Je ne me suis jamais distingué par un optimisme excessif. A fortiori, lorsque le sujet touche à la question juive. Par atavisme, je connais l’histoire tragique des miens. Dans Journal de guerre, publié en janvier, je ne donnais pas huit jours à l’État israélien – État ghetto «pogromisé» – avant qu’il ne soit nazifié, après sa riposte dans les pires conditions de guerre urbaine pour les civils cyniquement sacrifiés par le Hamas. Nous y sommes. Mais même dans le cadre de ces sinistres prédictions, je ne prévoyais pas qu’en Europe – bien qu’en cours d’islamisation accélérée -, la chasse aux Juifs soit acceptée et autorisée sans grande protestation. Les preuves sont accablantes autant qu’indiscutables.
Il y a d’abord Rima Hassan. Cette activiste assumée vient d’être choisie par la France Insoumise pour figurer en position éligible sur la liste de ses candidats aux élections européennes. Le soutien de la précitée au Hamas, classé officiellement comme organisation terroriste, peut difficilement être discuté. Au micro du média Le Crayon, à la question de savoir si le combat de celui-ci est légitime, la candidate insoumise répond : «oui» (Le Parisien, 7 mars). Il n’est pas inutile de préciser qu’aux questions de savoir si l’État d’Israël a le droit de se défendre et si la solution à deux États peut être souhaitable, Rima Hassan répond deux fois par la négative.
Il n’est pas non plus inutile d’indiquer que Rima Hassan a acquis une grande visibilité en participant à des débats sur différentes chaînes de l’audiovisuel public, et sur France 5 notamment, dans l’émission «C politique» présentée par Karim Rissouli. C’est dans le cadre de cette émission – dont le pluralisme n’est pas, de notre point de vue, la qualité première – qu’un médecin a récemment comparé Gaza au ghetto de Varsovie sans aucune impunité, tout en considérant un directeur d’Hôpital, membre du Hamas, comme une personnalité «admirable». On ne saurait s’étonner, après cela, que le secrétaire national du Parti communiste français, Fabien Roussel, ait repris à son compte cette déclaration, alertant face au «génocide à Gaza». Déclaration qu’un esprit un peu chagrin et ayant quelques rudiments historiques pourrait considérer comme offensante, les Juifs polonais ne s’en étant pas pris aux bébés allemands au début des hostilités, dont l’épilogue s’achève dans des chambres à gaz.
Pour terminer au sujet de l’attitude de Rima Hassan, on aura noté qu’elle accompagnait David Guiraud à Tunis lorsque celui-ci tint ces propos mémorables – pour cause d’inversion de la réalité – au sujet d’Israël qui «brûlait les bébés dans un four» et non le Hamas. On aurait pu espérer que Rima Hassan contredise son compagnon de voyage.
Viennent ensuite les propos de Judith Butler, philosophe que l’on peut tenir sans flagornerie comme la papesse de la théorie du genre. Elle a récemment affirmé que les attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas étaient un acte de «résistance armée». Voilà à présent que l’on apprend, lors d’une réunion organisée avec le Nouveau parti anticapitaliste – dont certains membres sont poursuivis pour apologie du terrorisme -, que Judith Butler voit dans les massacres du 7 octobre «un acte de résistance armé», ni terroriste, ni antisémite. Il y a là une harmonie entre Rima Hassan et Judith Butler qui défendent un islamo-gauchisme qui ne peut pas exister.
Il est vrai que pour l’extrême gauche, le goulag, l’immigration, l’insécurité, l’antisémitisme islamique ne sont que les fantasmes de l’extrême droite, tout le comme le wokisme n’est qu’une chimère. Mais au-delà des théories, il y a les pratiques. Les titres du Daily Telegraph du 8 mars décrivaient Londres comme interdit aux Juifs – «No go zone for jews» – pour cause de manifestations antisémites islamiques, aussi nombreuses que haineuses et où les «mort aux Juifs» sont scandés sans complexe excessif. De même à Paris, lors de cette journée dédiée aux droits des femmes, celles qui entendaient manifester leur soutien aux Israéliennes violées et assassinées – ou toujours otages du Hamas dans l’indifférence – ont été traitées de «sales Juives» ou physiquement menacées avant de devoir être exfiltrées.
