18 de juliol de 2011
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poemes meus en francès traduïts per Caterina Calafat

THE BLAZING LIBRARY

Biel Mesquida

 

Traducció: Caterina Calafat

Institució de les Lletres Catalanes

 

SGT. PEPPER WANTS YOU: FABLE

Sa tête sera pendue à la Porta Pintada

Et on la gardera de nuit pour qu’elle
ne parle pas.

 

B. ROSSELLÓ-PÒRCEL

 

La substitution du principe du plaisir
par le principe de la réalité,

voilà le grand événement traumatique
dans le développement de l’homme.

H. MARCUSE

Maintenant tout est fini,

Tes lèvres et ton nom aussi,

Je ne m’en souviens pas; mais j’y
reviens le cœur

Sans greffe, se broyant solitaire au
rythme d’épaules

Haussées, brisées, trempées de ne
porter ni sacs de béton,

Ni balles dans les clavicules,
subversives car trop nettes;

C’est un bon endroit (où je t’ai
connu), cette discothèque assourdissante

Où nous sommes allés si souvent l’été
de 1968

Plein de goût saumâtre et de
centramine, pour ne pas voir les gens à la panse

Pleine de plombs de chasse,
scientifiquement métallique, et pour fuir les nouvelles imbibées de bagarres

Avec du sang simplement rouge, versé
avec une stérilité de désert.

Venez Cœurs Solitaires au Club des Cœurs Solitaires du Sergent Pepper!

Le Sergent Pepper qui connaît presque
tout vous attend.

Le Sergent sait toute la froideur qui
se cache derrière les décorations des héros

De guerre et il a bu tout le déchirement
de ceux qui n’ont pas de jambes:

Parce que le Sergent Pepper n’a pas de
jambes.

Parce que le Sergent Pepper n’a pas de
jambes. Bois et bâtons pour piétiner

Les cris d’une mouette, à l’aile coupée
d’obscurité, qui mâche un poisson

Couleur d’argent et ce cheval de la
charrue romaine, sans tracteurs,

Meurt pourri par la paix des flèches
dans le ventre plein de vers

Et de mouches verdâtres; tandis que le
campagnard, sur la terre d’autrui,

Est enseveli sous quatre mottes
extrêmement rouges et l’observent,

Avec une froideur sereine, les yeux de
smoking de statistique

Économique,

Les paroles des
Beatles arrachent avec la musique douce

Tout le regard de ce cimetière qui nous
entoure.

(Où sont glissés

Tes mamelons en pierre?) On drague pas
mal, au Sgt. Pepper’s

Et vous pourrez choisir un
cosmopolitisme de devises, cheveux, seins hâlés de

[crique et de sable et de sel

Avec de l’huile empoisonnée et du désir
strictement chaud. (Il ne faut pas crier que

[tes mains

Sont vieilles d’éloignement et que les
miennes souffrent de morsures de silence.)

Venez Cœurs Solitaires au Club des
Cœurs s Solitaires du Sergent Pepper!

 (Ton corps hier enlacé au mien avec désespoir,
au milieu du naufrage

Ardent de la vodka, de la trompette et
de la batterie, a été l’unique conquête.

J’ai longuement embrassé ces lèvres
dans mes lèvres et je sais tout le frémissement

D’une peau de pierre si tendre). Quand
les mitrailleuses, trop loin,

Sont des tonnerres et des têtes de mort
transpercées de fer très rouillé, sans même

[une larme.

Si vous venez, le Sergent vous
racontera l’histoire de nombreux Cœurs
Solitaires:

Non, il ne pourra rien vous dire de la
soie cassante de la dernière robe

De Marilyn, ni de ses genoux déchaussés
au milieu du sable et de l’eau de mer

Sur la longue plage perdue

La nuit dernière, sans lys,

Ni de l’étouffement

D’un cou si beau cerné de perles
extrêmement blanches, ni de la main

Qui, avec des frissons de tendresse, a
sorti les cachets de Nembutal lentement,

Et vous n’écouterez pas le hurlement
interminable entre un océan d’eau et de vagues,

Le corps parfait, ouvert de rose fanée
et d’après-midi.

Venez Cœurs Solitaires au Club des
Cœurs Solitaires du Sergent Pepper!

Ces choses-là que nous devions faire et
que nous n’avons pas faites cet été, copains

[de tempête,

Assis aux tables du projet et du
changement, si immobiles!

Avec un verre de gin et de fiel de
peur; fatigue facile de martyre,

Acide et tacite comme la lâcheté. Karl Marx
nous montrera le pharillon bleu,

Quand le Sergent vous racontera où il
l’a connu, cet hiver-là dans le Londres brumeux

de gaz toxique super moderne et
d’enfants enchaînés par des anneaux,        

[sans doute pour verrouiller,

Travail d’esclaves tout neuf sans
essence et sans chair fraîche, ouvertement écorchée

Sous des machines à accoucher des
tissus dorés de Lord et de crachement. Et le

[Sergent te dira

Qu’Engels criait aussi en 1847 pour une
histoire moins bestiale et cosmétique

De petits corps sous des pieds avec de
très hautes cheminées vomissant

[peau de pauvre,

Parce qu’il y a toujours eu des pauvres
de pain, et plus de pauvres de voix, et plus

[de pauvres de lettres

Quand la vapeur les aveuglait d’un coup
aux prunelles pour allumer des lumières

De palais et de Mozart des fêtes
galantes, cire bouillonnante et décolletés extrêmement blancs

Près de la cathédrale avec des
chanoines de cafard, rues d’ombre et grands lits couverts

De ciels faits de veines pétries d’une
fibre venue d’Asie ou d’une autre colonie

[productrice et étranglée

Par les droits de l’homme, inviolables,
là au loin.

