Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

13 de maig de 2015
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Michael Walzer: “Cette gauche qui n’ose pas critiquer l’islam”

El filòsof nordamericà Michael Walzer (New York, 1935) publica aqueix article a Le Monde del proppassat 8 de maig que mereix ésser reproduït ja que assenyala la responsabilitat moral de la majoria de l’esquerra occidental que no gosa denunciar l’islamisme contemporani com una forma de totalitarisme:

“Depuis la révolution iranienne, je vois la gauche se débattre pour comprendre le retour du religieux. Chacune des grandes religions fait aujourd’hui l’expérience d’un retour ; cette foi retrouvée, loin d’être un opiacé, constitue un stimulant puissant. Depuis la fin des années 1970, et en particulier ces dix dernières années, c’est dans le monde musulman que ce stimulant agit avec le plus de force.

Du Pakistan au Nigeria, mais aussi dans certains pays d’Europe, l’islam est aujourd’hui une religion capable d’inciter un grand nombre d’hommes et de femmes à tuer ou à mourir en son nom. Certains d’entre nous tentent de répondre à cette situation mais, pour la plupart, échouent lamentablement. L’une des raisons de cet échec tient à la peur panique d’être traité d’« islamophobe ». L’antiaméricanisme et une forme radicale de relativisme culturel jouent également un rôle important, mais ce sont des pathologies anciennes.

Pour ma part, je vis dans la peur de toute forme de militantisme religieux. Mais j’admets que les islamistes fanatiques sont ceux qui m’effraient le plus, parce que le monde musulman est, à ce moment de notre histoire (il n’en a pas toujours été ainsi et il n’est aucune raison de croire qu’il en sera toujours ainsi), particulièrement fiévreux et fervent.

Un « djihad de l’âme »

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’une position antimusulman, nourrie de préjugés et d’hostilité ? Si je dis que la chrétienté était, au XIe siècle, une religion de croisés, dangereuse pour les juifs et pour les musulmans, cela fait-il de moi un antichrétien ? Je sais que la ferveur prosélyte n’est pas essentielle à la religion chrétienne et que le temps des croisades dans l’histoire chrétienne n’aura duré que deux cents ans environ.

On peut et on devrait pouvoir dire la même chose des islamistes aujourd’hui, même si la violence djihadiste n’est pas requise par la théologie musulmane, même si de nombreux musulmans « modérés » s’opposent à la violence religieuse, et même si la plupart des musulmans sont bien contents de laisser au ciel le soin de décider du sort des hérétiques et des infidèles.

Je sais qu’il existe un « djihad de l’âme » en plus du « djihad de l’épée » et que Mahomet a déclaré que le premier correspondait au « grand djihad ». Et je reconnais que le monde musulman n’est pas monolithique. Il n’empêche que le « djihad de l’épée » est bel et bien puissant aujourd’hui, et qu’il est effrayant.

Là encore, je me trouve souvent confronté à cette gauche plus soucieuse d’éviter les accusations d’islamophobie que de condamner le fanatisme islamique. Il y a une raison à cela en Europe occidentale et sans doute aussi aux Etats-Unis, où les musulmans sont des immigrés récents, objets de discrimination, de surveillance policière, parfois de brutalité policière et d’hostilité populaire. L’islamophobie semble grandissante. Et pas seulement au sein de la droite populiste et nationaliste.

En cause l’impérialisme occidental

Malgré leur incapacité à comprendre le phénomène religieux, la plupart des gens de gauche n’éprouvent pas de difficulté à craindre et à combattre les nationalistes hindous, les moines bouddhistes fervents et les sionistes messianiques engagés dans la défense des colonies israéliennes (dans ce cas, dire qu’ils n’ont « pas de difficulté » à le faire est un euphémisme). Bien sûr, personne à gauche n’épouse la cause des militants islamistes. Certes moins scandaleux, mais tout de même assez grave me semble pourtant le refus d’une majorité de la gauche de reconnaître ces crimes pour tenter une analyse générale et une critique englobante du fanatisme islamique. Qu’est-ce qui fait obstacle à l’analyse et à la critique ?

