Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

25 de març de 2024
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Galia Ackerman: “Réflexions sur l’attentat de Krasnogorsk”

Galia Ackerman (Moscou, 1948) és una historiadora, escriptora, periodista i assagista nacionalitzada francesa d’origen jueu especialitzada en l’estudi del règim soviètic i una de les impulsores del portal Desk Russie on ahir va publicar aqueixa reflexió sobre la massacre gihadista d’abans d’ahir a Moscou:

L’ampleur et l’atrocité de l’attentat de Krasnogorsk ont secoué le monde, en faisant ressurgir des images sanglantes d’autres tueries de masse à travers le monde. Cependant, quarante-huit heures plus tard, on reste interloqué. Sans remettre en question la revendication de cet acte terroriste par la branche afghane de Daesh, on ne peut s’empêcher de réfléchir aux failles de sécurité colossales et incompréhensibles qui ont rendu ce massacre possible.

Crocus City Hall, salle de concert de 6 200 places, fait partie d’un complexe plus vaste, Crocus City Expo. Le soir fatidique, ce complexe, adjacent à des bâtiments de l’administration régionale, n’était pas gardé, à l’exception de quelques vigiles non armés. Les détecteurs de métaux étaient en panne. La place devant un immense bâtiment était vide. Les quatre hommes armés ont pénétré le complexe par une entrée latérale, ont fait irruption dans la salle déjà remplie à quelques minutes du début d’un concert rock, ont tiré pendant une bonne vingtaine de minutes sur la foule, ont incendié la salle en arrosant les fauteuils d’un liquide combustible, puis sont repartis en reprenant leur voiture laissée sur un passage piéton à 200 mètres du bâtiment. Les forces spéciales sont arrivées près d’une heure après le début de l’offensive terroriste, bien que leur base se trouve juste de l’autre côté du périphérique qui passe tout près du complexe. Ces terroristes ont finalement été attrapés dans la région de Briansk, nous dit-on au Kremlin, soit à quelque 400 km de Moscou. Ils se dirigeaient vers l’Ukraine, nous raconte Vladimir Poutine, où « une fenêtre de passage vers l’Ukraine » aurait été aménagée pour eux, alors que la région de Briansk est frontalière aussi bien de l’Ukraine que du Bélarus et que c’est vers le Bélarus que la voiture se dirigeait. Sans que les routes ne soient contrôlées, pendant de longues heures ? Sans que le fameux système d’interception, Perekhvat, ne soit mis en marche ? Et puis, c’est la ligne de front. Une fenêtre pour les terroristes aurait-elle été aménagée du côté russe ?

On aurait pu croire à l’innocence des autorités russes, impréparées à ce point à une attaque bestiale, si la Russie était un pays de Cocagne. Mais la Russie subit des attentats terroristes depuis ses guerres de Tchétchénie. En outre, il y a deux semaines, le Kremlin a été averti par les services américains et ceux de six pays européens d’un attentat imminent. Cet avertissement a été rejeté par Poutine comme une « provocation occidentale ». Mais même s’il n’y avait eu aucun avertissement, la Russie est connue pour des encadrements très impressionnants de tout événement public, y compris des concerts de grande affluence, sans parler des meetings de l’opposition. Le périmètre est toujours sécurisé par des barrages gardés par des forces policières lourdement armées, et le passage par des détecteurs de métaux est obligatoire.

Cela nous amène à penser à la complicité des services russes dans cet attentat. Rappelons que le FSB a été fortement soupçonné d’avoir organisé les explosions d’immeubles à Moscou et dans deux autres villes en 1999 (près de 300 morts), qui ont servi de prétexte pour envahir la Tchétchénie rebelle. Rappelons aussi qu’un agent du FSB, Khanpach Terkibaev, a été infiltré au sein des terroristes qui ont fait une prise d’otages dans la salle de concert à Doubrovka, Moscou, en 2002, et qu’il a quitté le bâtiment avant l’assaut brutal des forces russes (130 morts dont 124 décédés à cause d’un gaz asphyxiant utilisé par ces forces). Ce ne sont pas les uniques exemples. Il semble donc plausible que les services russes aient été au courant de l’attentat en préparation et qu’ils aient laissé faire. Peut-être n’avaient-ils pas prévu l’ampleur du désastre à venir…

