Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

21 de desembre de 2016
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Robert Redeker: “Le but de la politique est la continuation de la nation dans la durée”

Robert Redeker és un professor de filosofia i assagista de nacionalitat francesa i origen alemany que va atrevir-se l’any 2006 a criticar l’islam i l’islamisme, una actitud que li ha valgut haver de viure permanentment sota protecció policial. Malgrat aqueixes condicions adverses no ha deixat de publicar: Le soldat impossible (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2014) ; Bienheureuse vieillesse (Éditions du Rocher, 2015) i el darrer L’École fantôme (Éditions Desclée De Brouwer, 2016).

Quan al setembre proppassat Nicolas Sarkozy va inflamar la pre-campanya de les eleccions presidencials de l’any vinent apel·lant al mite de “nos ancetres les gaullois”. Robert Redeker va intervenir per puntualitzar el sentit d’aqueixa frase en un article publicat el 23 del mateix mes a Le Figaro afirmant que la consciència nacional és un llegat polític no pas biològic. La seva crítica al pensament polític contemporani queda reflectida en aqueixa lúcida entrevista publicada el proppassat 16 d’aqueix mes a Le Figaro on tracta dels valors morals col·lectius i la idea de nació, unes reflexions que són també aplicables a l’actualitat política catalana:

Le mot «valeur» est partout en politique. On parle sans cesse des valeurs de la République. Qu’y a-t-il derrière l’omniprésence de ce mot?

Robert REDEKER. – Pas grand-chose de consistant. Les valeurs ne sont ni des idées, ni des concepts, ni des principes. L’invocation politique rituelle des valeurs est une mode très récente. Plongez-vous dans la littérature politique d’il y a une trentaine d’années seulement, écoutez les discours d’alors, vous constaterez l’absence de ce recours obsessionnel aux valeurs. Au lieu de révéler ce que l’on pense, le mot valeur le dissimule. Pourquoi? Parce qu’il est aussi vague qu’abstrait. Il peut aussi cacher que l’on ne pense rien du tout, que l’on n’a pas de conviction arrêtée, justifier tous les revirements. Le même Premier ministre peut au nom des valeurs user et abuser du 49.3 avant de mettre à son programme présidentiel la suppression de ce 49.3 pour honorer ces valeurs!

De trop nombreux politiciens sombrent dans l’illusion suivante: les valeurs sont les buts de l’action politique. Pourquoi faire de la politique? Pour les valeurs! C’est-à-dire pour du vide! Funeste erreur! On fait de la politique pour la nation, pour la France, pour le peuple, pour le social, pour l’histoire, jamais pour des valeurs. Les valeurs ne constituent ni la réalité d’un peuple ni un projet de société, ces objets de la politique. Elles sont trop inconsistantes pour définir un projet de cette nature. Les valeurs ne sont que le cadre à l’intérieur duquel la politique peut se déployer. Elles ne sont pas un programme, elles sont des bornes. Les valeurs sont hors politique, elles sont extra-politiques. Loin d’avoir affaire aux valeurs, la politique rencontre les projets, les réalités et, par-dessus tout, la nation et le souci du bien commun. .

À gauche particulièrement, ce mot est dans toutes les bouches…

La rhétorique creuse des valeurs est le linceul dans lequel a été enveloppé le cadavre de la gauche. C’est une thanatopraxie, le maquillage du cadavre. Cette fatigante psalmodie sur les valeurs évoque les récitations funéraires. C’est parce qu’elle est morte, parce qu’elle n’a plus rien à dire, plus rien à proposer pour l’avenir à partir de son passé (le socialisme), que la gauche se gargarise, de tréteaux en tribunes, avec les valeurs. Les valeurs fournissent la matière d’une péroraison se substituant aux défuntes promesses de socialisme (le progrès social, l’émancipation dans et par le travail). La thématique des valeurs est le dispositif que la gauche a bricolé pour basculer de la défense des classes populaires («les travailleurs» comme, elle disait d’un mot que symptomatiquement elle n’emploie jamais plus) vers celle des minorités sexuelles et ethniques. La gauche a abandonné son projet social (réaliser la justice économique) pour lui substituer un projet anthropologique (l’exaltation des différences sexuelles et culturelles). Le discours sur les valeurs a permis de prendre ce virage. Autrement dit, l’invocation des valeurs est le moyen trouvé par la gauche pour abandonner les classes populaires. L’extrême-droite récupère la mise. Dernier point: ce discours sur les valeurs est aussi l’instance qui la dispense la gauche du devoir d’inventaire. La ridicule prestation de Ségolène Royal aux obsèques de Fidel Castro est, à cet égard, pleine d’enseignements: la gauche ne parvient pas à condamner totalement certaines dictatures sanguinaires, donc à liquider l’inventaire, parce que celles-ci ont prétendu s’appuyer sur les idéaux (l’égalité, la justice, le partage, etc.…) dont elle se veut le bras armé.

