Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

20 d'abril de 2019
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Notre-Dame i el descontructivisme francès

L’incendi de Notre-Dame de París ha sacsejat la societat francesa fent aflorar reaccions de tota mena, des dels que hi veuen el presagi del declivi de França (cas de Jean Clair) fins als que apel·len al seu ressorgiment, i aquells que celebren el foc destructor de la catedral i tot allò que representa (alguns islamistes autòctons).

De fet, actituds destructives ja s’han produit precedentment, per exemple a les manifestacions dels gilets jaunes s’han vandalitzat l’Arc del Triomf, les terrasses dels cafès dels Champs Elyssés i tota mena de símbols de l’ordre polític i social històricament hegemònic. Es tracta d’un fenomen de llarg abast que té diverses explicacions.

Olivier Vial publicà el proppassat 17 un punyent article a Le Figaro on vincula les reaccions d’alguns estudiants universitaris indiferents o hostils davant aqueix incendi (“l’única església que il·lumina és la que crema” és un eslògan que es veu en pintades a París i a Barcelona) amb l’heritatge intel·lectual del desconstructivisme: “L’indifférence de militants de l’Unef davant Notre-Dame, ou le vrai visage des enfants de Bordieu”. Aqueixa reflexió crítica sobre els efectes nefastos de les teories desconstructivistes val per analitzar els seus efectes a França i també a Catalunya:

«Je m’en fiche de Notre-Dame de Paris, car je m’en fiche de l’Histoire de France.» «Wallah! vous aimez trop l’identité française alors qu’on s’en balek objectivement, c’est votre délire de petits blancs.» Il est 19h59, lundi. Les flammes menacent encore l’ensemble de l’édifice de la cathédrale quand une militante, membre du bureau national de l’UNEF (union nationale des étudiants de France – sic!) se répand ainsi sur Twitter. D’autres membres du syndicat étudiant, longtemps chéri de la gauche, et leurs alliés «antifas» abonderont dans son sens jusqu’à l’abject: «La seule église qui illumine est celle qui brûle». Ce n’est que le lendemain et sous la pression de milliers d’internautes choqués que l’UNEF prendra enfin ses distances avec ces propos.

Si rien n’excusera jamais les auteurs de telles inepties, la diffusion et le développement de cette haine contre notre Histoire et notre identité s’expliquent malheureusement trop bien et puisent leurs racines dans des décennies de lâcheté et d’aveuglement. Comment demander à des jeunes d’apprécier et de respecter ce qu’ils n’ont pas appris à connaître? Notre rapport à l’Histoire, à notre littérature, à notre patrimoine a été subverti par l’action d’idéologues se faisant passer pour des scientifiques. Les sciences de l’éducation, qui en France se sont longtemps résumées à un catéchisme bourdieusien, ont ainsi imposé l’idée folle que les oeuvres classiques, la culture n’était qu’une arme de domination au service de la bourgeoisie. Dès lors, le rôle de l’école ne pouvait plus être de transmettre cette culture, mais au contraire d’offrir les outils conceptuels aux élèves pour s’en émanciper. La chasse aux stéréotypes en tout «genre» fut ainsi lancée, et notre histoire fut convoquée devant le tribunal de l’historiquement et du politiquement correct. L’objectif n’était plus de comprendre le passé pour éclairer le présent, mais de juger le passé sur la base des tabous et des susceptibilités du moment. Cette forme victimaire et culpabilsatrice de l’enseignement de l’Histoire a rendu difficile pour des générations d’élèves la nécessaire appropriation de cet héritage commun. Or c’est celui-ci qui permet de comprendre et de sentir intimement ce qui nous lie les uns aux autres.

Après l’enseignement, ces «bourdieuseries» ont été généralisées et systématisées par les tenants du courant de la «déconstruction». Depuis les années 60, sur les campus américains d’abord, en France et en Europe ensuite, ils se sont employés à donner un vernis «universitaire» aux thèmes initialement développés par l’extrême-gauche autour de la notion d’hégémonie culturelle. Pour le théoricien communiste Antonio Gramsci «l’État capitaliste maintient son emprise sur le peuple par la coercition et le consentement qui est le fruit de l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie». Les hérauts de la «déconstruction» vont voir dans toute norme instituée (le couple, la famille, l’école, la culture, la justice, la nation) un vecteur de cette hégémonie, qu’il faut dénoncer et déconstruire pour libérer les minorités, qui, à leurs yeux, ont fini par remplacer le peuple.