Par les droits de l’homme, inviolables,
là au loin. Parce que les tapis

Et les marbres ne savent rien des pieds
du pêcheur qui arrive

L’écaille ouverte, à l’odeur d’algues
et de travail par l’effort des filets;

Lorsque nous, maintenant qu’un été
s’est écoulé, avec un mot trop stérile

Sur les épaules et la masturbation
verbale en abondance

Continuons à gémir des tristesses dans
le noir de l’air conditionné par les projecteurs.

Venez Cœurs Solitaires au Club des
Cœurs Solitaires du Sergent Pepper!

(Ton je t’aime abattu; déchet
d’osselets rangés par le souvenir.)

Et ces roses d’adolescent cesseront
d’être roses quand elles seront poussière

De rose dans les blessures de cette
lumière effrayante de clarté et de lucidité

Lorsque dans La solitude du coureur
de fond
Colin

Crache, « Sur moi, ne comptez pas »

Et que nous racontons des contes de
sorcières et de princesses. Soudain

La lumière aveugle d’un flash.

Flash.

Geste de danse ou de douleur ou de
lâcheté ou de lutte par le rythme.

Flash.

Un autre geste de danse ou de douleur
ou de lâcheté ou de lutte

Par le cœur.

Flash.

Un autre geste de danse ou de douleur
ou de lâcheté ou de lutte par le

Cerveau.

Flash.

Humanae Vitae et Amour.

Flash.

Tchécoslovaquie et Empire.

Flash.

Biafra et Groupes Ethniques.

Flash.

Toujours le Proche Orient et
Allah-Jéhovah

Flash.

Toujours le Viêt Nam et Liberté.

Flash.

Toujours la Paix Morte.

Flash.

Toujours plus de Paix de Victoire.

Lorsque le Sergent vous racontera les
Jeux Olympiques de 36 à Barcelone qui n’ont

[pas eu lieu

Parce qu’un aiglon avec des dents
disait qu’il y a des valeurs fascistes plus élevées

Et que le Mexique hurle une descente de
muscles et d’athlètes et de corps rompus

Sur la place des Trois Cultures quand
dans les westerns

Les cow-boys gagneront avant de
paraître le mot « fin » et les rouges

Aussi méchants qu’une chevelure
arrachée avec même le cerveau

N’ont rien à faire tandis que Paul crie
dans les haut-parleurs qu’un jour tu auras 60 ans

Comme un été maintenant écoulé.

(Tout mon corps dans le tien, étouffés
par le roussi incandescent de la mémoire.)

Venez Cœurs Solitaires au Club des
Cœurs Solitaires du Sergent Pepper!

Et la fatigue inutile de ne pas savoir
te pincer et crier: Joie! sans Sade

Ni cocktails d’anesthésie et d’hostie
tandis que Miró peint

Dans une tâche rouge une vieille qui
agonise sur un brasero

Avec une mouche sur les rides de la
joue

Lorsque le Sergent te dira que, malgré
tout, sans scepticismes de brûler

Et larmes de salive, la lutte se
poursuit, bien que sa tête

Soit pendue à la Porta Pintada et
qu’elle soit gardée de nuit pour qu’elle ne parle pas

Lorsque, de nouveau, Paul hurle dans
les engins électroniques qu’un jour peut-être

Tu auras soixante ans

Comme un été maintenant écoulé.

(Une gorgée de parfum dans la bouche
des cannibales
, inédit, Palma, 1969)

 

 

 

POUR AVOIR BRISÉ DES MIROIRS

ON T’A NIÉ LA PEAU DES OBSCURS
ADOLESCENTS

(épitaphe pour un sculpteur)

Comment
clouer dans le marbre l’élan
qui enfonce un

Homme
dans un autre homme?

Barcelone,
mai 1974

 

CHAMBRE

Les
poils de ta toison que j’avais
arrachés poussaient au

Fond
de mes ongles.

Je me
vautrais dans ton nom de mâle et
parmi les

Dentelles
de sperme qui brouillaient
notre baiser.

C’était
faux.

Derrière
tes yeux je trouve seulement
le couloir tapissé de papier teint

Avec
toutes les nuances de la mer.

Barcelone,
mai
1974

 

DEVINETTE

I

Il
avait un homme entre les cuisses et
il avait appris la

Fragilité
des jardins.

Le
parc est obscur lorsqu’ils
cherchent, dans un air de

Lauriers-roses,
la braguette et la
salive d’une statue qui

S’attarde.

Il
avait un homme entre les fesses et
avait appris la lueur

Des
plaisirs assassinés.

II

MORCEAU
DE PAPIER où s’élève,
phallique, une déclaration de

Principes
en pleine buée des mâles qui
se

Déshabillent.

Vous
vous êtes aperçu que mes mots ne
sont pas un

Miroir
de la représentation mais de
l’écriture du

Désir
entre les hommes?

 

ADOLESCENT DE SEL

Ce n’est pas seulement sexuel,
l’homosexualité, c’est beaucoup plus vaste que ça. Beaucoup plus

terrible. Infernal. Du point de vue de
Dieu, on peut expliquer la finalité de presque tout. Sauf ici, ici

on ne peut pas l’expliquer. C’est
exactement de la même façon que la mort. Dieu s’est réservé ces

domaines-là. Dieu a décidé que
l’inexpliqué de sa création, ce serait ces deux choses-là: la mort et

l’homosexualité.

M.
DURAS

Tu
traînais ta beauté sur cette plage
dans l’obscurité et l’eau se pressait

D’effacer
tes pas suggérés lentement à
ras d’écume.

Tu
étais de toujours tandis que ta
taille aiguisée s’abîme de désirs et

D’étoiles.

