Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

7 d'agost de 2009
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La guerra de Rússia contra Geòrgia, un any després

Avui fa un any de l’inici de les hostilitats bèl·liques entre Rússia i Geòrgia que es van saldar amb la creació de dos protectorats russos a Ossètia del Sud i Abkhàzia, territoris arrabassats a Geòrgia.

Per entendre les causes del conflicte és rellevant el report d’Efraim Inbar, publicat al Perspectives Paper número 49, de 16 de setembre del 2008, del Begin Sadat Center d’Israel: “Invading Georgia: The Opening Shot in a Grand Russia Strategy to Challenge The West Through The Domination of The Energy Market“.

Avui mateix, el president de la República de Geòrgia, Mikheïl Saakachvili, publica a Le Monde l’article: “Un an après: une Géorgia debout et libre“, on fa balanç del conflicte, les seves causes i les seves possibles conseqüències. Amb mancances notòries i errors estratègics, Geòrgia vol ésser una democràcia aliada d’Occident, mentre que Rússia vol recuperar el rol de gran potència i satel·litzar novament els estats membres  de l’antiga URSS, alhora que no mostra cap voluntat per esdevenir un règim democràtic.

A resultes d’aquest conflicte ha quedat paralitzada la incorporació a l’OTAN d’Ucraïna i la mateixa Geòrgia, les relacions de l’Aliança Atlàntica amb Rússia s’han restblert i la Unió Europea i l’administració Obama han contemporitzat amb l’agressiu règim neo-tzarista dirigit per Putin. De tot plegat, el balanç que se’n deriva per a la causa de la democràcia i els drets dels pobles no pot ser valorat positivament. Així ho vaig expressar en dos apunts: “La guerra de Rússia contra Geòrgia i el pacifisme arbitrari” i “Abkhàzia, Ossètia i el dret d’autodeterminació“, el contingut dels quals considero encara vigent.

Post Scriptum, 7 d’agost del 2017.

Mikheil Saakacvili no solament fou expulsat de Geòrgia, sinó que anys més tard també ho ha estat d’Ucraïna en donar suport a una de les fraccions en lluita pel poder en aqueix país eslau que comparteix amb els georgians la dissort d’estar sotmesos a l’assetjament rus.

Post Scriptum, 8 d’agost del 2018.

El setmanari francès L’Express és dels pocs mitjans europeus que recorda el desè aniversari de la guerra russo-georgiana en la qual va intervenir com a mitjancer el president Nicolas Sarkozy:

La Géorgie marque mercredi le dixième anniversaire de la “guerre éclair” avec la Russie qui a abouti à la reconnaissance par Moscou de l’indépendance de deux territoires séparatistes sous domination russe, dénoncée par les Occidentaux comme une “occupation”.

Les drapeaux géorgiens aux cinq croix rouges sur fond blanc ont été mis en berne devant les bâtiments gouvernementaux alors que le petit pays du Caucase du sud rendait hommage aux victimes de cette guerre qui a fait plus de 800 morts, 1.700 blessés et 120.000 déplacés.

Dans la matinée, le président géorgien Guiorgui Margvelachvili a déposé près de Tbilissi une gerbe de fleurs pour honorer les soldats géorgiens tombés face à l’armée russe. “Alors que nous nous souvenons aujourd’hui de la guerre, nous voyons que la réunification de notre pays n’est pas loin”, a-t-il affirmé. M. Margvelachvili doit s’adresser en soirée aux troupes de la base militaire de Senaki, détruite et pillée par les forces russes lors de cette guerre, qu’il a qualifiée mardi d'”agression” et d'”occupation” russe.

Moscou et Tbilissi s’opposent de longue date sur les ambitions de la petite ex-république soviétique du Caucase de rejoindre l’Union européenne et l’Otan, une éventualité considérée par la Russie comme un empiétement dangereux sur sa zone d’influence. A l’été 2008, ces tensions se sont transformées en conflit, lorsque l’armée russe est intervenue sur le territoire géorgien pour voler au secours de la petite Ossétie du sud, territoire séparatiste prorusse où Tbilissi avait lancé une opération militaire meurtrière. En cinq jours, les forces de Moscou ont mis l’armée géorgienne en déroute et menacé de prendre la capitale.

Un accord de paix négocié par le président français Nicolas Sarkozy a abouti finalement au retrait des troupes russes, mais Moscou a reconnu l’indépendance des régions séparatistes d’Ossétie du sud et d’Abkhazie et y maintient depuis une forte présence militaire. L’Ossétie du sud et l’Abkhazie, qui représentent environ 20% de la totalité du territoire géorgien, avaient déclaré leur indépendance et l’avaient défendue pendant une première guerre contre les forces de Tbilissi après la dislocation de l’URSS au début des années 1990.