Lors de la primaire de la droite, les électeurs étaient invités à signer la charte des valeurs de la droite et du centre. Pour exprimer leur souhait que la droite retrouve son identité, beaucoup évoquent la «droite des valeurs». Est-ce le bon chemin que la droite emprunte?

Je réponds en trois temps. D’une part, la droite s’est laissé imposer par une gauche pourtant en coma dépassé l’obligation d’en appeler sans cesse aux valeurs. Par la reprise de cette thématique, la droite se croit obligée de répliquer aux accusations permanentes d’anti-républicanisme et au soupçon larvé de racisme, de fascisme, voire d’inhumanité, que la gauche fait peser sur elle. Nous avons dans ce soupçon et dans la propension de la droite à y répondre, l’ultime résidu de feu l’hégémonie idéologique de la gauche. Mieux: la dernière métastase de l’antifascisme. D’autre part, évoquer des «valeurs de droite» revient à les relativiser. Le relativisme pointe le bout de son nez dès que l’on latéralise politiquement les valeurs. Si des valeurs existent, elles sont universelles. Il est plus pertinent de parler d’idées et de programmes de droite ou de gauche.

À ces deux remarques il faut ajouter une précision. Les valeurs ne sont pas le contenu de l’action politique, mais ses frontières. Elles ne disent rien de positif, elles tracent des limites. Elles définissent un intérieur et un extérieur. La laïcité, par exemple, que l’on hisse au statut de valeur, est une telle frontière: elle exprime une limite à ne pas dépasser dans l’expression publique d’un sentiment religieux. À l’image de toutes les valeurs elle fonctionne comme le démon de Socrate: une voix intérieure qui dit non. Ainsi de toutes les valeurs. Ces frontières s’imposent à la droite comme à la gauche.

Une civilisation est-elle définie par des valeurs, des coutumes, des attachements?

Pas uniquement. Les aspects dont vous parlez procure à l’existence collective d’un peuple sa couleur, sa particularité. Si on se limite à ces aspects, on parlera plutôt d’une culture. La culture, toujours particulière, toujours bornée, toujours nationale, est le terreau à partir duquel une civilisation peut germer et se développer. Une civilisation se définit par ce qu’elle donne au monde, et qui est pourtant marqué du sceau de la culture qui la nourrit. La France donne au monde, entre autres choses, Molière et Stendhal, dont les œuvres n’auraient pu voir le jour ailleurs. Elle donne au monde son architecture, sa musique, ses savants, et même sa gastronomie… C’est le don irremplaçable, insubstituable, qui définit une civilisation plutôt que seulement ses valeurs et coutumes.

La référence aux valeurs va souvent de pair avec le discours «droits-de-l’hommiste». N’y a-t-il pas un paradoxe entre des valeurs qui peuvent impliquer une forme de relativisme et des droits de l’homme qui sont considérés comme naturels et objectifs, dépassant les volontés humaines?

