Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

1 de maig de 2024
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Renée Fregosi: “Le propalestinisme, une idéologie du Sud global”

La politòloga corsa Renée Fregosi publica avui aqueix article a Tribune Juive: “Le propalestinisme, une idéologie du Sud global”.

L’Iran leader de la lutte contre “l’entité sioniste[1]

Que la république des mollahs se préoccupe de mobilisations étudiantes occidentales comme la récente occupation de Sciences Pô Paris et de la Rue Saint Guillaume abritant ses locaux principaux[2] ne doit pas étonner. Si l’ayatollah Khamenei apporte son soutien aux manifestants propalestinistes des campus sur les réseaux sociaux[3], c’est que les condamnations d’Israël et les attitudes anti-juives au cœur de ces manifestations contribuent à la fois à la délégitimation d’Israël et à la déstabilisation des pays occidentaux, deux objectifs du régime iranien.

L’Iran est en guerre contre Israël depuis le début de la révolution islamique, directement et à travers ses proxys, avec des poussées de violence et des accalmies[4]. Le Hezbollah, armé et soutenu par les mollahs iraniens de longue date, les Chiites irakiens, le régime alaouite syrien, et plus récemment les Houthis au Yémen, harcellent Israël sur quatre fronts. Par ailleurs, l’islamisme chiite a scellé sa convergence avec le djihadisme sunnite dans les années 50. Que le mégapogrom[5] génocidaire du 7 octobre 2023 ait été réalisé par la Hamas sur ordre de son protecteur iranien, ou sans son accord explicite, l’opération s’inscrit totalement dans la lutte menée depuis des décennies par ledit “axe de la résistance[6]” contre Israël. Et l’attaque massive directe visant le sol israélien dans la nuit du 13 avril 2024[7] a souligné incontestablement une volonté d’intensification du conflit entre le régime des mollahs et l’État juif.

Mais au-delà de la résolution implacable des islamistes à anéantir Israël dans le sang et l’horreur, les prises de position contre Israël et la multiplication exponentielle des actes antisémites qui se sont déchaînés aussitôt après le 7 octobre tous azimuts à travers la planète et dans différents secteurs des sociétés occidentales ont manifesté l’émergence d’une collusion plus vaste soudée par cet antisémitisme propalestiniste :  un certain “Sud global”.

Le Sud global, héritier du tiers-mondisme

Ni “bloc”, ni “axe”, ni “alliance”, ni “Internationale”, le “Sud global” se caractérise plutôt comme une dynamique, portée par un conglomérat d’acteurs aux contours mouvants. Si le tiers-mondisme caractérise le gauchisme des années 60-70, son esprit revanchard a perduré, réinvestissant des vagues successives de mobilisation. La sensibilité tiers-mondiste s’est ainsi adaptée à la nouvelle donne qui prend forme dans les années 2000, en corrélation avec la poussée de l’offensive islamiste, la fermentation des “religions séculières” décoloniales puis wokistes polymorphes (néo-antiracisme, néo-féminisme, transgenrisme, véganisme, écologie punitive), et la montée en puissance à la fois de la Chine et des trois proto-totalitarismes (démocratures à visée totalitaire) russe, iranien et turc.

Dans la vindicte du Sud global contre un Occident en grande partie fantasmé, l’antisémitisme est alors systématiquement mis à l’ordre du jour. La lutte contre la “domination” mondiale de ces “super-blancs[8]” que seraient devenus les Juifs depuis qu’ils sont détenteurs d’un territoire national permet en effet d’agréger des ressentiments divers et d’articuler des objectifs multiples. Cet antisémitisme exprimé en paroles et actes par des États, des OGN et des mouvements sociaux plus ou moins organisés est structuré par une idéologie transnationale : le “propalestinisme”.

Promoteur du “malheur palestinien”, le propalestinisme diffuse un narratif qui alimente une défense compassionnelle des Arabes de Palestine et de leurs descendants, et instrumentalise cette passion propalestinienne. Mais son but stratégique vise à la disparition de l’État d’Israël, car c’est l’ensemble du territoire de la Palestine britannique mandataire qui est considérée comme devant demeurer arabe et musulmane. Sa tactique pour parvenir à ses fins, consiste dans la délégitimation de l’État juif tout particulièrement à travers la victimisation obsessionnelle des populations palestiniennes et la diabolisation du Juif/Israélien.

