée et spécialisée dans la dégradation symbolique de l’État juif, au premier plan de laquelle se trouve la formation parlementaire de La France Insoumise, sociologiquement appuyée sur la cohorte des innombrables organes du mouvement du BDS[1], il ne se trouve pas un porte-parole qui ne se commette journellement dans le déni du “Je ne suis pas antisémite”, ou du “l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme”. Ces déclarations de politique générale s’appuient en outre sur deux prémices, qui résonnent à nos oreilles comme les figures obligées de l’outrance imbécile : pour s’énoncer impunément, ces mêmes formules se soutiennent de deux postulats auxquels il est devenu de bon ton de sacrifier pour quiconque entend se faire une place dans le discours de ralliement qui met en rang serrés les nouveaux partisans de la nouvelle chasse aux Juifs.

Le candidat à la prise de parole commencera par dire tranquillement que ce qu’il appelle l’antisionisme “n’est rien d’autre que la critique légitime de la politique de l’Etat d’Israël”, et ne tardera pas à ajouter, comme un allant de soi, que l’antisionisme vise plus particulièrement “la politique du gouvernement de B. Netanyahu”. Moyennant cette double concession rhétorique, il sera possible de procéder plus avant dans l’idée désormais admise de la culpabilité ontologique d’Israël. Mais pour rendre ce sophisme résolument acceptable, les moins idiots croiront ajouter un surcroît de légitimité à leur propos en rappelant que leur antisionisme ne déborde pas la posture critique, puisqu’ “il a existé un antisionisme juif”. Et puisque, selon eux, il s’est trouvé par  le passé de nombreux Juifs pour soutenir cette vue, ils sont pleinement dédouanés de toute compromission avec la crapulerie antisémite. Dont acte.

Il reste que si le sens de la nuance, qui est souvent une vertu acquise par la connaissance historique, opère à l’endroit de cet enchaînement de sophismes avec la force disjonctive du court-circuit, son absence s’encombre assez peu de distinction. Pourtant, pour la cohérence du débat, il est vital de distinguer entre les positionnements idéologiques de la diaspora juive tout long des différentes étapes de la formation du sionisme, philosophique aussi bien que pratique.

Lorsque de jeunes décérébrés surdiplômés – de nos jours, l’un n’empêchant plus l’autre – ,  prétendent avoir voix au chapitre sur le conflit palestino-israélien, posent en prémisses de leurs inepties pour échapper au reproche qu’il a existé un antisionisme juif, et faire ainsi valoir leur propre hostilité doctrinale à Israël, ils n’y sont pas du tout.

Il est vrai que les premières formulations du sionisme ont suscité autant de défiance que de rejet dans bien des milieux du monde juif au moment de son apparition, à la fin du 19è siècle: en Europe de l’Ouest, particulièrement en France, mais également en Europe de l’Est, à la veille de la Révolution russe. Ces formes juives de l’opposition au sionisme – que l’on pourrait qualifier d’endogènes – sont du reste bien documentées, si bien qu’il est aisé de savoir qu’elles puisaient cependant leurs justifications dans les promesses de leur époque.

En France, notamment, ce sont les vastes fractions du judaïsme alors récemment émancipé, qui ont exprimé leur refus du sionisme. Cette position coïncide en grande partie avec les acquis de l’israélitisme, dont E. Littré témoigne avec un soupçon d’ironie[2]. Au moment où Théodore Herzl publie L’Etat des Juifs, dans le contexte de l’Affaire Dreyfus, qui marque pour lui la première grande crise de l’Émancipation, le Judaïsme français célèbre déjà plus d’un siècle de parité citoyenne ; ce qui est vécu comme une condition durement acquise, se défend de manière bien compréhensible de rompre le pacte républicain. A part égale avec l’Israélitisme, le Judaïsme réformé, à partir de l’Allemagne, entendait aussi maquer son ralliement à la modernité, en préconisant l’effacement de toute référence au messianisme des Pères. C’est que dans ce contexte marqué par le triomphe des Lumières, les valeurs de la Révolution française s’offrent aux anciens persécutés, désormais accueillis au sein des nations modernes, comme une alternative robuste et concrète au messianisme talmudique. A cette même époque, n’a-t-on pas amplement dispensé les vertus du “messianisme français” ?

Dans la Russie des Tsars, où l’essentiel de la diaspora juive était captive de la zone de Résidence (mise en place par Catherine II de Russie à partir de 1791), ce sont les promesses émancipatrices de la révolution prolétarienne qui rencontrèrent l’adhésion des masses, y compris dans le vaste monde du Shtetl. L’adhésion au projet révolutionnaire suscita, au même titre que la Convention française de 1791, un enthousiasme fédérateur qui décida de l’engagement massif de la jeunesse juive, majoritairement plongée dans la précarité et la misère, l’une et l’autre aggravées par des politiques successives de discrimination.