Les
omoplates battent des ailes quand
tu te baisses pour caresser une coquille brisée que tu

Ramasses
ensuite, et que tu caches sous
la peau du caleçon, près des vagues frisées de la toison

Et de
la volumineuse capacité de
plaisir.

(Le
beau pays où les hommes désirent
les hommes
, Barcelone, 1974)

 

ÉLECTRO-ENCÉPHALOGRAMME D’UN AMOUR ANAL

Tu
portais le dandinement de tes
fesses, à la courbe tremblante, comme un arc extrêmement tendu,

Couvert
d’une étoffe moulante, tâchée
par le regard cru des hommes.

Tu es
venu en traversant les heures,
les ronces, les codes civils.

Les
étincelles ont été créées du choc
ongle contre ongle, baiser contre baiser, verge

Contre
verge.

S’élève,
lente et majestueuse, cette
double érection dont l’ombre géante,

Inventée
par la clarté du foyer,
teintée de vapeurs orange et citrouille, griffe

Les
murs couverts de papier d’argent.

Nous
luttons parmi des cris et des
houles pour la découverte.

Vous
auriez dû faire un effort pour
comprendre la disposition de la verge et

L’anus,
brumeux et confus, dans des
mousses d’argent qui répètent comme un écho

Les
accords nuancés de la jouissance
des cordes vocales, le triomphe du cul et de ses

Bonheurs
ignorés et interdits.

Sur le
mur d’une rue nocturne, un gamin
avec une torche allumée à la main

Droite,
un amas de merde au poing
gauche, écrit avec de joyeuses majuscules:

JOAN
ET TONI S’AIMENT BEAUCOUP.

(Le
beau pays où les hommes désirent
les hommes
, Barcelone, 1974)

 

 

LUTTE DE CLASSES

C’était
le printemps et il pleuvinait.
La table, les livres ouverts, un bouquet de tracts

Piétinés.

L’après-midi
et les canifs sans
mitrailleuses.

Bien
que vous ne le croyiez pas,
l’obscurité des nuages dégouline d’un argent maladif

Comme
ce rayon de sueur, si rance, sur
le mur badigeonné et sur le regard.

Le
père au travail. La mère chez la
tailleuse.

Qui
découvrira combien d’aiguilles
d’horloge arrêtées je porte derrière mes lèvres?

On a
sonné.

Compliqué
comme ça.

En
ouvrant la porte m’assaillait cette
vague à la peau brune et un frisson éblouissant de

Pluie.

Pourrai-je
dire ton nom, garçon
décoiffé, qui te versais tout entier avec une démangeaison

Inconsciente
dès que se sont heurtés
nos yeux?

Quand
je prenais l’osier du panier
plein de vivres, chaque doigt cherchait son

Homologue
sur un air de faiblesses aux
genoux.

Tandis
que nous vidions chaque objet,
mes veines éclataient et je devinais tes

Battements
déchaînés entre tes cils
timides et frisés.

Je ne
savais ni les distances, ni les
tremblements, ni ma main droite et ta main

Gauche
qui, en prenant une orange,
réciproques, restent longtemps immobiles.

Ensuite
nous nous sommes enfouis…

Je
déboutonnais, j’abîmais les rayures
de cette blouse de garçon livreur.

Tu
cherchais, nerveux et violent, mon
nu sous la braguette.

Nous
nous sommes arraché les vêtements
avec dents et loups.

Nous
flottions rattrapés dans le miroir
du couloir où ma langue courait sur les

Virages
de chacun de tes muscles,
caressait les lignes dures de ta longueur,

Plongeait
au centre de la circonférence
brève et obscure,

Faisait
des colliers compliqués,
interminables, incrustés au cou.

Et
elle goûtait la physionomie sombre
clouée de baisers.

Tes
mouvements félins dégageaient une
bruine métallique et incandescente tandis qu’ils

Effleuraient
les poils de l’entrejambe.

L’entaille
rose de ta bouche
engloutissait les testicules…

Tu
ruinais le nombril entre ivoire et
langue.

Le
duvet léger de tes pommettes frôlait
les mamelons, s’y enfonçait.

L’écume
de ta salive démolit le
sphincter qui s’y noie sans même un cri.

Tu
étais une créature, créature
farouche, jouant avec mes fesses, les mordant,

Tandis
que je m’agenouillais déjà
poussé et obligé par ton malaise et par ce désir de te plonger

Dans
le beau trou de mon anus.

Nous
enjôlions le temps avec la senteur
d’un parfum censuré.

Le
gland dur de ta verge extrêmement
tendre fouettait mon échine et tes ongles

Dessinaient
des tremblements sur ma
taille.

Tu
m’as serré –en mettant ton poing
entre les lèvres tel un inédit Hermès de

Praxitèle
démolissant, avec de vraies
flammes, de vieux meubles, vieux tableaux, vieilles habitudes,

Vieille
morale, vieille famille– une
poignée de salive au milieu du cul.

Je
tournais la tête et buvais ton sexe
qui luisait tâché de baisers.

Nous
étions au centre de la maison. Face à la
porte et aux parents qui arriveraient

Peut-être
à ce moment-là

Tu
m’as enculé.

Un
aiguillon de plaisir avance
intensément et j’aurais pu mourir pour toujours

Dans
la jeunesse de cette frise où tes
mouvements et la position d’amour seraient

L’éclat
du plaisir qu’aucune érosion du
ciel ni du temps ne sera capable d’effacer.

(Le
beau pays où les hommes désirent
les hommes
, Barcelone, 1974)

 

 

ILS SE HEURTAIENT BAISER CONTRE BAISER
DANS UNE BOÎTE EN VERRE

(lettre d’un garçon à un autre garçon)

Cela
n’a pas été un jeu, ce cortège de
mains déchirant

L’inventaire
d’histoires d’amour
tatouées sur les vagues

De la
flaque de mon sang.

