Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

30 d'abril de 2013
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Gilles Kepel: “Merah et Tsarnaev, même combat”

Els atemptats de Boston tenen punts en comú amb els comesos a Tolosa de Llenguadoc ara tot fa un any: els perfils dels gihadistes Tsarnaev i Merah són analitzats per Gilles Kepel, politòleg francès especialitzat en l’islamisme, a aqueix article publicat abans d’ahir a Le Monde:

 

“L’attentat de Boston présente de troublantes similitudes avec la tuerie de Montauban et Toulouse en mars 2012. A une année de distance, deux operations de “djihad du pauvre” ont été menées en Occident par des jeunes musulmans brusquement radicalisés issus de l’immigration. Les rapports des Etats-Unis à la Tchétchénie ex-soviétique et ceux de la France à l’Algérie ex-coloniale diffèrent. Mais l’attentat à l’autocuiseur piégé qui a tué trois passants dont un enfant et blessé des dizaines de personnes, suivi du meurtre d’un policier, participe de la même logique que l’assassinat des militaires français ainsi que des petits élèves et du professeur de l’école juive Ozar-Hatorah.

Ces deux passages à l’acte illustrent en effet les préconisations du “troisième âge du djihad”, théorisées par l’idéologue islamiste syrien Moustafa Sitt Mariam Al-Nassar – dit Abou Moussab Al-Souri – dans son volumineux opus Appel à la résistance islamique mondiale. Il fut mis en ligne à partir de 2005, lorsque l’auteur comprit que les opérations centralisées impulsées par Al-Qaida avaient failli, avec l’échec du djihad du “deuxième âge”, à instaurer un “califat islamiste” en Irak – le “premier âge” se référait au djihad contre l’Armée rouge en Afghanistan dans la décennie 1980.

En septembre 2001, la stratégie de Ben Laden était en avance sur la doctrine militaire américaine : l’arsenal de la “guerre des étoiles” s’avéra futile contre les pirates de l’air de New York et de Washington. Dans la décennie qui suivit, l’Occident rattrapa son retard : la surveillance des transferts de fonds, la réorganisation du renseignement et des forces spéciales, les ravages causés par les drones parmi les imams et les fedayins de l’Irak au Yémen et à l’Afghanistan, portèrent des coups terribles au djihad “organisé” par le haut.

DJIHAD “PAR LE BAS”

L’exécution de Ben Laden, et plus encore le succès militaire français au Mali en 2013 contre une Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), dont la logique avait été percée, le démontrèrent. C’est en alternative à cette défaite anticipée que Souri prôna une stratégie de djihad “par le bas”, déstructuré, qu’il nomma nizam la tanzim (un système et non une organisation).

A un terrorisme hâtif de destruction massive devenu impraticable, il oppose la multiplication d’actions quasi “spontanéistes” mises en oeuvre au long cours par des djihadistes autoradicalisés grâce aux sites de partage de vidéos – prolongés par quelques stages de formation in situ – incités à choisir eux-mêmes, dans leur proximité, une cible opportune.

Peu ou mal identifiables par le renseignement – Merah comme Tsarnaev avaient été repérés et interrogés, mais leur dangerosité fut sous-estimée –, équipés d’explosifs ou d’armes de fortune, autofinancés par des larcins, ils ne pourront tuer des milliers d'”impies” comme au 11-Septembre.

Mais la répétition de ces actions spectaculaires, leur diffusion et leur glorification sur Internet, leur imprédictibilité, sèmeront à la longue, escompte Souri, la terreur au sein d’un ennemi démoralisé, qui multipliera les réactions “islamophobes”, soudant en réaction, autour du djihad défensif, une communauté de croyants immigrés que rejoindront des convertis en nombre croissant. C’est alors, pense l’idéologue du “djihad 3G”, qu’adviendra sous les meilleurs auspices l’affrontement qui détruira la civilisation occidentale sur son territoire même.

