Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

25 d'abril de 2016
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Pierre-André Taguieff: “De l’islamisation palestiniste au complotisme antisionista”

El politòleg francès Pierre-André Taguieff (mantes vegades esmentat en aqueix bloc com un dels pensadors contemporanis més eminents) va publicar ahir a la web de Resilience TV un text que  complementa l’apunt d’ahir i reprodueixo tot seguit:

“Pour comprendre comment s’est fabriquée, au cours de la période post-nazie, une nouvelle configuration antijuive dans une Europe professant le respect inconditionnel des droits humains, il faut procéder à quelques détours historiques et géographiques, bref sortir à la fois de l’histoire européenne et de l’actualité la plus récente. Dans cette recherche, le fil rouge est constitué par l’islamisation croissante de la judéophobie, à travers la place toujours croissante occupée par la «cause palestinienne» dans le nouvel imaginaire antijuif partagé désormais par les musulmans et les non-musulmans.

La «cause palestinienne» s’est ainsi transformée en cause arabo-islamique, comme par un retour à ses origines (les années 1920 et 1930), mais avec un point de fixation construit comme un mythe répulsif: le «sionisme», entité diabolisée érigée en ennemi universel (le «sionisme mondial»), et Israël, l’État jugé absolument illégitime et voué à la destruction. La réislamisation de la «cause palestinienne», dans le contexte d’une montée en puissance de l’islamisme dans le monde depuis les années 1990, a joué un rôle déterminant dans la production de la nouvelle judéophobie globalisée.

Dans ce cadre, de vieilles accusations antijuives transmises par la tradition musulmane ont été réactivées et mises au premier plan. Il en va ainsi du célèbre hadîth du rocher et de l’arbre, qu’on trouve cité dans la Charte du Hamas:

«Ainsi, bien que les épisodes soient séparés les uns des autres, la continuité du jihad se trouvant brisée par les obstacles placés par ceux qui relèvent de la constellation du sionisme, le Mouvement de la Résistance Islamique [Hamas] aspire à l’accomplissement de la promesse de Dieu, quel que soit le temps nécessaire. L’Apôtre de Dieu – que Dieu Lui donne bénédiction et paix – a dit: “L’Heure ne viendra pas avant que les musulmans n’aient combattu les Juifs (c’est-à-dire que les musulmans ne les aient tués), avant que les Juifs ne se fussent cachés derrière les pierres et les arbres et que les pierres et les arbres eussent dit: ‘Musulman, serviteur de Dieu! Un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le.’ Un seul arbre aura fait exception, le gharqad [sorte d’épineux] qui est un arbre des Juifs” (hadîth rapporté par al-Bukhâri et par Muslim).»

Dans la propagande «antisioniste» sont recyclées aussi les accusations de meurtre des prophètes, de falsification des livres saints, de propension juive à mentir et à semer la corruption et la guerre civile. D’où les stéréotypes négatifs indéfiniment exploités: les Juifs seraient fourbes et traîtres (en référence aux démêlés entre le Prophète et les Juifs de Médine), cupides et cruels, ennemis de Dieu et de l’humanité, corrompus et corrupteurs.

Mais il ne faut pas oublier pour autant le phénomène de transfert culturel des thèmes antijuifs européens au sein du monde arabo-musulman qui, commencé à la fin du XIXe siècle, a pris une ampleur croissante au Proche-Orient à l’occasion de la lutte engagée par les Arabes contre le sionisme aux lendemains de la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917. Le refus arabo-musulman de la création d’un «foyer national juif» en Palestine a été immédiat, et s’est idéologisé par recours à des stéréotypes et à des thèmes d’accusation empruntés au corpus de l’antisémitisme européen. C’est le cas pour la légende du «meurtre rituel», le mythe du «complot juif mondial» ou l’accusation plus récente de «racisme», qui alimente depuis les années 1970 la «nazification» d’Israël et du sionisme. En raison de ces investissements symboliques, le modèle ordinaire du conflit israélo-palestinienne, en tant que conflit strictement politique et territorial, s’avère trompeur. Le conflit ne saurait se réduire au simple choc de deux nationalismes rivaux, impliquant des conflits de légitimité plus ou moins surmontables. Qu’on le veuille ou non, il tend à prendre la figure d’un conflit judéo-musulman.