De nombreux auteurs de gauche insistent pour dire que la cause du fanatisme religieux n’est pas la religion, mais l’impérialisme occidental, l’oppression et la pauvreté. On trouve aussi des gens pour croire que le fanatisme islamique n’est pas le produit de l’impérialisme occidental, mais une forme de résistance à son égard. Quels que soient les groupes qu’il attire à lui dans les faits, il constituerait une idéologie des opprimés – une variante, quoique un peu étrange, d’une politique de gauche.

Le philosophe slovène Slavoj Zizek soutient que le radicalisme islamique exprime « la rage des victimes de la mondialisation capitaliste ». Il faut dire que Zizek ne craint pas d’être traité d’islamophobe : il défend une critique « respectueuse et pour cette même raison pas moins impitoyable » de l’islam et de toutes les autres religions. Mais sa critique ne parviendra à rien tant qu’il continuera de croire que l’objet de la rage islamiste est le même que celui de sa propre rage.

Il est nécessaire de distinguer le fanatisme islamique de l’islam lui-même. Nous devons insister sur la différence entre les écrits des fanatiques comme Hassan el-Banna (1906-1949), le fondateur des Frères musulmans et l’œuvre des philosophes rationalistes de l’histoire musulmane ancienne et des réformateurs libéraux plus récents.

La philosophe américaine Judith Butler commet la même erreur quand elle explique qu’« il est extrêmement important de considérer le Hamas et le Hezbollah comme des mouvements sociaux progressistes, qui se situent à gauche et font partie d’une gauche mondiale ». Elle l’affirmait en 2006, et le répétait encore en 2012 en apportant toutefois un correctif : le Hamas et le Hezbollah appartiennent bien à la gauche parce qu’ils sont « anti-impérialistes », mais Butler ne soutient pas toutes les organisations de la gauche mondiale et surtout elle n’approuve pas l’usage de la violence dans ces deux organisations. Je lui suis reconnaissant de ce dernier ajout, mais opérer une pareille assimilation à la gauche est toujours aussi erroné.

Dans l’analyse du fanatisme islamique, les postmodernes n’ont pas fait mieux que les anti-impérialistes. Qu’on se rappelle Michel Foucault et son apologie de la brutalité de la révolution iranienne : l’Iran n’a pas « le même régime de vérité que nous ». Cette version du relativisme culturel est devenue un lieu commun.

La défense postmoderne la plus vigoureuse du radicalisme islamique se trouve chez le professeur de littérature Michael Hardt et le philosophe italien Antonio Negri, qui affirment que l’islamisme est en soi un projet postmoderne : « La postmodernité du fondamentalisme se reconnaît à son refus de la modernité comme arme de l’hégémonie euro-américaine – à cet égard, le fondamentalisme islamique représente bien un exemple paradigmatique ». Ou encore : « Dans la mesure où la révolution iranienne a exprimé un profond rejet du marché mondial, elle pourrait être considérée comme la première révolution postmoderne. »

Hypocrisie occidentale

Toutes ces réponses de gauche aux islamistes fanatiques semblent bien étranges quand on envisage le contenu de leur idéologie. L’opposition djihadiste à « l’Occident » devrait inquiéter la gauche. Boko Haram a commencé par attaquer les écoles « au style occidental » et d’autres groupes islamistes ont lancé des attaques similaires, en particulier contre les écoles de filles. Les valeurs que les fanatiques dénoncent comme étant « occidentales » – la liberté individuelle, la démocratie, l’égalité des sexes, le pluralisme religieux – sont ici au cœur du débat.

C’est certain, les Occidentaux n’ont pas toujours vécu en accord avec ces valeurs et ont souvent échoué à les défendre, mais ce sont des valeurs auxquelles l’hypocrisie occidentale rend hommage, et que certains d’entre nous s’efforcent de protéger. Ce sont les valeurs qui caractérisent en grande partie la gauche.

À quoi ressemblerait un mouvement de gauche contre l’oppression et la pauvreté ? Ce serait un mouvement des opprimés, une mobilisation d’hommes et de femmes auparavant passifs, incapables de s’exprimer et effrayés, qui parviendraient à parler en leur nom propre et à défendre leurs droits en tant qu’êtres humains. Son but serait la libération de ces individus. Et sa force motrice : une vision, sans doute en partie façonnée par la culture locale, d’une nouvelle société dont les membres, indifféremment hommes et femmes, seraient plus libres et plus égaux, et envers lesquels le gouvernement se montrerait sensible et responsable.