Un propalestinisme français

Une nouvelle radicalité de gauche qui s’exprime à travers ce propalestinisme virulemment anti-Israël se retrouve ainsi dans tous les pays occidentaux des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Amérique latine. Mais chaque pays présente un terrain spécifique et une idiosyncrasie. La France quant à elle se montre sensible à cette idéologie pour au moins quatre raisons historico-culturelles qui lui sont spécifiques : l’abcès de fixation de la guerre d’Algérie ; l’immigration massive notamment du Maghreb et tout particulièrement de l’Algérie, sans volonté réelle d’assimilation à la culture française ou d’intégration adéquate ; la place singulière des intellectuels “engagés” et leur fâcheuse tendance à pratiquer l’intransigeance inquisitoriale ; l’influence du bolchevisme sous ses différents avatars, communistes, trotskistes, maoïstes, mais aussi de façon diffuse jusque dans la gauche socialiste.

La gauche révolutionnaire et la bien-pensance de la vision “équilibrée” n’ont alors de cesse aujourd’hui de rendre Israël responsable de ce qui lui arrive. Aussi le Hamas est-il considéré comme l’expression de “la résistance palestinienne” et ses actions terroristes sont-elles justifiées même lorsqu’elles atteignent le niveau d’horreur du 7 octobre 2023.

La mobilisation des universités s’est enflammée ainsi de Harvard à l’université Jean Jaurès de Toulouse, de Columbia aux universités Paris 1 et Paris 8, et on y retrouve toujours les mêmes slogans[9]Mais c’est peut-être la mobilisation à l’IEP de Paris qui est la plus frappante par sa constance et du fait du prestige attaché à l’institution. Dès le lendemain du 7 octobre en effet, les affiches en hommage à Omri Ram, l’étudiant israélien passé par l’école l’an passé, qui a été tué lors de l’attaque du Hamas sur le festival de musique, ont ainsi été systématiquement recouvertes par des affiches d’appel à la manifestation pour “soutenir la Palestine”. Puis la mobilisation d’avril 2024 a porté à son incandescence la haine à l’égard d’Israël et la haine de soi d’une jeunesse occidentale privilégiée. 

Lâcheté et abdication en Occident

Dans un contexte mondial où la guerre terroriste, hybride et conventionnelle fait retour, les esprits s’accoutument incontestablement à la violence, pour s’y adonner ou pour adopter des attitudes d’évitement par le déni et/ou la soumission à celui que l’on estime être le plus fort. Les islamistes tentent alors de l’imposer en Occident et l’islamo-complaisance met en œuvre une “dhimmitude volontaire[10]” par sympathie ou calcul, lâcheté ou commodité, par désespoir aussi.

La gauche, sous sa forme islamo-gauchiste, a livré largement passage à l’offensive islamiste en la rejoignant sur deux points substantiels : la banalisation de l’antisémitisme rebaptisé antisionisme et la stigmatisation systématique de l’Occident. Mais s’est développé également l’islamo-clientélisme de droite comme de gauche qui, pour engranger des voix de Français d’origine immigrée, prône le  “pas de vague” et le “rien à voir avec l’islam” et qualifie aussitôt les assassins islamistes de “loups solitaires” et de “déséquilibrés”[11]. Il existe également une forme d’islamo-complaisance tout aussi coupable, l’islamo-négligence qui minimise la dangerosité de l’islamiste : l’islamisme serait un phénomène secondaire, voire négligeable au regard de la menace de l’extrême-droite. Et la convergence avec l’islamisme peut aller bien sûr jusqu’à la collaboration directe notamment lorsqu’il s’agit de lutter contre ce grand ennemi de l’autoritarisme qu’est le principe de laïcité, au nom du fameux “vivre ensemble [12]“. Enfin plus récemment, le wokisme est venu renforcer l’islamo-complaisance, ignorant ses contradictions avec l’islamisme foncièrement misogyne, raciste et homophobe.

Huntington faisait donc une analyse bien plus subtile que la critique hâtive ne le laissait croire. Dans cette offensive de ce que l’on qualifie aujourd’hui du Sud global, il pointait “le déclin moral, le suicide culturel et la désunion politique[13]” de l’Occident. La détresse psychologique vécue par l’Occident face à la remise en cause de sa suprématie historique, induit en effet des attitudes de résignation fataliste et de soumission. Et l’apathie occidentale largement partagée face aux massacres du Hamas du 7 octobre 2023, aux réactions hostiles à Israël, et plus généralement aux manifestations de l’antisémitisme d’origine islamiste, est alors comme la parabole de la montée en puissance de cet acteur d’un nouveau type qu’est le Sud global. 