Le
toit de cette aventure était un faux
plafond plein d’oiseaux

Empaillés
qui salissaient l’haleine
d’une

Monotonie
de notes griffant les sexes
extrêmement durs.

Tandis
que ce mâle brun m’enculait,
moi, j’en suis certain,

J’avais
cloué entre mes yeux fermés une
portée vide de notes,

Emplie
de becs qui, incités par les
mouvements réciproques,

Assourdissaient
de plaisir.

Barcelone,
mai 1974

 

]

TENTATIVE DE CHERCHER TON NOM

Attendrir
lentement la nuque, pleine
d’arbrisseaux

Extrêmement
fins, pour commencer notre
rite: ouvre

La
langue un tourbillon de cordeaux à
chaque borne du

Pèlerinage
ou l’immersion ébranlée de
mes

Lèvres
embrasant les cuisses
entr’ouvertes et démolies

D’amour.

Emboucher
ton navire par les écueils de
ma toison jusqu’à ce

Qu’il
plonge, étalingué, dans des
conduits interdits où les

Jouissances
parfument ce halètement de
la gorge

Épuisée
de mots trompeurs et de notes
entaillées.

Au
galop de la lutte je lève sept
griffes pour laisser tomber une

Poussière
de lettres dans la tentative
de chercher

Ton
nom.

La
lumière invente des tatouages sur
ton dos

Quand
planent les signes, lents:
Nathanaël,

Ganymède,
Télémaque, Hector, Lafcadio,
Hippolyte,

Oreste…

Gonfalons,
coquilles et un violon de
cire et merde

Déchirent
les voiles fanées, trempées
de baisers.

Je
sors du fourreau, avec fougue, mon
épée.

Tu ne
hurles, ni poses de questions, ni
aiguillonnes.

J’enfonce
le tranchant jusqu’à l’ancrer
dans ta vie.

Silence
de rideaux de scène
innombrables.

Dans
le miroir j’ai ma braguette complètement

Déchirée
et entre les mains bourdonne
ta

Bague
ceignant mon sexe.

6
février 1974

 

MASQUE

Nous
rentrerons de promenade sans mot
dire, personne

Ne se
souviendra de notre histoire et
peut-être aurons-nous

Perdu
nos cartes d’identité dans le
vocabulaire du

Train
ou dans l’horloge de cette salle
où nous attendions

Les
chemins.

Nous
regarderons d’autres corps,
d’autres jours; quelqu’un dira: ces

Deux
garçons sont des amis et portent
des jeans le dimanche

Et
dans la semaine.

Ils
médiront de nous sans même inventer
une lueur de

Nos
yeux. Il fera froid, il pleuvra,
n’écoutes-tu pas la

Rumeur
des étés?

Nous
rentrerons de promenade sans mot
dire, nous

Mettrons
les masques falsifiés et nous
ferons comme si rien

Ne
s’était passé dans votre niaiserie.

Barcelone,
12 mai 1974

 

MANIFESTATION SUBVERSIVE

Sa
marche en avant soulevait la peau
des regards, ouvrait

Des
volées de désir à travers la
Rambla.

Le
rendez-vous ponctuel avec
l’obscurité et l’amour sombre devient

Somptuosité
de mouvements et défilé
agressif

Qui
détruit, pas à pas, les verrous de
la

Règle.

C’est
une cavalcade farouche qui
déclenche l’émeute, pire

Qu’un
tremblement de terre qui
dépouille les décisions

Des
spectateurs, inavouées et
inavouables, vers le

Déchaînement,
noyées par chacun dans
les sous-sols

Particuliers,
chaque jour et en
cachette.

Ainsi,
le pantalon lilas lui moulant
même

L’élasticité
de ses cuisses musclées,
le lilas

Dessinant
le volume de la verge et des
génitaux d’une beauté

Crue,
broie en miettes les peurs aux

Plaisirs
interdits par les familles,
les murs de carton-

Pâte
qui cachent à la foule plages et
mers

Innombrables.

 

NUIT SUR LA PLACE DE CATALUNYA

Il
faisait froid sur le trottoir des
physionomies qui marchaient

Enveloppées
dans des vêtements de
chasse.

Ce
valet flairait le désir sous les
chênes verts, sous la

Peau
des pantalons, sous sa fatigue de
service

Et de
comptoir.

Ses
yeux étaient un sentier empli de
sommets d’arbre

Si
verts. Les fontaines ne sourdent pas
à l’ombre des

Statues.

Ils se
sont croisés et ils ont su
qu’ils avaient touché un même

Vent.

Ensuite,
le gamin et l’homme se sont
tournés.

Je ne
pourrais répéter en une phrase le
geste de marcher

Liés
par les martinets de l’assaut
mutuel.

Ni ne
hurlerai-je que la peinture aux
cheveux, l’épaisseur du

Cosmétique
dans les sillons du visage,
cet

Éclat
de rouge à lèvres sur la bouche
de l’homme,

Allumaient
des collines de sang chez le
garçon extrêmement tendre qui

Apprenait,
tandis qu’ils avançaient
vers la chambre, la

Difficulté
de ce métier de poète quand
on écrit à la

Dictée
d’éphémères anatomies illégales.

Ils se
sont croisés dans la rue et,
alors,

La
musique a commencé à grandir sous
les vêtements.

Sous
la canadienne en mouton.

Le
manteau marron.

Sous
le pull aux rayures rouges.

Sous
le jean enlacé à la jeunesse.

Le
chandail au col roulé bleu marine
entourant les carotides vibrantes.

Le
pantalon en laine beige.

Les
caleçons tumultueux. Au-dessous

On ne
sentait ni le silence des pas ni
l’odeur du port.