Quelle serait alors la finalité d’une telle opération ? On pense en premier lieu à une intensification de la guerre contre l’Ukraine. En effet, Sergueï Choïgou, ministre de la Défense, a déclaré juste l’avant-veille de l’attentat qu’il procéderait à la création de deux nouvelles armées et de quatorze divisions avant la fin de l’année. En effet, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a parlé pour la première fois d’une « guerre » et non d’une opération militaire spéciale. Et surtout, l’ordre a été donné aux médias russes par l’administration présidentielle de faire porter la responsabilité de l’attentat à l’Ukraine, sans pratiquement mentionner Daesh. Cependant, cette intensification avait déjà été programmée. Le pays est déjà mobilisé, son économie est déjà mise sur les rails de la guerre, la propagande bat déjà son plein.

En revanche, cette opération pourrait déclencher un durcissement encore plus grand du régime à l’intérieur du pays. Dans une lettre adressée par le président de la Douma à Poutine, en novembre 2023, et dont ont pu s’emparer des hackers ukrainiens, Viatcheslav Volodine propose un programme à réaliser grâce à l’adoption de plusieurs lois liberticides après la réélection programmée du président sortant. Sur le plan intérieur, il s’agit d’une « dé-occidentalisation » qui se traduirait par la nationalisation accrue de tous les secteurs de l’industrie d’extraction et de l’industrie lourde ; la « souverainisation » de la science et de la culture en mettant celles-là sous la tutelle de l’État ; le renforcement de la censure y compris à la télévision et sur Internet ; la « solution » du problème posé par des mouvements d’opposition et la cléricalisation modérée de la société. Sur cette lettre tapuscrite, Poutine a apposé sa signature avec la mention « Suis d’accord ».

Ce n’est donc pas un hasard que des voix officielles s’élèvent pour abolir le moratoire existant sur la peine de mort, y compris celle de l’ex-président Dmitri Medvedev appelant à pratiquer « peines de mort pour tous les terroristes et répressions contre leurs familles ». Et quand on sait que des dizaines d’opposants et d’intellectuels se trouvent sous le coup d’une accusation de « terrorisme » ou de « justification de terrorisme », comme la metteuse en scène Génia Berkovitch et la dramaturge Svetlana Petriïtchouk, la phrase de Volodine sur la « solution » du problème de l’opposition prend tout son sinistre sens : pour certains, il pourrait s’agir d’une « solution finale ».

Il y a encore un aspect dont personne n’a jusque-là discuté. La gravité de l’attentat terroriste range inévitablement Vladimir Poutine et la Russie qu’il dirige d’une main de fer du côté des victimes. Dans plusieurs médias, on a déjà parlé du Bataclan russe, on a déjà évoqué la nécessité de renforcer le front commun contre la menace terroriste. Seulement, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un régime terroriste qui lui-même inflige des dégâts gravissimes à l’Ukraine martyrisée, tue ses civils et vole ses enfants, et qui terrorise sa propre population. Il ne faut pas oublier non plus que la Russie de Poutine, de même que l’URSS, entretient des relations de confiance avec plusieurs organisations terroristes. Ainsi, elle reconnaît Daesh comme une structure terroriste, mais ne reconnaît pas comme telles le Hamas et le Hezbollah. Qui plus est, après la révolution syrienne de 2011, les forces de sécurité russes ont laissé partir pour la Syrie des milliers de Tchétchènes et autres musulmans radicalisés dont leurs agents infiltrés, afin de rejoindre les rangs de Daesh. Une force à laquelle l’armée russe s’est attaquée ultérieurement (d’où un motif de vengeance pour Daesh), mais qui n’était absolument pas sa cible première.

Les pays occidentaux doivent comprendre que la compassion pour les victimes ne doit pas signifier la complaisance envers le régime poutinien.

Post Scriptum, 26 de març del 2024.

Abans d’ahir a Desk Russie  Alexandre Morozov explica “Quel sens donner à la réélection de Vladimir Poutine”.

Aujourd’hui à Prague, Alexandre Morozov est l’un des meilleurs analystes russes. Dans une série de posts publiés à chaud, que nous reproduisons ici munis de titres, il commente ce « plébiscite » dont l’issue a été programmée par le Kremlin et nous propose une vision sombre du prochain mandat poutinien. Désormais, diverses méthodes de calculs montrent que les élections présidentielles ont été falsifiées et qu’au moins 22 millions de voix, inexistantes ou données à d’autres candidats, ont été attribuées à Poutine. Cette falsification témoigne, hélas, de la force du régime de Poutine, ivre de sa puissance de nuisance et de son contrôle sur la société. 