Les droits de l’homme, devenus les droits humains, sont une invention métaphysique du XVIIIe siècle. Ils sont suspendus dans les nuées. Ils servent de principes structurant l’action politique, et non, comme les valeurs, de frontières. Ils sont affirmatifs, positifs, et non limitatifs, négatifs. La différence est alors celle-ci: posés au départ, les droits de l’homme ne sont pas déduits, ils sont une hypothèse politique, tandis que les valeurs sont un résultat, une construction politique. Plutôt que de paradoxe, je parlerai de jeu, comme d’un roulement à billes «qui a du jeu»: une valeur comme la laïcité trace la frontière que la liberté de penser et de croire, comprise dans les droits de l’homme, ne peut dépasser. Néanmoins il faut éviter d’être la dupe de ces droits de l’homme: ils n’ont rien d’évidents ni de nécessaires, ils sont une illusion métaphysique propre à une certaine civilisation. Ils n’auraient pu être inventés ailleurs que dans l’Europe chrétienne et rationaliste. Ils sont enfants d’une certaine civilisation, la nôtre. Ils ne sont pas universels, mais universalisables.

L’histoire est faite de mots comme la nation ou la République qui sont davantage des êtres voire des personnes morales et fictives que des concepts ou des idées. Diriez-vous que l’abus du mot «valeur» traduit une certaine impuissance du politique, qui n’est plus en prise avec le réel?

Guettée par le relativisme, souvent thanatopraxique, la péroraison sur les valeurs fait oublier l’essentiel, qui est ceci: le but de la politique est d’assurer la survie d’un peuple dans la durée malgré les vicissitudes et selon le souci du bien commun. La République est une structure politique, qui dans notre histoire s’est appelée tantôt monarchie, tantôt empire, ou tantôt «république» (au sens de démocratie). La nation est l’âme de cette structure. C’est une âme qui survit à chaque vie individuelle qu’ainsi qu’aux différents états de la République (les régimes politiques). C’est aussi une âme fragile, qui peut disparaître si on ne la nourrit pas (par la transmission). Qu’est ce que l’éducation publique sinon une forme de transmigration de cette âme, la nation, qui renaît de génération en génération? L’éducation est bel et bien une métempsychose politique. Le but final de la politique est la continuation de la nation dans son originalité irremplaçable par-delà l’existence et les intérêts de chacun. C’est de cela bien plus que des valeurs que gauche et droite doivent parler.

Post Scriptum, 15 d’octubre del 2018.

Robert Redeker publicà ahir a Le Figaro un breu però punyent article: “Les Français se livrent aux ideoles et méprisent les héros“.

Post Scriptum, 18 de febrer del 2020.

Ahir, Robert Redeker va publicar una altra reflexió sobre les comunitats en xarxa social i les nacions: “Les réseaux sociaux, ce nouveau Léviathan sans frontières”.

Post Scriptum, 13 d’abril del 2021.

Pel filòsof Robert Redeker, l’ecriptura inclusiva és el fruit d’una ideologia desconstruccionista que esborra les identitats nacionals, com és perceptible a França segons publica avui a Le Figaro, «D’un point de vue civilisationnel, l’écriture inclusive est comparable à la destruction des paysages»:

Il arrive à notre pays une catastrophe qui le blesse à mort, qui le blesse dans son âme, qui est littéraire ; cette catastrophe porte un nom: l’écriture inclusive. La langue est cette réalité qui rapporte chaque homme à son peuple. Le développement de l’écriture inclusive est appelé à changer la nature du fait d’être français.

Après l’écriture inclusive, l’on ne pourra plus être français de la même façon qu’avant son despotisme. Les politiciens qui dans certaines municipalités essaient de la propager sont parfaitement conscients de l’objectif politique à long terme: changer le fait national français. L’’écriture inclusive signe la fin de l’intime compagnonnage de la France avec sa littérature.

Pour que l’écriture inclusive s’impose, il a fallu d’abord que la langue ait été affaiblie par la déconstruction. Et surtout, qu’elle ait subi la plus infamantes des accusations, celle d’être fasciste. Gilles Deleuze et Roland Barthes se sont chargés de la dénonciation préparatoire à la liquidation.

Selon le livre de Deleuze, écrit en duo avec Guattari, Mille Plateaux, en 1980, l’essence de la langue tient dans le mot d’ordre. Retenons-en quelques citations croustillantes: «Le langage n’est pas fait pour être cru, mais pour obéir et faire obéir» ; «une règle de grammaire est un marqueur de pouvoir, avant d’être une règle syntaxique» ; «le langage est transmission du mot fonctionnant comme mot d’ordre, et non communication d’un signe comme information». Le langage n’informe pas, ne communique pas, il ordonne.

