Les organisateurs avaient annoncé 400 personnes, celles-ci ont finalement été un peu plus nombreuses. En voyant les 450 places assises du palais des congrès d’Ajaccio prises d’assaut pour le lancement officiel de Mossa Palatina et les personnes debout dans les accès à l’auditorium, les membres du nouveau parti politique ont gagné leur premier pari. Ils ne s’imaginaient peut-être pas susciter autant d’acclamations, bandere au vent, face à une salle, il est vrai, acquise à leur cause. Dans les prises de parole, le refus d’appeler à une quelconque forme de violence a systématiquement tranché avec les coups de massue assénés à la face des principaux “fossoyeurs de la Corse” et de “l’Occident démocratique”, selon les adeptes du “palatinisme” : les nationalistes élus en 2015 qui ne “cessent de trahir la cause” (une phrase répétée à l’envi), les wokistes (les deux ont été souvent mêlés) et les islamistes. Durant 1 h 30, médias et observateurs ont assisté à un assaut idéologique d’une rare intensité contre “la pensée établie” dans toutes ses dimensions.
Contre la majorité nationaliste : “Ci (h)anu traditu, a nostra vindetta si chjama Mossa Palatina”
Jusque dans la playlist diffusée, rien n’a été laissé au hasard : È puru simu quì, Hosana, l’Ancura di a Misericordia ou Le Chemin des Dames pour le répertoire corse ; Les Incorruptibles, Les Chevaliers de Sangreal ou Le Dernier des Mohicans pour le répertoire international.
Sur écran géant, défile la victoire de 2015 pour laquelle les figures de Mossa Palatina ont voté, l’appel à accueillir le bateau de migrants Ocean Viking en 2017, les “théories du genre” à la mairie de Bastia en 2022. Et une réponse : “Ci (h)anu traditu, a nostra vindetta si chjama Mossa Palatina.” La salle exulte une première fois.
“Nous sommes cette jeunesse que vous n’avez pas su protéger, comme vous ne savez pas protéger cette terre qui est la nôtre”
Dans une longue introduction, sous la houlette de Romain Vincetti, directeur de l’associu Palatinu, se sont succédé Lisandru Luciani, fils du président de l’APC Denis Luciani, Jean-Charles Villanova, Paul Marchioni et Anto’Marcu Galloni d’Istria. Les membres de l’exécutif palatinien aux côtés de Fabien Lanfranchi ou de Thomas Selvini ont, chacun dans leur couloir argumentaire, résumé la pensée de leur parti : le nationalisme n’est pas né en 1975 à Aleria mais à la fin du XIXe siècle dans les écrits de Santu Casanova et de Petru Rocca ; “le paradoxe” du FLNC défendant une communauté de destin et taguant en même temps “IFF” ; la “légende” et le “travestissement” du nationalisme et de ses figures.
“Nous sommes cette jeunesse que vous n’avez pas su protéger, comme vous ne savez pas protéger cette terre qui est la nôtre”, a lancé Lisandru Luciani aux “élus”. Le “changement de société”, “le choc de civilisation inévitable”, ce “basculement démographique” annoncé à “l’horizon 2050 au profit des populations arabo et africano musulmanes” hantent Mossa Palatina. La doctrine d’un “libéralisme conservateur revendiqué” fait pâle figure à côté des coups de boutoir assénés à la majorité nationaliste et “à la bien-pensance”.
Nicolas Battini a ménagé son entrée. Et c’est finalement sous la très pompeuse bande originale Conquest of Paradise du film 1492 que le président de Mossa Palatina apparaît, triomphant. Le modeste pupitre du palais des congrès n’a rien des côtes américaines conquises par Christophe Colomb et la croix chrétienne. Qu’importe. C’est sous une pluie d’acclamations qu’il a lâché ses coups dont l’ancien membre de Femu a Corsica ne faisaient plus mystère ces derniers mois.
Les wokistes déboulonnent les statues du passé ? Nicolas Battini veut la tête d’un Riacquistu façonné par une pensée de gauche “mortifère et obsolète”
Son roman national, c’est celui de l’empire colonial français, “bâti par nos grands-pères et nos grands-oncles”. C’est celui des soldats de 14-18 morts pour la France et, selon lui, heureux de leur sort. C’est Paoli qui adhère aux aspirations de la Révolution française avant de rompre avec elle, notamment, “au nom de la défense du culte catholique”, face à Robespierre. “Vous n’entendez pas cela dans la bouche de ceux qui veulent le faire passer pour un homme de gauche”, lâche-t-il.
C’est également l’héritier d’U Babbu, Napoléon, “titan de l’histoire”, bien sûr. C’est aussi le légendaire Ugo Colonna, chevalier romain prétendument venu en Corse pour en chasser “l’Islam conquérant”. Autant de références qu’il met au service d’un argumentaire à la sulfateuse contre les “criminels reniements (nationalistes, ndlr) des dernières années”. Les wokistes déboulonnent les statues du passé ? Nicolas Battini veut la tête d’un Riacquistu façonné par une pensée de gauche “mortifère et obsolète”.
