Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

29 d'octubre de 2012
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Georges Brassens, en la memòria

Avui s’escau el trenta-unè aniversari de la mort de Georges Brassens (1921-1981), cantant occità d’expressió francesa.

 

Les seves cançons senzilles i profundes, elegants i combatives, escoltades sota el franquisme des d’una Catalunya dolorosament sotmesa, eren un revulsiu carregat d’esperances a les que he acudit sempre que hagut de fer front a les maltempsades. Avui, a les portes de la fase decisiva del conflicte amb l’ordre que ens ha estat imposat com a poble, la seva actitud personal d’home lliure i solidari amb les causes col·lectives més nobles és també un referent preuat.

D’entre les seves cançons n’hi ha dugues que m’agraden especialment “Le petit cheval”, un poema de Paul Fort, que interpreta magistralment amb Nana Mouskouri:

Le petit cheval dans le mauvais temps
Qu’il avait donc du courage
C’était un petit cheval blanc
Tous derrière et lui devant

Il n’y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage
Il n’y avait jamais de printemps
Ni derrière ni devant

Mais toujours il était content
Menant les gars du village
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière et lui devant

Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage
C’est alors qu’il était content
Tous derrière et lui devant

Mais un jour, dans le mauvais temps
Un jour qu’il était si sage
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière et lui devant

Il est mort sans voir le beau temps
Qu’il avait donc du courage
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière ni devant

I l’altra és “Mourir pour les idées”, un al·legat contra els dogmàtics que propugnen oferir les vides (dels altres) en nom d’un propòsit totalitari que segons ells exigeix aqueix sacrifici:

Mourir pour des idées, l’idée est excellente
Moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eue
Car tous ceux qui l’avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente,
D’accord, mais de mort lente

Jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure
Allons vers l’autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l’allure, il arrive qu’on meure
Pour des idées n’ayant plus cours le lendemain
Or, s’il est une chose amère, désolante

En rendant l’âme à Dieu c’est bien de constater
Qu’on a fait fausse route, qu’on s’est trompé d’idée
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente

Les saint jean bouche d’or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d’ailleurs, s’attardent ici-bas
Mourir pour des idées, c’est le cas de le dire
C’est leur raison de vivre, ils ne s’en privent pas
Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J’en conclus qu’ils doivent se dire, en aparté
“Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente

D’accord, mais de mort lente”

Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c’est bien beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente

Encor s’il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu’enfin tout changeât, qu’enfin tout s’arrangeât
Depuis tant de “grands soirs” que tant de têtes tombent

Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l’âge d’or sans cesse est remis aux calendes
Les dieux ont toujours soif, n’en ont jamais assez
Et c’est la mort, la mort toujours recommencée
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente

O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n’a pas besoin qu’on lui tienne la faux

Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente

Post Scriptum, 13 de novembre del 2021.

Ahir, a Le Figaro: “Dans un essai enlevé, le journaliste Théophane Leroux dresse un portrait de Georges Brassens, bon copain, chanteur gaillard et anarchiste rétif au culte du progrès.

FIGAROVOX. – Vous avez écrit ce livre pendant la crise sanitaire. Brassens aurait-il supporté cet isolement que nous avons connu lors des confinements à répétition ?

Théophane LEROUX. – Ce n’est pas forcément facile d’imaginer Brassens confiné. Le personnage est complexe, parfois contradictoire et sa réaction aurait sans doute été à son image : ambivalente. D’un côté, Brassens aimait bien avoir sa tranquillité et voir son pré carré respecté : c’est pour cela qu’il n’a jamais cohabité avec la femme de sa vie, pour ne pas avoir à partager – ou plutôt à subir –les mille petits tracas du quotidien. On peut imaginer qu’il aurait pu se réjouir, à première vue, de pouvoir profiter de la tranquillité forcée, du silence imposé et du temps donné par le confinement.

Mais Brassens, c’est peut-être d’abord le copain par excellence, celui qui laissait porte ouverte à ses différents cercles d’amis. Il est difficile, dans ce cas, d’imaginer qu’il aurait apprécié cette séparation forcée. À quoi bon, sinon, chanter Les copains d’abord ou Au bois de mon cœur ?

J’ai été très frappé en écrivant mon livre du décalage croissant entre ce que je vivais dans mon appartement et ce que Brassens décrivait dans ses chansons : qu’il chante un enterrement, une femme volage ou un arbre, il y a toujours du monde, du brassage, du mouvement, des humains. Brassens est un chanteur incarné, un homme de chair et de sang : je ne suis pas sûr qu’une société du sans contact, des distances sanitaires, des masques et des visières, des enterrements à la va-vite et sous plastique lui aurait convenu. Comme elle ne convient à personne, d’ailleurs.

Si dans l’imaginaire collectif le chanteur fredonne surtout des chansons à boire, diriez-vous que celui-ci est un poète ?

On imagine volontiers Brassens comme auteur de chansons légères ou gaillardes, mais aussi engagées – et toujours dans l’air du temps, n’est-ce pas ? Il n’aimait pas vraiment se définir comme poète, mais il est évident qu’il en est un, peut-être l’un des meilleurs de la seconde moitié du XXe siècle.

L’homme à la moustache, avant de connaître le succès, a lu et relu les grands classiques de la poésie française, de Villon à Hugo en passant par Apollinaire ou Aragon. Il a mis beaucoup de poésies en chanson, et contribué à en sortir quelques-uns de l’oubli, comme Richepin dont il chante Les oiseaux de passage ou Antoine Pol, qu’il a sublimé en chantant Les passantes.