Dans un entretien mardi au journal russe Kommersant, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev, qui était président à l’été 2008, a déclaré que la reconnaissance par Moscou de ces territoires était “la seule mesure possible” pour “préserver une paix durable et la stabilité dans le Caucase du sud”. Mais les pays occidentaux ont dénoncé ce qu’ils qualifient, comme Tbilissi, d'”occupation” russe de l’Ossétie du sud et l’Abkhazie.

Lors d’un appel téléphonique avec M. Margvelachvili mercredi, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a rappelé que “les Etats-Unis n’accepteront jamais l’occupation des territoires géorgiens”, selon un communiqué de la présidence géorgienne. Washington a également confirmé “son profond soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Géorgie”, promettant de l’aider “face aux défis que connait le pays dix ans après l’agression militaire russe.”

Mardi, la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini a ainsi regretté “la présence militaire russe en Abkhazie et Ossétie du sud”, qualifiée de “violation du droit international”, de pair avec la diplomatie française qui a jugé lundi “inacceptable” la militarisation par Moscou de ces deux territoires. Le ministre polonais des Affaires étrangères Jacek Czaputowicz a aussi dénoncé lundi “la première agression militaire, dans l’histoire européenne de l’après-guerre, d’un pays contre un Etat souverain”.

La Russie “n’a pas exécuté ses obligations internationales malgré les appels constants de la communauté internationale (…) et elle a renforcé sa présence militaire illégale sur le terrain”, a dénoncé le ministère géorgien des Affaires étrangères.

Dans un texte publié lundi sur le site de la radio russe Echo de Moscou, le président géorgien de l’époque Mikheïl Saakachvili a accusé la Russie d’avoir préparé dès 2006 un assaut contre la Géorgie et d’avoir massé des troupes à la frontière avant le conflit, multipliant les “provocations” contre les forces géorgiennes. Cette guerre contre la Russie s’inscrit dans “une lutte bicentenaire (de la Géorgie) pour sa liberté contre l’impérialisme russe”, a affirmé pour sa part M. Margvelachvili lors d’un entretien avec l’AFP la semaine dernière.

Post Scriptum, 14 d’agost del 2018.

Thorniké Gordadze, que fou vice-ministre georgià d’afers estrangers, va publicar a Libération el 15 d’agost de l’any 2012 aqueix article: “Quatre ans après la guerre russo-geórgienne” que apunta a aqueixa causa en l’origen de l’atac de Rússia: “Malgré les difficultés et erreurs, la Géorgie a su créer un modèle qui, sans être parfait, est suffisamment probant et attrayant pour représenter le cauchemar pour les locataires du Kremlin. Plus que les systèmes antimissiles de l’Ouest, le Kremlin craint la contagion démocratique à ses frontières et à l’intérieur même de celles-ci. Pour cela, l’invasion de 2008 n’a pas vraiment abouti à son dessein initial.” Ahir, complementava la seva anàlisi amb aqueixa reflexió en forma d’article a Le Monde: “La guerre russo-géorgienne a parachevé la formation de la vision poutinienne des relations internationales“. Des d’allavòrens Rússia ha envaït altres estats sabent que ni els EUA ni Europa respondrien militarment.

Post Scriptum, 29 de maig del 2022.

Segons publicà fa tres dies Le Figaro, “La Géorgie s’éloigne de l’Union européenne pour revenir dans l’orbite de Moscou. Les autorités géorgiennes ont refusé de condamner l’agression de la Russie contre l’Ukraine et de se joindre aux sanctions européennes, que le premier ministre Irakli Garibachvili juge «inutiles». Alors que les combats font toujours rage dans le Donbass, la guerre russe sur les anciennes terres de l’Union soviétique se poursuit par d’autres moyens. L’ancien ennemi public numéro un de Vladimir Poutine, Mikhaïl Saakachvili, qui à l’issue de la révolution des roses en 2004 avait ancré son pays, la Géorgie, à la famille démocratique occidentale grâce à des réformes imposées à marche forcée, se meurt doucement en prison à 54 ans.