Notes

[1] Refusant d’employer le nom d’Israël qui serait implicitement reconnaitre l’existence de l’État juif, les islamistes parlent de “l’entité sioniste”. Ainsi par exemple, deux jours après les massacres du Hamas dans le sud d’Israël, Mohammad Raad, le chef du bloc parlementaire libanais du Hezbollah, déclarait : “Il est temps que cette entité temporaire disparaisse et que l’humanité dans notre région se débarrasse de son hégémonie” (Ici Beyrouth, 9 octobre 2023, “Raad: il est temps qu’Israël disparaisse”,

[2] Caroline Beyer, « À Sciences Po, la direction sous le feu des critiques après avoir cédé au chantage des militants », Le Figaro, 28 avril 2024

[3] “L’ayatollah Khamenei apporte son soutien aux manifestants pro-palestiniens sur les campus”, I24News, 29 avril 2024.

[4] Europe1, 5 septembre 2010, « Iran : Ahmadinedjad menace Israël »,

[5] Selon la terminologie d’Abram de Swaan : Diviser pour tuer (p.233) Éditions du Seuil,

[6] “Qu’est-ce que « l’axe de la résistance » promu par l’Iran face à Israël et aux Etats-Unis ?”, Le Monde 5 décembre 2023.

[7] “L’Iran a dépensé des milliards de dollars pour créer un ‘anneau de feu’ autour d’Israël” (Tsahal) , I24News, 14 avril 2024.

[8] Renée Fregosi, « L’antisionisme : justicialisme du “privilège juif”. L’Observatoire du décolonialisme, 27 octobre 2023.

[9] Charlie Hebdo, 12 octobre 2023, https://charliehebdo.fr/2023/10/societe/etudiants-francais-importent-le-conflit-universite/

[10] L’expression fait bien sûr référence à la “servitude volontaire” à propos de laquelle Etienne de la Boétie dit : “Pour que les hommes (…) se laissent asservir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient abusés. (…) Abusés, (…) c’est alors moins souvent par la séduction d’autrui que par leur aveuglement.” (Discours de la servitude volontaire, p.189. Éditions Payot, 1978). Les deux pouvant aller de pair.

[11] Voir notamment Céline Pina, Silence coupable, Ed. Kéro, Paris 2016

[12] L’expression est notamment reprise ainsi dans l’ouvrage de présentation de l’association Coexister : Coexister : L’urgence de vivre ensemble, Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine 2019, et bien sûr sur la page web : https://www.coexister.fr/

[13]Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations. (pp.457-458) Éditions Odile Jacob Poches, 2000

Post Scriptum, 19 de maig del 2024.

Renée Fregosi va ampliar l’article precedent amb aqueix altre publicat abans d’ahir a la Revue Politique et Parlementaire: “Le « Sud global », coalition virtuelle, menace réelle“.

Dans un monde de plus en plus globalisé, la notion de « Sud global » soulève des questions importantes. Est-ce une simple construction idéologique ou une réalité géopolitique concrète ? Représente-t-il une menace pour l’Occident démocratique ? L’article « Le « Sud global », coalition virtuelle, menace réelle » de Renée Fregosi explore ces questions en profondeur.

Dans l’interview qu’il donnait au Figaro Vox en avril 2024 Gilles Kepel affirmait qu’avec ledit Sud global on était « dans une grande imposture idéologique, mais aussi dans une aberration géopolitique1». Certes, si l’on considère le Sud global comme une « notion » désignant « une civilisation unique », celle-ci n’est pas scientifiquement pertinente, eu égard au « fourre- tout » de pays qu’elle désignerait. Mais peut-on considérer pour autant que le Sud global « n’a aucune réalité politique ou géographique2» ? N’y a-t-il pas une arrogance occidentale et un certain aveuglement, à affirmer la non-existence du Sud global ?

Car enfin, si des acteurs de plus en plus importants sur la scène mondiale comme la Chine, l’Inde ou le Brésil considèrent qu’ils en font partie, et que la Russie parle « d’Occident global » pour désigner l’ennemi qu’elle partagerait avec l’Afrique notamment dans la perspective d’une coalition du Sud global, ne vaudrait-il pas mieux les entendre et discerner les possibles dangers derrière les mots ? Que le Sud global ne présente pas une uniformité civilisationnelle et que les pays qui s’en revendiquent aient objectivement des intérêts différents et parfois même divergents voire conflictuels, ne justifie cependant pas en effet qu’on le qualifie de « fantasme ».