Dans cette course sans limite vers la radicalité, la déconstruction s’est également employée à remettre en cause les sciences et notamment la biologie. Ainsi, l’universitaire américaine, Sandra Harding, accuse la science de reposer sur un statu-quo imposé par les élites «afin de maintenir une matrice de privilèges de classe, de genre, de race». Pour se libérer de cela, elle invite à une nouvelle forme d’objectivité scientifique qui s’oppose à la neutralité de la science dominante pour imposer le point de vue des minorités et des marges. Seules les «victimes» de discrimination seraient en mesure de développer une analyse lucide et objective de la société qui les opprime. C’est sur ce fondement, que se développent sur nos campus, avec d’ailleurs la bénédiction de l’UNEF, des séminaires en non-mixité de genres et/ou de races. Cette sorte de théorie, aussi subtile qu’une barre à mine, finit par démolir tout ce que l’on a en commun pour fractionner la société en addition d’une infinité de minorités, instaurant une forme d’apartheid universitaire qui a pour but de faciliter la nécessaire mobilisation de celles-ci.

Comme le souligne Mathieu Bock-Côté, «loin de se dissoudre dans les marges, cette critique s’est radicalisée depuis le début des années 2000» et a fini par transformer «la haine de l’Occident en savoir scientifiquement reconnu.» Le courant décolonialiste apparait comme une étape de plus: l’objectif étant de déconstruire les rapports sociaux et la culture selon le prisme de la «race» et du rapport colonisés / colonisateur. En quelques années, ce courant s’est solidement implanté dans nos universités, imposant sa discipline dans la maquette de certains diplômes, bénéficiant de financements publics et de créations de postes. Son influence dépasse désormais le seul cercle «scientifique» comme en atteste l’activisme de l’UNEF en la matière. C’est sous l’influence de cette idéologie que le syndicat défend désormais les séminaires en non-mixité, fait interdire la pièce de théâtre, les Suppliantes d’Eschyle, en se basant sur les concepts décolonialistes de «blackface» et «d’appropriation culturelle», ou encore lance une vaste campagne sur les campus français pour dénoncer «une société organisée pour les blanc.he.s» et «les programmes d’histoire occidentaux-centrés».

Pendant trop longtemps, la classe politique, et la droite en particulier, s’est montrée totalement indifférente face à la poussée de ces thèses. C’est un débat entre «intellectuels»! Laissons-les débattre du sexe des anges! Cela fait plus de dix ans que nous avons mis en garde contre cet enrégimentement de pans entiers de nos disciplines universitaires. Mais, comme Cassandre, nous n’avons pas été entendus.

Aujourd’hui, les tweets de cette responsable de l’UNEF, comme d’ailleurs ceux de nombreux autres jeunes sur les réseaux, montrent que ces théories, bien que fumeuses, finissent toujours par infuser dans la société. En laissant ainsi se développer dans nos écoles et nos universités des théories qui visent à opposer les uns aux autres, à entretenir une culture victimaire et à démolir nos valeurs et notre héritage commun, on entretient et on renforce les fractures communautaires. À défaut de prendre rapidement ces théories au sérieux pour enfin les combattre, il est à craindre que la bravoure des pompiers ne puisse à l’avenir prévenir l’embrasement de notre société.

Post Scriptum, 17 de maig del 2019.

Élisabeth Lévy és entrevistada avui per Le Figaro: “Un mois après Notre Dame, la morale post-nationale triomphe plus que jamais”.

Post Scriptum, 24 de setembre del 2022.

En proppassat 25 d’agost a Le Figaro: Les idées de certains intellectuels français ont été schématisées et utilisées dans les universités américaines pour produire une idéologie hostile à l’universalisme républicain, explique le directeur de la Fondation Res Publica, Joachim Le Floch-Imad, qui présente l’étude La République face à la déconstruction: «Avec le wokisme, chaque minorité ne raisonne plus qu’en termes de créances, au détriment des notions d’intérêt général et de devoir».

FIGARO. – Qu’est-ce que la déconstruction ? Dans quelle mesure celle-ci emprunte-t-elle aux penseurs français et à ce que les universitaires américains ont appelé la «French Theory» ?