PEU PRIS AU SÉRIEUX PAR LES RENSEIGNEMENTS

Ce djihad de basse intensité, progressif, mécaniste et eschatologique, n’a guère été pris au sérieux par la communauté du renseignement, requinquée par les succès remportés contre Al-Qaida depuis la seconde moitié de la décennie écoulée. Les “terroristologues de plateau télévisé”, généralement ignorants d’une idéologie qui suppose la connaissance de l’arabe et de la culture islamiste radicale, avaient traité en son temps Merah de “loup solitaire” pour masquer leur incompréhension du phénomène.

Aux Etats-Unis, on affectionne l’expression stray dogs (chiens errants) pour désigner le passage à l’acte djihadiste depuis 2010 d’une demi-douzaine de résidents ou nationaux américains, qui “mordent où ils peuvent” dans la chair de la société américaine multiculturelle.

Mais aucun n’avait, en s’attaquant à une grande communion civique comme le marathon de Boston, arrêtant le peuple américain dans sa course, suscité en contrepartie un traumatisme d’une telle ampleur symbolique – concrétisé par l’immobilisation de plus d’un million d’habitants consignés à domicile pour contempler à la télévision le spectacle hollywoodien de la traque d’un fugitif devenu l’ennemi intérieur par excellence.

Ce qui nous frappe, dans les affaires Tsarnaev et Merah, c’est l’énorme retour sur investissement terroriste, le retentissement incommensurable avec les misérables moyens mis en oeuvre – comme si les élucubrations de Souri se traduisaient dans la réalité.

INTÉGRATION RATÉE

Or, ce qui s’est joué à Boston comme à Toulouse dépasse la seule logique du terrorisme : l’immense résonance de ces deux affaires provient du basculement effarant de destins individuels, chez des immigrés ou enfants d’immigrés que l’ingénierie sociale occidentale, par-delà la différence des modalités américaine ou française, avait vocation à intégrer.

Tout au contraire, ils se sont “désintégrés” par rapport aux sociétés d’accueil, au travers du rejet systématique de leurs valeurs au nom d’une norme islamiste exacerbée, exprimant par le paroxysme de la violence leur adhésion à une cybercommunauté imaginaire de djihadistes, héros fantasmatiques de la rédemption de l’humanité face aux kouffar (“impies”) occidentaux.

Au départ, il y a la divagation sur la planète de destins familiaux ravagés. A Boston, une famille tchétchène anciennement exilée par les persécutions staliniennes au Kirghizistan, ballotée entre la décomposition de l’Homo sovieticus et l’identité nationale ; un père et une mère éduqués qui se projettent dans le rêve américain, où ils se dégradent en mécanicien auto et esthéticienne, avant de s’en revenir dépités au bercail.

Un frère aîné, nommé, d’après le terrible empereur mongol, Tamerlan, qui rate une carrière de boxeur, perd ses repères, boit, court les filles, puis découvre une version rigoriste de l’islam, voile sa mère, se nourrit de sites djihadistes tant et si bien que les services russes en informent leurs collègues américains qui interrogent, puis laissent aller le suspect. Un séjour de presque six mois en 2012 dans le Caucase suscitant toutes les spéculations – y compris sur les manipulations ou les ratages du renseignement russe –, d’où il revient si radicalisé qu’il effraie les fidèles de sa mosquée de Boston.

FRÈRE AÎNÉ DOMINATEUR

Le jeune frère, Dzhokhar (de l’arabe jawhar : joyau), carabin tout empreint des traits de l’enfance, loué pour sa douceur par ses camarades, se définit sur son profil Facebook par la triade “islam, carrière, argent”. C’est le visage d’ange, la beauté du diable de ce jeune homme au nom de bijou, si parfaitement américain en apparence et en esprit, qui suscite le plus insondable malaise.

