Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

11 de març de 2023
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Pierre Lurçat: Le conflit identitaire israélien

El jurista jueu francès Pierre Lurçat publicà el proppassat 8 i abans d’ahir 9, a Tribune Juive aqueixa reflexió sobre les qüestions de fons de la punyent controvèrsia sobre la reforma del sistema judicial israelià:

Dans un article paru en 1915 dans une revue en russe, l’écrivain Sergei Boulgakov évoquait le défi principal du sionisme dans les termes suivants : « Tôt ou tard, les Juifs réaliseront la nécessité de résoudre un problème bien plus important et essentiel que celui qui est désigné aujourd’hui comme la “question juive” – à savoir, le problème de leur nature spirituelle. Ce problème ne peut être résolu sans un centre national… La plus grande difficulté pour le sionisme actuel est son incapacité à rétablir la foi ancestrale en voie de disparition, de sorte qu’il est contraint de se fier au seul principe national-ethnique…[1] »

Le diagnostic porté par l’écrivain russe de religion chrétienne il y a plus de cent ans pourrait bien constituer l’élément principal de la crise d’identité que traverse actuellement l’Etat d’Israël, sous couvert de débat politique et juridique. C’est en effet – au-delà du débat étroit sur la réforme judiciaire et le statut de la Cour suprême – la question cruciale de l’identité qui ressurgit aujourd’hui, avec une virulence rarement atteinte au cours des soixante-quinze années d’existence de l’Etat juif. Premier volet d’une série consacrée à la crise d’identité israélienne et à ses racines profondes.

Le conflit identitaire qui connaît actuellement une nouvelle poussée en Israël n’oppose pas seulement Juifs laics et religieux, partisans d’un Etat juif et sioniste et tenants d’un « Etat de tous ses citoyens », dont le caractère juif serait réduit à la portion congrue. Il oppose plus largement, pour reprendre une expression du Rav Léon Ashkénazi, ceux « qui sont venus en Israël pour ne plus être plus Juifs et ceux qui y sont venus pour l’être vraiment ».

La tentation cananéenne

Comme me l’a relaté Benny Ziffer, rédacteur en chef du supplément littéraire du quotidien Ha’aretz, le mouvement cananéen très influent dans les années 1950 a joué un rôle crucial dans la formation des élites politiques et culturelles israéliennes. « Les Cananéens voulaient faire évoluer le sionisme, et fonder un nationalisme sur le modèle français, dans lequel le lien à la terre n’aurait rien à voir avec la religion… Ils voulaient qu’Israël soit fondé sur le droit du sol et pas sur la filiation juive. Ils voulaient couper tous les liens avec le judaïsme. Ben Gourion a lutté contre eux car c’était quelque chose d’insupportable à ses yeux[2] ». 

La « tentation cananéenne »,  qui demeure présente jusqu’à aujourd’hui au sein d’une grande partie des anciennes élites israéliennes, n’exprime pas seulement un rejet du judaïsme de l’exil, de l’histoire et de la tradition juive. Elle signifie, à un niveau plus profond encore, le refus d’assumer la vocation d’Israël, telle que celle-ci est exprimée dans le Livre que le peuple Juif a donné à l’humanité et qui reste jusqu’à ce jour – malgré toutes les transformations intervenues dans la condition juive depuis trois mille ans – sa carte d’identité ; la Bible hébraïque. C’est en effet l’enjeu fondamental du conflit politique autour de la réforme judiciaire, qui touche en fait à la question cruciale de l’identité d’Israël en tant qu’Etat et en tant que nation.

Sommes-nous un « Etat comme les autres », un Etat occidental créé pour offrir un refuge aux Juifs persécutés, selon le modèle de l’Ouganda – un temps envisagé comme « asile de nuit » par le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl lui-même ?[3]  Sommes-nous un Etat juif, et si oui que signifie cette expression et comment faut-il l’interpréter ?[4]. De la réponse à cette question dépend largement le caractère de l’Etat et de ses institutions, mais plus encore, la nature des normes fondamentales autour desquelles ceux-ci s’organisent.

Comme le fait justement remarquer le rabbin Uri Cherki, c’est le caractère juif de l’Etat qui était la principale préoccupation du fondateur du sionisme politique et non son caractère démocratique. Ce n’est qu’à la suite du tour de passe-passe révolutionnaire accompli par le juge Aharon Barak dans les années 1990 que l’équation a été inversée et que le caractère démocratique de l’Etat est devenu l’aune à laquelle sont mesurées la légalité et la légitimité de toutes les décisions administratives, politiques, militaires et législatives. Bien plus encore qu’une simple question juridique et politique ou constitutionnelle, il y a là une question fondamentale qui touche aux normes fondatrices de l’Etat juif.

