Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

1 de novembre de 2015
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L’esquerra francesa i els intel·lectuals “neo-reaccionaris”

Segueixo tot el que puc l’actualitat política i cultural francesa ja que hi apareixen qüestions que posteriorment es plantegen al nostre país, (per exemple recordem l’èxit assolit pel pamflet indignant escrit per Stéphane Hessel no fa gaires anys).

Em va sobtar la portada de Libération, (el periòdic de referència de l’esquerra francesa posterior al Maig del 68), corresponent al proppassat 5 d’octubre dedicada a refutar explícitament els intel·lectuals denominats “neo-reaccionaris” més notoris (Zemmour, Finkielkraut, Onfray….) a qui al llarg de cinc pàgines  s’intenta desqualificar amb més o menys consistència argumental.

El mateix director del diari Laurent Joffrin, (a qui altres vegades he portat a aqueix bloc pel seu combat contra els propalestins del BDS) encapçala el dossier articulat en base a cinc punts: la denúncia del pensament políticament correcte que -assegura- els “neo-reacc” manipulen, l’alarmisme sobre la dissolució de la identitat francesa que difonen, la islamofòbia que pregonen, el populisme que practiquen i l’anti-europeisme que propugnen.

A més, hom atribueix als intel·lectuals esmentats una sobreprojecció mediàtica que no es correspon a la seva aportació al debat de les idees, oblidant que el tractament preferent envers les formacions esquerranes i fins i tot ultra-esquerranes és un esnobisme molt extés entre els diaris francesos. Per exemple, el naixement del Nouveau Parti Anticapitalista sorgit de l’extinció de la trotskista Ligue Communiste Revolutionnaire va merèixer dugues planes senceres del liberal Le Monde el 1 de febrer del 2009.

Allò preocupant d’aqueix monogràfic de Libération és el fet que il·lustra un fenomen involutiu al si de l’esquerra francesa que l’historiador  Jean François Khan des de les pàgines de Le Figaro del passat 16 d’octubre resumia en aqueixos termes: “Nous assistons au retour d’une rhétorique stalinienne“, tot advertint del refús al contrast ideològic tot pressuposant que els arguments de l’adversari no mereixen ni ser considerats, simplement rebutjats, violentament si cal.

Les esquerres que “pensen” -infructuosament- que a base de blasmar el Front National, els col·lectius denominats identitaris, els intel·lectuals neo-reaccionaris hom aconseguirà aturar la seva progressió van errades: només cal veure el creixement electoral del FN. Potser farien bé de llegir un dels darrers assaigs de Pierre-André Taguieff, “Du diable en politique. Réflexions sur l’antilepénisme ordinaire” (CNRS Éditions, París, 2014).

Post Scriptum, 29 de gener del 2016.

Jean-François Khan, historiador i escriptor, s’interroga avui des de les pàgines de Le Figaro “Peut-on m’expliquer ce qu’est un néo-réactionnnaire ?”.

Post Scriptum, 17 d’abril del 2016.

Els indignats que ocupen la plaça de la Republique de París passant la “Nuit debout” pe rpoder debatre-ho tot el primer que han fet és escridassar per reaccionari el filòsof Alain Finkielkraut que s’hi havia atansat.

Post Scriptum, 14 de juny del 2016.

Pascal Bruckner, un dels intel·lectuals francesos acusats pels islamo-gauchistes de reaccionari, és entrevistat per Le Figaro el proppassat 20 de maig: “”Réactionnaire ! Cette injurie doit devenir un titre de fierté”:

LE FIGARO. – Vous avez qualifié le mouvement Nuit debout de «Mai 68 dépressif»…

Pascal BRUCKNER. – Nuit debout est d’abord une coproduction médiatico-élyséenne: on a vu le président se féliciter que la jeunesse se rassemble, discute. Son espoir était clair: tant qu’ils palabrent, ils ne cassent rien. Pendant qu’ils réécrivent la Constitution, ils ne pensent pas à la loi El Khomri. C’est l’inverse qui s’est produit. Le mouvement, branché sur les réseaux sociaux, est extraordinairement réactif à l’actualité et accompagne toutes ses interventions de violence.

Vous y êtes-vous rendu?