Gilles Simeoni n’aura eu “qu’un bien fait” : “Avoir permis la marginalisation de la violence politique.” Pour le reste, le président de l’exécutif de Corse a tout faux, selon Nicolas Battini. Non satisfait de lui avoir déjà répondu lorsque Gilles Simeoni avait qualifié les membres de Palatinu de “sbires de l’extrême-droite”, le président de Mossa Palatina a récidivé : “Nous n’acceptons pas que les petits-fils de pétainistes avérés donnent des leçons aux petits-fils de résistants.”
Trois ennemis : le jacobinisme, le wokisme et l’islamisme, cette “peste insidieuse qui se répand”
Selon Nicolas Battini, “l’ennemi est tricéphale” : le jacobinisme, “négation de ce que nous sommes” ; le wokisme, “sectaire et totalitaire” ; l’islamisme. Ce dernier a occupé une très large partie de son discours dénonçant cette “peste insidieuse qui se répand” avec la “complicité de l’élite bourgeoise”, cette “tyrannie” qualifiée encore de “maladie”. “Condamnez l’immigration massive ou bien vous condamnez l’âme du peuple corse”, a-t-il lancé.
Jamais avare de références religieuses et dans une volonté permanente de concentrer une partie de ses attaques contre Gilles Simeoni, Nicolas Battini cloue au pilori “saint Gilles de Lozzi récitant l’Évangile selon saint Matthieu” dont la politique favoriserait l’accueil de migrants. Pas très catholique. “La charité bien ordonnée commence par soi-même”, rétorque-t-il.
Dans sa volonté de “briser le discours qui paralyse notre société”, “d’abattre le barrage mental”, il étrille la “communauté de destin” – dont le débat né au sein du nationalisme est une victoire idéologique qu’il s’attribue – qui est devenue une communauté de résidence : “Folie que tout cela !”
Aux “flots démographiques” venus du continent et non du sud qui créeraient des déséquilibres fonciers, culturels et linguistiques, Nicolas Battini oppose une réponse radicale : “Les populations européennes sont infiniment plus compatibles entre elles.”
Le terme de “croisade” pour conquérir Bastia aux prochaines municipales ? Il l’assume et va plus loin : “Pierre Savelli n’est pas un nomade Seldjoukide, il est Corse autant que nous.” Mais le maire de Bastia se comporterait, selon lui, en “grand moufti” avec sa “politique communautariste” qu’il s’agirait de “déloger”.
Rires et acclamations se mêlent encore dans la salle qui répond à une question de son nouveau chef, revenant comme un gimmick : “Serez-vous à nos côtés ?” Les supporters de Mossa Palatina savaient ce qu’ils étaient venus chercher au palais des congrès d’Ajaccio. Ses opposants savent désormais, douloureusement, à quoi s’attendre.
Post Scriptum, 3 de juny del 2024.
Avui, Causeur entrevista Nicolas Battini, líder de Mossa Palatina: «Nous entendons briser cette hégémonie gauchisante sur l’autonomisme!» Ceux qui prétendaient défendre la Corse éternelle, celle des montagnes indomptables et des dynasties fières, se sont acoquinés avec le gauchisme parisien pour mieux réagir à la République. Nicolas Battini, avec son parti politique Mossa Palatina, entend combattre et vaincre cette erreur. À l’indépendance « tiers-mondiste » et « wokiste », il oppose l’identité corse.
Causeur. Vous abordez dans votre livre tout récemment paru plusieurs problématiques intéressantes. Vous identifiez notamment l’universalisme jacobin comme l’origine du mal en Corse… Pourquoi ?
Nicolas Battini. Le jacobinisme est l’un des maux majeurs dont souffre la France, pas seulement la Corse. Contrairement à ce que d’aucuns en disent, il ne se résume pas au centralisme. Le jacobinisme va bien plus loin que la simple concentration des leviers de décision à Paris. Il est l’une des matrices intellectuelles qui a préparé, deux cents ans en amont, le wokisme et la déconstruction. Il a organisé institutionnellement et imposé mentalement la destruction minutieuse des vieux héritages, du lien charnel avec le catholicisme populaire, de l’attachement au terroir et au peuple historique, de la légitimé des corps intermédiaires entre l’individu et l’État. La Corse, dans ses profondeurs populaires, est aujourd’hui l’un des points avancés de la résistance et du refus de l’universalisme républicain. Même si elle a elle-même fini par produire une élite locale, y compris indépendantiste, soumise aux grands canons jacobins adaptés localement, et prête à glisser spontanément vers la pensée décoloniale et woke.