Une entité internationale d’un nouveau type

Ni « bloc », ni « axe », ni alliance, ni « Internationale », le Sud global pourrait plutôt être défini comme une figure idéologique portée par un conglomérat d’acteurs aux contours mouvants, mais impulsant, de façon concertée ou pas, une dynamique commune. Si le tiers-mondisme, caractérise le gauchisme des années 60-70, son esprit revanchard a perduré, réinvestissant des vagues successives de mobilisation. La sensibilité tiers-mondiste s’est ainsi adaptée à la nouvelle donne qui prend forme dans les années 2000, en corrélation avec la poussée de l’offensive islamiste, la fermentation des « religions séculières3» décoloniales puis wokistes polymorphes (néo-antiracisme, néo-féminisme, transgenrisme, véganisme, écologie punitive), la volonté d’émancipation du continent africain, et la montée en puissance à la fois de la Chine et des trois proto-totalitarismes (démocratures à visée totalitaire) russe, iranien et turc.

Le Sud global serait ainsi un ensemble géopolitique agglutinant non pas seulement des États et éventuellement des fronts de libération nationale comme ce fut le cas dans le passé dans le mouvement des non-alignés, mais également des acteurs de nature très diverses dans une convergence stratégique multipolaire. Cette coagulation est manifestement en progression depuis les années 2000.

Les quatre nouvelles grandes puissances étatiques anti-démocratiques, Russie, Chine, Iran, Turquie, tentent chacune pour elle-même et/ou en alliance entre elles, de se rallier les pays de l’ancien Tiers-Monde. Par leurs prises de position antioccidentales et notamment anti-Israël, « émergents », émergés ou submergés, souvent régis eux aussi par des dictatures, apportent alors au Sud global le poids du nombre et le symbole de la revanche des colonisés.

Sur les thématiques du décolonialisme, ou du « privilège blanc », les Africains trouvent toute leur place dans l’opposition à l’Occident, et ils en jouent, particulièrement en Afrique de l’ouest. Après avoir participé à la « Françafrique », les élites africaines accusent volontiers les Français de tous les maux de l’Afrique d’aujourd’hui. Bien que sur un mode mineur par rapport au discours systématiquement accusateur du pouvoir algérien à l’égard de la France depuis soixante ans, tous les pays africains, avec plus ou moins de violence selon les régimes en place, rejettent désormais l’Occident ou ne manquent pas d’en faire une critique sévère. L’Afrique est donc porteuse d’une charge symbolique importante pour la dynamique du Sud global.

Quant à l’islamisme poursuivant son offensive de reconquête des « terres musulmanes » et de conquête en Occident, il participe pleinement au mouvement. Dans ce combat politico-religieux, les richissimes théocraties productrices de pétrole et de gaz et les pays du Maghreb jouent souvent double-jeu en « normalisant » leurs relations avec Israël et/ou en rivalisant avec les Frères musulmans, tout en soutenant en sous-main certains activistes islamistes et l’un ou l’autre instrumentalisant des groupes djihadistes divers. Par ailleurs, des éléments occidentaux animés d’une haine de soi comparable à celle des marxistes bourgeois de jadis, tentant par tous les moyens d’expier leur faute d’appartenance sociale honnie, sont également partie prenante de la projection de ce Sud global.

Un assemblage d’acteurs très divers

Les intérêts économiques, géopolitiques, et les enjeux de pouvoirs divers s’entre-mêlent aux ressentiments, aux croyances et aux convictions idéologiques multiples. Chacun joue son rôle dans le déboulonnage de l’hégémonie occidentale : États, mafias, partis, ONGs, médias, communautés religieuses et/ou identitaires, clans, individus, financiers, idéologues, hommes de main, manipulateurs, manipulés, fanatiques, complices, idiots utiles, hommes de paille, terroristes, miliciens, militants, propagandistes, prédicateurs…

La montée en puissance des ONG en politique internationale depuis la fin du 20ème siècle est ainsi tout à fait symptomatique de la nature spécifique du phénomène nouveau que constitue le Sud global. Tout particulièrement, la Commission des ONG de l’ONU, rassemblant 74% de pays non-démocratiques, permet à des organisations prétendument de défense des Droits de l’Homme de poursuivre de tout autres buts. Ces pseudo-ONG font du lobbying en faveur de dictatures, soutiennent des organisations terroristes comme le Hamas notamment, font du renseignement au profit de régimes autoritaires ou d’organisations terroristes, et mènent des campagnes politiques idéologiquement marquées par l’islamisme et l’autoritarisme et/ou en faveur de certains pays parias. Mais la ligne générale est résolument anti-occidentale.

