La Revue Politique et Parlementaire publicà ahir aqueix article de Pierre-André Taguieff (philosophe, politiste et historien des idées, et auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages. Directeur de recherche honoraire au CNRS. Dernier livres parus : Le Nouvel Opium des progressistes. Antisionisme radical et islamo-palestinisme, Paris, Gallimard, coll. « Tracts », 2023) on explora l’emergència del racisme anti-francès, il·lustrat per una controvèrsia recent al voltant de les declarCIONs de la PERIODISTA Nassira El Moaddem,
Dans le racisme ordinaire, en France, un nouveau venu s’est invité : le racisme anti-Français – dit parfois « francophobie » ou « gallophobie » –, dans lequel « le Français » est imaginé comme « blanc » ou « de souche », non musulman (donc chrétien, juif, athée, etc.) et défenseur du principe de laïcité, qui est supposé intrinsèquement «islamophobe». On en trouve une expression singulièrement frappante, voire provocatrice, dans la réaction de la journaliste Nassira El Moaddem à un article de RMC Sport évoquant une interdiction par la Fédération française de football (FFF) du port de casques et de collants dans le foot amateur, afin de limiter les entorses à la laïcité 1. Le 30 avril 2024, la journaliste d’Arrêt sur images (depuis septembre 2020) a réagi à cette interdiction en postant ce stupéfiant message sur X, résumant sa vision de la France : « Pays de racistes dégénérés. Il n’y a pas d’autres mots. La honte2 ». Il y a là une preuve que le « racisme anti-Français », longtemps rejeté comme un fantasme par les antiracistes de gauche, existe bien dans certaines têtes. La nouveauté est qu’il est explicite et s’exprime sans filtre ni retenue sur les réseaux sociaux. L’insulte du type « sale(s) Français », souvent accompagnée de « sale(s) Blanc(s) »3, a pris la forme « sale(s) raciste(s) » : l’accusation de « racisme », visant les Français ou une autre population nationale, devient ainsi un instrument privilégié du racisme. Stigmatisés globalement en tant que « racistes dégénérés », les Français sont à la fois essentialisés et « racisés ». Le racisme parle désormais la langue de l’antiracisme. Une langue mise à toutes les sauces, politiques, religieuses et publicitaires. Voilà qui complique singulièrement la question antiraciste. Que faire en effet pour lutter contre ce racisme de facture antiraciste ?
Depuis les années 1980, la cible de l’accusation de « racisme » n’a cessé de s’élargir par généralisation abusive, passant d’un groupe restreint (les néo-nazis, les suprémacistes blancs) à une population nationale (« les Français »), voire à une « race » (« les Blancs ») ou aux représentants d’une civilisation (« les Occidentaux »). Le néo-antiracisme consiste à faire de tout adversaire, individuel ou collectif, un sujet « raciste », en présupposant que le racisme est toujours un racisme « blanc », parce qu’il est le fait des « Blancs » et d’eux seuls. Telle est la dimension racialiste du néo-antiracisme, qui est devenu un antiracisme anti-Blancs4, indiscernable du racisme anti-Blancs, fondé sur l’essentialisation des « Blancs » comme porteurs exclusifs du racisme. En quoi le néo-antiracisme se réduit à un pseudo-antiracisme. Les «racistes» stigmatisés, objets de haine et de mépris, restent les « autres », ceux qu’on rejette parce qu’ils ne nous ressemblent pas. Cette journaliste d’origine marocaine, bien que de nationalité française, ne s’inclut évidemment pas dans la catégorie des « racistes dégénérés » censés composer pour elle la population française dans son ensemble. On connaît cette vision du monde « antiraciste », ainsi résumable : « Tous racistes, sauf moi (ou nous) ». À cet égard, à prendre ses propos à la lettre, cette journaliste ne se sent pas vraiment française. Car elle ne se perçoit ni comme «raciste» ni comme « dégénérée ». Disons qu’elle est le produit d’une insertion contingente, non d’une intégration volontaire, encore moins d’une assimilation heureuse. Comment en effet se sentir bien dans un «pays de racistes dégénérés»? La question se pose logiquement : pourquoi donc Nassira demeure-t-elle dans cette France laïque qu’elle exècre et qui la dégoûte ? Il y a tant de pays où l’on peut vivre sans devoir respecter ces lois laïques qui traduisent et légitiment, selon leurs ennemis, un système de discriminations ethno-raciales et religieuses dans cette « république autoritaire » que serait la République française5, emportée par son « intégrisme républicain » et son « laïcisme intégriste »6, expressions masquées de son « islamophobie structurelle » ou « systémique ». Il est à noter que ceux qui, au nom d’une « diversité » qu’ils sacralisent, dénoncent l’« intégrisme républicain », la « laïcité répressive » et le « laïcisme intégriste » des « ultralaïques7» sont, avec plus ou moins de radicalité, des islamophiles militants, qui ne cessent de s’inquiéter bruyamment de la « montée de l’islamophobie » et d’appeler à lutter contre le « racisme antimusulmans ». Ils défendent donc, pour ne pas paraître rejeter la « République laïque » qu’est la France, une laïcité dite « plurielle » et « ouverte », c’est-à-dire accommodante à l’égard du rigorisme ou du fondamentalisme musulman.