Barthes de son côté, affirme avec un sérieux de procureur en procès stalinien ou maoïste, dans sa Leçon inaugurale au Collège de France, prononcée en 1977:: «la langue n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste, car le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire». Passons sur le fait que cette définition du fascisme – «obliger à dire» – soit particulièrement faible.

Au Moyen Âge l’anthropomorphisme traînait des animaux devant le tribunal. Deleuze et Barthes poussent le ridicule beaucoup plus loin: c’est la langue qui comparaît devant un tribunal révolutionnaire, à cause de sa fusion supposée avec toutes les formes de la domination.

Mais l’obscurantisme est ici le même que dans les procès médiévaux. Sans cette mise en accusation de la langue, qui passera pour involontairement comique auprès de tout esprit doué de bon sens, qui pourrait passer pour une farce si elle n’était-ce qu’elle est, une condamnation réelle émise depuis les hauteurs pédantes de l’esprit de sérieux, l’écriture inclusive n’aurait jamais pu voir le jour. Une fois la langue condamnée comme fasciste, tout devient possible: elle ne mérite plus ni respect, ni vénération.

L’écriture inclusive est en réalité le contraire de ce qu’elle affirme d’elle-même: elle est exclusive, elle exclut la langue de son histoire. Elle l’expulse la langue de son passé, de sa tradition, de son logis, de sa logique. Toute langue est une vision du monde. Sa logique – qu’on appelle grammaire – est la mise en ordre de cette vision du monde, sa structuration.

Bref, toute langue est un cosmos, au sens étymologique du mot. Comprenons: l’écriture inclusive arrache la langue à la vision du monde dont elle est l’une des expressions, elle en détruit le cosmos. L’écriture inclusive est un séparatisme: il s’agit pour elle de séparer la langue française d’avec ce que fut la France jusqu’ici. D’avec la manière française de voir le monde, de l’écrire et de le parler.

L’affaire n’est pas seulement de séparer la langue d’avec la nation ; elle est surtout de garantir la colonisation de la langue par une idéologie, le post-féminisme. La nation, jusqu’à nos jours et depuis plusieurs siècles, au moins depuis les poètes de la Pléiade, du Bellay, Ronsard, depuis La défense et illustration de la langue française, l’important livre de Joachim du Bellay, était l’âme de la langue française ; avec l’écriture inclusive, l’âme de notre langue ne sera plus la nation, mais une idéologie.

L’écriture inclusive véhicule le mythe ultrarévolutionnaire de la tabula rasa: du passé de la langue l’on doit faire table rase, afin de se laisser habiter par les fantasmes de ses adversaires. La substitution, de 1792 à 1806, du calendrier révolutionnaire au calendrier traditionnel, s’est faite dans un état d’esprit analogue, quoique pour d’autres motifs.

Deux aspects frappent dans la propagande en faveur de ce type d’écriture: le refus d’assumer un héritage, doublé de la non-reconnaissance d’une dette envers le passé. Le mythe de la tabula rasa ne chemine jamais sans son alter ego: le mythe de l’auto-engendrement.

La langue française nouvelle, inclusive, libre de toute dette devant le passé, dégenrée, désexualisée, dépatriarcalisée, déblanchie, déracisée, intersectionnalisée, est supposée s’engendrer elle-même à partir des énoncés et prescriptions idéologiques dont on persille la langue française traditionnelle.

Une nation est une entité qui apparaît dans l’histoire, une entité dont l’essence est d’apparaître. La langue n’est pas «la nation même», comme le croyait Guillaume de Humboldt, elle est la visibilité d’une nation. Identifions dans la littérature, aussi bien orale qu’écrite, le lieu où cette visibilité atteint son degré d’intensité indépassable.