Ce qui est pire encore, c’est le faible degré de protestation et de résistance face à ce nouvel antisémitisme d’une dangerosité inouïe et inconnue depuis la Shoah. À cet égard, l’absence du président de la République à la marche contre l’antisémitisme, motivée par le fait de préserver l’unité nationale et de ne pas stigmatiser la communauté musulmane, peut interroger. Car Emmanuel Macron a choisi de diaboliser un parti nationaliste de droite tout en épargnant un parti pro-islamiste de gauche. On s’accordera donc à ne pas considérer la résistance à l’antisémitisme fulgurant comme très opiniâtre. Reste à en comprendre la puissance peut-être irrésistible. Cet antisémitisme, comme je me suis toujours escrimé à le décrire pour tenter de le prévenir, est de nature irrationnelle parce que religieuse. Celui d’hier s’était construit pour châtier le peuple prétendument déicide. L’antisémitisme islamo-gauchiste d’aujourd’hui est de nature duale mais dialectique.
L’antisémitisme islamique ne tolère le Juif que soumis en dhimmitude. Plus récemment, l’antisémitisme islamique des banlieues s’est enrichi des stéréotypes occidentaux autour du Juif riche, complotiste et omnipotent. L’antisémitisme d’extrême gauche, ou à présent woke, s’est construit dans la haine de l’État-nation occidental en Orient, du Juif blanc combattant, vécu comme une insolente trahison du Juif en pyjama rayé qui ne tuait ni même ne se défendait avant que de disparaître en fumée.
Nous assistons en ce moment même à Gaza à l’édification d’une nouvelle crucifixion où le peuple juif en Judée serait à nouveau déicide. Et Joe Biden pourrait être tenu pour Ponce Pilate s’il n’arrêtait le carnage. On remarquera que ni les villes allemandes et françaises avant-hier, ni Mossoul ou Raqqa hier, bombardées sans aménité par les Alliés pour combattre un agresseur sauvage, n’ont donné lieu à pareil psychodrame infernal. Voilà dans quel cadre obsessionnellement judéo-centré, aussi inconscient que fantasmatique, se joue le dernier épisode du drame juif. Mais on aurait grand tort de ne regarder ce drame inachevé que sous l’angle judaïque. Derrière le rideau, se joue l’avenir de l’Europe judéo-chrétienne assiégée. De sa liberté et de son existence. Le Juif est le canari en danger dans la mine en train de s’effondrer.
Post Scriptum, 14 de març del 2024.
Eva Illouz, (sociologue franco-israélienne, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris), ahir a la revista K. retrata la postura de Judith Butler: « Une certaine gauche intellectuelle est devenue la matrice d’une politique de haine contre les Juifs ». I també d’aqueix article publicat avui per Le Monde:« Les propos de Judith Butler sur le Hamas nous rappellent que les intellectuelles aussi peuvent se livrer à la supercherie ».
Per contra, una tribuna Col·lectiva publicada avui a Libération li fa costat: “Annie Ernaux, Etienne Balibar, Laure Murat… 60 intellectuels dénoncent un «faux procès» fait à Judith Butler pour ses propos sur le Hamas“: Depuis quelques jours, un faux procès est fait à Judith Butler, pour ses déclarations lors d’une réunion filmée à Pantin organisée par plusieurs collectifs solidaires du peuple palestinien. Un extrait de cette rencontre a tourné en boucle sur les réseaux sociaux, où la philosophe parle de l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas comme appartenant à une « résistance armée » contre l’état d’Israël. Cette expression, qui a choqué, a été entendue comme une exonération des atrocités commises à cette date, au point que son séminaire à l’ENS a été annulé et reprogrammé – avec son accord, afin de ne pas créer de confusion. Depuis, la philosophe s’est exprimée dans Mediapart, pour clarifier sa position.