Au-delà de ces filiations, le texte de Brassens est fouillé, truffé de références plus ou moins implicites à la littérature classique. Même dans ses chansons les plus gaillardes : «Je suis hanté : le rut, le rut, le rut, le rut !» dans Le Bulletin de santé est une parodie évidente de Mallarmée : «Je suis hanté ! L’Azur ! L’Azur ! L’Azur ! L’Azur !» Mais Brassens n’est pas qu’un aimable imitateur : ses textes sont somptueux, polis par les années de travail – Supplique pour être enterré sur la plage de Sète lui a pris sept ans d’écriture – et certains traverseront sans doute les siècles, comme ceux de Villon, son modèle. Et Brassens n’est pas non plus qu’un grand auteur de texte : c’est aussi un excellent musicien, dont les musiques sont travaillées d’arrache-pied pour paraître simples.

Peut-on définir cet homme à la pipe et à la moustache comme un anti-moderne ?

Tout dépend de ce que vous entendez par anti-moderne : s’il s’agit d’une personne rétive à toute forme d’innovation, une sorte d’ours réactionnaire, ce n’est pas le cas. Brassens adulait les nouvelles technologies de son époque, il collectionnait les enregistreurs et les caméras – et les armes aussi – dont il était fasciné.

Cela dit, l’ensemble de ses textes et de ses déclarations tendent à prouver chez lui un vrai amour pour le passé, qui se teinte parfois d’une certaine nostalgie. On pourrait faire une longue liste des chansons de Brassens qui font l’éloge d’un passé plus ou moins fantasmé : du Moyenâgeux, dans laquelle il déclare ne regretter qu’une seule chose : de n’être pas né au Moyen-Âge aux Châteaux de sable où il chante la nostalgie de son enfance, il y a toute une palette de l’histoire de France qui se révèle sous nos yeux.

Mais Brassens se fait aussi le féroce contempteur des aberrations de son temps : il regrette que sa ville natale, Cette, ait été rebaptisée Sète pour ne pas être confondu avec le pronom. Il brocarde le progrès forcené et la bétonisation qu’il constate tous les jours : «Dieu merci ! Le béton, les Romains l’ignoraient. / Leurs ruines sont si belles qu’on en mangerait ! / Taudis à retardement. Le béton est un con !» écrivait-il dans son carnet. Il regrette le désenchantement du monde dans Le grand pan, il s’indigne avec Bruant de la gentrification de Paris en reprenant La place Maubert… Décroissant avant Greta, il crée un éphémère Parti préhistorique et conchie le progrès dans une chanson, Le Progrès, où il s’offusque de la perte du charme et de la poésie des petites choses du quotidien… En cela, Brassens est bien anti-moderne.

Quel était son rapport à la politique ?

Brassens est passé d’un anarchisme militant à une position plus tempérée, et plus individualiste. Le Brassens qui meurt à soixante ans n’est plus capable de crier «mort aux vaches !» ou «à bas la calotte !» : il a rencontré des personnes l’ayant fait réfléchir à ses idées. Il n’en demeure pas moins fidèle à un idéal anarchiste que l’on peut résumer avec les paroles de Don Juan : «Gloire à qui n’ayant pas d’idéal sacro-saint / se borne à ne pas trop emmerder ses voisins».

Le chanteur disait souvent qu’il n’avait pas de «solution collective» à proposer aux autres, et qu’il se contentait donc – plutôt avec succès, au vu des nombreux témoignages – à être aussi sympathique que possible avec son prochain. Il détestait les groupes, la masse, les foules, les endoctrineurs et les endoctrinés. Brassens est conscient que chaque idéologie peut contenir en germe une dictature, et que, bien souvent, le combat politique ne se fait que pour prendre le pouvoir des mains de l’autre. Nombre de ses chansons brocardent les manifestations bruyantes et les émeutes. Brassens a détesté la période de Mai 68, au grand dam de beaucoup de ses admirateurs, qui n’applaudissaient sa liberté que lorsqu’elle flattait leurs idées. Lorsqu’on lui demandait ce qu’il avait fait durant ce fameux mois de mai, il répondait : «des calculs rénaux».

Je me permets de reprendre le titre d’un de vos chapitres… «Et Dieu dans tout ça» ?

Juger de la relation entre un homme et Dieu est toujours une chose délicate, je n’ai en tout cas pas eu accès aux archives que Saint-Pierre doit tenir dans le firmament, et n’étant pas pape, il m’est impossible d’inscrire Georges Brassens au canon de l’Église catholique.

On a toujours en tête l’image d’un Georges Brassens anticlérical et athée militant. On l’aura compris, la réalité est bien plus complexe que la caricature que les brassensistes «canal historique» veulent bien colporter. L’étude des textes, des carnets et des déclarations de Brassens montre qu’il n’était pas du tout catégorique sur la question de l’existence de Dieu. Ses chansons sont truffées de références bibliques, de références à Dieu – le fameux «Père éternel» de la Chanson pour l’auvergnat – et il a déclaré sans aucun complexe que son poème préféré était la Bible et son poète préféré, le Christ.

Il a passé son temps à souffler le chaud et le froid à ce sujet. Un jour, il disait «Dieu, s’il existait, comme je l’aimerais !», et un autre, il écrivait dans son carnet : «je crois en Dieu, mais comme je suis un menteur, je dis le contraire». Tout en se moquant des bigots et des hypocrites, il confessait croire en une «présence», inculquée par sa mère, une bigote d’origine italienne.

S’il n’avait pas réussi à trancher cette question, il estimait tout de même – et sans doute à raison – vivre de manière suffisamment honnête et bienveillante pour être considéré comme chrétien. Il a déclaré un jour : «Je suis un chrétien dans ce qui est essentiel parce que j’aime vraiment les gens. Je me dis que, si Dieu existe, il n’accueillera pas trop mal Brassens». Nous avons toutes les raisons de penser comme lui.

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