I això que, Régis Genté escrigué el 13 de febrer d’enguany: “En Géorgie, l’impossible dialogue avec la Russie: “Depuis dix ans qu’il est au pouvoir, le parti le Rêve géorgien de l’oligarque Bidzina Ivanichvili suit une «politique de prudence» vis-à-vis du grand voisin russe. «Saakachvili (président de la Géorgie de 2004 à 2013) était dans la confrontation voire la provocation, cela a amené la guerre de 2008 et la reconnaissance par Moscou de nos régions sécessionnistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. 20 % de notre territoire. On ne pouvait continuer comme cela», raconte le député de la majorité Guiorgui Khelachvili. Malgré cette approche, rien n’a été obtenu par Tbilissi quant à l’essentiel, son intégrité territoriale.”

El mateix corresponsal explica el proppassat 7 de març: “En Géorgie, l’animosité envers la Russie remonte. Plusieurs fois par semaine, les Géorgiens se rassemblent pour soutenir l’Ukraine devant leur Parlement, à Tbilissi. Une foule de plusieurs milliers de jeunes notamment. Parfois pas majeurs. Une foule qui ne rêve que d’Occident, d’Europe, de liberté. Alors, quand la voix éraillée de Sviatoslav Vakartchouk, le chanteur du plus célèbre groupe de rock ukrainien, Okean Elzy, résonne dans la nuit caucasienne, la foule tangue. Elle tangue la boule au ventre. De peur de voir à nouveau les tanks russes débarquer en Géorgie, comme lors de la guerre d’août 2008, qui fait aujourd’hui figure d’étape sur la voie de l’invasion de l’Ukraine, de la reconquête impérialiste russe dans son «étranger proche».

L’atzucac georgià és el resultat de l’abandó d’Occident a mans de Putin, desoïnt la crida de Glucksmann i Henry-Levy a incorporar Ucraïna i Geòrgia a l’OTAN. No es va voler fer al seu moment i com a resultat han estat agredits per Rússia,i encara ara els europeus (França, Alemanya) aconsellen a Zelenski de cedir, com van fer a Munic el 1938 davant Hitler.

Post Scriptum, 31 de maig del 2022.

Avui Le Figaro entrevista Dimitri Minic, “chercheur au Centre Russie/NEI de l’Ifri. Docteur en histoire des relations internationales de Sorbonne Université (2021), sa thèse est intitulée «Contourner la lutte armée : la pensée stratégique russe face à l’évolution de la guerre, 1993-2016». Per tal de respondre a la qüestió, “La Géorgie s’éloigne-t-elle de l’Union européenne pour se rapprocher de la Russie ? Dimitri Minic creu que “pour récompenser Tbilissi de son comportement à l’égard de Moscou, la Russie a levé des restrictions entre les deux pays. Sur le plan économique la Géorgie est de plus en plus dépendante de son voisin”.

Post Scriptum, 2 de maig del 2024.

Thorniké Gordadze publicà el proppassat 28 d’abril aqueixa reflexió estratègica a DESK Russie:  “L’amitié fracturée entre la Géorgie et l’Ukraine“.

Dans la longue liste de remerciements que le Premier ministre géorgien a lue le 15 décembre 2023, lorsque la Géorgie a obtenu le statut de candidat à l’UE, il n’y avait aucune mention de l’Ukraine ou de son peuple. Pourtant, c’est l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie, ou plutôt la résistance courageuse des Ukrainiens, qui a joué un rôle central dans le retour de la question de l’élargissement à l’ordre du jour européen. Le politologue franco-géorgien Thornike Gordadze explique cette rupture due au régime géorgien actuel, alors que la population géorgienne soutient massivement l’Ukraine.

La profonde antipathie que les dirigeants géorgiens actuels nourrissent à l’égard de l’Ukraine remonte aux premières années du parti au pouvoir Rêve géorgien, qui a sapé un partenariat stratégique de près de vingt ans entre Kyïv et Tbilissi depuis les premiers jours de l’indépendance. Aujourd’hui, ni l’Ukraine ni la Géorgie ne maintiennent la présence d’ambassadeurs dans leurs capitales respectives. Le président Zelensky a personnellement demandé le départ de l’ambassadeur de Géorgie en juillet 2023.

Alliance stratégique post-indépendance

L’Ukraine, ou plus précisément le concept d’une Ukraine indépendante et pro-occidentale, a toujours trouvé un allié en Géorgie. Les volontaires ukrainiens ont fait preuve d’une remarquable bravoure dans leur lutte contre les forces russes et pro-russes pendant la guerre d’Abkhazie de 1992-1993, et leurs actes de bravoure font désormais partie intégrante de la mémoire collective du conflit abkhaze.