Comme l’ont montré un certain nombre d’études historiques, le premier moment du processus de transformation du vieil antisémitisme européen en judéophobie antisioniste dotée d’un sens politique se situe dans l’entre-deux-guerres, et plus particulièrement au cours des années 1930, quand la thématique antijuive christiano-européenne est entrée en synthèse avec l’antijudaïsme théologico-religieux musulman. C’est alors que les Frères musulmans dirigés par Hassan al-Banna, le «Grand Mufti» de Jérusalem Haj Amin al-Husseini et plusieurs leaders arabes, tel l’Irakien Rachid Ali al-Gaylani, entrèrent en contact avec les nazis, avant de nouer certaines alliances qui se dévoilèrent pleinement durant la Seconde Guerre mondiale.

 L’importation de l’antisémitisme européen dans le monde arabo-musulman, marqué notamment par la première diffusion des Protocoles des Sages de Sion et de sa thématique conspirationniste au Proche-Orient, a pris une importance politique à partir du début des années 1920, lorsque des idéologues du panarabisme et du panislamisme ont associé la question palestinienne à la menace indistinctement «juive» et «sioniste» pesant sur les Lieux saints de l’islam. La hantise des Arabes musulmans tourne alors autour de la transformation de la mosquée Al-Aqsa en synagogue, rumeur qui, depuis le début des années 1920 et sous diverses formulations, n’a cessé de provoquer émeutes, pogroms ou affrontements sanglants. Cette accusation mensongère portée par le slogan «Al-Aqsa est en danger», lancé et exploité par le «Grand Mufti» de Jérusalem, a été à l’origine de la seconde Intifada, avant de revenir à l’automne 2015 pour justifier une nouvelle vague d’attaques terroristes contre des Israéliens. À la dénonciation de l’«occupation» de Jérusalem («al-Quds» ou «al-Qods»), où se trouve le troisième Lieu saint de l’islam, s’ajoute celle de la «judaïsation» de la ville supposée musulmane. La version actualisée du slogan islamiste est désormais «Par le sang on reprendra Al-Aqsa», formule mobilisatrice allant de pair avec le cri «Allahou akbar». L’islamisation de la «cause palestinienne» a atteint un point de non-retour. La multiplication des attaques palestiniennes contre des Israéliens donne à penser qu’une troisième Intifada est sur le point de se déclencher. C’est dans ce contexte que nombre de leaders palestiniens poussent à une radicalisation de l’Intifada commençante. Début mars 2016, Abou Ahmad Fouad, secrétaire général adjoint du FPLP, s’est félicité de l’aide iranienne aux familles des Palestiniens «candidats au martyre»: «Ces capacités et cette aide entraîneront une escalade de l’Intifada. Oui. Et c’est ce que nous voulons. (…) Le candidat au martyre doit savoir qu’on s’occupera de sa famille. (…) Ce soutien aidera ces gens à continuer le combat et les sacrifices.»

L’annexion islamo-arabe symbolique du Mont du Temple représente la dernière instrumentalisation palestinienne réussie de la question de Jérusalem. Le comité directeur de l’Unesco, réuni à Paris, a adopté le 12 avril 2016 une résolution proposée par l’Autorité Palestinienne stipulant qu’il n’y a aucun lien religieux entre le peuple juif et le Mont du Temple ainsi que le Mur occidental (le Mur des lamentations). La résolution se réfère au Mont du Temple comme à un site exclusivement musulman, connu sous le nom de «l’esplanade des Mosquées». Le texte, présenté conjointement par l’Algérie, l’Égypte, le Liban, le Maroc, le royaume d’Oman, le Qatar et le Soudan, accuse l’État juif de profaner la mosquée Al-Aqsa et de creuser de «fausses tombes juives» dans les cimetières musulmans de Jérusalem. Avec l’Espagne, la Slovénie, la Suède et la Russie, la France a voté en faveur de ce grossier texte de propagande. Il relance une accusation sloganique bien connue: celle de la «judaïsation» et de l’«israélisation» de Jérusalem, thème privilégié de la nouvelle propagande «antisioniste». L’accusation était ainsi formulée le 31 mars 2016 par un journaliste militant de la «cause palestinienne», Mohamed Salmawy:

«Où en est l’Unesco des agressions sur le patrimoine architectural et religieux de la ville sainte de Jérusalem? La judaïsation et l’israélisation de tout ce qui est arabe et musulman ont commencé à susciter la colère de l’opinion publique mondiale de manière générale. D’ailleurs, nombreuses sont les déclarations qui ont été émises de parties connues pour leur alignement aveugle sur Israël, exprimant leur rejet des agressions israéliennes sur les lieux sacrés à Jérusalem, en plus du sanctuaire d’Abraham (le Caveau des patriarches).»

Le 21 octobre 2015, l’Unesco avait classé le Caveau des patriarches et la Tombe de Rachel, deux lieux saints juifs en Israël, comme des sites musulmans de l’État palestinien.