JOACHIM LE FLOCH-IMAD. – Comme le rappelle Pierre-André Taguieff dans notre publication, la déconstruction naît de lectures françaises de Nietzsche et d’Heidegger. À travers le mot polysémique «Abbau», ce dernier désigne la «déconstruction critique des concepts reçus qui sont d’abord nécessairement en usage, afin de remonter aux sources où ils ont été puisés». Le terme acquiert une notoriété internationale lorsqu’il est repris par Jacques Derrida et que son œuvre maîtresse De la grammatologie est traduite en anglais. L’entreprise déconstructionniste demeure néanmoins à cette époque littéraire et philosophique. Elle propose avant tout une manière nouvelle de lire les textes, invite à la recherche et au questionnement. Derrida refuse d’ailleurs d’en donner une définition figée, comme dans sa Lettre à un ami japonais: «Ce que la déconstruction n’est pas ? mais tout ! Qu’est-ce que la déconstruction ? mais rien !».

En passant à la moulinette de l’avant-gardisme américain, la déconstruction va néanmoins oublier ses interrogations et précautions initiales. À partir de la fin des années 60, les campus se passionnent pour les grandes figures françaises du structuralisme et du post-modernisme, que l’on pense à Derrida, Foucault, Deleuze, Althusser, Bourdieu, etc. Leurs textes sont lus, commentés, décontextualisés et, bien souvent, simplifiés. Des réflexions souvent restées marginales ou abstraites en France se voient ainsi politisées et prescrire une portée normative.

Alors que les «nouveaux philosophes» apparaissent en France, la contre-culture et le campus américains sont le théâtre de la naissance de la French Theory, corpus extrêmement vaste qui regroupe des auteurs et des courants très divers, de Simone de Beauvoir à Edward Saïd. Bien que les auteurs français aient, parfois à leur insu, permis d’élaborer outre-Atlantique un certain nombre de concepts, de valeurs et, in fine, une idéologie, celle-ci doit également beaucoup au puritanisme moral et au refoulé des pathologies américaines (esclavage, lois de ségrégation raciale, etc.).

Cette idéologie s’est forgée à mesure que la déconstruction sortait de domaines de compétences très cloisonnés et se voyait réappropriée par des intellectuels engagés puis par des militants. Tel un boomerang, elle est ensuite revenue transformée en France.

Comme l’écrit Taguieff, la déconstruction s’apparente aujourd’hui à «une pensée prométhéenne hyper-constructiviste, qui incite à tout détruire pour tout reconstruire». Sous prétexte d’en finir avec les injustices et les discriminations, c’est à la civilisation occidentale, associée à la domination, qu’elle s’attaque. Ses penseurs, son héritage et ses mœurs se voient ainsi démystifiés, avec l’espoir qu’une fois le passé répudié, une utopie nouvelle pourrait voir le jour. De cette vision de la déconstruction, naissent les Studies puis, avec l’aide de la rue et des réseaux sociaux, le «wokisme». Si le terme a été popularisé récemment, avec le mouvement Black Lives Matter, il n’est pas sans lien avec l’imaginaire américain et avec la tradition des «réveils religieux» protestants en vogue depuis la première moitié du XVIIIe siècle. Comme les calvinistes et les Shakers, les Wokes (éveillés/conscientisés) se représentent l’humanité comme rongée par un mal qu’il convient de pourchasser avec ardeur.

FIGARO.- Dans quelle mesure cette idéologie met-elle en péril la vie en commun et la conception que nous nous faisons de la République ?

À rebours de l’universalisme et de la conception républicaine de la citoyenneté («l’homme sans étiquette» selon le mot de Régis Debray), les déconstructionnistes essentialisent et exaltent les identités. Sous leur férule, l’individu se voit constamment ramené et réduit à une partie de son identité (origine ethnique, genre, orientation sexuelle, religion, etc.). Cette idéologie ne peut par conséquent que produire de l’individualisme et du particularisme. Comme le rappelle Souâd Ayada dans notre publication, là où le modèle républicain se caractérise avant tout par l’aspiration au commun et l’acceptation du fait majoritaire, les déconstructionnistes, hostiles à toute forme de totalité, préfèrent «le fragmentaire, le multiple et le décomposé». La déconstruction heurte en outre de plein fouet le principe de laïcité, assimilé à un moyen de reléguer l’islam et les musulmans, et s’en prend au triptyque «liberté, égalité, fraternité» dont elle se plaît à souligner l’inanité.