Un niveau substantiel de coopération et de partenariat stratégique a été atteint au cours des années 1990 sous la direction des présidents Leonid Koutchma et Edouard Chevardnadze. C’est à cette époque qu’a été créée l’organisation GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie), qui regroupe quatre États post-soviétiques ayant l’ambition de contrer l’influence de la Russie.

Sous l’administration du président Mikheil Saakachvili (2004-2012), les relations entre la Géorgie et l’Ukraine ont atteint de nouveaux sommets. De nombreux Géorgiens ont participé activement à la révolution orange de 2004 en Ukraine, à la suite de la révolution des Roses qui avait eu lieu en Géorgie en novembre 2003. Les dirigeants des deux pays ont fait preuve d’une compréhension mutuelle totale et de positions communes sur des questions cruciales telles que la menace russe, le rapprochement vers l’Union européenne et l’OTAN, ainsi que sur les principes fondamentaux du droit international, en particulier le principe du respect de l’intégrité territoriale des États dans leurs frontières internationalement reconnues. Cette proximité extraordinaire a été illustrée par les liens de baptême entre Saakachvili et le président ukrainien Viktor Iouchtchenko, ce dernier étant devenu le parrain du plus jeune fils de Saakachvili.

En conséquence, les deux pays ont été confrontés à une escalade de tension avec Moscou, notamment des tentatives de déstabilisation menées par le Kremlin et des embargos sur le commerce et l’énergie. Malgré la défaite des pro-occidentaux aux élections de 2010 en Ukraine et l’arrivée au pouvoir de Viktor Yanoukovitch, un ancien dirigeant régional du Donbass entretenant des liens étroits avec Moscou, la Géorgie s’est efforcée de maintenir des relations positives avec Kyïv. Cela était d’autant plus pertinent que l’Ukraine continuait ostensiblement à affirmer son engagement officiel en faveur de l’intégration européenne en tant qu’objectif ultime de sa politique étrangère. En outre, Ianoukovitch n’a pas adhéré aveuglément aux politiques de Moscou à l’égard de Tbilissi, notamment en maintenant son soutien à l’intégrité territoriale de la Géorgie.

De l’amitié à l’hostilité

La transformation d’amis en ennemis a commencé en 2012 avec la montée à Tbilissi du parti Rêve géorgien dirigé par Bidzina Ivanichvili, qui a coïncidé avec la deuxième révolution populaire ukrainienne connue sous le nom d’Euromaïdan, grâce à laquelle l’oligarchie pro-russe a été évincée en Ukraine et a laissé la place à des forces pro-occidentales déterminées à rétablir les liens avec l’UE et l’OTAN. Ces changements politiques divergents ont semé les premières graines de la discorde.

Le gouvernement du Rêve géorgien n’a pas approuvé la révolution de l’Euromaïdan telle qu’elle s’est déroulée ; en fait, il a manifesté sa sympathie à l’égard de Yanoukovitch. En particulier, l’ancien joueur du Dynamo Kyïv, Kakha Kaladze, l’un des dirigeants fondateurs du Rêve géorgien et aujourd’hui maire de Tbilissi, a minimisé l’humeur révolutionnaire des Ukrainiens, affirmant notoirement que les événements à Kyïv n’avaient pas de caractère massif et étaient « confinés à la rue Hrouchevski » [quartier gouvernemental à Kyïv, NDLR].

Contrairement au gouvernement, l’opposition géorgienne a considéré la victoire pro-européenne en Ukraine comme une occasion de transférer la résistance anti-Poutine de Tbilissi à Kyïv. Les nouveaux dirigeants géorgiens prônant le dialogue avec Moscou, Kyïv semblait être un choix évident pour contrer l’influence russe dans le grand voisinage.

En outre, l’opposition géorgienne nourrissait l’idée que le gouvernement pro-russe pourrait être renversé par une révolution pacifique, comme cela s’était déjà produit en 2003. Au fur et à mesure que le Rêve géorgien renforçait son emprise sur le pouvoir, les manifestations à Tbilissi pour protester contre les actions et les décisions du gouvernement ont pris un caractère régulier. À l’inverse, le Rêve géorgien a qualifié tous les partis d’opposition de radicaux et les a accusés de préparer un coup d’État. Ainsi, l’Ukraine, en tant que modèle de changement de pouvoir, est devenue tout aussi inacceptable pour le Rêve géorgien que les révolutions de couleur, en général, l’étaient pour Poutine.