Comme on le sait, le monde intellectuel est un acteur important pour la conception et la diffusion des idéologies à l’offensive. Rien d’étonnant donc à voir le monde universitaire agité tout autant par l’islamisme de la nouvelle génération frériste4, que par le décolonialisme, le racialisme, le transgenrisme et autres identitarismes. Si de prime abord, on peut s’étonner de la convergence et de la collusion entre wokisme et islamisme, on peut constater cependant que la même la passion « décoloniale » anime les deux types de mouvement, et elle est tellement puissante qu’elle balaie toute réticence des wokistes notamment à tenir des position propalestinistes5.

L’antisémitisme, point nodal du Sud global

Dans la vision fantasmatique que la plupart des wokistes partagent avec les islamistes, le Juif est décrit en effet comme un « dominant ». Il s’y développe un justicialisme6 « antisioniste » propalestiniste, la victimisation du peuple-palestinien en l’occurrence- étant comme dans tout simplisme populiste, consubstantielle à l’affirmation de l’impunité des puissants et au prétendu « deux poids deux mesures » qui les favoriserait toujours. Or parmi les favorisés, les Juifs occupent une place privilégiée en quelque sorte, dans la concurrence victimaire. Le « #privilège juif » qui s’est en effet répandu comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux depuis 2020, est ainsi l’emblème de cet antisémitisme contemporain.

L’islamisme et le wokisme manifestent une même haine de la démocratie, de la libre pensée, une même peur de l’autonomie, du libre arbitre, de la vie en somme. Mais la passion qui les gouverne rejoint la raison qui préside aux manipulations des opinions par des gouvernants pour consolider leur dictatorship, le soutien au Hamas cristallisant les positions anti- occidentales. Après les massacres génocidaires du 7 octobre 2023, Erdoğan glorifiait ainsi l’organisation frériste palestinienne comme « un groupe de libérateurs »7, Moscou accueillait une délégation du Hamas8, en Tunisie le parlement débattait d’un projet de loi visant à condamner pour haute trahison tout Tunisien qui communiquerait ou coopèrerait avec « l’entité sioniste »9, et bien sûr l’Iran tentait de mobiliser à cette occasion (avec plus ou moins de succès10) sa population autour du régime. Partout l’antisionisme propalestiniste, est dirigé tout à la fois contre l’État d’Israël et contre les Juifs de la diaspora comme on l’a vu avec les vagues de propos et d’actes antisémites qui déferlent depuis le 7 octobre11.

Parmi les pays africains qui ont clairement soutenu le Hamas, on retrouve notamment l’Algérie, la Mauritanie et la Lybie. Les pays qui ont immédiatement appelé à la « désescalade », c’est-à-dire ont considéré comme illégitime une riposte d’Israël, sont plus nombreux : Maroc, Mali, Guinée, Nigéria, Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe, Afrique du sud, Namibie. Le rapprochement de l’Ukraine et d’Israël en février 202312 pointe alors la concordance sinon parfaite du moins consistante, entre les soutiens explicites et surtout implicites à la Russie et les condamnations d’Israël plus ou moins virulentes.

Une menace pour l’Occident démocratique

Comme dans la mobilisation de type populiste13, la détestation anti-juive consolide ainsi l’agglutination d’éléments épars, réalisant la convergence entre un antisémitisme de gauche originel (anticapitaliste et anti-impérialiste), un antisémitisme traditionnel musulman (ennemi religieux et national), un populisme anti-mondialisation (on aurait dit autrefois « cosmopolite ») et une « politique arabe » censée protéger des intérêts nationaux. Car « l’enjeu de la guerre menée par le Hamas contre Israël dépasse largement la question palestinienne. Par sa dimension islamique et djihadiste, c’est l’offensive de tous ceux qui haïssent l’Occident, et les Juifs. Cet antisémitisme mondialisé est un marqueur dans la guerre, froide celle-ci, qui oppose la Chine et la Russie au bloc libéral.14»