C’est précisément cette question fondamentale des normes fondatrices – et à travers elles, de l’identité de l’Etat d’Israël – qui explique la virulence du débat actuel, tant à l’intérieur de la société israélienne qu’à l’extérieur. Débat crucial, dont l’enjeu véritable dépasse de loin les seuls aspects politiques, juridiques ou socio-économiques auxquels on le réduit le plus souvent : enjeu métapolitique, pourrait-on dire, ou même métaphysique. L’Israël de la chair est-il l’Israël selon l’esprit, pour l’exprimer en termes chrétiens, ou pour le dire dans le langage de la tradition hébraïque : l’Etat juif est-il bien le continuateur de la vocation juive ? Or c’est précisément l’éventualité que la réponse à cette question soit positive qui effraie tellement ceux qui, au sein du peuple d’Israël, voudraient renoncer à cette vocation.

Un bref commentaire de Rachi sur la parashat Mishpatim permet sans doute de répondre à la question cruciale qui oppose aujourd’hui partisans et adversaires de la réforme judiciaire en Israël. Cette dernière ne porte pas en effet, comme un examen trop rapide pourrait le faire croire, sur des problèmes techniques et juridiques au sens étroit, mais sur une problématique essentielle, qui est au cœur du Kulturkampf israélien depuis 1948 et encore avant même. “Et voici les statuts que tu placeras devant eux…” Le “vav” par lequel commence la parashat Mishpatim renferme un des problèmes les plus cruciaux qui divise la société israélienne aujourd’hui : celui du fondement du droit et par là même, du caractère – juif ou occidental – du système juridique israélien.

Commentant ces mots qui introduisent la parashat Mishpatim, Rachi explique en effet que ce vav implique un ajout à ce qui précède, ce dont il déduit que le droit civil, tout comme les Dix Commandements lus précédemment, a été proclamé au Sinaï. “Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l’autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhédrin près du Sanctuaire…” Ce qui veut dire, en d’autres termes, que le droit positif est d’origine transcendante, tout comme la morale, et que la Cour suprême d’Israël devrait siéger près du Temple reconstruit. Programme révolutionnaire !

Pour que l’Etat d’Israël devienne un Etat conforme à la vision des pères fondateurs du sionisme et aux prophéties, il faut donc qu’il abandonne définitivement le clivage occidental entre droit et justice, entre Tsedek et Mishpat, entre la justice idéale et la loi parfois inique. Le message fondamental du droit hébraïque, comme l’explique Rashi dans son commentaire lapidaire, en parlant “d’installer le Sanhédrin près du Sanctuaire”, est que la justice ne doit jamais perdre de vue son origine transcendante et sa vocation à dire ce qui est juste, et non pas seulement ce qui est “légal”. C’est précisément, selon le rav Avraham Weingort, ce qui fait toute l’originalité du droit hébraïque, qui est un des plus anciens systèmes juridiques au monde.

Les philosophes se sont interrogés depuis des siècles et des millénaires sur la nature du droit juste sans parvenir à une définition acceptable pour tous. Comme l’écrivait le juriste Paul Roubier, “Celui qui entreprend l’étude du droit ne peut manquer d’être frappé par la divergence énorme qui existe entre les jurisconsultes sur la définition, le fondement ou le but du droit. Sans doute, on s’applique à dire que l’objectif du droit est l’établissement d’un ordre social harmonieux et la solution des conflits entre les hommes. Mais dès qu’on dépasse cette proposition assez banale, des désaccords surgissent[5]. Aux dires du rabbin Munk, commentant Roubier, ce “profond désaccord corrobore la thèse de la doctrine mosaïque, selon laquelle la justice et le droit ont leur fondement dans des sources transcendantes”.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’explication lumineuse de Rachi : “installer le Sanhédrin près du Sanctuaire”, cela signifie non seulement reconnaître l’origine transcendante (divine) du droit, mais aussi ne pas accepter la séparation occidentale du droit et de la justice, en reliant le juste et le bien, le droit civil et les lois relatives aux sacrifices. Telle est la vision juive de la justice, celle que le regretté professeur Baruk définissait par la notion sui generis du Tsedek, qui n’a d’équivalent dans aucune autre civilisation. Or la situation actuelle du droit dans l’Etat d’Israël est très éloignée d’une telle conception.