Un phénomène important ?

De mon point de vue, ces « élections présidentielles » ne sont importantes qu’à un seul égard : l’ensemble du système — tant les tchékistes que les fonctionnaires — accepte désormais d’interpréter tout geste de protestation comme relevant du « terrorisme » et de la « haute trahison ». Tout cela est justifié par les besoins de mener « la guerre jusqu’à sa fin victorieuse » et pour s’opposer à « une ingérence étrangère ». La VTchK-OGPU [ancêtres du KGB et du FSB, NDLR] a publié aujourd’hui des éléments de langage pour les médias (sur la manière de couvrir les résultats du 17 mars 2024), apparemment rédigés par l’un des think tanks autorisés du Kremlin. Le mot « non-systémique » y est utilisé. Ainsi, tous ces « non-systémiques » tomberont pour « haute trahison » dans les deux prochaines années.

Comment interpréter l’action de l’opposition : venir aux bureaux de vote à midi, le 17 mars, pour montrer que les opposants sont nombreux ?

Les deux parties sont satisfaites de ce qui s’est passé. L’action de protestation a eu l’effet psychothérapeutique pour les opposants à Poutine que les organisateurs espéraient. 249 000 personnes ont voté à l’étranger, avec des files d’attente d’un kilomètre devant tous les consulats. Le Kremlin est également satisfait : ces files d’attente ont été décrites par l’agence TASS et le ministère des Affaires étrangères comme un élan de patriotisme sans précédent de la part des citoyens russes à l’étranger. La prochaine fois qu’une telle « file d’attente » pourra avoir lieu, ce sera en septembre 2026, à l’occasion des élections à la Douma d’État.

Qui a voté pour Poutine ?

76 millions de personnes auraient voté pour Poutine. « Est-ce possible ? » demandent les téléspectateurs médusés. Certains disent que ce sont des chiffres « dessinés » par le pouvoir. Mais nous sommes en présence d’un État corporatiste en guerre. Les chiffres sont les suivants : 3 millions de personnes sont employées dans le complexe militaro-industriel, 2,5 millions dans le secteur des carburants et de l’énergie, et 6 millions dans l’industrie de la construction. Dans la fonction publique : plus d’un million de civils et 5 millions de militaires dans huit structures (armée, police, différents services secrets, gardes-frontières, etc. ). Nous ne prenons en compte que les secteurs qui bénéficient directement du poutinisme et de la guerre. Ajoutons 40 millions de retraités (pas tous, bien sûr, tous les retraités ne sont pas favorables à Poutine, certains sont rancuniers et ingrats, mais la grande majorité lui sont acquis). Voici des dizaines de millions d’électeurs ultra-loyaux. Et si nous y ajoutons de grands contingents sectoriels dépendant de l’État : l’éducation, les transports, le secteur agro-alimentaire et l’industrie de transformation, nous pouvons facilement ajouter encore des millions de bénéficiaires supplémentaires — ceux qui votent le cœur léger pour Poutine et pour la conservation de leurs revenus, même si, dans de grandes industries, il y a aussi des perdants de cette phase de poutinisme et de guerre.

Après tout, ce système politique présuppose un vote corporatif, et non l’expression d’opinions politiques le long de l’axe « gauche-droite » ou « libéral-conservateur ». Et pour ceux qui « n’aiment pas Poutine », voici trois candidats qui recueillent ensemble 13 %. Bien sûr, dans une élection libre, si un candidat « pour le renouveau, la voie vers l’avenir et le bonheur des nouvelles générations » était autorisé, il influencerait l’« électorat corporatif » et pourrait bien remporter un tiers des voix. Mais cela relève du fantasme. Le système corporatif est solide, il a atteint le niveau de puissance visé, des contingents géants de bénéficiaires se gonflent grâce à la guerre et l’isolement international. La sociologie électorale ne tient pas compte de l’appartenance à une entreprise. Or il serait intéressant d’examiner « sociologiquement » ces contingents d’entreprises, et peut-être alors que cette idée des chiffres « dessinés » tomberait immédiatement.