Cette rumeur persistante d’un complot juif pour détruire l’un des Lieux saints de l’islam explique la centralité et la récurrence de la question de Jérusalem dans le conflit politico-religieux opposant Juifs et Palestiniens musulmans. Elle présente l’avantage, pour la propagande palestinienne et ses variantes islamistes, de provoquer mécaniquement la sympathie et la solidarité de tous les musulmans, qu’ils soient sunnites ou chiites, et de les conduire à s’engager «sur le chemin du jihad» pour la défense d’Al-Aqsa. Les islamistes radicaux ont intégré depuis longtemps le thème d’accusation dans leur discours de propagande pour nourrir un antisionisme radical et démonologique puissamment mobilisateur. À la mobilisation des islamistes et des cercles de leurs sympathisants (des passifs aux complices) s’ajoute la mobilisation de divers milieux politiques, allant des gauches radicales à la plupart des groupes néofascistes ou néonazis, en faveur de la «cause palestinienne», sur la base d’une diabolisation du «sionisme» et d’Israël.

L’islamisation de la «cause palestinienne» est en accélération continue depuis la création du Hamas en décembre 1987, qui lui a donné une figure organisationnelle. Faut-il rappeler l’article 13 de la Charte du Hamas, rendue publique le 18 août 1988? «Il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad.» Cette islamisation jihadiste a pour effet de transformer un conflit politique et territorial en une guerre sans fin, alimentée par des passions ethnico-religieuses interdisant la recherche du compromis qui seul peut garantir une paix non précaire entre Juifs et Palestiniens (et plus largement États arabo-musulmans).

Après des années de rêveries tiers-mondistes, anti-israéliennes et américanophobes, les intellectuels français ont été brutalement confrontés à la réalité historique par les attaques du 11-Septembre, les massacres commis au nom de l’islam en Syrie et en Irak ou les attentats parisiens de janvier 2015 et de novembre 2015. Ce réveil brutal a conduit certains d’entre eux à nier, minimiser ou relativiser les faits ne s’inscrivant pas dans leur horizon d’attente. D’où une dérive conspirationniste. Si le spectacle du monde n’illustre pas le tableau qu’on s’en fait, s’il va jusqu’à le contredire, alors la tentation est grande de recourir aux «théories du complot», qui présentent l’avantage de paraître expliquer ce qu’on ne peut expliquer et de préserver ainsi les dogmes idéologiques et leur apparence cohérence. Les négateurs des attaques du 11-Septembre avaient montré la voie.

Les conspirationnistes d’aujourd’hui appliquent les mêmes schèmes interprétatifs aux événements qui dérangent ou contredisent leur vision du monde. Ils imputent par exemple l’apparition de Daech à un vaste complot «sioniste» visant à affaiblir les États arabes et à mettre en difficulté l’Iran. Ou bien ils suggèrent que les attentats meurtriers de janvier ou de novembre 2015 sont le résultat de manipulations de services secrets, où le Mossad est toujours bien placé. Dans les nouveaux récits complotistes, les intérêts prêtés aux «sionistes» fonctionnent comme les «intérêts de classe» dans la vulgate marxiste ou les «intérêts de race» dans les doctrines racistes classiques. Les «antisionistes» qui se réclament de l’antiracisme réinventent ainsi un mode d’accusation proprement raciste.”

Post Scriptum, 5 de juliol del 2016.

Les declaracions de Gilles Clavreul, delegat interministerial nomenat pel govern francès per lluitar contra el racisme i l’antisemitisme, “la mobilisation palestinienne est beaucoup plus radicale en France qu’ici”, a The Times of Israel d’ahir, confirmen el diagnòstic de Pierre-André Taguieff.

Post Scriptum, 23 de gener del 2018.

Georges Benayoun i Rudy Reichstadt, autors del documental “Complotisme: les alibis de la terreur” són entrevistats avui per Le Figaro i també Iannis Roder publica a Causeur aqueix punyent article: “Complotisme, à qui profite le crime ?”.

Post Scriptum, 13 d’abril del 2022.

REVUE ANNUELLE DU CRIF 2022: “EXTRÉMISMES ET COMPLOTISME”, de PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF

Sous la forme du « complot sioniste mondial », on rencontre le mythe du complot juif international dans toutes les productions textuelles extrémistes, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par les islamistes de toutes obédiences. L’un des traits distinctifs de l’extrémisme, c’est précisément le recours à des « théories du complot » plus ou moins élaborées pour expliquer la marche des événements, surtout lorsqu’elle est jugée décevante, inquiétante, choquante ou terrifiante. Il faut pointer cependant une asymétrie entre les extrémismes : alors que, dans les milieux d’extrême gauche, on s’inspire des thèmes majeurs de la vision complotiste du monde sans jamais se référer aux Protocoles des Sages de Sion, dans les milieux d’extrême droite, comme au sein des mouvances islamistes, on cite souvent le document pour justifier les accusations lancées contre « les Juifs » ou « les sionistes ».