La Cour suprême contre l’État juif

Pour s’en convaincre, il suffit de constater combien la Cour suprême – “joyau” de la démocratie israélienne selon ses défenseurs – a méconnu le trésor juridique, culturel et spirituel que constitue le droit hébraïque. Celui-ci est en effet réduit aujourd’hui à une véritable peau de chagrin, et la Cour suprême s’est employée, depuis l’époque du juge Barak, à réduire encore la compétence des tribunaux rabbiniques, qui ne portait pourtant depuis 1948 que sur les questions de statut personnel.

Il y a là, de la part d’Aharon Barak et de ses successeurs, une preuve de mépris pour la tradition juridique juive, qu’ils ignorent le plus souvent. Quand on lit sous la plume du juge Aharon Barak qu’il suffirait, pour rédiger une Constitution en bonne et due forme en Israël, de “recopier la Constitution de l’Afrique du Sud”[6], on comprend l’étendue du problème. Aux yeux de Barak, comme de beaucoup d’autres parmi ceux qui occupent les premiers rangs de l’appareil judiciaire israélien aujourd’hui, toute source d’inspiration est légitime… sauf la source hébraïque.

Dans une vidéo qui a fait le “buzz” il y a quelques semaines, on voit un rabbin Habad mettre les téfillin et faire réciter le Shema Israël au “grand-prêtre” de la Révolution constitutionnelle, Aharon Barak. Ces images ont ému bien des Israéliens, pourtant elles révèlent l’étendue de l’ignorance du judaïsme du juge Barak, qui ne connaît même pas les mots du Shema, la prière juive la plus importante, et qui reconnaît n’avoir jamais ouvert une page de Guemara… Au-delà de l’ignorance, cela atteste d’une forme de mépris de celui qui a prétendu ébranler le fragile statu quo instauré par David Ben Gourion en 1948, et remplacer l’Etat juif par un “Etat de tous ses citoyens”.

Notes

[1] Cité par Raya Epstein, Post-Zionism and Democracy, in Israel and the Post-zionists, A nation at risk, ed. Shlomo Sharan, Sussex Academy Press 2003.

[2] Interview publiée en partie dans le dernier numéro d’Israël Magazine, mars 2023.

[3] Sujet que j’aborde dans mon livre Israël, le rêve inachevé, chapitre 2.

[4] Je renvoie à ce sujet au remarquable numéro de la revue Pardès qui vient de paraître, intitulé “Qu’est-ce qu’un Etat juif?” et issu d’un colloque éponyme tenu à Jérusalem en 2022.

[5] Cité par Elie Munk, La voix de la Torah, L’Exode, p. 241, fondation Samuel et Odette Lévy 1983.

[6] In A. Bendor et Z. Segal, “Osséh ha-kovaim”, Entretiens avec A. Barak (hébreu), Kinneret Zamoura Bitan.

Post Scriptum, 18 de març  del 2023.

Pierre Lurçat segueix analitzant la controvèrsia sobre la reforma del sistema judicial israelià des del seu bloc: « La démocratie c’est la dictature » : Le moment orwellien de la politique israélienne:

Dans la gigantesque campagne de désinformation à laquelle se livrent les médias « mainstream » israéliens et les chefs de l’opposition, avec l’appui – entre  autres – de la Cour suprême, du parti démocrate et du département d’Etat américains et d’ONG financées par des Etats étrangers (tous ces acteurs constituant ce que certains qualifient de « Deep State »), je voudrais m’arrêter ici sur deux mensonges particulièrement efficaces.

Le premier consiste à qualifier la Loi sur le contournement (« Hok ha-Hitgabrout ») qui a été votée cette semaine et les autres volets de la réforme judiciaire de « lois personnelles », « Loi Dery », « Loi Bibi », etc. comme si l’objet principal de toute cette réforme était de « sauver » le Premier ministre et d’autres de la rigueur de la justice israélienne, laquelle serait mue par des motivations pures et intègres. L’histoire politique des deux ou trois dernières décennies en Israël montre que c’est précisément le contraire qui est vrai.

La réforme en cours – que les médias israéliens qualifient de « putsch » ou de « révolution judiciaire », dans leur Novlangue orwellienne –  n’a rien de nouveau. Ses principes m’avaient été exposés par le ministre Yariv Levin (alors député du Likoud) dans une interview publiée par Israël Magazine en… 2011 ! Elle vise en réalité à rétablir le pouvoir de la Knesset et à permettre aux représentants du peuple et à ses dirigeants démocratiquement élus d’appliquer la politique pour laquelle ils l’ont été, sans craindre de se voir entravés, empêchés, voire inculpés par une justice qui est tout sauf neutre et apolitique. Les exemples de cette triste réalité sont légion.