À plusieurs reprises. Il y a un côté «halte-garderie» où les nuitdeboutistes refont le monde à l’abri des CRS contre lesquels ils se retourneront un peu plus tard, une fois qu’ils auront bu. Leurs signes manuels, approbation ou désaccord, ressemblent à ceux du Club Med ou du «Collaro Show». Tout le monde est extraordinairement sérieux. Plus le propos est creux et plus le ton est grave. On fustige les experts, mais la place de la République en regorge. Expert en astrophysique, expert en droit pénal, expert en sociologie. Nulle gaieté, nul humour dans ce rassemblement: une sinistrose arrosée à la bière. La seule invention a été empruntée au calendrier révolutionnaire: rallonger le mois de mars indéfiniment. Cela fait penser à la phrase de l’ancienne maoïste Maria-Antonietta Macciocchi : «Après Marx, avril!» Citez-moi une seule idée intelligente sortie de ce monologue incessant qu’est Nuit debout. J’ajoute que les Parisiens qui ont payé de leur poche la restauration de la place de la République voient ce lieu régulièrement détruit, brûlé, privatisé par quelques centaines d’individus, on y casse le macadam pour y planter des graines! On peut se consoler en espérant que Nuit debout devienne comme la Fête de la musique, comme Paris-Plages, une marque déposée. La société France pourrait l’offrir au reste du monde et exporter son savoir-faire en matière de grève: comment bloquer un pays en quelques jours grâce à une minorité?

On y retrouve des discours très radicaux…

Les maîtres à penser de Nuit debout sont des bolcheviks d’occasion, des Che Guevara bas de gamme dont la vraie passion n’est pas la liberté mais la servitude. S’ils arrivaient au pouvoir, ils commenceraient par enfermer tous les opposants dans des camps, ce que le communisme a su faire de mieux. La radicalité est toujours une preuve d’impuissance. Ils sont archi-minoritaires et ne représentent rien.

Cette gauche radicale a la police pour adversaire. Le 11 janvier est-il déjà oublié?

Nuit debout, c’est aussi un crachat lancé au visage des victimes de janvier et de novembre 2015. L’un des leaders du mouvement a expliqué que la place de la République est habitée de passions tristes et qu’il faut y substituer une subversion joyeuse. On n’a pas osé arracher les fleurs et les témoignages de solidarité, mais on voit bien que ce sont deux mondes qui s’ignorent. La vérité est que, pour l’ultra-gauche, il n’y a pas eu d’attentats: la France a payé sa politique belliqueuse et «islamophobe» et l’a bien cherché. Il faut combattre le seul ennemi: l’économie de marché, la bourgeoisie et ses laquais, l’État et la police.

Que vous inspire cette haine de la police?

Pour une génération qui n’a pas connu l’autorité paternelle (le papa poule a remplacé le patriarche), la mise à mort d’un policier (ou son tabassage) est devenue un rite d’initiation. Une sorte de baccalauréat de la rue. Caillasser des flics ou les «griller comme des poulets», c’est devenir adulte, au sens strict du terme «tuer le père». Notre société libérale engendre deux types de révoltés. Le djihadiste d’abord. Des adolescents égarés vont chercher auprès d’émirs lointains et cruels, qui leur commandent de tuer et d’être tués, une hiérarchie sans faille. Mais aussi le radical, souvent fils à papa: puisque la société a cessé d’être autoritaire, il voit dans la police la dernière autorité à détruire. Plus le pouvoir est faible, plus le petit reste d’ordre qu’incarne la police devient insupportable.

La légitimité du pouvoir est remise en cause?

À chaque protestation violente se pose le problème de la légitimité du chef de l’État. Depuis 2012, le pouvoir semble vide. Hollande se fait insulter, piétiner au Salon de l’agriculture, il laisse une journaliste lui dire «Vous plaisantez, Monsieur le Président?» sans réagir et, derrière chaque humiliation, c’est la France elle-même qui est humiliée. Comme le capitaine du Titanic, il danse pendant le naufrage en susurrant «ça va mieux, ça va mieux». Il n’incarne pas sa fonction. Cette inconsistance pousse les manifestants à se croire autorisés à frapper, vandaliser, éventuellement tuer. Rajoutons que le ministère de l’Intérieur se refuse à utiliser des canons à eau dont l’image évoque, paraît-il, le Chili de Pinochet. Il préfère mettre gendarmes et CRS au contact des manifestants. C’est un pari dangereux: si un policier était tué, le gouvernement pourrait alors condamner les grévistes, frappés de discrédit, et rétablir l’ordre. Je n’ose croire que le pouvoir fait un calcul aussi cynique. Il est vrai que Hollande ne prospère jamais mieux que dans les catastrophes.

Comment maîtriser les casseurs?