Le nouveau gouvernement ukrainien souhaitait des réformes anticorruption rapides, aussi la Géorgie, forte de son expérience en matière de réformes réussies entre 2004 et 2012, a fourni à l’Ukraine un vivier d’anciens fonctionnaires, d’officiels et d’hommes politiques expérimentés, dont beaucoup ont quitté le service public (et ont même dû fuir le pays) après le nettoyage initial de l’appareil d’État par le Rêve géorgien pour en chasser les sympathisants de « l’ancien régime sanguinaire ». Cet afflux de Géorgiens en Ukraine a culminé avec la naturalisation et la nomination de l’ancien président géorgien Saakachvili au poste de gouverneur de la région d’Odessa.

La Géorgie d’Ivanichvili n’a pas offert de soutien politique, militaire ou financier significatif à l’Ukraine lors de l’annexion de la Crimée par la Russie et de l’ingérence russe dans l’est de l’Ukraine en 2014. Bien que Tbilissi ait officiellement soutenu l’intégrité territoriale de l’Ukraine, des signes de divergence dans les agendas politiques sont apparus immédiatement. L’ interview accordée en 2014 par le Premier ministre Garibachvili à la BBC a mis en évidence ce changement lorsqu’il a explicitement séparé la Géorgie de l’Ukraine, en soulignant que les problèmes de l’Ukraine avec la Russie étaient distincts de ceux de la Géorgie. M. Garibachvili a déclaré que la Géorgie s’engageait dans un dialogue avec la Russie et attendait des résultats. Ce changement a eu des conséquences négatives, car l’UE a commencé à utiliser la Géorgie comme un précédent pour faire pression sur l’Ukraine afin qu’elle trouve un terrain d’entente avec Poutine, malgré l’annexion de la Crimée et l’invasion du Donbass.

La démission de Saakachvili de son poste de gouverneur d’Odessa, sa rupture avec le président Petro Porochenko et son départ ultérieur de l’Ukraine pour l’UE n’ont pas apaisé les relations entre les gouvernements géorgien et ukrainien. Cela indique que la détérioration est plus profonde et qu’elle va au-delà des personnalités symboliques.

Après l’arrivée au pouvoir de Volodymyr Zelensky en 2019, beaucoup de Géorgiens pensaient qu’il renouerait avec la Russie et la Géorgie, mais la réalité s’est avérée différente. Zelensky a réhabilité Saakachvili, lui a rendu sa citoyenneté ukrainienne et l’a nommé à un poste officiel à la tête du Bureau national de coordination des réformes. Pour le Rêve géorgien, rien n’a donc changé et la politique d’absence de contacts et de rencontres de haut niveau a été maintenue. De plus, Zelensky s’est avéré être un anti-russe, ce qui n’est pas exactement le type d’ami que recherchaient Ivanichvili et ses premiers ministres.

L’arrestation de Saakachvili en 2021, après son retour spontané en Géorgie avant les élections locales, a encore tendu les relations entre la Géorgie et l’Ukraine. La détention de Saakachvili, les mauvais traitements qu’il a subis en prison et à l’hôpital, ainsi que la détérioration de son état de santé ont donné à Zelensky une raison officielle d’expulser l’ambassadeur géorgien en juillet 2023. Cependant, le principal désaccord entre Kyïv et Tbilissi restait à venir.

Guerre, soutien populaire et légion géorgienne

Après l’invasion de l’Ukraine par Poutine en février 2022, la Géorgie, tout comme le reste de l’Europe, est choquée et sympathise avec l’Ukraine. Le Rêve géorgien dénonce Moscou en paroles ; cependant, lorsque l’Occident impose des sanctions, Tbilissi s’abstient de s’y associer. Plus tard, Tbilissi ouvre la porte aux immigrants russes fuyant d’abord les sanctions, puis la mobilisation, et accepte finalement, en 2023, la reprise des vols avec Moscou — en d’autres termes, le retour au statu quo. Ces décisions, ainsi qu’un soutien politique discret au gouvernement Zelensky et, en même temps, une abstention de critique envers Moscou, soit par peur, soit par calcul « quasi rationnel », ont totalement détruit la confiance entre l’Ukraine et la Géorgie.

Contrairement à la position du gouvernement, la population géorgienne a toujours manifesté son soutien à l’Ukraine et à son effort de guerre. Peu de peuples soutiennent l’Ukraine aussi fermement que les Géorgiens. Tbilissi se distingue notamment comme une ville où les drapeaux ukrainiens ornent les balcons de citoyens ordinaires, les vitrines de magasins et de cafés, et où d’innombrables graffitis faisant l’éloge des forces armées ukrainiennes couvrent les murs du centre-ville.