Comment la gauche devrait-elle répondre à ces groupes islamistes ? Elle doit soutenir les efforts militaires, notamment ceux qui visent à mettre fin au massacre des infidèles et des hérétiques. Après cela, je veux bien envisager une politique qui se concentrerait sur l’endiguement de l’islamisme plutôt que sur une guerre (ou une succession de guerres) ayant pour fin de le détruire. C’est un feu qui devra s’éteindre de lui-même. Mais cette idée nous confronte à une profonde difficulté : de nombreuses personnes souffriront dans ce processus d’« extinction », et la gauche ignore cette souffrance, au risque de notre péril moral. Comment aider ceux que les forces islamistes prennent pour cibles ? C’est une question qu’il faudra sans cesse se poser. Mais nous devons commencer par la guerre idéologique.

Collaborer avec les musulmans

Il est d’abord nécessaire de distinguer le fanatisme islamique de l’islam lui-même. Nous devons insister en particulier sur la différence qui existe entre les écrits des fanatiques comme Hassan el-Banna (1906-1949), le fondateur des Frères musulmans, ou le théologien pakistanais Maulana Maududi (1903-1979), et l’œuvre des grands philosophes rationalistes de l’histoire musulmane ancienne et des réformateurs libéraux plus récents.

Nous devons aussi collaborer avec les musulmans, pratiquants et non pratiquants, qui combattent le fanatisme, et leur apporter le soutien qu’ils demandent. On rencontre beaucoup de musulmans antifanatiques et certains, comme l’essayiste d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, venus de la gauche, se tournent vers la droite, parce qu’ils trouvent peu d’amis à gauche. Les gens de gauche doivent réussir à comprendre comment défendre l’État séculier dans cet âge « postséculier » et comment défendre l’égalité et la démocratie contre les arguments religieux en faveur de la hiérarchie et de la théocratie.

Nous devons reconnaître le pouvoir des fanatiques et l’étendue de leur portée politique, les désigner clairement comme nos ennemis et nous engager contre eux dans une campagne intellectuelle : une campagne de défense de la liberté, de l’égalité et du pluralisme. Je ne suis pas en train de dire que la gauche devrait se rallier au célèbre « choc des civilisations ». Toutes les grandes civilisations religieuses sont capables, et sans doute également capables, de produire des fanatiques violents comme des saints pacifiques – et tout ce qui se situe entre les deux. Aussi ne faut-il pas penser ce combat contre les islamistes en termes civilisationnels, mais en termes idéologiques.

Il y a des dangers et la gauche a besoin de défenseurs. C’est pour cela que j’écris, moi un écrivain et non pas un combattant, et le plus utile que je puisse faire est de rejoindre ces guerres idéologiques. Je peux en appeler aux camarades de nombreuses nations, mais cela est encore loin d’être suffisant. Il existe une brigade internationale des intellectuels de gauche qui attend encore de prendre forme.”

Post Scriptum, 22 de maig del 2015.

La rèplica a l’article de Michel Walzer no s’ha fet esperar. El proppassat 18, apareixia a Le Monde aqueix article titulat:”Dérive identitaire de la gauche au nom de la laïcité” que reprodueixo tot seguit:

Béligh Nabli, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) ; William Leday, maître de conférences à Sciences Po Paris

Dans une récente tribune publiée dans Le MondeMichael Walzer fustige « cette gauche qui n’ose pas critiquer l’islam ». Le texte est stimulant et mérite réflexion. Pour autant, on reste dubitatif devant le postulat de son analyse : qui s’interdit de critiquer l’islam aujourd’hui, y compris à gauche ? N’est-ce pas plutôt le contraire auquel nous assistons depuis la fin de la Guerre froide, et plus encore depuis les attentats qui ont frappé New York le 11 septembre 2001 et Paris au début de cette année ?