La langue de Shakespeare, de Keats, de Shelley, rend à jamais la nation anglaise visible à l’univers. La langue de Racine, de Molière, de Bossuet, rend, elle aussi, visible la nation française. La langue rend une nation visible, à la fois à ceux qui la composent, qui lui appartiennent, et aux autres nations.

Existent également de par le monde force nations sans État, qui restent visibles par la perdurance de leur langue. La langue est la visibilité de l’histoire d’une nation, si bien que la parler procure le sentiment de faire partie de cette histoire, ainsi que de faire partie d’une communauté qui plonge ses racines dans le passé. La langue rend visible une continuité, l’inscription de chacun dans une continuité qui implique de recevoir un héritage et de payer, sous la forme du respect, une dette.

C’est cette visibilité que l’écriture inclusive cherche à mettre à mort. L’écriture inclusive se propose d’invisibiliser ce que la langue visibilise: la nation. Abîmer la langue est rendre la nation plus invisible, la plonger dans de l’invisibilité, dans la nuit ; c’est aussi abîmer le lien national, montrer le chemin à l’anomie et au séparatisme. Abîmer la langue n’est pas seulement un acte linguistique, c’est un acte politique.

Promouvant une néolangue persillée d’idéologie – quand on lit un texte en écriture inclusive, l’on s’imagine confronté à du français persillé, mais, au lieu d’être persillé d’une autre langue, il l’est d’idéologie – destinée à remplacer le français, l’écriture inclusive se veut à la fois a-historique (elle se prend pour la vérité de la langue indépendamment de son histoire), et post-historique (elle suppose l’histoire, c’est-à-dire la domination, enfin dépassée par le progrès linguistique avec lequel elle s’identifie). Elle se veut la victoire sur la nation et son histoire en les rejetant toutes deux non dans la mémoire, qui impliquerait une dette, obligerait à du respect, mais dans l’enfer de l’oubli.

L’écriture inclusive est, d’un point de vue civilisationnel, exactement la même chose que la destruction des paysages, cet autre héritage des siècles: les éoliennes rendent le paysage invisible, effaçant le passé de la nation. L’écriture inclusive est à la langue ce que les éoliennes sont au paysage. Excluant la langue de son histoire, détruisant sa logique, arrachant sa langue au peuple pour lui imposer le sabir des nouvelles précieuses ridicules, expulsant le peuple de sa langue, l’écriture inclusive est l’écriture la plus exclusive qui se puisse envisager.

Post Scriptum, 29 de gener del 2024.

Ahir a le Figaro Robert Redeker descriu encertadament: «La révolte des agriculteurs est le véritable soulèvement du peuple de la terre». Pour le philosophe, la crise que traverse le monde agricole est, à l’instar de celle de l’école, une crise de civilisation. Il y voit la fronde d’une France enracinée et méprisée par les écologistes qui militent pour une terre sans peuple.

“La crise agricole n’est pas seulement la crise de l’économie agricole, elle est surtout, à l’instar de la crise de l’école, une crise de civilisation. L’école et l’agriculture stationnent au fondement de la société. Elles assurent sa continuation : transmission de la culture, pour l’école, transmission de la vie biologique, pour l’agriculture. Mais, transmettant la vie, l’agriculture, comme l’école, transmet en même temps des valeurs, une idée de la France, une âme collective. Le point commun de l’école et de l’agriculture est la plongée dans le passé. Les deux, l’école et l’agriculture, ramènent, comme à travers des racines forant l’humus des siècles, le passé et ses valeurs dans le présent. Elles nourrissent le présent du suc qu’elles puisent dans le passé. Sans doute faut-il voir dans cette fidélité au passé la raison poussant une modernité qui se veut déracinée et inhéritière à réduire l’une et l’autre, l’école et l’agriculture, au statut de fantôme ? Que veut la modernité la plus avancée ? Que l’école soit transformée en garderie et l’agriculture en jardinage. Ceci n’est ni un jeu de mots ni une fleur de rhétorique : la culture (la vraie, celle propagée par l’école de la IIIe République, aucunement celle des « cultureux » contemporains, ni des ânes pétitionnant contre Sylvain Tesson) est solidaire de l’agriculture. L’école et la culture sauvegardent le vieux monde – et c’est pourquoi elles sont haïes.