De nombreuses initiatives privées lancées par des citoyens géorgiens ordinaires reflètent cette solidarité, qui se traduit par la collecte de fonds pour l’armée ukrainienne, l’envoi d’aide humanitaire et l’accueil chaleureux réservé aux réfugiés ukrainiens. Ces initiatives locales menées par des milliers de Géorgiens dépassent de loin la maigre assistance fournie initialement par le gouvernement géorgien au début de l’invasion.

En outre, les volontaires géorgiens constituent le plus important contingent étranger au sein des forces armées ukrainiennes. La célèbre « Légion géorgienne » n’en est qu’un exemple, et de nombreux ressortissants géorgiens servent dans diverses autres unités. Nombre de ces Géorgiens, souvent d’anciens professionnels des forces armées géorgiennes, sont actifs en Ukraine depuis 2014.

Le déclenchement par le gouvernement géorgien de purges politiques au sein des structures militaires et de sécurité, en particulier parmi le personnel des forces spéciales formé par des instructeurs américains ou de l’OTAN, a provoqué l’exode de nombreux soldats du pays. L’Ukraine leur a offert un refuge et de nouvelles opportunités de carrière. Par exemple, les officiers des forces spéciales géorgiennes Guiorgui Kouprachvili et Bakhva Tchikobava, tués lors de la défense de Marioupol, ont joué un rôle essentiel dans la création du bataillon Azov (puis de la brigade éponyme) et ont été les premiers instructeurs étrangers à opérer dans le camp militaire d’Azov, près de Kyïv, en 2014.

D’après nos entretiens avec le personnel militaire géorgien engagé en Ukraine, environ 1 000 à 1 100 Géorgiens servent en permanence sous le drapeau ukrainien, tandis que le nombre total de Géorgiens qui ont combattu les forces russes sur le sol ukrainien depuis février 2022 dépasse les 3 000. Tragiquement, plus de 60 d’entre eux ont perdu la vie sur les différents fronts. Malgré la position du Rêve géorgien, de nombreux Géorgiens considèrent ces personnes comme des héros.

Sans surprise, le gouvernement géorgien n’a pas caché son hostilité à l’égard de la Légion. Dans les premières semaines de l’agression russe, il a tenté d’empêcher les vols charters de volontaires géorgiens de quitter Tbilissi. En outre, la majorité parlementaire a envisagé de retirer la citoyenneté géorgienne à toute personne décidant de servir dans les forces armées ukrainiennes. Bien que la menace n’ait finalement pas été mise à exécution, plusieurs combattants géorgiens ont fait l’objet de poursuites pénales engagées par les autorités, et certains risquent d’être arrêtés s’ils tentent de retourner dans leur pays.

Cette divergence d’attitude entre le gouvernement et le peuple géorgien a conduit à un contraste frappant dans la manière dont les autorités ukrainiennes abordent les deux. Il est devenu de plus en plus courant pour les responsables ukrainiens d’exprimer leur gratitude et leurs meilleurs vœux à la population géorgienne tout en contournant les autorités officielles du pays. Le président Zelensky s’est même adressé à la foule géorgienne qui s’était rassemblée à Tbilissi en solidarité avec l’Ukraine en mars 2022. En retour, le gouvernement géorgien a utilisé ce positionnement de Kyïv pour justifier sa position défavorable à l’égard de l’Ukraine.

Explication de la rupture

Le pouvoir du Rêve géorgien repose sur deux fondements essentiels : une approche conciliante, voire complaisante, à l’égard de la Russie de Poutine et l’exercice d’une pression soutenue sur les adversaires intérieurs, notamment l’opposition politique, les médias critiques et indépendants, ainsi qu’une partie importante de la société civile. Dans ce contexte, l’Ukraine représente un double défi et constitue par conséquent une menace importante.

Tout d’abord, le succès de la résistance ukrainienne à la Russie et le soutien durable de l’Occident démontrent qu’il est possible de tenir tête à Moscou. Cela contraste avec le discours interne du Rêve géorgien selon lequel la Russie est invincible et que toute résistance est futile — soit il s’agit d’une forme de folie, soit elle est « téléguidée » par des forces anti-russes extérieures. Ce discours s’aligne sur l’interprétation que fait le Rêve géorgien de la guerre de 2008 en Géorgie : il ne s’agit pas d’une agression russe, mais d’une initiative de Saakachvili. Selon ce point de vue, il est possible de négocier la paix avec la Russie et l’existence d’un conflit ne devrait pas empêcher de bonnes relations interpersonnelles et commerciales puisque le marché russe est une « opportunité commerciale naturelle » pour l’économie géorgienne.