L’on connaît le degré d’implication de cette jeunesse dans les rangs révolutionnaires, et le nombre considérables de dirigeants d’origine juive parmi les chefs bolchéviques (Léon Davidovitch Bronstein, alias Trotsky, est le plus célèbre d’entre eux). Dans le monde spécifiquement juif, cette adhésion formidable se scinda selon deux orientations : le marxisme-léninisme d’une part, le mouvement nationalitaire[3] du Bund d’autre part. Pour les uns, comme pour les autres, il était vital non seulement de hâter la venue d’une société nouvelle, moderne et égalitaire, mais du même élan de mettre à bas un régime fondé sur un antisémitisme d’Etat de plus en plus virulent.

A l’Ouest le combat en faveur de l’Émancipation individuelle semblait avoir porté ses fruits, tandis qu’à l’Est, ce même combat s’affirmait, avec un siècle et demi de décalage, mais il promettait aussi aux populations misérables de la zone de résidence un avenir de dignité[4]. Quels que furent les engagements des communautés juives, d’Europe de l’Ouest ou d’Europe de l’Est, aucune des formes du refus juif du sionisme n’a pris les dimensions d’une doctrine d’hostilité ni d’incrimination à l’égard des partisans du sionisme. Les justifications du refus du projet sioniste n’ont pas manqué (dans les rangs de l’Israélitisme, comme dans ceux du Judaïsme religieux –réformé ou orthodoxe-, dans les rangs des révolutionnaires, communistes ou bundistes). Les polémiques ont été âpres, les dissensions argumentées, cette archive très stratifiée a inspiré les principales histoires du sionisme.

Mais ce que l’on peut à bon droit qualifier de rejet juif du sionisme – notamment entre la fin du 19è siècle et l’entre-deux guerre- doit donc s’évaluer au regard des tendances lourdes de l’histoire d’alors : aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest, l’Europe vivait une période de mutations tenues pour favorables, en dépit de l’essor d’un puissant mouvement antisémite. Lesdites mutations, politiques, juridiques mais aussi économiques et culturelles, la progression de la sécularisation, ont permis la transformation positive de la condition juive (par la propagation des idéaux de la Révolution française), ou promettait de le faire dans un délai rapproché (portées par le processus de la Révolution russe, bourgeoise d’abord, soviétique ensuite). Au regard de ces accomplissements ou des signes de rapides transformations qualitatives, le principe-même de la révolution sioniste paraissait relever de l’utopie, au mieux de l’aventure. Le sionisme paraissait incertain, étant de fait minoritaire. Pour toutes les fractions du peuple juif – séculiers et religieux, révolutionnaires communistes ou nationalitaires, émancipés et/ou réformés- c’est le génocide hitlérien qui a mis un point final à toutes les attentes du néo-messianisme juif, qu’il fût puisé aux sources des Lumières ou à celles de l’Internationale marxiste. En sorte qu’au lendemain de ce cataclysme, le sionisme a cessé de constituer une option minoritaire, mieux il a vraiment représenté une voie de reconstruction du peuple juif, autour d’un pôle de souveraineté recouvrée.

Il est partant indéniable que les principaux théoriciens du sionisme, ceux dont l’influence a été la plus marquante dans la sphère occidentale, ont été visionnaires, ils ont pressenti le caractère précaire des acquis de l’émancipation individuelle, qu’elle fût le fait des sociétés bourgeoises, ou le fait de la nouvelle société prolétarienne. Les développements historiques dont eux-mêmes – aussi bien que leurs successeurs- ont été les témoins désolés, leur ont donné raison. La vision sioniste s’est avérée juste, les analyses sur lesquelles elle s’appuyait tout autant. Au début du 21è siècle, plus personne, pas même les communautés juives qui ont fait le choix de leur maintien en diaspora, ne conteste que l’État d’Israël est désormais le centre de gravité de l’histoire du peuple juif. Dans les années 20 du 20è siècle, a fortiori dans les années 80 du 19è siècle, il s’en fallait de beaucoup pour que les esprits se rendissent à cette future évidence. Nul – sauf les partisans du sionisme – ne pouvait se représenter quelle ampleur prendraient les développements de l’antisémitisme moderne, ni à quelle magnitude de destruction il frapperait les communautés qui persistaient à justifier la diaspora, ou à la tenir pour l’horion indépassable du devenir collectif d’Israël.

Avec la création de l’Etat d’Israël, création qui se fit par étapes, d’abord par la diplomatie et l’achat de terres auprès de la puissance ottomane, jusqu’à la guerre d’indépendance que le jeune état mena contre l’impérialisme britannique, les fractions du peuple juif qui ne se rallièrent pas au projet national naquirent cependant à la conscience unanime d’être des rescapées, soit du massacre perpétré par les nazis et leurs collaborateurs dans toute l’Europe occupée, soit par suite de l’antisémitisme stalinien, doublement facilité par l’antisémitisme qui se loge au cœur-même de la conception marxiste de l’histoire[5], mais aussi par les siècles d’enseignement du mépris des églises à l’endroit d’Israël.