D’abord
il a jeté en se tournant une
lueur des

Notes
dans le regard.

La
musique le poursuivait avec ces
cuisses sombres et

Ces
boucles, châtain, dévalant jusqu’à
la peau tannée des

Pommettes.

La
poursuite des sons est devenue un
labyrinthe.

Aucun
d’entre eux ne savait la cadence
avec laquelle il faut étreindre

Le
temps de l’approche: l’équilibre du
hiéroglyphe de

Battements
en verre dénouant de leur
tranchant

Extrêmement
aiguisé les cordes au
désir.

L’audace
était un tremblement obscur
d’accords aigus, de

Frissons
et de martinets.

Ils se
sont croisés plus lentement et
la musique invitait

À
s’élancer dans le sentier des
tilleuls.

Les
mots pourraient-ils grimper jusqu’à
l’ouïe, faire crisser

Toutes
les cicatrices de l’amour,
déchirer les chevilles

Qui se
poursuivent ouvrant des
invasions de syllabes

Musicales
visibles, comme cette obscurité
qui descend en

Silence,
tandis que les réverbères
s’allument et que tous les deux,

En
défiant les policiers cachés
derrière les lauriers-roses

Écarlate,
approchent avec une mélodie
de dix notes

Leurs
doigts tendres de mâles éblouis?

 

RIGIDITÉ

Il a
acheté la sculpture chez un
antiquaire sans dents et

Il a
emporté la tendresse de ce marbre
rose avec

Son
toucher las de solitudes et de
rides.

Méfiez-vous
de ces yeux aveuglés par
des tiraillements

Successifs
d’une froidure qui
s’accroche à son corps

Embaumé
et rendu, sans demain ni joie.

Il a
déballé lentement ce dictionnaire
de la

Beauté.

Un
éclair naissant éblouit l’atmosphère
ordonnée

De
vieux meubles, les tableaux de
saints, un lointain

Titre
universitaire, les rideaux
opaques, le portrait des

Parents
morts et, aussi, la vision d’un
enfant dans un cadre

Mité,
en costume de première communion
qui, jadis,

Est
mort à l’abîme de sa débâcle
adipeuse.

Il
s’assoit dans un fauteuil en velours
effiloché et contemple

La
montée des flammes selon le canon de
la

Reproduction
d’un athlète grec qui
enduit sa force

D’une
huile précieuse et aromatique
avant la

Compétition.

Et
soudain, d’un geste trop vif pour
son âge,

Il se
lève, court, chancèle, trébuche
et tombe à genoux

Dans
son élan vers la lointaine trousse
à outils; il y

Arrive
en boitant, s’accroche
désespérément à

L’outil
comme si c’était une bouée pour
son naufrage

Particulier
et, sauvagement, avec des
spasmes et

Des
tremblements qui font tinter la
verrerie du buffet,

Il
frappe à coups de marteau l’anatomie
parfaite jusqu’à

Obtenir
que l’ordre de ses années, de
ses

Objets
et de son corps revienne à
l’immobilité.

 

BAS-RELIEFS AVEC DES FEUX DE JOIE

(Hommage
à un sculpteur grec anonyme de
l’an 525 av.J.-C., en quête du

rythme
de l’action et de la profondeur
de l’érotisme d’une frise qui, à ce

que
l’on croit, n’a pas été finie).

Ils
semblent très jeunes.

Regardez-les.

Ils
portent des fagots de bois entre
les muscles des bras.

Ils
rient.

N’entendez-vous
pas la clameur des
courses pour arriver

Le
premier

Au
bûcher brisé par le temps et les
batailles du temps?

Ne
pensez pas archéologie.

Ils
sont vivants et un tremblement de
flammes traverse les nus dans

Toute
leur splendeur.

Écoutez.

Ils
chantent, chantent et personne ne
dirait que le son peut briser

Tout
préjugé

De nos
regards menottés et rangés bien
en ordre.

Il
faut nuancer le rite,

La
procession transparente de peaux,
sexes et épaules qui

Poussent
un chariot de myrte,

Le
cortège, serein dans le marbre,
avançant avec des offrandes:

Des
coupes toutes pleines de vin,

Des
coupes toutes pleines de lait
soulevées par des doigts longs

Et
caressants,

Des
coupes toutes pleines de sperme
trempé de lune et de

L’élasticité

Des
corps qui s’enculent

Près
de l’argent des calices rayonnants
par l’orgasme.

Il
faudra se noyer,

Spectateurs
sérieux –la bague au doigt
et livret de famille–,

Dans
des eaux de beauté

Pour
découvrir comment elle pointe,
derrière ce cortège d’éphèbes avec des

Guirlandes,

Dressée
sur le canon de leur taille,

Cette
blancheur incandescente

D’une
armée de miroirs, pendus par les
vainqueurs

Sportifs,

Qui
seront jetés dans les feux de joie

Des
beffrois

Pour
devenir des bornes de révolte.

Barcelone,
15 juin 1974

 

ESSAI D’ÉPITAPHE

Nous
jouissions dans les bornes
incandescentes

De
l’aire qui est au beau milieu des

Culs
bâtis avec une rage exquise

Par
les haleines d’ongles de plaisir.

Ce fut
plus tard que nous avons collé
ce

graffiti
de sperme aux murs des
familles, des partis,

Des
églises, des patries, des nations:
des idoles.

 

DÉLECTATION

Tandis
que je t’encule

Tan  dis que tu prends par derrière

Tan  dis que je te donne par derrière

Je lis
sans cesse:

(au
beau milieu de
ton

dos

le
tatouage)

À MAMAN

 

PALMIER DE PHRASES

On the days of ardent youth

I would have given my life for truth.