Une partie de ces casseurs, chauffés à blanc par la haine et encouragés par l’impunité judiciaire, pourra être tentée de basculer dans le terrorisme. Nous devons nous inquiéter de leur jonction éventuelle avec les fous de Dieu. On pourrait voir se produire sur notre territoire ce qui a eu lieu à la fin des années 1970 en Allemagne avec la Rote Armee Fraktion ou en Italie avec les Brigades rouges. Faudra-t-il alors classer ces radicaux dans la catégorie des terroristes? La question reste ouverte.

L’islam a-t-il fracturé la gauche?

Depuis 1989, la gauche démocratique prétend avoir fait son aggiornamento sinon à l’égard du capitalisme, du moins à l’égard du totalitarisme. En réalité, toute l’ultra-gauche est encore habitée par le rêve totalitaire, celui de la révolution totale. En perte de vitesse pendant vingt-cinq ans après la chute du communisme, années durant lesquelles elle a remâché son amertume, elle a reçu avec le 11 septembre 2001 un formidable coup de pouce. Elle peut enfin conjoindre son ressentiment avec celui de l’islamisme. Elle a perdu la classe ouvrière qui s’est embourgeoisée, le tiers-monde qui s’est converti au capitalisme, la Chine, l’Inde, le Brésil, une partie de l’Afrique. Ne reste que l’islam radical. Les bombes, les attentats suicides renouent avec la stratégie des mouvements insurrectionnels. Toute l’ultra-gauche est fascinée par la puissance éruptive du djihadisme. Cette alliance a été théorisée par le Socialist Workers Party (des trotskistes) en Angleterre: sous certaines conditions, l’alliance avec les musulmans même rétrogrades est nécessaire pour ébranler la forteresse capitaliste. Ce qu’on a raté avec les prolétariats, le tiers-monde, on va le réaliser avec ce monothéisme sacrificiel dont les fidèles forment un prolétariat de substitution. C’est ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme.

Que vous inspire l’invitation de Black M à Verdun?

Je ne connais pas ce chanteur, dont on dit qu’il a regretté ses propos antisémites, homophobes et sectaires. Mais quel est le bureaucrate «djeuniste» qui a eu l’idée saugrenue d’organiserun concert de rap à Verdun? Aux grandes douleurs il faut de la grande musique. Ce qu’on aurait dû faire pour le centenaire de la bataille de Verdun, c’est ce qu’a fait Rostropovitch après la chute du Mur où il avait interprété une suite de Bach, c’est ce qu’ont fait les Russes à Palmyre en organisant un magnifique concert après la libération de la ville.

«Tout est culture», dirait pourtant Jack Lang…

Une gauche soucieuse de transmission et de beauté, dans la lignée de Jean Zay, de Léon Blum ou de Jaurès, ne peut pas mettre sur le même plan le rap, la pop, le jazz et Bach. Pourquoi pas une rave party à Hiroshima ou une «teuf» à Dachau? L’industrie du divertissement n’a pas à se réapproprier l’intégralité de notre histoire. Se soucier de culture, c’est se soucier de continuité, c’est donc évaluer, c’est donc rejeter, hiérarchiser. On ne célèbre pas la bataille de Verdun dont le poids symbolique est immense avec une musique de variété. Convertir le tragique en festif est le péché originel de la gauche depuis Mitterrand. Ce gouvernement est, hélas, insensible. Il n’a pas vu l’outrage fait à la mémoire française qu’était cette invitation de Black M. Et comme pour rajouter la sottise à l’aveuglement, voilà qu’il crie au fascisme face à l’annulation du concert.

 

Pouvait-il céder face au FN?

Il est regrettable que la gauche n’ait pas été la première à se mobiliser contre l’invitation de Black M à Verdun et ait laissé la protestation légitime au Front national. Mme Azoulay, dont on se demande si elle sait qui est Black M, a crié au retour «d’un ordre moral nauséabond»: c’est désolant. Cet antifascisme est tragiquement bête. L’antifascisme a été la grande stratégie du Komintern pour discréditer ses adversaires, mais on pouvait espérer que dans un gouvernement social-démocrate il y ait un petit peu plus de discernement. La faiblesse de la gauche est préoccupante: elle oscille entre dogmatisme et frivolité, la révolution permanente d’un côté, le fun de l’autre. Elle se veut subversive et sympa.

Que vous inspire Emmanuel Macron?