Jusqu’au seuil de ces deux échéances fatales – nazisme et stalinisme – auxquelles s’ajouta au lendemain des indépendances du fait d’un nationalisme arabe exacerbé par la xénophobie le départ forcé d’un million de Juifs des pays musulmans, du Maghreb à l’Egypte, en passant par l’Irak et le Yemen – le soi-disant antisionisme juif s’était constamment limité à la sphère du débat interne, puisque ceux qui le nourrissaient y engageaient au premier chef des choix et des décisions qui impliquait d’abord le destin collectif d’Israël. Il n’y était donc pas question de préconiser la destruction d’un État (ce que signifie stricto sensu l’antisionisme), mais de préférer à la solution nationale une solution en diaspora.

Or c’est le seuil de désaffiliation massif des Juifs du monde entier –ashkénazes, sépharades et orientaux- que représenta toutes les vagues de l’antisémitisme moderne, depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’à l’affaire des médecins en Blouse blanche, sans excepter les pogroms antijuifs perpétrés d’Oran à Bagdad et Damas- c’est cet antisémitisme-là qui fut le berceau du seul antisionisme qui soit – l’antisionisme de type exogène- celui doctrinale et génocidaire qui s’épanouit sous nos yeux aujourd’hui, depuis le 7 octobre. C’est dans l’intrication de ces causalités que commence l’histoire de l’antisionisme au sens propre.

Et c’est là que nous retrouvons nos jeunes étudiants décérébrés – auxquels cette histoire a entièrement échappé parce qu’ils en ont été coupés par les nouveaux antisémites et leurs complaisants suiveurs : gauchistes pro-palestiniens en mal d’un nouveau prolétariat, islamo-wokiste nostalgique anachroniques des guerres de décolonisation, adeptes idéologisés du Sud Global, d’autant plus idéologisés qu’ils en sont éloignés…

Le prétendu antisionisme juif, répétons-le, avait toutes les caractéristiques du débat interne au peuple juif. Les persécutions antijuives du 20è siècle l’ont vidé de sa substance, d’autant que les alternatives progressistes, espérées en diaspora, ont toutes également échoué. Même l’Europe de l’Ouest n’a pas été un rempart contre la judéophobie, ni avant, moins encore depuis le 7 octobre.

Ce phénomène du refus spécifiquement juif du sionisme appartient irréversiblement au passé. Il se distinguait encore par deux traits : il s’est exprimé avant la création de l’État d’Israël, aussi bien qu’avant la Shoa qui y a mis un terme, et pour cause…

Si le terme d’antisionisme a quelque validité, il est impropre de faire l’hypothèse qu’il a symbolisé une attitude juive. Il ne pouvait être question de nier l’existence d’une souveraineté qui ne s’était pas encore réaffirmée. En revanche, il prend tout son sens dans la bouche des promoteurs actuels de la négation d’Israël, de son histoire, de sa population, de son droit à l’existence. S’il existe un véritable antisionisme juif de nos jours, il constitue un phénomène morbide et marginal dont il conviendra de faire l’analyse, mais se rapporte sur le fond aux motifs de l’antisionisme exogène et radical qui s’exprime aujourd’hui.

Ce sont les régimes totalitaires ou autoritaires issus des indépendances, au Maghreb aussi bien qu’au Proche Orient qui ont recyclé dans la mobilisation antisioniste universelle les ingrédients les plus topiques de l’antijudaïsme théologique et de l’antisémitisme moderne : l’incrimination systématique d’Israël, sa criminalisation progressive, ces deux composantes se fondant elles-mêmes sur un motif invariant : la projection sur Israël, par ses persécuteurs et ses détracteurs, de leur propre fantasme destructeur. La justification inventée pour ce faire ayant consisté dans la banalisation du mythe d’Israël liquidateur de l’aspiration nationale d’un peuple palestinien qui n’eut jamais ni État, ni identité culturelle distincte des populations de l’ancienne Syrie-Palestine de l’époque ottomane.

Notes

[1] Le Mouvement du Boycott Sanction Désinvestissement actif depuis le début des années 2000, qui compte aujourd’hui plus de 120 groupes structurés à l’échelle nationale et internationale, en passe de se fédérer sous la désignation du Parti de la Palestine Libre.

[2] « D’aucuns, écrit-il à l’article Juif du Dictionnaire de la langue française, se disent israélites pour ne pas se dire juifs, comme d’autres se disent notaires pour ne pas se dire avoués. »

[3] Nationalitaire et non nationaliste (le sionisme), dans le cadre de la politique des nationalités pratiquée par les soviétiques. C’est toute l’histoire du Yiddishland, qui connut sa triste apogée sous Staline, avec la formation de la République autonome du Birobidjan (1936).

[4] Rappelons du reste que c’est Lénine qui abolit la zone de résidence en 1917, et adopta des lois pénales d’une grande sévérité pour combattre l’antisémitisme dans la nouvelle Russie.

[5] Le texte de jeunesse de Marx : La question juive (1844), dans lequel l’auteur assimile judaïsme et capitalisme, où l’on voit l’une des sources doctrinales de l’antisémitisme de gauche dont la virulence éclate de nouveau.

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