En France, le néo-antiracisme racialiste, qui prêche la « diversité » et l’« inclusion » à la mode « woke », est anti-laïcité. Ses adeptes ne peuvent que se reconnaître dans le message de la campagne lancée le 2 novembre 2021 par le Conseil de l’Europe, qui faisait la promotion du hijab : « Beauty is in diversity as freedom is in hijab »8. Autant dire que la liberté de la femme est dans sa soumission. C’est ainsi que, stigmatisée par des sectaires de mauvaise foi ralliés à ce qu’il faut bien appeler la stratégie islamo-wokiste des Frères musulmans9, la laïcité, instrument d’émancipation, a pris pour certains le visage de l’intolérance.
Les propos clairement racistes de Nassira ont inévitablement suscité des commentaires scandalisés et parfois virulents. Mais ces réactions, relevant pourtant en principe de sentiments antiracistes chaudement recommandés par ailleurs, ont été aussitôt dénoncées par les milieux de la gauche wokiste comme témoignant d’un «harcèlement raciste» de la journaliste par «l’extrême droite», désignation polémique jamais définie et ne servant qu’à diaboliser ceux auxquels on l’applique. C’est ainsi que, le 2 mai 2024, le site d’informations Arrêt sur images a pris sans vergogne la défense de sa journaliste dans un communiqué où elle est présentée comme une victime : « Depuis plus de vingt-quatre heures, notre journaliste Nassira El Moaddem est la cible d’une campagne de harcèlement raciste violente de la partde l’extrême droite, relayée par les médias Bolloré10. » Quant à son message raciste sur X, les belles âmes engagées du site se contentent de noter, mêlant le cynisme à la complaisance : « Pour qui suit le travail de Nassira et la passion qu’elle y met, pas de quoi lever un sourcil11. » Et d’ajouter, pour finir de noyer le poisson : « Ce qu’a écrit Nassira, des milliers de gens le pensent et l’écrivent chaque jour12. » Il y a donc à leurs yeux un racisme acceptable ou négligeable (celui de la passionnée Nassira) et un racisme intolérable (celui de ceux, inévitablement « d’extrême droite », qui s’indignent du racisme de Nassira). Va dans le même sens la réaction complaisante de la société des journalistes de BFM-TV : « On peut considérer les propos de Nassira El Moaddem comme excessifs ou inappropriés, mais les attaques en règle dont elle est l’objet sont intolérables. La SDJ de BFMTV lui apporte son soutien13. »
La stratégie rhétorique des défenseurs de Nassira est claire : elle consiste, en évitant de se prononcer clairement sur les propos (indéfendables) de la journaliste, à déplacer le problème, en ciblant « l’extrême droite » (ou la « fachosphère »), le Rassemblement national ou la « presse Bolloré », accusés d’orchestrer le « harcèlement raciste » dont la journaliste serait la victime innocente. Dans la presse bien-pensante de gauche, l’approche complaisante ou bienveillante de l’affaire Nassira est régulièrement assortie d’un déplacement du problème, d’une substitution de cible et d’une inversion du statut victimaire. Le tweet haineux et francophobe de la journaliste qui aurait ainsi simplement « réagi vertement14», est, par exemple, réduit à « une réaction impulsive et maladroite de Française de culture musulmane, exaspérée par le racisme antimusulmans ambiant15», l’impulsive haineuse étant devenue, on se demande pourquoi, la cible de « messages haineux » et de « propos racistes », faisant d’elle une victime du racisme dominant, à savoir « l’islamophobie ». Il y a là une inversion victimaire exemplaire.