Et même s’il incrimine sur son lit d’hôpital la domination de son aîné, le ressort du basculement dans le djihad va chercher plus loin que la simple adhésion aux thèses d’un Souri dont il ignore probablement tout : dans les tréfonds du malaise de la mondialisation, des traumatismes de l’immigration, qu’a su capter et mobiliser à son profit l’idéologie islamiste radicale.

Merah aussi avait un visage encore enfantin et un sourire charmeur ; et également un aîné dominateur, parti étudier le salafisme en Egypte, une mère et une soeur tombées sous l’emprise d’un islamisme rigoriste, une famille brisée, ballottée entre l’Algérie et la France, un père ayant refait sa vie au bled sans plus se préoccuper des siens, après avoir purgé une condamnation pour trafic de stupéfiants.

Mohamed retrouve en prison une identité en survalorisant un islam exalté qui l’absout des délits commis contre une société “impie” dont les lois sont ipso facto dévalorisées. Il ne parvient pas à construire une vie professionnelle, mais se gave de vidéos exaltant le martyre des croyants et l’exécution des infidèles, puis part au contact de groupes djihadistes au Moyen-Orient et en Afghanistan, et roule la police qui pense pouvoir le retourner.

Les croisements avec le destin de Tamerlan Tsarnaev sont frappants – même si le fils de prolétaire algérien était plus démuni que l’enfant choyé d’un couple de petits-bourgeois tchétchènes.

Et quel incroyable entrelacs de ces destins chaotiques avec la grande Histoire : le djihad de Mohamed Merah a lieu entre le 11 et le 22 mars 2012, cinquante ans après les accords d’Evian du 18 mars 1962, qui scellent l’indépendance d’une Algérie dont tant d’enfants iront s’installer dans le pays qu’ils combattirent pour s’en séparer. Quant à “Bijou” Tsarnaev, il vient d’être naturalisé américain, le 11 septembre 2012, onze ans après les attentats de New York et Washington, l’acte fondateur du djihad en terre d’Occident, dont il a joué une variation qui représente le plus pervers des défis pour la citoyenneté et l’intégration de nos sociétés.”

Post Scriptum, 8 de novembre del 2016.

Gilles Kepel ha desfermat una veritable tormenta  a les ja agitades aigües del jornalisme francès d’esquerres en equiparar els “islamo-gauchistes” als xarlatans. Le Figaro d’avui se’n ha fet ressò:

“L’islamologue a publié une charge virulente contre les « islamo-gauchistes », qu’il qualifie de « charlatans » dans une interview à l’Obs. Une prise de position qui ravive une vielle querelle à gauche, alors que Licra s’oppose à la notion d’« islamophobie ».

Pavé dans la mare à gauche. L’universitaire Gilles Kepel, auteur de Terreur dans l’Hexagoneune genèse du djihadisme français, vient de publier La Fracture, un livre où il dénonce la division du pays entre, d’un côté, des groupes communautaristes prônant un islam conquérant et, de l’autre, les groupes identitaires alimentés par l’extrême-droite. Le spécialiste reconnu de l’islam français, qui a publié plusieurs ouvrages sur l’islamisation des banlieues, dénonce également avec virulence les «islamo-gauchistes» qu’il qualifie de «charlatans» dans une interview à l’Obs, où il fustige «ces intellectuels tétanisés par la culpabilité postcoloniale» devenus les idiots utiles de la lutte contre l’islamophobie.

Selon Kepel, ce terme est un leurre. «Les musulmans ne sont pas plus victimes de discrimination que d’autres personnes», a-t-il déclaré lundi sur France Inter. Il accuse notamment le CCIF (Comité contre l’Islamophobie en France) d’être le fruit d’une «stratégie de conquête» pensée et dirigée par les Frères musulmans. Il cible également le Bondy Blog, un média créé à l’occasion des émeutes de 2005 et hébergé sur le site de Libération d’être «totalement repris en main par cette frange frériste qui fait de l’islamophobie son principal slogan». «Pour les Frères musulmans, dans la mouvance de Tariq Ramadan, comme pour Marwan Muhammad (le directeur exécutif du CCIF), il y a une volonté manifeste de mobiliser cette jeunesse musulmane en occultant le phénomène des attentats, en se refusant à le penser», accuse l’islamologue.