Contre l’ennemi « mondialiste »

L’ennemi commun de tous les extrémistes, c’est le « mondialisme », qui est dénoncé au moyen de poncifs et de rumeurs figées trouvant leur origine dans les Protocoles et les textes qui en sont dérivés. Le cas du polémiste français Alain Soral (né en 1958), ancien communiste devenu nationaliste mais resté anticapitaliste, est ici exemplaire. L’ennemi principal qu’il désigne, c’est le « mondialisme », la « gouvernance mondiale » ou le projet d’un « Nouvel Ordre mondial ». Mais le « sionisme », toujours « mondial », est régulièrement dénoncé par le polémiste. Au début des années 2000, Soral qualifiait l’État d’Israël de « champion contemporain du fascisme colonialiste » et dénonçait « l’aristocratie internationale qui règne de New York à Tel Aviv ». Celui que Max Weber aurait caractérisé comme un « intellectuel prolétaroïde » a exposé en 2011 sa vision antimondialiste dans Comprendre l’empire, sous-titré « Demain la gouvernance globale ou la révolte des nations ? ». On y trouve tous les poncifs de la littérature conspirationniste produite depuis le début des années 1950, en France, par des publicistes antijuifs comme Henry Coston, Jacques Bordiot (1900-1983) ou Pierre Virion (1899-1988), dénonciateurs infatigables du « Gouvernement mondial » et du « messianisme de la finance internationale » visant à établir un « empire universel sous l’autorité d’une oligarchie apatride » (Bordiot).

Ces prétendues « sociétés secrètes » à visée « mondialiste » inlassablement dénoncées sont censées rassembler les puissants de ce monde, tel le groupe de Bilderberg, désigné comme l’un des principaux lieux de rencontre, de coordination et de décision de l’oligarchie mondiale ou de « l’élite financière internationale ». Soral écrit en 2011 :

« Articulés autour du noyau onusien (…), le CFR, la commission Trilatérale et le groupe Bilderberg, mais encore le FMI (…), l’OMC (…), l’OCDE, les lobbies militaro-industriels, énergétiques, agro-alimentaires et pharmaco-chimiques (servis par l’OMS), ainsi que des clubs plus ésotériques tels que Skull and Bones et Bohemian Club, auxquels il faut encore ajouter d’autres relais français tels que Le Siècle et le Club des Cordelières… Tous ces réseaux de pouvoir, travaillant la main dans la main pour des raisons d’intérêts financiers et de solidarité de caste, constituent ce réseau des réseaux qui est, de fait, la structure combattante de l’Empire. Un Empire travaillant au Nouvel Ordre mondial. »

En 2013, dans Dialogues désaccordés, co-écrit avec Éric Naulleau, Soral oppose à l’« histoire officielle » sa propre vision du monde, centrée sur la dénonciation de la « domination juive », ou plus précisément de la domination de « cette communauté juive organisée internationale qui règne aujourd’hui sur le monde occidental », expression de la « montée » du « capitalisme financier ». C’est là réécrire les Protocoles en renouvelant le vocabulaire et les références historiques.

On rencontre l’inusable argument de la teneur prophétique du document dans une vidéo sur les Protocoles du militant d’extrême droite Franck Abed, compagnon de combat de Soral, mise en ligne sur Twitter en janvier 2014 à l’initiative d’« Alain Soral Officiel » : « À titre personnel, j’ai quand même tendance à croire qu’ils sont vrais, pour la simple et bonne raison que si c‘est un faux, c’est un faux génial, en ce sens que tout ce qu’on lit dans ce livre (…), tout se déroule parfaitement, avec une telle précision qu’on est un peu stupéfait par l’accomplissement de ce plan de destruction mis en place par ces fameux Sages de Sion. » Et de conclure : « Je conseille la lecture de ce livre. » Les Protocoles, dans la version Boutmi, ont été réédités en 2018 par Kontre Kulture, maison d’édition fondée par Alain Soral en 2011.