Deuxièmement, une Ukraine triomphante et une Russie affaiblie modifieraient considérablement l’équilibre régional des pouvoirs, Kyïv pouvant devenir une nouvelle force régionale capable d’influencer la politique intérieure de la Géorgie, ce qui ne serait probablement pas à l’avantage du gouvernement géorgien actuel. En effet, l’ensemble de l’opposition géorgienne place ses espoirs dans la victoire de l’Ukraine. Les politiciens de l’opposition se rendent régulièrement à Kyïv pour renforcer les liens avec les autorités ukrainiennes, et certains politiciens ukrainiens soutiennent ouvertement l’opposition géorgienne, comme l’influent député David Arakhamia, qui est d’origine géorgienne.

En outre, la question de la Légion géorgienne entre en jeu. Le régime géorgien nourrit des craintes quant au prestige, à l’expertise et à l’expérience de combat des combattants géorgiens, ainsi qu’aux conséquences potentielles de leur retour en Géorgie. Surtout, le gouvernement craint que les légionnaires géorgiens ne soient en train de fomenter un coup d’État. Les dirigeants du parti au pouvoir ont propagé une théorie du complot alléguant une collaboration entre le gouvernement de Kyïv, l’opposition géorgienne et les combattants géorgiens engagés en Ukraine, le tout prétendument encouragé par Washington et Bruxelles. L’objectif principal de cette théorie de la conspiration mondiale consisterait apparemment à ouvrir un second front contre la Russie et à « entraîner » la Géorgie dans la guerre.

L’aspect le plus irritant du comportement de la Géorgie à l’égard de l’Ukraine est peut-être le soutien économique indirect que Tbilissi apporte, fût-ce involontairement, à Moscou en autorisant le transit indirect de marchandises sanctionnées. En fait, la Géorgie ne contourne pas directement les sanctions. Toutefois, les marchandises qui transitent par le territoire géorgien vers les États voisins et les pays d’Asie centrale ont de fortes chances d’aboutir en Russie. Si l’UE partage les préoccupations de l’Ukraine à ce sujet, sa réponse a été moins stricte : elle a simplement exprimé l’espoir que la Géorgie continue de coopérer avec l’UE.

Contrairement à l’UE, Kyïv a imposé des sanctions à quinze ressortissants géorgiens, dont la plupart sont des membres de la famille Ivanichvili ou lui sont étroitement associés. L’Ukraine s’efforce également de faire inscrire certaines personnalités géorgiennes sur les listes de sanctions américaines et européennes. La décision d’ouvrir des vols directs de la Géorgie vers la Russie, qui a suscité la condamnation et de vives critiques de la part de l’UE et des États-Unis, a incité Kyïv à ajouter Georgian Airways, le transporteur principal de la Géorgie, à sa liste de compagnies aériennes sanctionnées.

Lorsque les autorités géorgiennes expliquent la détérioration des relations bilatérales avec l’Ukraine, elles minimisent souvent la question des sanctions et mettent plutôt l’accent sur d’autres points litigieux. Il s’agit notamment du désir présumé de l’Ukraine de voir la Géorgie impliquée dans un conflit avec la Russie afin d’alléger la pression exercée sur les forces armées ukrainiennes ou des préoccupations liées à la santé de Saakachvili. Cette tactique vise à détourner le discours du véritable problème, à savoir les deux idéologies et les deux approches concernant la Russie.

La propagande anti-ukrainienne, un outil pour rester au pouvoir

La communication du gouvernement géorgien concernant l’Ukraine comporte deux aspects principaux : l’un vise à rassurer la Russie, l’autre à persuader le public qu’il n’y a pas d’alternative à la présente position de la Géorgie. Les relations avec l’UE et l’Occident sont perçues à travers ces deux prismes. Moscou apprécie la position de Tbilissi concernant le conflit en Ukraine, sa réticence à soutenir l’Ukraine et son refus de condamner la Russie malgré l’occupation par cette dernière de 20 % du territoire géorgien. Plus important encore, la Russie considère que la position de la Géorgie l’aide à atténuer l’effet des sanctions. Les porte-parole russes, à commencer par le diplomate en chef Sergueï Lavrov et jusqu’aux propagandistes notoires, comme Margarita Simonian et Vladimir Soloviov, font souvent l’éloge de la « position sage » adoptée par les dirigeants géorgiens, soulignant ce qu’ils voient comme leur « résistance » aux directives de Washington et de Bruxelles.