Que l’école et l’agriculture vivent une crise potentiellement mortelle conjointement est un signe historique. C’est la même crise : celle de la transmission. Au sein des forces cherchant à détruire à la fois l’école et l’agriculture, une même obsession domine : que la transmission n’ait pas lieu. Comprenons : que la France ne se transmette plus. Deux contre-sociétés se structurent, chacune animées par le séparatisme, la rupture avec la France et son histoire : celle animée par les élites citadines, en sécession à la fois avec l’histoire de la nation et le bien commun, uniquement occupées au moyen de réformes sociétales destructrices du bon sens, à une révolution anthropologique, et celle des territoires abandonnés par la République, vivant sous ses propres lois, imposant à des quartiers entiers ses valeurs ou antivaleurs. Ces deux contre-sociétés, celle des centres-villes et celle des quartiers en charpie se nourrissent de la même haine, méprisent le même bouc émissaire : le beauf, qui serait bien capable de rouler en diesel et de fumer des clopes, et la France éternelle. Haine du beauf et haine de la France se regardent en miroir. Le beauf, comprenez : l’agriculteur, enraciné dans la longue durée du pays. En tenaille entre les deux séparatismes existe encore le peuple historique, dont les agriculteurs forment la quintessence, qui voit son pays lui échapper.La révolte des agriculteurs, au-delà, de ses ambiguïtés, est le véritable soulèvement du peuple de la terre, loin du pitoyable folklore écologiste qui s’est approprié cette appellation.

Tel est le programme en cours de réalisation : que du passé national et du passé anthropologique soient faits table rase. Pour que la France comme personne en vienne à être remplacée par un espace géographique lisse baptisé « France.com », il importe de se débarrasser de ses agriculteurs. L’historien Fernand Braudel l’a maintes fois dit : ce peuple agriculteur forme le socle, le sol, depuis la Gaule romaine, de la culture française. Il a forgé la figure physique du pays, le paysage. Il a contribué à l’émergence de l’art français de vivre. Qui sont les agriculteurs ? Réponse : ce qu’il reste aujourd’hui du peuple historique français, les aristocrates ayant disparu. Deux types humains endossaient destinalement la charge de conserver la France : celui des aristocrates et celui des agriculteurs, sous leur ancien et noble nom de paysans. Après la Révolution française, le XIXe siècle s’appliqua avec succès à muter les aristocrates en bourgeois, quand ils ne sont pas devenus les laquais de luxe de la bourgeoisie. Si la modernité a tué l’aristocratie, la mondialisation techno-économique néolibérale travaille à liquider les agriculteurs, les tuant à petit feu. Dans la coulisse de ce mouvement se tient une idéologie : remplacer l’homme et la femme traditionnels, dont l’agriculteur constitue le dernier bastion, l’ultime forteresse, par l’homme nouveau, déterritorialisé géographiquement et culturellement, l’homme déconstruit.

La révolte des agriculteurs, au-delà de ses ambiguïtés, est le véritable soulèvement du peuple de la terre, loin du pitoyable folklore écologiste qui s’est approprié cette appellation. Ce slogan, « soulèvement de la terre », par l’absence du mot peuple, en dit long : cette révolte est le soulèvement du peuple de la terre, effacé par les écologistes qui militent pour une terre sans ce peuple”.

Post Scriptum, 27 de març del 2024.

Abans d’ahir, a Le Figaro, Robert Redeker escriu: «Les héros incarnent tout ce que le progressisme contemporain ne songe qu’à effacer».

Le 24 mars 2018, le colonel Arnaud Beltrame succombait à ses blessures après avoir donné sa vie pour libérer une otage lors de l’attentat de Trèbes. Robert Redeker, philosophe et auteur d’une Philosophie de l’héroïsme et de la sainteté, revient sur le sens profond de ce geste.

LE FIGARO. – En quoi, sur le plan philosophique, Arnaud Beltrame était-il un homme courageux ? Ne demande-t-on pas ce courage à tout militaire ?