Si la journaliste francophobe (ou gallophobe) d’Arrêt sur images, à la suite de ses propos en forme d’aveux exprimant sa haine de la France et des Français, a été victime de cyberharcèlement, ce qu’on peut déplorer, il en va de même pour le journaliste Radouan Kourak, lui aussi d’origine maghrébine, qui, le 2 mai 2024, avait fermement condamné « les propos offensants et anti-France de Nassira El Moaddem », et précisé ainsi sa position : « Nous avons les mêmes origines et nous faisons le même métier, nous sommes tous les deux Français, mais vous semblez cracher dans la soupe et renier ce pays qui nous a pourtant tout donné. Nous lui devons tout. La France est le pays le moins raciste du monde16. » Ces déclarations marquées par sa « passion pour la France » lui ont valu des milliers d’insultes, notamment racistes et homophobes (du type : « Arabe de service », « Collabeur », « Tarlouze ») et des menaces de mort, comme l’a fait savoir son avocat17. Aimer la France, et oser l’avouer sur les réseaux sociaux, c’est s’exposer aujourd’hui à des campagnes de diffamation d’une extrême violence. Interviewé sur CNews le 3 mai 2024, Radouan Kourak a réaffirmé sa conviction que la France n’était « pas un pays raciste », et ajouté non sans lucidité : « Ce sont les militants de l’antiracisme qui sont les vrais racistes. » Voilà qui a aggravé son cas.
La différence de traitement médiatique entre Nassira et Radouan est frappante, bien que prévisible : alors que la première, présentée comme une victime d’une campagne « raciste », a reçu le soutien de la quasi-totalité de la classe médiatique, le second, pour avoir déclaré qu’il aimait la France et qu’il se sentait « passionnément français », a été dénoncé comme un « traître » à sa « communauté », voire comme un « raciste ». Le 7 mai 2024, sur CNews, Radouan n’a pas manqué d’ironiser : « Si j’avais dit que la France était un pays raciste, j’aurais eu mon portrait dans Libération. »
L’expression d’un racisme flagrant, et non indirect, « subtil » ou « symbolique », relèverait donc,selon les néo-antiracistes frappés d’hémiplégie morale, de la catégorie des propos simplement « excessifs ou inappropriés », dès lors que leur auteur serait reconnu comme une victime potentielle du racisme. C’est le cas de Nassira, d’origine marocaine et musulmane (comme on peut l’inférer de sa réaction violente au simple rappel des règles de la laïcité par la Fédération française de football), donc victime supposée de « l’islamophobie » qui régnerait en France – alors même qu’une immigration de culture musulmane continue d’y affluer18–, fable forgée par les Frères musulmans19, reprise par des universitaires islamo-gauchistes20 et diffusée par des médias de gauche 21. L’origine maghrébine de Nassira est censée lui permettre de dire publiquement, et impunément, tout le mal qu’elle pense de la France et des Français. Le postulat néo-antiraciste est en effet qu’une personne issue d’une immigration d’origine non européenne, surtout elle est de culture musulmane, ne peut pas être raciste, ou ne peut pas l’être véritablement, malgré les apparences.
Un paradoxe plus comique que tragique doit être relevé : les producteurs de « messages de haine » s’indignent impudemment des « messages de haine » qui les visent en retour. Ce faisant, ils présupposent l’existence d’une « bonne » haine, la leur, opposée à la « mauvaise » haine, celle des autres. Dans les médias de gauche, on s’indigne du fait que la journaliste Nassira El Moaddem soit « harcelée par l’extrême droite22», mais on reste silencieux sur la campagne de cyberharcèlement dont le journaliste Radouan Kourak est la victime, une campagne orchestrée par des groupes illustrant le «bon» extrémisme, celui des islamistes et des islamo- gauchistes, se reconnaissant dans la haine anti-française de Nassira. Cette dernière a dénoncé sur X, le 3 mai 2024, « la sphère d’extrême droite » dont l’« objectif » serait de « harceler une Arabe et s’en prendre au service public de l’information23 ». Être harcelé par le diable (« l’extrême droite »), comme Nassira, c’est là un titre de gloire qui lave de tous les péchés, alors qu’être harcelé par le parti multiculturel des anges vengeurs et purificateurs (les « antifas » en tout genre), comme Radouan, ce n’est là que justice. Les belles âmes engagées à gauche ont sans tarder apporté leur soutien à la « bonne » victime de l’ »Arabe » auto-proclamée Nassira : des élus comme Sandrine Rousseau, Olivier Faure, François Ruffin, Karima Delli ou Laurence Rossignol, aux journalistes situés du même bon côté – Le Canard enchaîné, les sociétés des journalistes de Télérama, de Médiapart.fr, de Radio France, de franceinfo.fr ou encore la société des rédacteurs du Monde.
Les opérations d’intimidation prennent souvent l’allure d’actions de persécution des prétendus « islamophobes ». Le proviseur du lycée Maurice-Ravel, situé dans le 20e arrondissement de Paris, a été accusé à tort d’avoir, le 28 février 2024, molesté une élève musulmane, majeure et scolarisée en BTS, à laquelle il avait demandé d’enlever son voile dans l’établissement scolaire conformément à la loi. La rumeur a couru qu’il aurait giflé l’élève refusant d’ôter son voile islamique. Sur la base de cette rumeur mensongère, il a aussitôt fait l’objet d’insultes et de menaces de mort sur les réseaux sociaux. Un musulman s’est déchaîné contre cet « islamophobe » supposé en postant ce message : « Il faut brûler vif ce chien. » Cette menace de mort a valu à son auteur de comparaître le 23 avril 2024 devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Mais ledit proviseur, ne croyant pas que sa protection puisse être assurée, est parti en retraite anticipée.