Une critique que l’on entend. Pourtant, une partie de la Corse ne vit que grâce à l’État. Avec 86 emplois de la fonction publique pour 1 000 résidents, la Corse est aussi la région de province la plus administrée…
Le libéral que je suis est tout à fait d’accord pour convenir de l’état catastrophique d’une économie insulaire beaucoup trop articulée autour de la fonction publique. Mais encore une fois, le jacobinisme, avant de se manifester par une omniprésence de l’Etat, est avant tout une pensée totalitaire et déracinante. La question économique pèse finalement bien peu dans la critique que j’en fais. Un Etat centralisé, même omniprésent, mais respectueux du fait autochtone en Corse et prompt à en valoriser l’identité millénaire ne représenterait pas à nos yeux un péril de nature mortelle pour le peuple corse.
Comment les indépendantistes sont-ils passés à cet universalisme jacobin?
C’est une question sociologique. La bourgeoisie urbaine s’est largement ralliée à la gauche universaliste depuis des générations. En particulier depuis mai 68. Les cadres indépendantistes viennent de cette sociologie-là, ils en ont donc les codes et les valeurs. Par ailleurs, le phénomène historique qui a poussé à l’émergence de l’indépendantisme en Corse est étroitement lié au développement de la pensée soixante-huitarde qui accompagne la fin de la décolonisation à partir des années 50 et 60. Enfin, le nationalisme corse étant né dans les années 20 dans un courant de pensée très clairement situé à droite, voire à l’extrême-droite, plusieurs de ses meneurs se compromirent avec le fascisme italien. Au sortir de la guerre, une génération nouvelle tendit à offrir à la revendication corse disqualifiée une forme de fréquentabilité auprès des cercles urbains de la gauche parisienne. Le prisme anticolonial et anti-impérialiste permit cela, ce qui teinta durablement la revendication corse, indépendantiste comme autonomiste, d’un arrière-fond de valeurs très à gauche. Un cycle historique que nous entendons briser.
Une trahison intellectuelle qui se recoupe d’après votre expérience avec des intérêts criminels?
Assurément. La pratique continue et systématisée du moyen violent a nécessairement fait émerger des pré-carrés, des habitudes, des façons d’être et de vivre particulièrement rédhibitoires et préjudiciables à l’établissement durable d’une saine vie démocratique en Corse. Des chefs de réseaux armés se présentant comme des combattants de la Corse sont en réalité des chefs de gangs qui, à la tête de leur capital de nuisance, défendent et font fructifier leurs intérêts financiers. Le tout construit sur le sacrifice d’une jeunesse évidemment naïve qui pense s’investir au service d’une juste cause. Tout ceci doit prendre fin. Ou tout du moins, la légitimation politique de tels intérêts doit-elle être annihilée par un discours public de vérité.
La mort d’Yvan Colonna en prison a-t-elle changé les choses pour le nationalisme corse ?
La mort d’Yvan Colonna a mis nombre de nationalistes corses au pied du mur : évoquer l’islamisme par souci de vérité ou bien se contenter d’un discours complotiste résolument tourné contre l’État afin de ne pas sortir des clous de la bien-pensance gauchisante. Le président Gilles Simeoni intima la consigne d’opter pour la deuxième option. Pour ma part, alors membre de l’Exécutif de Femu a Corsica, j’ai pris la décision de démissionner pour affirmer les convictions qui sont les miennes et qui structurent aujourd’hui le narratif de Palatinu. Pour l’actuelle majorité territoriale, Yvan Colonna a été assassiné par les services préfectoraux par l’intermédiaire du djihadiste Elong-Abé. Pour ce qui nous concerne, jusqu’à preuve du contraire, Yvan Colonna est mort à cause de l’incapacité de l’extrême-centre à gérer la question de l’islamisme et de la surpopulation pénale ! Ces deux visions sont en train de fracturer profondément le nationalisme corse ainsi que le reste de la société insulaire.
Comment Palatinu, votre association récemment transformée en parti, compte répondre à cet appel du peuple corse ?
Nous y répondons par notre existence même ainsi que par nos actions. En moins de deux ans d’activité soutenue, Palatinu s’est installé au cœur du débat public corse. Pas un mois sans que nous ne soyons au centre d’une polémique. Notre nombre d’adhérents est aujourd’hui le même que Femu a Corsica, le parti majoritaire. Et ce sans aucun levier de pouvoir à notre disposition. La lame de fond est profonde au sein du peuple. Le jour de la création de notre organe électoral, Mossa Palatina, la plus grande salle de meeting d’Ajaccio était pleine à craquer. Une véritable démonstration de force selon les aveux de nos propres contradicteurs. L’établissement d’un secteur identitaire et conservateur, antiwoke et opposé à l’islamisation au sein de l’autonomisme corse est désormais durable.