L’ancien ministre de la Justice, Daniel Friedman, avait lui aussi élaboré un projet de Loi de contournement, comme il l’a relaté dans un livre passionnant[1]. Il y explique notamment comment le système judiciaire et la police ont été utilisés, depuis trois décennies, pour torpiller toute tentative de réforme et de rétablir l’équilibre des pouvoirs, en rognant les pouvoirs exorbitants que la Cour suprême s’est octroyée lors de la Révolution constitutionnelle. Cela porte un nom : justice politique.

Parmi ceux qui ont tenté de s’attaquer à celle-ci, citons le ministre de la Justice (travailliste) Haïm Ramon, le ministre Yaakov Neeman et le ministre Daniel Friedmann. Les deux premiers ont été inculpés pour des raisons plus ou moins valables, mais toujours dans un but politique évident. Comme l’a écrit Amnon Dankner, en matière d’inculpation de personnalités publiques, il existe trois écoles : « celle de Beit Hillel, celle de Beit Shamai et celle de « cela dépend de qui il s’agit ». En l’occurrence, la Cour suprême, le procureur de l’Etat et la police ont depuis de nombreuses années choisi la troisième école. Ils « ciblent » systématiquement les hommes politiques qui tentent de diminuer le pouvoir du système judiciaire et utilisent tous les moyens pour parvenir à leurs fins.

Ce qui nous amène au plus grand mensonge de la campagne actuelle : qualifier de « putsch » et de « révolution » anti-démocratique une réforme qui vise précisément à rétablir la démocratie, l’Etat de droit et la neutralité de la justice. Mais comme l’avait dit un spécialiste de la propagande, « plus le mensonge est gros, plus il passe ». Dans cette immense entreprise de propagande, dont on ignore qui exactement la finance, deux coups de génie ont sans doute été pensés par des conseillers en communication politique américains, les fameux spin doctors qui exercent depuis quelques décennies leurs talents en Israël.

Le premier est d’avoir utilisé comme symbole le drapeau d’Israël, pour faire croire que ces manifestations du camp anti-Bibi qui a perdu les dernières élections, représentent la majorité, voire l’ensemble du peuple d’Israël. Le second est d’utiliser le mot de « démocratie », détourné de son sens authentique, en ralliant ainsi les défenseurs abusés de celle-ci. Israël traverse un moment orwellien. Comme dans le fameux roman d’Orwell 1984, où le régime totalitaire avait pour slogans « la guerre c’est la paix » et « la liberté c’est l’esclavage », la campagne de propagande actuelle a adopté pour devise, « la démocratie c’est la dictature ». Le peuple d’Israël est-il dupe ? Rien n’est moins sûr.

Notes

[1] The Purse and the Sword, The trials of the Israeli Legal Revolution, Yediot Aharonot Books 2013.

Post Scriptum, 6 d’abril del 2023.

Pierre Lurçat publicà el proppassat 3 aqueix article a The Times of Israel: “Démocratie majoritaire ou démocratie des valeurs ?

Pour comprendre comment la réforme judiciaire lancée il y a trois mois a été suspendue sous la pression de la rue et du “Deep State” israélien, il faut revenir quatre décennies en arrière, aux débuts de la Révolution constitutionnelle du juge Aharon Barak. C’est en effet ce dernier qui a imposé sa vision prémonitoire d’une “démocratie des valeurs”, préférable selon lui à la démocratie de la majorité. Extrait de mon livre à paraître après Pessah. P.I.L.

C’est seulement avec l’arrêt Bank Mizrahi de 1995 que la signification véritable des deux lois fondamentales de 1992 est apparue au grand jour. Dans cet arrêt, la Cour suprême a été appelée à examiner la question de savoir si la Knesset possédait ou non le pouvoir d’élaborer une Constitution et de limiter ainsi sa propre autorité législative (en s’interdisant de légiférer des lois anticonstitutionnelles), et si les lois fondamentales promulguées par la Knesset jouissaient d’un statut supralégislatif. Dans son avis majoritaire (celui du juge Barak), la Cour suprême a jugé que le pouvoir de la Knesset d’adopter une Constitution découlait de son pouvoir constituant.

Le juge Barak fonde son jugement sur la considération suivante, qui éclaire d’un jour particulier l’ensemble de la Révolution constitutionnelle qu’il a menée : “Une démocratie de la majorité seule, qui ne s’accompagne pas d’une démocratie de valeurs, n’est qu’une démocratie formelle et statistique. La vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité afin de protéger les valeurs de la société”.