Le débat public apparaît également comme suspect. La démocratie n’est ainsi plus envisagée comme un théâtre où se confronteraient, à la lumière de la raison naturelle, des points de vue différents. Elle est une guerre entre oppresseurs et victimes, progressistes et réactionnaires, partisans de la diversité et thuriféraires de l’entre-soi: «La pratique militante de la déconstruction instaure un régime de discursivité fait de suspicion et d’intimidation généralisées.» La logique communautariste, la hargne et la passion du ressentiment aggravent cette course au contentieux. Chaque groupe minoritaire ne raisonne plus qu’en termes de créances, au détriment des notions républicaines d’intérêt général et de devoir.

L’idée de nation n’a enfin plus cours dans la mesure où, en régime déconstructionniste, c’est l’ouverture radicale qui prévaut. Seul l’accueil inconditionnel de l’autre, idéalement du non-occidental, permet d’entrevoir l’espoir d’une rédemption et d’une régénération. Dans une conférence à Strasbourg en juin 2004, Derrida déclare ainsi rêver «d’une Europe dont l’hospitalité universelle et de nouvelles lois de l’hospitalité ou du droit d’asile fassent l’arche de Noé du XXIe siècle».

FIGARO.- Vous montrez le déséquilibre entre l’attention universitaire portée à ces thèmes et la place mineure qu’ils occupent dans les préoccupations des Français. Seuls 7% placent ces sujets dans leurs préoccupations principales selon une étude du Cevipof. Pourquoi un tel décalage entre les productions universitaires, les discours politico-médiatiques et la vie ordinaire des Français?

Ce décalage, souligné dans notre publication par le journaliste Hadrien Mathoux, tient d’abord selon moi à des raisons sociologiques. Le déconstructionnisme, peut-être parce qu’il conduit à l’éviction de la question sociale au profit de combats sociétaux, est presque inexistant chez les classes populaires. Plusieurs études montrent qu’il mobilise majoritairement des étudiants et jeunes actifs issus de milieux plutôt privilégiés d’un point de vue financier et culturel.

Les tenants de ce courant ont par ailleurs réussi à investir massivement le monde de l’université et des médias, et donc de se positionner au premier plan du débat d’idées. Ils sont par ailleurs très visibles sur les réseaux sociaux où ils bénéficient d’une prime octroyée à la radicalité. À une époque où les réseaux sociaux contribuent à dicter l’agenda politico-médiatique, il n’est pas surprenant qu’un décalage s’opère entre les sphères élitaires et le pays réel.

Cette révolution culturelle est enfin portée par des entreprises. Aux États-Unis, de plus en plus de formations à l’éveil contre les discriminations sont proposées à des employés invités à méditer sur leurs privilèges et à se montrer plus «inclusifs». La vague arrive progressivement en France – la transformation d’Ubisoft en officine woke en est un exemple probant -, même si elle n’a pas encore la même ampleur. Au-delà des enjeux internes à l’entreprise, on peut y déceler l’effet d’une stratégie marketing. De même qu’avec le greenwashing, des grands groupes instrumentalisent une vision caricaturale du bien pour remplir des objectifs mercantiles et s’offrir un supplément d’âme et de vertu. Tout cela alimente le décalage que vous évoquez.

La majorité continue fort heureusement à faire preuve de bon sens et à rejeter ces modes nouvelles, sans pour autant céder à l’intolérance, mais il y a de quoi être inquiet pour l’avenir. Le poisson pourrit toujours par la tête…

FIGARO.- Quelles sont les conséquences de cette diffusion des thèses woke et de ce militantisme à l’Université ?

Comme le souligne Nathalie Heinich, la montée en puissance de ces courants à l’université aboutit à un brouillage entre la posture du chercheur et celle de l’acteur. Là où le chercheur entend produire du savoir, l’acteur aspire avant tout à la transformation du monde social. Cet activisme, qui bien souvent parodie la démarche scientifique, nuit à la qualité intellectuelle des travaux universitaires produits.