For truth, for right, for liberty,

I would have gladly, freely died.

Adoucir
la lettre d’un temps incertain

Est
une tâche pénible de tripotages,
d’empoignées,

Je
mourais d’un aiguillon dans le
désert

De mon
sang ouvert de raclées

Et de
lézardes et d’un mirage si
stérile

Pour
avoir apaisé des silences, défilés

Grimpants
du désir inerte

Et si
vif, comme la gerbe de roses
filées

Au
drap de notes de ce concert.

(Notes
de temps et vice-versa,
Manacor,
1981)

 

 

ÊTRE VERBAL

I

Fentes
d’après-midi tombent:

D’abord
une, ensuite toutes ensemble.

II

Scintillement
d’ors dans les miroirs

D’une
de ces demeures où ne chante

Ni coq
ni pucelle et dents cariées

D’une
bouche de scène abandonnée.

III

Si
l’heure automnale était un canif.

Si les
nues ennuageaient les yeux

Du
sentier accablé d’un tel lyrisme

Et les
iris moutonnaient

De
rêvasseries comme ça

Comme
qui décrit la vie des
orthoptères.

Si
l’amour me laissait étalingué

Dans
les bras du délire le plus lucide.

Si
l’amour n’avait ni paix ni trêve

Comme
un toxique hors classe.

Si
c’était si facile de se faire mourir

À pas
de loup comme qui dirait: à tout
à l’heure.

(Notes
de temps et vice-versa,
Manacor,
1981)

 

 

ZOOM D’ABÎME

Plis d’un corps et d’un autre

Ne se discernent pas.

S’ébranchent
les mots dans la bouche

Et
aucun verbe ne reçoit un appui
semblable.

Je me
soucie de la lettre et de son
baiser

Quand
les signes effleurent la caresse.

Je
pense loin et aucun crépuscule ne
finit

Jamais
de mourir, ni aucun zeste des
heures

Ne
devient une branche morte de sang
bien caillé.

Je me
soucie d’une secousse qui se
discerne à peine

Dans
les rayures d’un drap de lit,
indivisibles.

(Notes
de temps et vice-versa,
Manacor,
1981)

 

MIROIR DE MIRAGES FAIT

Volent ses doigts de sel.

Filer
et effiler les trames

D’un
miroir brodé en peau.

Effilocher
des images

Aimées
sans amour, temps

Chassé
par les joints du vers

Plus
cassant, plus fait.

Qui ne
connaît la devinette?

Mourir
et ensuite savoir.

(Notes
de temps et vice-versa,
Manacor,
1981)

 

BELVÉDÈRE EN OR

Mourez en esprit chaque matin et vous
n’aurez plus jamais peur de mourir

HAGAKINE

La mer loin, comme un supplice plat.

Tu as
écrit cette phrase comme ça

Et
n’as pas le temps de l’écouter

Croître
et palpiter, ni de savoir le
goût de son énergie

De
contact, de son dessin exact.

Pélion,
le métier à tisser tes douleurs

Peut
être cette science computationnelle
que tu maîtrises.

Ne
m’as-tu pas théorisé sur des
ensembles majorés

Avec
les algorithmes les plus humains
que la mathématique explore?

Ne
m’éblouissais-tu pas avec des
prodiges de machines intelligentes

Faites
par des doigts pithécanthropes?

Et,
cependant, tu ne brûles

Qu’en
jouissant face au Sébastien
criblé de flèches

De
Guido Renni, en faisant le pédé

Si
marié étais-tu dans la nuit
provinciale,

Ou
t’abîmant dans la glue des petites
vanités

De
salon.

N’aie
jamais l’idée, Pélion, que cette lettre

Est de
conseil ou de reproche.

Seulement
quelque chose de beau et de
noble

Comme
lorsque je t’ai vu au coucher du
soleil

Au
belvédère en or  écrivant peut-être

La mer loin, comme un supplice plat

Ce qui
m’a fait penser à toi, ami
cordial, avec affection.

(Signaire,
Telloc, 1984-1994)

 

DEA EX MACHINA

Ne
crois pas, ma belle, que tu trompes
quelqu’un

Avec
la calligraphie appliquée de tes
poèmes,

Kallirœ, tu veux masquer une vérité

Qui te
défavorise: l’imperfection

De tes
formes. Autrement dit,

Ma
chère: ta petite tête

Paralyse
tout tremblement du vers

Et les
sonnets que tu publies vomissent
des avortons

Que
toi, impudique, et c’est un
compliment,

Tu
laisses se décomposer devant les
yeux

D’un
désert de Lecteurs. Heureusement.

(Signari,
Telloc, 1984-1994)

 

THÈME D’AQUARELLE

Oiselet
fragile qui te trempes

Dans
les sillons roux d’argile

Dis-moi
d’où tu viens, ce que tu manges

Qui
t’aime et qui t’épie.

Je
chercherai la couleur de tes plis

Dans
le guide où ton nom défile

Et je
saurai comment tu gazouilles et courtises

Ton
histoire et ton nom de famille.

Et
cela restera gravé dans le poème

Et tu
seras de mon temps un emblème

Et tu
vivras tant que brûle le papier
blême

Comme
d’un instant complet le thème.

(Signaire,
inédit, Telloc,
1984-1994)

 

DEA HAC

Un
monument petit et noble

La
place de la Fête

Tintement
de fumée et de baisers

 

BRASERO DE MOTS

Je ne
sais pas où j’ai la main

Droite
ou Gauche

Je
peins le Temps

 

SUR LE QUI-VIVE

Temps pleins de changements

Et jamais de fermetés.


poussent les pointes

D’un
sentiment enguirlandé

De
gouttelettes fausses?

Où se
discernent les coups bleus

De la
cosmétrique murée

Dans
les mots apatrides?