Le Sud global est avant tout une idée mobilisatrice, un projet stratégique, une idéologie en somme, faite de réel et d’imaginaire, lancée contre le monde démocratique, et alimentée par un ressentiment profond contre l’Occident et un antisémitisme constant. Nous ne sommes pas là dans la situation de deux blocs s’affrontant résolument dans une même haine réciproque de l’Autre, plutôt une lutte asymétrique « du faible au fort », mais où les prétendus dominants sont à certains égards les plus faibles. Culpabilisés et désunis, les Occidentaux se trouvent en effet démunis face à la force d’une coalition hétérogène mais unie dans un rejet violent, à la fois de l’hégémonie occidentale passée et de l’apport universaliste de l’Occident au monde (reconnaissance d’une seule humanité, affirmation de l’égalité des sexes, libre pensée et libre disposition de son corps, émancipation individuelle et liberté d’expression…).

Ce Sud global dont la Russie est la tête-de-pont, l’Iran et la Turquie les flans-gardes, l’Afrique et l’Amérique latine les fantassins, les « Palestiniens » les éclaireurs et les kamikazes, les wokistes les propagandistes et les idiots utiles, et dont la Chine est peut-être le plus grand bénéficiaire in fine, mais en toute discrétion, constitue donc une menace pour l’Occidentdémocratique. Face à la tendances lourde de la progression à travers le monde, de l’autoritarisme polymorphe qui s’empare des États comme des sociétés15, les démocraties doivent se réarmer militairement et moralement si elles n’ont pas encore renoncé à se défendre.

Notes

  1. Alexandre Devecchio et Martin Bernier, « Gilles Kepel : « Le “Sud global” est une grande imposture idéologique et une aberration géopolitique », Le Figaro Vox, avril 2024,
  2. Frédéric Koller, « La guerre de l’« Occident collectif » contre le « Sud global » n’aura pas lieu », Le Temps, 23 mars 2024.
  3. Selon la formule de Raymond Aron, “L’âge des empires et l’avenir de la France”, (p. 288) Édition Défense de la France, 1945
  4. Florence Bergeaud-Blackler, “Le Frérisme et ses réseaux”, Odile Jacob, Paris 2023
  5. Le terme « propalestiniste » qui se réfère à une idéologie structurée instrumentalisant la situation de fait des Arabes de Palestine et de leurs descendants pour en faire une arme contre Israël et les Juifs, est préféré ici à celui de « propalestinien » qui peut se référer davantage à une défense compassionnelle, moins politique, des Arabes de Palestine et de leurs descendants, passion propalestinienne elle-même utilisée par le propalestinisme promoteur du « malheur palestinien ».
  6. Le justicialisme consiste dans une posture qui réclame la justice tous azimuts pour « les petits, les dominés, les discriminés, les exclus » considérés comme systématiquement « stigmatisés » et injustement persécutés, tandis qu’une injustice foncière organiserait l’impunité des puissants, des privilégiés, des élites corrompues et licencieuses, des dominants, des bénéficiaires de la mondialisation.
  7. Le Monde, 25 octobre 2023, « Erdogan qualifie le Hamas de « groupe de libérateurs » après une première réaction prudente ».
  8. Marianne, 27 octobre 2023, « « Une initiative obscène » : le Hamas reçu en visite à Moscou, Israël et la Russie au bord de la rupture ».
  9. L’Obs, 2 novembre 2023, « Le Parlement tunisien veut punir toute normalisation avec Israël dans un texte inédit “.
  10. Dans un stade des supporters conspuent le Hamas et le régime : BFMTV, 10 octobre 2023, « En Iran, le soutien au Hamas est loin de faire l’unanimité ».
  11. Voir Renée Fregosi « La dimension génocidaire, angle mort des massacres du 7 octobre », Telos 3 janvier 2024.
  12. Les Échos, 5 février 2023, « Israël pourrait se décider à apporter un soutien militaire à l’Ukraine ».
  13. Comme le note Pierre-André Taguieff, le populisme est avant tout « un style » (voir L’illusion populiste, Éditions Berg International, 2002).C’est pourquoi quelle que soit sa tonalité, bolchevisante, anarchisante, fascisante ou ultra-libérale-libertarienne, le populisme peut constituer une catégorie politique en soi, définissant des processus de mobilisation et des types de gouvernement jouant sur des registres similaires : l’esprit de revanche, le refus du compromis, le clivage entre « eux et nous » porteur d’un potentiel de violence y compris extrême.
  14. Chapô de l’interview de Georges Bensoussan par Gil Mihaely dans Causeur le 8 novembre 2023 « L’oumma, non soluble dans la nation ».

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