Cette évolution remet également en question l’architecture des disciplines traditionnelles. De nouveaux objets d’étude, définis par une étiquette communautaire et une identité de discriminé, voient le jour: «gender studies», «race studies», «postcolonial studies», «disabled studies», etc. À l’encontre des critères de rigueur épistémique, la mise en avant de la subjectivité devient le seul critère de vérité, d’où la montée de la cancel culture à l’université. Selon cette logique, rien ne saurait être opposé au ressenti infaillible du «dominé». On ne débat pas avec celui dont les opinions sont jugées problématiques, mais on le fait taire, ce qui charrie une régression terrible d’un point de vue démocratique.

Ce recul des disciplines traditionnelles aggrave en outre la crise de la transmission qui sévit. Par le vertige de la supériorité morale auquel il cède, le woke s’abandonne à une forme de présentisme et de mépris pour l’héritage qui le précède. Celui-ci ne l’intéresse que dans la mesure où il lui permet de traquer les stéréotypes et injustices du passé pour mieux se féliciter de la supériorité des temps modernes. Cette approche me paraît très limitée. Comme l’écrit le philosophe José Ortega y Gasset, «l’homme n’est jamais un premier homme. Il ne peut commencer à vivre qu’à un certain niveau de passé accumulé.»

Enfin, l’emprise croissante du wokisme et du militantisme à l’université contribue au formatage de la jeunesse diplômée dans un sens, comme nous l’avons vu, peu républicain. Dans la mesure où celle-ci sera très vite amenée à investir les positions de pouvoir, cela ne sera pas sans conséquences sur les politiques publiques conduites et sur l’évolution des représentations collectives.

FIGARO.- Comment la France peut-elle se départir des thèses woke venues du monde anglo-saxon alors qu’elles dominent largement d’un point de vue culturel (enfants biberonnés à Netflix) ou économique (GAFA) ?

Sous prétexte que la promesse républicaine n’était pas toujours tenue, certains ont estimé qu’il fallait en finir avec la République. J’estime à l’inverse, comme Jean-Yves Autexier dans notre publication, que la République peut être un pôle de résistance efficace: «Démocratie comme loi de la majorité, primat de l’intérêt public sur les intérêts particuliers, passion de l’égalité, gestion intelligente des diversités, ancrage dans l’histoire: ces atouts qu’offre l’idée républicaine doivent permettre de mener la bataille.»

Encore faut-il néanmoins que nos élites préfèrent cet ethos républicain aux dernières modes venues d’Outre-Atlantique. Encore faut-il par ailleurs qu’elles soient capables d’expliquer que les problèmes de la société américaine ne sont pas les nôtres et que notre modèle de citoyenneté est infiniment plus libérateur que les assignations à résidence communautaire que nous proposent les indigénistes.

Face à ces vagues dissolvantes, il y aurait tout un travail de pédagogie et de réarmement conceptuel à opérer autour de quelques grands principes dont nous avons, à force d’inculture et de conformisme, oublié le sens profond. Nous y serions à terme tous gagnants. L’idée républicaine en actes me paraît en mesure de dessiner un avenir infiniment plus vivable que la société hyperconflictuelle, triste et policée que nous promettent les wokes.

La France gagnerait peut-être enfin à renouer avec son identité de nation littéraire. En nous faisant pénétrer d’autres consciences, vivre d’autres vies, la littérature nous permet une sortie salvatrice de nous-même. Face au narcissisme et à la certitude woke d’avoir tout le vrai en partage, elle nous invite à nous méfier d’un simplisme qui nous égare. En préférant la représentation de cas particuliers à la diffusion de l’idéologie, elle nous montre que le mal est inhérent à la condition humaine, qu’il n’est pas l’apanage d’un genre, d’une origine ethnique ou d’une classe sociale. Alors, allons aux textes ! Relisons Shakespeare, Rousseau, Flaubert, Tolstoï, Austen. Et comprenons que leurs enseignements sont d’une valeur bien plus inestimable que n’importe quelle adaptation Netflix…

Post Scriptum, 24 de gener del 2023.

Avui, a Le Figaro, Stéphane Bern et Pierre Ouzoulias : «Madame Bachelot, le patrimoine religieux n’a pas besoin d’une abdication», déplorent le désintérêt pour le sort de certaines églises en péril affiché récemment par l’ex-ministre de la Culture. Et plaident pour une mobilisation nationale en faveur de l’ensemble de notre patrimoine.