L’obsession de l’islam et des musulmans n’est pas le fait de la seule extrême droite et autres « Républicains »… bleus Marine. Depuis les années 1990, une partie de la gauche s’applique dûment à cet exercice imposé de la vie politico- médiatique, émaillée par diverses polémiques politico-médiatiques. En soutenant une proposition de loi « visant à étendre l’obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité », les parlementaires radicaux de gauche s’inscrivent dans une tradition historique et entendent s’afficher à l’avant-garde de la défense d’un principe inhérent à leur ADN politique.

Plus suspecte est cette gauche qui promeut le terme d’« islamofascisme » pour mieux contester celui d’islamophobie. Cette gauche (Julien Dray en l’occurrence) dit « comprendre » l’indignation de Nadine Morano (exprimée l’été dernier) devant la présence de femmes voilées sur les plages françaises. Cette tendance n’est pas sans rappeler la genèse du mouvement néoconservateur aux Etats-Unis, qui – faut-il le mentionner – a été essentiellement porté par d’anciens trotskistes (tels Irving Kristol et Norman Podhoretz.

Parmi les personnalités médiatiques de cet « islam obsessionnel », Alain Finkelkraut et Caroline Fourest symbolisent – chacun à leur manière – le spectre d’une dérive identitaire qui plane sur la gauche. Le premier, ancien maoïste, s’est progressivement enfermé dans une « identité malheureuse » qui l’amène aujourd’hui à se présenter comme un admirateur de l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus, théoricien du « Grand Remplacement » du peuple français « de souche » – et de sa « civilisation » – par des populations musulmanes, même trois à quatre générations après leur arrivée, principalement venues du Maghreb et d’Afrique subsaharienne.

La seconde a été condamnée par la justice pour diffamation, sermonnée par le CSA, critiquée par des figures du monde universitaire, de l’antiracisme et de la cause gay, avant d’être prise en flagrant délit « d’éloge du mensonge » par la « télé spectacle », celle-là même qui – ironie du sort – l’avait consacrée. Cette icône de l’oligarchie audiovisuelle a incontestablement joué un rôle décisif dans la diffusion de cette atmosphère malsaine autour d’un islam fantasmé, perçu comme une menace ontologique pour la République laïque. Par leur discours performatif, ces intellectuels participent à leur façon à la transformation du principe de laïcité en un totem identitaire.

Quelque part, pour paraphraser Olivier Roy, ces néo- conservateurs « nouvelle manière » sacrifient une culture de la laïcité à une supposée identité française. Cette « maladie obsessionnelle » amène certains aujourd’hui à s’interroger sérieusement sur l’interdiction du port des jupes trop longues à l’école. Une conception agressive de la laïcité s’est propagée dans les consciences individuelles comme dans la conscience collective pour aboutir à cette histoire aux ressorts kafkaïens. Pour le New York Times daté du 1er mai, le masque est définitivement tombé : « il ne s’agit plus de protéger les croyances de chacun, mais d’imposer un style de vie défini comme laïc – et le plus souvent ce sont les nombreux musulmans du pays qui sont visés » ; « aucune religion ne menace sérieusement la laïcité en France aujourd’hui, et invoquer un principe aussi noble contre une jeune fille portant simplement une jupe ne fait que le dévoyer ».

Entendu de France, cet appel à la raison interpelle à peine. Après les attentats contre « Charlie Hebdo » et l’« Hyper cacher », l’islam est installé dans le statut symbolique de menace identitaire et sécuritaire. Selon une récente enquête Ipsos- Sopra-Steria sur « les fractures françaises », 72 % des personnes interrogées estiment que la religion musulmane « cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres », et surtout 74 % ont « le sentiment que la laïcité est en danger aujourd’hui en France ». Ils sont presque aussi nombreux à gauche (68 %) qu’à droite (79 % des sympathisants de l’UMP et du MoDem, 86 % de ceux du FN).

Confrontée à l’expression de la crise existentielle que traverse nombre de nos concitoyens, la gauche progressiste doit se montrer digne des valeurs universelles et humanistes qu’elle a vocation à incarner et se départir d’une conception étriquée de la République. La critique légitime de l’islam ne masque-t-elle pas plutôt une incapacité à lutter contre les racismes à la fois anti-Arabes et anti-noirs, et au-delà, une incapacité, devenue structurelle, à régler la question des inégalités ? N’est-ce pas ici l’un des messages et enjeux du « Grand rassemblement » du 11 janvier ?

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