La grande tâche des années à venir, c’est de réconcilier la gauche avec l’intelligence de la tradition et l’audace de la réforme. La gauche fut jadis grande dans ses conquêtes et ses ambitions. Aujourd’hui, engluée dans une idéologie de gestion, elle n’est pas à la hauteur de ces grands moments historiques. Emmanuel Macron fait le pari qui était déjà celui de Guizot et qui est le mien aussi: réconcilier les Français avec l’argent. Une France où chaque famille, chaque foyer peut vivre décemment et envisager l’avenir n’est pas forcément une France «bourgeoise». La gauche et la prospérité peuvent faire bon ménage. Malheureusement la tendance dominante consiste à dire que tout appétit de richesse est un pacte avec le capitalisme maudit. La France devrait entrer dans la décroissance, se préparer à une forme de paupérisation consentie où les besoins de chacun, pour «sauver» la planète, seraient ramenés à un minimum vital. La popularité de Macron vient de ce qu’il s’adresse au libéralisme potentiel des Français, de toutes origines, à leur envie légitime d’améliorer leur condition. Ce mot est tabou, obscène, à droite comme à gauche. Sa tâche sera donc difficile. Il faut espérer qu’il clarifiera vite ses positions.

La gauche a-t-elle perdu la bataille des idées?

Quand Le Monde et Libération essayent de dresser une liste des «intellectuels de gauche», ils n’en trouvent pas ou très peu. Les colonnes vides remplacent celles qui, dans les années 1970, débordaient de noms puisque les deux termes étaient synonymes. On rameute des profs obscurs, des théoriciens de seconde zone dont le seul mode de penser est l’anathème: «Maudits soient ceux qui ont tourné leur veste.» Cette gauche qui est en train de perdre le magistère de la pensée n’a d’autres ressources que de qualifier les déviants de «réactionnaires». Mais est réactionnaire à leurs yeux celui qui prend en compte la complexité des choses et se refuse à réduire le réel à une seule idée, un seul slogan. Cette injure doit devenir un titre de fierté. Je plaide pour une forme de «réac pride». La gauche, aux abois, devrait saisir l’occasion historique de se réformer. Mais elle reste incapable de se détacher du surmoi de l’ultra-gauche (qui influence aussi une partie de la droite) et continue de lui obéir. C’est à elle qu’elle continue à rendre des comptes. Quiconque agit, légifère doit se mesurer à cette toise idéologique qui a remplacé l’Église et les autorités morales. Tant que la social-démocratie restera hantée par ce bolchevisme mou, elle sera incapable de se transformer. Le gauchisme est devenu la maladie sénile du socialisme.

Post Scriptum, 15 de juny del 2018.

David Desgouilles, redactor de Marianne i assagista, publica avui a Le Figaro aqueixa reflexió sobre la manifestació organitzada el proppassat dissabte per les esquerres polítiques, sindicals i associatives «contre les idées d’extrême droite»: «La lutte contre l’extrême droite est devenue le plus petit dénominateur commun des gauches».

Post Scriptum, 12 d’abril del 2022.

Adrien Broche i Vincent Lamperat són els autors d’aqueixa reflexió publicada per la Fondation Jean Jaurès el proppassat 14 de febrer: LA GAUCHE FACE AU SURGISSEMENT NÉO-RÉACTIONNAIRE.

Post Scriptum, 9 de febrer del 2024.

Avui, a Le Figaro, es demana: Pourquoi tant d’intellectuels qui critiquent la gauche continuent à se réclamer d’elle?

Avez-vous remarqué la multiplication, dans le débat public, d’intellectuels qui critiquent profondément la gauche, tout en proclamant qu’ils sont de gauche ? La gauche a capitulé sur la laïcité, déplorent-ils. Elle est trop souvent clientéliste, affirment-ils. Elle a embrassé le multiculturalisme et le communautarisme, regrettent-ils. Elle a abandonné l’universalisme et la liberté d’expression. Elle verse dans la haine des forces de l’ordre. Elle cultive le ressentiment anti-occidental. Elle est travaillée par un antisionisme aussi obsessionnel que suspect. Elle a renié les Lumières. Elle a adhéré à un écologisme antimoderne et dogmatique. Elle a abandonné les classes populaires (auxquelles elle préfèrerait les étudiants non-binaires souhaitant avoir accès à des toilettes non-genrées). Elle ne combat pas l’obscurantisme islamiste. Et pourtant, répètent à l’envi ces intellectuels, nous restons de gauche. D’ailleurs, écrivent-ils, si l’égarement de la gauche est inquiétant, ce n’est pas parce qu’il pourrait mener notre pays et notre civilisation dans le mur, mais bien parce qu’il risquerait de faire le jeu de la droite. Ce sont pourtant les médias conservateurs qui leur ouvrent régulièrement leurs colonnes, tandis que la presse progressiste les houspille. Deux questions s’imposent : jusqu’où la gauche (ses représentants politiques contemporains, ses penseurs, ses médias…) devrait-elle aller pour que ces intellectuels cessent de se proclamer de gauche ? Et comment faudrait-il que la droite se comporte pour qu’ils cessent de ressentir le besoin de rappeler sans cesse qu’ils ne sont pas de droite, sous-entendant qu’il serait infamant de l’être ? Tout se passe comme si le fait d’être de gauche était une donnée génétique, ou un titre de mérite, plutôt qu’une appartenance que l’on pouvait renouveler ou non au regard de ce que «la gauche» fait, au regard de la réalité du débat public et de l’évolution de la vie politique.