Cette phrase, qui ne concerne pas directement le sujet de l’arrêt Bank Mizrahi, donne une des clés d’interprétation de la vision du monde du juge Barak en général et de sa conception de la démocratie en particulier, qui est aujourd’hui largement partagée par les opposants à la réforme judiciaire. Pour la résumer, nous pourrions dire qu’elle renferme une conception de la démocratie différente de la conception traditionnelle.

Ainsi, quand Barak oppose la “démocratie de la majorité” à la “démocratie des valeurs”, il sous-entend que la majorité seule ne suffit pas à définir le régime démocratique, tel qu’il le conçoit. A ses yeux, le principe de la majorité n’est qu’une coquille vide, s’il ne s’accompagne pas de la “vraie démocratie”, celle des valeurs.

Cette opposition rappelle celle, d’inspiration marxiste, entre “démocratie formelle” et “démocratie réelle”. Aharon Barak n’a pourtant rien d’un marxiste, même si la manière dont il a théorisé et mené à bien la Révolution constitutionnelle, seul et sans demander l’avis de quiconque, peut faire penser aux autres grands théoriciens des révolutions des siècles passés.

“Démocratie de la majorité” ou “démocratie des valeurs” ?

L’idée que la “vraie démocratie limite le pouvoir de la majorité, afin de protéger les valeurs de la société” semble aujourd’hui aller de soi. Plus encore, pour beaucoup de nos contemporains, l’essence même de la démocratie réside précisément dans ces “valeurs de la société”, bien plus que dans les règles de fonctionnement et dans les principes constitutifs du régime démocratique, qui sont considérés comme presqu’insignifiants.

N’est-ce pas ce que nous disent aujourd’hui les opposants à la réforme judiciaire en Israël, qui manifestent au nom des “droits de l’homme”, mais aussi des “droits des femmes”, des “droits LGBT”, des “droits des migrants”, etc. ? Ces droits catégoriels, en particulier, semblent exprimer à leurs yeux la quintessence de la démocratie, bien plus que les élections libres et démocratiques et leur résultat… (Surtout, bien entendu, quand ce résultat est contraire à leurs opinions politiques).

Cette nouvelle conception de la démocratie, qui tend à s’imposer récemment en Occident et qui correspond à la notion d’un “Etat des droits” plutôt que d’un Etat de droit, est problématique pour au moins deux raisons.

La première, qui a été souvent relevée depuis plusieurs décennies, tient au fait qu’elle évacue la notion essentielle du bien commun, pilier de la démocratie dans son acception classique, au profit des intérêts catégoriels. Bien entendu, on peut légitimement considérer que le bien commun consiste précisément à voir défendus la somme de tous les intérêts catégoriels…

Mais l’inconvénient d’une telle définition est évident : que faire lorsque certains intérêts catégoriels entrent en conflit les uns avec les autres ? C’est précisément ce qui se produit lorsque la Cour suprême doit trancher, par exemple, entre les droits des habitants des quartiers Sud de Tel-Aviv et ceux des migrants. Je laisse le lecteur deviner quels sont les droits auxquels elle donne la préférence…

La deuxième raison est plus essentielle encore. Si l’on admet que la démocratie est aujourd’hui “substantielle” et non plus “formelle”, c’est-à-dire définie par la défense des “valeurs de la société”, qui est habilité à définir ces valeurs ? Et comment faire lorsqu’elles ne sont pas partagées par tous et qu’apparaissent des conflits de valeurs ?

Le danger que renferme la conception d’Aharon Barak à cet égard réside précisément dans le fait qu’il considère que le juge est seul habilité à définir, apprécier et interpréter ce que sont ces “valeurs de la société”…

C’est en effet la clé du rôle novateur qu’il attribue au juge, dans ses écrits théoriques sur le sujet comme dans ses jugements. A ses yeux, le juge est l’interprète des valeurs sociétales, et c’est à ce titre qu’il s’est arrogé le droit d’annuler des lois de la Knesset.

Post Scriptum, 7 d’abril del 2023.

Avui a Tribune Juive, Pierre Lurçat va annexant articles sobre “Le conflit identitaire israélien (III) : Royaume de David ou République de Galaad ? i “Le conflit identitaire israélien (IV) Israël face au monde ‘harédi’ : peur, ignorance et haine gratuite”.

Post Scriptum, 31 de maig del 2023,

Pierre Lurçat contunua ampliant la sèria d’articles publicats a Tribune Juive dedicats a analitzar la controvèrsia sobre la reforma del poder judicial israelià: Le conflit identitaire israélien (VII) : Loi du Sinaï ou loi des juges ?

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