Qu’est ce qui peut réunir un sénateur communiste, archéologue, athée, partisan de la République et de la laïcité et un animateur de télévision et de radio, acteur, féru de l’histoire et singulièrement de celle concernant des familles royales : la défense et illustration du patrimoine.

C’est au nom de cette commune passion que nous écrivons ce texte en réponse à la position politique défendue par Madame Roselyne Bachelot, à propos du patrimoine religieux. Dans son anamnèse de son passage rue de Valois, 682 jours, le bal des hypocrites, l’ancienne ministre de la Culture souhaite «beaucoup de courage à mes successeurs pour dire non au sauvetage inconsidéré d’une église sans intérêt patrimonial, mais à charge émotionnelle et emblématique forte». Invitée à expliquer cette inéluctable nécessité de la destruction par une journaliste du service public de la télévision, elle considérait «qu’il serait difficile à l’avenir de sauver certaines églises et, en particulier, le patrimoine cultuel du XIXsiècle qui n’a pas grand intérêt»sic transit gloria mundi !

Nul ne conteste l’état sanitaire préoccupant de nombreuses églises délaissées par le culte. L’Observatoire du patrimoine religieux estime que, dans les dix ans à venir, la conservation de 3 000 ou 4 000 édifices religieux, non protégés au titre des monuments historiques, est incertaine. Les églises construites dans la seconde moitié du XIXsiècle avec des matériaux qui posent des problèmes particuliers de conservation, comme le ciment, le fer et le plâtre, et selon des canons esthétiques peu appréciés aujourd’hui sont les plus menacées. Il n’existe pas d’inventaire national de ces édifices et encore moins de bilan de leur état sanitaire. En les laissant détruire sans discernement, le risque est grand d’une disparition définitive de maillons de l’histoire de l’architecture essentiels pour en comprendre ses évolutions contemporaines. En matière patrimoniale, il est toujours de mauvaise méthode de faire des choix par défaut.

Dans un rapport récent de la commission de la culture du Sénat rendu par la sénatrice Anne Ventalon et le sénateur co-signataire de ce texte, le constat était dressé de l’incapacité de l’État et de ses services en région de pouvoir se doter d’instruments de gestion de ce patrimoine non protégé. C’est sans doute de «l’impuissance de son ministère» dans ce domaine dont voulait témoigner Roselyne Bachelot. Néanmoins, le pire n’est jamais sûr et il est possible de sauver ces édifices en mobilisant mieux les collectivités, les associations, les affectataires et les financements nombreux, mais pas toujours aisément accessibles aux maires des petites communes.

Le même rapport se félicite du consensus naissant qui rassemble les maires propriétaires des églises, leurs curés affectataires et les collectivités qui pourraient apporter leurs concours pour trouver à ces monuments peu utilisés des usages communs à l’ensemble de la population communale. La meilleure façon de les protéger est de les ouvrir plus largement à des activités qui leur donneraient de nouvelles missions sociales, à la condition qu’elles restent respectueuses de leur destination première.

Les deux auteurs de ces lignes, dont les parcours sont différents, se retrouvent dans les combats de l’abbé Grégoire, évêque constitutionnel, président de la Convention nationale et sénateur. Celui dont on disait qu’il était trop religieux pour être apprécié des Républicains et trop républicain pour être aimé des religieux défendit, devant la Convention nationale, le 14 fructidor an II (31 août 1793), un rapport contre le vandalisme qui posait les principes modernes de la protection du patrimoine historique.

Il condamnait avec fougue le «fanatisme d’un nouveau genre» contre les œuvres d’art, la mise à bas des statues, la vente et la dispersion des productions de l’esprit. Ces anathèmes demeurent d’une certaine actualité ! L’abbé Grégoire considérait que les monuments appartenaient à la Nation, car ils l’instruisaient sur son histoire et que pour cette raison seule la Nation pouvait décider de les détruire. Il pensait que les arts étaient les «enfants de la liberté» et qu’ils devaient contribuer à l’émancipation de la société. Il concluait son mémoire par cette proposition : «Inscrivons donc, s’il est possible, sur tous les monuments, et gravons dans tous les cœurs, cette sentence : “Les barbares et les esclaves détestent les sciences et détruisent les monuments des arts ; les hommes libres les aiment et les conservent”.» Nous la faisons nôtre au bénéfice d’une mobilisation nationale en faveur de tout le patrimoine.

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