Comme souvent, la lecture de Jean-François Revel est éclairante. Dans ses Mémoires, il décrit la gauche comme incapable «d’imaginer l’“être” à gauche autrement que comme une substance fixe, que l’on porte en soi ou que l’on jette». Il raconte : «Lorsque je parcours mes écrits d’avant 1968, je m’aperçois qu’ils sont parsemés de panneaux de signalisation qui (…) ont pour seul office de crier au passant “Coucou ! Je suis de gauche ! Je suis de gauche !” (…) Cela veut dire que l’on se fait acclamer (ou que l’on s’acclame soi-même, ce qui est plus sûr) comme subjectivité de gauche et comme membre d’une famille morale». Rien n’a changé, en témoignent par exemple les récents ouvrages contre le wokisme (étayés par ailleurs) de Yascha Mounk ou Chloé Morin, bien garnis de ce type de panneaux de signalisation. Comme le constate Pierre Valentin dans son essai, la gauche intersectionnelle accuse la gauche républicaine d’être de droite, tandis que la gauche républicaine accuse la gauche intersectionnelle d’avoir trahi la véritable gauche. «La possibilité que l’on puisse être à la fois de gauche et dans l’erreur ne semble pas leur traverser l’esprit», ironise Valentin. Ces gauches irréconciliables semblent s’accorder sur la définition du mot «gauche» : non pas telle ou telle idéologie, mais l’unique dépositaire de la légitimité morale et intellectuelle dans le débat public. (Définition naïve – puisque tout militant, par définition, estime œuvrer en faveur du bien commun – et dangereuse : la certitude d’avoir la morale de son côté vaccine contre l’esprit critique).

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui semblent considérer que la déroute idéologique de la gauche est un dévoiement de sa nature réelle (ce qui justifierait d’y rester attaché coûte que coûte) tandis que les positions souvent justes de la droite sont une dissimulation de la sienne (ce qui interdirait catégoriquement de la rejoindre). La gauche est essentialisée : quoi qu’elle fasse, elle restera celle de Jean Jaurès ; la droite aussi : quoi qu’elle fasse, elle restera celle de Maurras. Le passé efface le présent. La géographie politique éclipse la réalité des actes, des discours et des idées, avec à la racine, une idée assez puérile : la gauche est bonne, la droite est mauvaise. Il y a quelques mois, on a reproché à LFI de ne pas se rendre à la marche contre l’antisémitisme (sa place, au fond, y était), tout en reprochant au RN de s’y rendre (sa place n’y était pas). C’est pratique : en étant de gauche, on ne peut se tromper. Si la gauche détruit le pays, il s’agit d’une dérive regrettable («ce n’est pas la vraie gauche») qui n’invalide en rien l’adhésion originelle au projet ; si la droite exprime des idées justes, c’est un peu par chance. En essentialisant la gauche et la droite, on protège ses opinions de la réfutation par les faits. Cette attitude irrationnelle, presque superstitieuse, nuit sans doute au débat de fond. Revel raconte que dans les années 70, la gauche non communiste a mal accueilli la parution de L’Archipel du Goulag , a été incapable d’en appréhender l’importance et d’en tirer des leçons. Pourquoi ? «Le motif le plus profond fut que Soljénitsyne diagnostiquait le système concentrationnaire non point comme une maladie mais comme l’essence même du communisme. En d’autres termes, il refusait d’inscrire le débat à l’intérieur du socialisme, de présenter le réquisitoire contre le goulag dans la perspective de l’amélioration du système.» L’histoire se répète : aujourd’hui, certains intellectuels semblent incapables de débuter une prise de parole sans rappeler qu’ils inscrivent le débat à l’intérieur de la gauche, incapables de dénoncer une dérive de la gauche sans présenter le réquisitoire dans la perspective de l’amélioration du système (la reconstruction de la vraie gauche).

 

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