La diffusion massive d’accusations mensongères et les campagnes de cyberharcèlement constituent des machines à intimider particulièrement efficaces, qui poussent à la mort sociale, volontaire ou non, leurs victimes. Pour certains « croyants » engagés dans un jihad culturel, tout individu identifié comme « islamophobe » est donc un « chien » à « brûler vif ». Rappelons que, pour les musulmans, le chien est un animal impur. On rencontrait cet emploi polémique de la métaphore canine, ritualisé dans les textes musulmans visant les « mécréants » ou les « infidèles », dans certaines déclarations des Indigènes de la République, mouvement puis parti islamo-gauchiste et identitaire longtemps incarné par son égérie médiatique, Houria Bouteldja. En juin 2007, cette dernière s’était publiquement référée aux « Français de souche », avec un mépris doublé de dégoût, en les traitant, par un jeu de mots fondé sur l’homophonie, de « souchiens » et/ou de « sous-chiens »24. Cette animalisation des Français « souchiens », dits encore « les Blancs » par Bouteldja, est le geste polémique qui a conduit les islamo-gauchites indigénistes à avancer sous le drapeau du slogan « Nique la France ! »25. Mais comment peut-on désirer sérieusement « niquer » une nation composée de « sous- chiens » et/ou de « racistes dégénérés » ? De nombreuses abstentions et désertions sont à prévoir dans les rangs des francophobes.
Pour ceux qui adhèrent à la thèse de la « domination blanche », le racisme est toujours et nécessairement le fait des « Blancs » (dits être de culture chrétienne ou appartenir à la civilisation occidentale colonialiste, raciste et impérialiste), même s’ils professent en même temps que la « race blanche » n’existe pas et que la « blanchité » n’est qu’une construction sociale. Le dogme central du néo-antiracisme a été formulé par l’intellectuel islamo-gauchiste Pierre Tévanian en 2013 : « Les Blancs sont en effet malades d’une maladie qui s’appelle le racisme et qui les affecte tous, sur des modes différents, même lorsqu’ils ne sont pas des racistes26. » Tel est l’axiome, caricaturalement essentialiste et candidement raciste, que partagent les théoriciens néo-antiracistes : « Les Blancs » sont intrinsèquement racistes. Il s’ensuit que les Français « souchiens », qui sont identifiés comme des « Blancs », ne peuvent pas ne pas être racistes.
La rhétorique victimaire du néo-antiracisme, fondé sur les dogmes du « privilège blanc», du «racisme systémique» et de l’«islamophobie» érigée en forme dominante du racisme27, permet ainsi de laver une raciste avérée de l’accusation de racisme. Ce type de sophisme est courant dans le discours de facture néo- antiraciste, principal vecteur idéologique du nouveau racisme accompagnant l’offensive anti-occidentale, dont la cible est constituée par la population « blanche », d’origine européenne, des pays démocratiques occidentaux. Le racisme anti-Français apparaît dès lors comme une sous-catégorie du racisme anti-Blancs ou anti-Occidentaux en cours de normalisation dans certains milieux intellectuels, culturels et médiatiques issus d’immigrations d’origines non européennes et de culture musulmane, avec le soutien actif des mouvances décoloniales, wokistes et islamo-gauchistes installées dans les établissements universitaires.
Dans ces mouvances idéologico-politiques, la francophobie est indissociable de l’hespérophobie, qui affecte nombre de Français dits « de souche » ou d’Occidentaux d’origine européenne (ou « Blancs »). Dans les deux cas, la haine de soi fonctionne comme un puissant moteur passionnel. Par ses excès, cette offensive idéologique, qui exploite démagogiquement les passions négatives chauffées à blanc par la guerre israélo-palestinienne perçue comme une figure du grand affrontement entre « dominants » (ou « racisants ») et « dominés » (ou « racisés »), est voué à se heurter à de fortes résistances, intellectuelles et politiques. À cet égard, la prise de conscience, aujourd’hui observable, des dévoiements et des instrumentalisations de l’antiracisme nous permet de rester optimistes. Le jour viendra où dire de la France qu’elle est un « pays de racistes dégénérés » sera perçu comme un jugement aussi grotesque que ridicule, exprimant la bêtise, l’ignorance et le ressentiment de ceux qui le profèrent.
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