Qu’on soit d’accord ou pas avec les positions de Judith Butler, il relève de la malhonnêteté intellectuelle de ne pas rappeler sa condamnation des événements du 7 octobre (voir son intervention dans la London Review of Books, reprise par AOC) et son engagement têtu et continu pour la paix, son soutien à la coexistence de deux peuples à égalité de droits, et son militantisme pour la non-violence, dont témoignent plusieurs de ses livres. Parler de « résistance armée » est un choix que Judith Butler estime « plus honnête et juste historiquement », en ce qu’il replace les événements du 7 octobre dans le temps long de l’histoire et de l’oppression subie par le peuple palestinien depuis des décennies. Il ne légitime en rien les méthodes du Hamas.
Pour qui veut bien prendre le temps (2 heures) de regarder l’intégralité de la rencontre de Pantin, il est remarquable de constater le souci scrupuleux que Judith Butler porte au problème de l’instrumentalisation sous toutes ses formes, le plus souvent à des fins racistes, que ce soit de l’attaque du 7 octobre, de la Shoah (dont sa famille a été victime), de l’auto-défense, de l’antisionisme et sa collusion avec l’antisémitisme depuis les années 1970 ou du féminisme dans le contexte israélo-palestinien. Ne laissons pas son discours se faire instrumentaliser en retour pour jeter un discrédit sur son engagement.
Comment imaginer l’au-delà de la violence et restructurer le monde afin de vivre dans l’égalité, la justice et la liberté ? La question que pose Judith Butler mérite une discussion rigoureuse et ouverte. Il est indigne de l’escamoter sous prétexte d’une polémique montée en épingle quand la réflexion et le débat sont plus que jamais nécessaires.
Premiers signataires : Annie Ernaux écrivaine, prix Nobel de littérature, Etienne Balibar philosophe, Laure Murat historienne et écrivaine, Jacques Rancière philosophe, Achille Mbembe philosophe, Michel Feher philosophe, Monique David Ménard philosophe et psychanalyste, Chantal Jaquet philosophe, Rony Brauman médecin, ex-président de Médecins Sans Frontières, Elsa Dorlin philosophe, Paul B. Preciado philosophe, Ivar Ekeland président honoraire de l’Université Paris-Dauphine, Patrice Maniglier philosophe, Sophie Mendelsohn psychanalyste, Michel Broué mathématicien, professeur émérite Université Paris-Cité, Nadia Yala Kisukidi philosophe, Elisabeth Lebovici critique d’art, Catherine Facerias anthropologue, Guillaume Le Blanc philosophe, Eric Alliez philosophe, John McCumber philosophe, Françoise Lionnet professeure et critique, Jean-Marc Lévy- Leblond physicien, professeur émérite, Viviane Baladi mathématicienne, Sandro Mezzadra professeur de théorie politique, Sonia Dayan-Herzbrun professeure émérite de sciences sociales, Ahmed Abbes mathématicien, Bertrand Binoche professeur de philosophie, Kim Sang Ong-Van-Cung philosophe, Catherine Perret philosophe et psychanalyste, Catherine Goldstein directrice de recherche, Matthieu Renault professeur de philosophie, Nicolas Boeglin professeur de droit international public, Assaf Kfoury professeur de sciences informatiques, Rada Ivekovic philosophe, Bernard Le Stum enseignant-chercheur, Michel Agier anthropologue, Nacira Guénif-Souilamas sociologue, anthropologue, Marc Lenormand maître de conférences en études anglophones, Christian Salmon écrivain, Alice d’Andigné éditrice, Philippe Büttgen philosophe, Guillaume Sibertin-Blanc professeur de philosophie, Yves Sintomer professeur de science politique, Aurélie Knüfer maîtresse de conférences en philosophie, Sylvain Cypel journaliste, Selma Tilikete doctorante en sciences politiques, Lena Silberzahn docteure en science politique, Yasmina Naji éditrice, Marta Segarra directrice de recherche, Nadia Marzouki politiste, Zeynep Gambetti professeure de théorie politique, Jonathan Rosenhead professeur émérite LSE, Robin Celikates professeur de philosophie, Anne Texier professeure de philosophie, Pascale Gillot maîtresse de conférence en philosophie, Teresa Pullano chercheuse en science politique…