La communication intérieure du Rêve géorgien s’articule principalement autour du concept de paix. Le parti du Rêve géorgien défend fermement l’idée qu’il a réussi à instaurer la paix avec la Russie, contrairement à l’Ukraine et à l’ancien gouvernement du MNU [Mouvement National Uni, parti d’opposition fondé par Saakachvili, NDLR]. Le message subliminal implique que Zelensky et Saakachvili, par imprudence et au mépris des intérêts nationaux, ont entraîné leur pays dans une guerre ingagnable contre la Russie. La diffusion d’images montrant la dévastation humaine et matérielle dans les médias pro-gouvernementaux vise à susciter la peur des horreurs de la guerre et à cultiver l’appréciation de la sagesse du gouvernement géorgien. L’accent mis sur la façon dont Zelensky a « sacrifié » les Ukrainiens reflète la façon dont Saakachvili a « sacrifié » les Géorgiens en 2008, soulignant le contraste avec la façon dont Ivanichvili a « protégé » sa population au cours des 11 dernières années.

Pour accentuer encore ce « succès », le gouvernement continue de diffuser des messages sur les pressions qu’il subit de la part de l’Ukraine et de l’Occident, insinuant qu’ils poussent la Géorgie vers un conflit avec la Russie. Tout cela sans reconnaître que la guerre en cours trouve son origine dans l’invasion, l’occupation et l’annexion des territoires souverains de l’Ukraine par la Russie. Les membres du parti au pouvoir, le maire de Tbilissi et même l’ancien Premier ministre lui-même nourrissent l’idée que l’Occident punit la Géorgie et son dirigeant officieux, M. Ivanichvili, parce qu’ils refusent de s’engager dans la guerre. Ainsi, si le statut de candidat à l’UE de la Géorgie a été retardé, c’est en raison du refus de Tbilissi de se conformer aux exigences de Bruxelles et d’intensifier les pressions sur Moscou, alors que l’Ukraine s’est vu accorder le statut de candidat à titre de compensation pour le conflit avec la Russie.

En raison des sentiments pro-ukrainiens largement répandus au sein de la population géorgienne et du fait que la reproduction des récits russes sur les « LGBT nazis ukrainiens » n’est pas crédible en Géorgie, le gouvernement n’est pas en mesure de s’engager directement dans une propagande anti-ukrainienne. Néanmoins, il discrédite l’Ukraine et ses dirigeants par des moyens indirects. Alors que le courant principal du Rêve géorgien se livre à des critiques subtiles et complexes de l’Ukraine et de l’Occident, les groupes satellites créés et soutenus par le parti sont plus directs et sans ambiguïté dans leurs attaques, exprimant ouvertement leur soutien au succès de la Russie.

Des entités telles que le réseau PosTV, le parti People’s Power, Alt-Info et d’autres groupes d’extrême droite ou extrémistes étroitement affiliés au Rêve géorgien se soucient moins de la subtilité et du langage diplomatique. C’est une stratégie bien établie du parti au pouvoir que de s’assurer que son message atteigne le public par l’intermédiaire de ces groupes alternatifs. Par exemple, le « projet de loi sur les agents de l’étranger » a été introduit au Parlement par le parti « People’s Power », mais a été voté par tous les députés du Rêve géorgien.

Ce n’est donc pas un hasard si la Géorgie a tourné le dos à l’Ukraine. La priorité au maintien de leur pouvoir dicte les actions du Rêve géorgien et de ses dirigeants. Que ce soit par peur de la Russie, par incrédulité quant à la capacité de l’Ukraine à gagner la guerre ou par calcul géopolitique stratégique, une chose est claire : le gouvernement géorgien a choisi son camp dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et ce n’est pas celui de l’Occident, de l’Union européenne et de Kyïv.

  1. A veure si algú és capaç de trobar en algun blog, web o diari del món un article que parli dels drets del poble osseti i abkhas enlloc de parlar de que si russia tal i que si georgia qual. Ni tan sols el senyor renyer és capaç d’analitzar la situació si no és en termes d’equilibri de forces, de lluita entre blocs, etc. La gràcia que faria als catalans que en plantejar el seu dret d’autodeterminació tots els mitjans del món comencessin a parlar que si els interesos d’espanya, de la unió europea, els eua, i la voluntat dels catalans fos lo ultim que es tingués en compte.
    Tant a Ossetia com a Abkhasia es van celebrar referendums d’autodeterminació (no reconeguts per ningú, per variar) als anys 90 i va guanyar la opció independentista. I això ningú ho comenta. La voluntat majoritaria dels ossets és el de menys, pel que sembla.

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