Impatient
et excentrique

Esclandre
de sondes

Forgées
de lies

Ensoleillées
et d’isolements.


tempsportent les signes

Digitaux
effacés par l’air?


démolissent-ils des empreintes
d’âme?

Tas de
riens: des mots.

 

SORTILÈGE

Les ombres, les flambeaux, les cris et
les silences…

All the goddam mother fucking

Generals cock suckers all of’em

Fascists

Niche
la neige sur du marbre

Aux
noms sérénissimes et le bourdon

Répand
le fil d’une pensée d’ambre

Sur le
papier tout terni de Fabra.

Avance
la mémoire parmi des lueurs

De
mots issus du bel arbre

De
Llull et de March et des douleurs

Qui
dominent aiguisées par le glabre

Torse
isolé de toutes les ferveurs

D’un
temps ancien quand le sabre

Savait
des mots de sèves, de sels et de
sueurs.

 

Et c’était comme un temps qui se fane

Fratelli a un tempo stesso: amore e
morte

Word, parole, Lat. verbum. (Love’s
Word’s Lost)

Heures
vides purement négatives. J’ai
toujours vécu mon âme

Fixée sur l’horloge. Certes, j’ai tout
fait pour que le temps

Qu’elle sonna restât présent dans la
chambre, et devînt pour

Moi la pâture et la vie –j’ai épaissi
les rideaux, et comme

j’étais obligé pour ne pas douter de
moi de m’asseoir en face

de cette glace, j’ai recueilli
précieusement les moindres atomes

du temps dans des étoffes sans cesse
épaissies. L’horloge me

fait souvent grand bien.

Laisse-moi fuir d’ici et rentrer à ton
temps.

 

DÉFINITION D’URGENCE

A

Tu
m’as demandé –tandis que j’écrivais

La
peine imprimant ma physionomie–

Que
fais-tu? Et ma plume a répondu

D’un
soupir: Je fais du temps, je fais
de la poésie.

B

Kundry

Si
quelque fente par l’écorce

Des
mots, déments, dément le rythme
sans ton

Muette
la main clamera d’une voix tendrelle

Des
extensions cassantes: l’air d’un
son

L’espace
indifférent de la note la plus
belle

Quelques
vers écrits poussé par le
haut-le-corps.

C

Seul
et ment est resté le reste d’une
dentelle

Entre
mes mains déboîtées d’air:

Adieu
aux yeux, aux pouls de la page

Ta
silhouette détruit la pioche,
tranche

Vile a
peint la forme de la fuite,
pâle.

 

TRANSPARENCE INDÉCENTE DE TREMBLEMENTS,
PRESQUE

Je ne suis que la main avec laquelle tu
tâtes.

Oh mortel! Oh mortel! défais la roue

Puisque de vie à la merci de l’agonie

Ce qui te reste est ce qui ne te reste
pas.

Le
téléphone savait chaque rendez-vous

Et la
voix frémissante du message.

De
temps à autre je me soûlais pour ne
pas me voir

(impossible
lecteur d’une chair
ineffable)

Nu
d’amour me sentant amoureux.

Au bar
des palmiers, formica sans
marbre,

Charretées
de sable devenu attente:

Un
désespoir entier ne donne aucune
image.

Cette
peur secrète au goût de pas
grand-chose

M’affolait
sourdement en deux mots

Que je
répétais tout le temps comme un
possédé.

Les
palmes tombaient comme tombait le
soir,

Des
touristes dévoraient des souvenirs
à foison

Et
personne ne savait le nom de celui
qui attendait.

J’ai
écarquillé les yeux pour voir et
croire

Si
pour de vrai c’était la deux
chevaux.

 

LETTER TO YOU (AUTOPORTRAIT)

Telloc,
27 juin 1998

1

J’habite
dans les couleurs du fond de
la mer,

Maintenant
que tu n’y es plus chair
d’enfant

Abîmée,
par les dunes farouches de la
mémoire

Je
peux te voir comme étrange, étranger

Est le
nom de tout un chacun, de l’être

Qui
n’est pas amour, du trou intime


tourbillonnent des souvenirs et des
fantômes, fragiles

Inscriptions
d’identité dans l’eau du
sang,

Dans
les murmurantes humeurs qui nous
fondent,

Dans
la puissante et combustible usine,
maison,

Paysage,
épiphanie et épitaphe, de la
pensée.

2

Après tout, tout a été rien,

Bien qu’un jour cela ait été tout.

Après rien, ou après tout

J’ai su que tout n’était que rien.

Je cris »Tout! », et l’écho dit « Rien!
»

Je cris « Rien! », et l’écho dit «
Tout! ».

Maintenant je sais que le rien était
tout,

Et que tout était cendre du rien.

JOSÉ
HIERRO

Ma
main dessine avec des touches les
secrets de la mémoire comme si elle tendait

Les
filets des lettres pour chasser
sentiments et savoirs, sensations et sens: les cerveaux

De la
mer (de la Mer) immobiles et extrêmement
accélérés, toujours plus accélérés

Vers
la cabriole de la mort ou de
l’amour intense.

Ma
main dessine, vas-y ma vieille, sur
les plis de la prothèse de la pensée

Avec
les doigts palpitants à chaque
vers, à chaque vers menu et oublieux. Ne vois-tu pas

Comment
les optiques et les
perspectives illuminent

–Envisagent
serait plus exact – ces
profondeurs abyssales où même la phosphorescence

Neuronale
des cellules du désir ne peut
se raconter: des extensions plates du fonds de

La
main, de ma mer, qui sont les
sismogrammes quand ils respirent l’écriture d’un corps

Avec
les rythmes hormonaux de la vie
d’une rose, ou d’un poignard pour plonger dans la

Chair
tiraillée de meurtrissures et la
réveiller.