Dérives complotistes autour de la pandémie de Covid-19

Parmi les formes dérivées du mythe du « complot juif mondial » qui prolifèrent dans des contextes de crise sanitaire, on trouve des énoncés selon lesquels « les Juifs » auraient créé le virus du SIDA, le virus H1N1 (responsable de la grippe A) ou le coronavirus Covid-19 pour réaliser tel ou tel objectif criminel. La logique du raisonnement complotiste inclut le biais de proportion, qui pousse le sujet à croire que de « grandes » et terribles conséquences (une crise économique mondiale, une pandémie, etc.) ne peuvent être engendrées que par de « grandes », puissantes et terribles causes (Satan, les illuminati, « le Juif », « les sionistes », etc.). Il en va ainsi de l’accusation, lancée le 26 février 2020 au moment de la pandémie de Covid-19, par un « analyste politique » irakien, Muhammad Sadeq al-Hashemi : « Le coronavirus est un complot juif américain financé par Rothschild pour réduire la population mondiale. » Il y a là une confirmation et une condensation de quatre stéréotypes antijuifs : les Juifs sont riches, puissants, conspirateurs et criminels. Ils sont capables de créer et de propager un « tueur de masse » tel qu’un virus. Ils sont donc en outre redoutablement intelligents et rusés.

Les dérives complotistes et antijuives des anti-pass et des anti-vax se sont multipliées depuis l’été 2021. On retrouve l’imaginaire complotiste antijuif dans les slogans lancés au cours de plusieurs manifestations « anti-pass » qui ont eu lieu en France durant l’été 2021, dénonçant une prétendue « dictature sanitaire » qui serait installée dans l’hexagone Le 14 août 2021, des pancartes antisémites portant l’inscription « Qui ? » ont été brandies par des manifestants dans diverses villes françaises. Cette question apparemment sans réponse est allusive mais sa signification est claire pour un certain nombre de militants « anti-pass », ceux qui voient partout la main cachée des Juifs. Elle est donc idéologiquement codée, mais aisément décodable. En témoigne par exemple la pancarte qui, lors d’une manifestation organisée le 7 août, était brandie par une ex-membre du Front national : la question « Qui ? » y était accompagnée de noms de responsables politiques, d’homme d’affaires et d’intellectuels pour la plupart juifs. Le 14 août, un militant se déclarant « royaliste » portait un bob et un T-shirt marqués d’un « Qui ? » avec deux cornes de diable.

L’ennemi diabolique était ainsi construit et désigné sur la base de la triade « argent, pouvoir, intellect », à laquelle il faut ajouter un quatrième stéréotype antijuif traditionnel, la criminalité. Car nombre de militants « anti-pass » sont aussi des militants « anti-vax », convaincus que « le vaccin tue » et donc que les promoteurs du vaccin sont des assassins. Ils mêlent des thèmes empruntés au conspirationisme antijuif et d’autres qui dérivent des discours « anti-système » de droite ou de gauche. Ils dénoncent le pouvoir illégitime et abusif des dominants et de la pensée dominante, qui non seulement priverait les citoyens de leur liberté de choix et de circulation, mais les exposerait à la mort. Les dominants étant à leurs yeux les Juifs, la question « Qui ? » fonctionne comme un micro-slogan antijuif.

Imaginaire « anti-système » et paranoïa antijuive

Une forte méfiance à l’égard de la classe politique, des industries pharmaceutiques, des médias (« aux ordres ») et des institutions constitue la passion la mieux partagée par les manifestants, qu’ils soient antisémites ou non. S’y ajoute une surdité envers les critiques et un rejet par principe de tous les arguments susceptibles d’ébranler la croyance à l’existence d’une « dictature sanitaire ». D’où le recours à des médias alternatifs. La contestation « anti-système » trouve notamment dans les réseaux sociaux un puissant moyen de persuasion. C’est ainsi qu’au nom d’une information « libre », la désinformation sauvage occupe de plus en plus le terrain. Un dogme a été fabriqué, autour duquel s’agrègent les croyances des diverses mouvances engagées, qui ne reculent devant aucune forme de dramatisation. La dérive observable est celle de la radicalisation des attitudes et des postures : de la méfiance au soupçon, et du soupçon à l’accusation, puis à l’appel à la démission des hauts responsables, voire à l’insurrection. La dénonciation de la « société de surveillance » puis des « sociétés de contrôle », théorisée naguère par les représentants de la French Theory (Michel Foucault et Gilles Deleuze au premier chef), est désormais mise au service de visions complotistes et de passions négatives, à commencer par la haine et le ressentiment, qui se fixent sur des cibles fantasmées censées faire partie du « système » et comploter d’une façon systémique contre les citoyens. Alimentant une paranoïa contagieuse, l’indignation, la colère et la révolte se portent ainsi contre les Juifs, objets préconstruits des haines sociales et politiques. L’imaginaire « anti-système » est un puissant vecteur de la paranoïa antijuive.

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