Ce cri d’alarme de Gilles Kepel suscite des attaques virulentes à gauche, dans les rangs de ceux qu’il dénonce comme islamo-gauchistes. Le Bondy Blog a publié un droit de réponse à ses accusations, qualifiées de «délirantes et mensongères». Une indignation soutenue par le fondateur de Médiapart, Edwy Plenel, qui a qualifié les attaques de Kepel d’«ignorantes». Le fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Pascal Boniface a, lui, évoqué une «dérive inquiétante de l’Obs» et dénoncé le «narcissisme» et la «courtisanerie» du chercheur. L’ex-trader Marwan Muhammad a accusé Gilles Kepel, pourtant bardé de diplômes, d’être un faux universitaire.

Autre illustration récente de cette division à gauche, le refus par l’une des principales associations antiracistes françaises, la Licra, d’employer le terme «islamophobie», réaffirmé par son président Alain Jakubowicz ce week-end. Selon lui, le terme est «une imposture», utilisée «comme une arme contre la laïcité destiné à protéger un dogme religieux». Gilles Clavreul, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra) a affiché son soutien à Kepel et à la Licra.

Tandis que le journaliste Frédéric Haziza a défendu Kepel et Jakubowicz dans leur dénonciation du terme islamophobie, le journaliste Claude Askolovitch écrit dansSlate : «Que cette Licra milite, activement, pour que le mot “islamophobie” soit banni du vocabulaire public est donc une catastrophe notable, politique et idéologique.»

Ces affaires ne sont que les dernières secousses d’une ligne de fracture qui divise durablement la gauche française, entre les tenants d’une laïcité scrupuleuse, que leurs adversaires qualifient parfois de «laïcards» et ceux qui voient dans les musulmans une minorité stigmatisée, que leurs adversaires qualifient d’«islamo-gauchistes». L’expression «islamo-gauchiste» a été popularisée à l’orée des années 2000 dans le débat public français. Comme le rappelait Libération, le mot apparaît sous la plume de Pierre-André Taguieff dès 2002. L’auteur de La Nouvelle Judéophobie désignait ainsi «la nouvelle configuration tiers-mondiste, néo-communiste et néo-gauchiste, plus connue sous la désignation médiatique de “mouvement antimondialisation”». Cette alliance se retrouvait notamment dans la défense par l’extrême-gauche du camp palestinien.

Mais depuis les attentats terroristes de 2015, le terme a connu un véritable succès. Il a notamment été employé par plusieurs figures intellectuelles de gauche comme la féministe Elisabeth Badinter, l’éditorialiste Jacques Julliard, la journaliste Caroline Fourest ou encore le mouvement laïque du Printemps républicain, auquel appartiennent Gilles Kepel et Gilles Clavreul. Manuel Valls avait lui-même repris l’expression à son compte sur Radio J en mai 2016, accusant «les capitulations intellectuelles, les ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de cette violence et de cette radicalisation».

Pour les personnalités visées, ce vocable est un néologisme infamant, destiné à empêcher tout débat. L’historien israélien antisioniste Shlomo Sand compare même le terme à celui de «judéo-bolchévisme» employé par les antisémites dans les années 1930. Débutée après le 11 septembre 2001, la querelle sur l’islamo-gauchisme est loin d’être finie. Un an après le 13 novembre, la fracture n’a jamais été aussi grande entre la «gauche Plenel» et la «gauche Kepel».

Post Scriptum, 28 de juliol del 2023.

Emilio González Ferrín va publicar el 29 de novembre del 2016 a la Revista de Libros una bona ressenya de l’obra de  Gilles Kepel, “El terror entre nosotros. Una historia de la yihad en Francia”.

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