Ma
main se souvient de la musique de ce
début-là avec des mises en scène de la Llotja, sentier

De
palmiers et l’ange au centre: au
centre d’un amour fait de saisons, de sleeping-cars,

De
polars et d’incandescences au jour
le jour où la nuit marque les heures.

Ma
main nage dans la page comme dans le
Cœur vert de la mer, ne crois pas que je l’explique

Avec
des métaphores. Pas du tout. Je
sais déjà, depuis longtemps, que la métaphore est la chose

Et la
matière du portrait.

Toi,
qui as fait uniques certains
instants de ma vie, tu peux en devenir témoin

À
charge. Matière révélatrice qui
transforme le désert en oasis, l’automne en

Printemps,
le Monde en Mer. Dira-t-il
le miroir de l’écrit que c’est un judas où se

Confondent
et se fondent et se
parfondent pigments et soupirs, amas de pierres et déchirements,

Les
gestes de l’alphabet dessinant les
ressauts d’un signe où je me montre ou me

Démontre
à moi-même

Un
regard qui désigne

Avec
du tissu la chaîne et la trame

Avec
l’arrière-goût de calme

–Et de
tempête que le moi proclame–

Avec
le cerveau qui monte en ligne?

et 3

the
play’s the thing

Hamlet, II,
ii, 633

Le
miroir me dit que tout poème

Est un
mémento,

Cette
note de temps,

Ce
signal pour se rappeler quelque

Chose

Qui
abrège la texture d’une vie.

L’homme
du quarante-sept qui marche sur

Les
lignes de son propre portrait,
sait-il

Combien
d’ébréchures sont nécessaires

Pour
se dire?

Ou se
sert-il de poétiques –cosmétiques?
– qui cachent

–Dissimulent?
– des zones ravagées, ces
trous

D’ordure,
le continent de mal

Personnel
qui fonde aussi les traits

De
l’existence?

Une
table d’autopsies avec mon corps

Qui
vient de mourir et que le
chirurgien écartèle

Avec
soin: donnerait-il peut-être

Une
bonne teinture pour décrire les
naufrages

De
peur

Et le
fil du rasoir

Et la
douleur

Du fil
du rasoir au cerveau du
sentiment?

Ai-je
lutté de toutes mes forces pour
être celui que je crois être?

Voici
une autre trace

Qui
jamais ne me lâche,

Comme
le nom de mon amour,

Toi,

Inventé
à chaque instant dans le
battement

Qui
m’aide à vivre:

Ondoieront
lentement les traces

D’une
vie dans l’avenir

Mais
tu seras

–Je
l’assure–

L’éclat

De ma
cendre dernière

Avant
que tous les électrons ne
s’éteignent.

Je
mets tes initiales et les miennes

Ensemble

Dans
l’humus de l’écrit

P-MSGBMA

Pour
qu’elles disent quelque étincelle
de ce que nous sommes,

Je
l’ai appris de nos Grecs et de nos
Romains

Qui
sillonnaient leurs noms dans la
pierre

Dans
tous les siècles des siècles.

Ici,
l’eau de l’encre est éphémère

Comme
ce temps à nous qui ne peut
revenir en arrière: comme toute la collection de vie

Qui
dans mon désir tiendrait dans un
faisceau de mots.

J’écris
depuis l’étranger

De
moi-même,

D’un
pays avec des perspectives
ébranlées

Comme
un miroir écrasé au milieu de la
forêt

Où je
m’arrête, effrayé de me
reconnaître

Sans
remède.

Dodo

L’enfant
dort

L’enfant
dormira bien vite.

Dodo

L’enfant
dort

L’enfant
dormira bientôt.

Je
ferme mes yeux

Et je
me vois en entier retourné en
poudre jusque dans les plus intimes détails.

Je
ferme mes yeux

Et je
ne peux redonner du cœur à
rien de ce que je regarde.

Je
ferme mes yeux

Et je
sais que cette obscurité aux
constellations

S’appelle
solitude

Et
qu’elle pourrait être un squelette
pour me deviner.

Deviner
qui je suis

Est
l’un des buts du poème,

Impossible…

Peut-être
par les fentes des musiques

Tu
pourras réveiller la nature des
pigments,

Le
collage d’un tatouage insaisissable,

Les
bleus blêmis des baffes fortes,

Ou les
irisations arborescentes des
plaisirs…

Associer
la main et le cerveau d’un
homme

C’est
essayer de démolir les murs du
mystère,

Connaître
les sentiers premiers de la
tendresse

Et les
routines de la mort que je porte
toujours.

Te
donneront-elles les empreintes
digitales de l’encre

Les
reliefs et les points de vue de ma
carcasse

Frémissante,
pour trouver la définition
exacte?

Ou il
faudra enfoncer ces empreintes
dans le poème,

Dans
l’argile des mots pour que, quand
tu liras

«
Douleur », tu aies mal, ou quand tu
diras « pain »,

Tu
manges, ou en ouvrant les lettres de
la « peur »

Tu
sois bouleversé par cette passion
qui me ronge.

Au
fond d’un miroir à reflux de grotte
sous-marine

Se
projettent les années comme dans un
film très rayé

Où il
pleut sur les baisers et les
livres,

Les
déchirures et les saisons, les
tableaux,

Les
distances et les raisons simples et
complexes

Parce
que nous sommes ensemble.

Sous
la mer on voit mieux la voix

Parce
que les vagues sous-marines la
nettoient

Tout
comme cette main qui dessine des
sentiers

Sur la
physionomie d’un homme qui
s’enfouit.

Telloc,
29 décembre 1998

(Le
corps
, inédit, Telloc, 2001)

 

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