Que signifie ce vote « poutinien » ?

D’abord, une évidence : la « phase de transition » du régime politique, qui a commencé avec les amendements constitutionnels de 2020 et a traversé une guerre de deux ans, est achevée. Désormais, les hypothèses sur une éventuelle « scission de l’élite » sont écartées, et tout projet de changer de cap qui pourrait mûrir dans des cercles dirigeants est rendu impossible. Personne ne peut jouer contre un pouvoir aussi solide. Et comme le thème central de la politique de Poutine est la destruction de l’Ukraine « à tout prix », il s’agit de la finalisation de l’idéologie d’État autour de la « destruction de l’Ukraine à tout prix ».

Y a-t-il une idéologie ? Oui, il y en a une. Elle comporte quatre blocs : 1) des marqueurs géopolitiques, compréhensibles pour tous (« Anglo-Saxons », OTAN, pays hostiles, ingérence étrangère, etc.) ; 2) des marqueurs « les nôtres / les étrangers » de politique intérieure (« agents de l’étranger », « traîtres »), ainsi que « valeurs traditionnelles / valeurs occidentales » ou encore « héros de l’opération militaire spéciale », etc.) ; 3) la justification de l’autarcie économique (« souveraineté technologique », etc.) ; 4) enfin, la guerre elle-même (avec l’Ukraine et, plus largement, avec l’Occident dans son ensemble).

La guerre lie ces blocs dans un cadre idéologique cohérent. Cette « idéologie » fonctionne exactement comme l’« idéologie » décrite par Havel dans Le pouvoir des sans-pouvoir. L’opposition est impossible, seule la « dissidence » est possible. C’est pourquoi, comme le décrit Havel, l’opposition se déplace complètement de la sphère publique vers le « geste personnel du dissident » et vers la lutte culturelle (théâtre, littérature, cinéma, etc.). Une « seconde sphère publique » émerge, à la limite de la « clandestinité » (underground). Inévitablement, le poids culturel de l’émigration s’accroît, comme ce fut le cas dans les années 1970 pour les pays du « bloc de l’Est ». L’opposition, comme l’écrivait Havel, se déplace entièrement vers les notions de « mensonge » et de « vérité ». Le système est décrit comme une source de mensonges idéologiques permanents, à laquelle s’oppose tout « geste d’expression de la vérité », par la culture ou par la dissidence.

Vers une nouvelle clandestinité ?

En décembre 2022, Ivan Jdanov annonce sur YouTube la création d’une plateforme pour les militants de Navalny ; la vidéo de Jdanov s’intitule « Opening Navalny’s underground headquarters » (Ouverture du quartier général clandestin de Navalny). En juillet 2023, le FSB a procédé aux premières arrestations dans l’affaire du « quartier général clandestin ». En mars 2024, cinq personnes avaient été arrêtées et inscrites dans la base de données des prisonniers politiques de Memorial, dont deux avaient déjà été condamnées. Le mot « clandestin » est un élément important du nouveau vocabulaire politique. Le fait est que l’ancien cadre conceptuel de la « société civile » n’est plus possible. Il n’était pas non plus applicable en sciences politiques pour parler de la société soviétique jusqu’en 1987, vrai début de la perestroïka.

En effet, la « société civile » présuppose l’existence d’institutions publiques et d’une certaine forme de communication entre d’une part ces institutions, et d’autre part les partis politiques et le pouvoir exécutif. À l’heure actuelle, toutes ces institutions en Russie ont été écrasées par les autorités — y compris les mouvements sociaux au niveau municipal, le mouvement de contrôle des élections, Memorial, etc. À la fin de la période soviétique, il existait des cercles clandestins, des expositions clandestines, des concerts de musique clandestins, des mouvements de gauche clandestins, des mouvements chrétiens clandestins, des groupes de défense des droits humains clandestins, qui ont tous été périodiquement écrasés par le KGB. En URSS, le concept de « société civile » était considéré comme « bourgeois », remplacé par un concept soviétique de « démocratie populaire ». La « démocratie populaire » avait ses propres « institutions publiques », y compris le Parti, le Komsomol, le Conseil central des syndicats, la Fondation pour la paix, etc. Il semble que dans cette nouvelle période de 2024-2036, il soit impossible de décrire ce qui se passera dans la Fédération de Russie en utilisant le cadre conceptuel de « société civile ».

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