Robert REDEKER. – Le courage est la vertu mère, estimait Vladimir Jankélévitch. Inversement : les vertus qui ne plongent pas leurs racines dans le courage ne sont que des apparences de vertu, des impostures. Nous le savons depuis La Bruyère, Saint-Simon, Molière : jamais la société n’a manqué de faux vertueux, de donneurs de leçons qui finissent souvent par être démasqués. La pratique des vertus suppose toujours le courage car toutes exigent un renoncement. À quoi ? À la facilité. La vertu est toujours difficile et cette difficulté fait son prix. Si vous trouvez que le bien que vous faites, ou croyez faire, est facile, c’est que vous n’êtes pas vertueux : vous évoluez dans le confort. À quoi d’autre est-elle renoncement ? À soi. Le renoncement à soi est le contenu spirituel du courage. Comme celui-ci est la vertu séminale, il essaime ce renoncement dans toutes les autres vertus. Le courage contamine sa spiritualité à toutes les autres vertus. La vertu en général est renoncement à soi, la vertu militaire pousse ce renoncement jusqu’à son extrémité : le renoncement possible à sa vie biologique. Quelle est la différence alors entre le courage militaire en général, et celui que manifesta Arnaud Beltrame ? Arnaud Beltrame est allé au-delà de ce que le courage professionnel lui demandait. Bien au-delà de ce que la société lui demandait. Il a basculé dans une dimension où héroïsme et sainteté fusionnent, celle de l’absolu du courage.

Pour réussir à se sacrifier et faire un don total de soi, faut-il nécessairement être attaché à une forme de transcendance ?

Le courage pour le courage ne serait que narcissisme, et perdrait toute valeur morale. Si je me contemple courageux, je ne suis plus courageux. Je suis comme le garçon de café pris en exemple par Jean-Paul Sartre : je joue à être garçon de café. Je joue un rôle d’autocomplaisance ; de ce fait, au lieu de renoncer à moi-même – ce qui est l’essence du courage -, au lieu de m’oublier, je m’instaure centre de tout, je parade sur une estrade en bombant le torse, usurpant même la place de l’être et de la réalité auxquels mon courage est dédié. Le courage est l’inverse : décentrement, donc mouvement de transcendance. Tendu vers une transcendance, le courage est par définition altruiste. Le courage n’existe qu’en s’ignorant lui-même. L’acte courageux n’est pas redoublé, comme en sous-titre, par le commentaire «je suis courageux, regardez-moi bien». La conscience d’être courageux en est absente ; au contraire, il est orienté vers le résultat de l’action, et au-delà vers l’instance qui la motive, qui est toujours une réalité métaphysique, comme la loi morale, Dieu, la patrie, la nation, ou, tout simplement, le prochain.

Dans notre société où le statut de victime est érigé comme accomplissement suprême, quelle place peut-il y avoir pour les héros ?

La victime l’est involontairement. Elle n’a aucun mérite. Ces deux caractéristiques expliquent sa sacralisation dans la société actuelle. Souvent la victime bénéficie d’honneurs jusqu’ici réservés aux héros. L’on a même vu l’Assemblée nationale observer une minute de silence après la mort d’un délinquant multirécidiviste sous le prétexte qu’il serait une victime des «violences policières», alors qu’il refusait d’obtempérer, comme si ce jeune homme avait été un héros. L’horizontalisme absolument égalitariste rejette le mérite, qui n’a plus droit de cité que dans le sport, où on l’a enfermé comme dans une réserve naturelle.

Être une victime n’exige rien en guise de qualités humaines, de hautes et difficiles vertus – d’où la dilection de notre époque, qui hait la verticalité, l’exigence, la hiérarchisation par le mérite, qui détruit l’École par le poison de cette haine, pour les victimes. Dans ce contexte, les véritables héros sont gênants. Ils affirment ce que le progressisme ambiant a rejeté dans la caducité : Dieu, la nation, comme le firent Arnaud Beltrame et Henri d’Anselme. Les héros sont l’éternel retour de ce que le progressisme contemporain ne songe qu’à effacer.

Assiste-t-on à une montée de la violence et à une diminution du sens du sacrifice ?

Nous sommes dans la société du moi absolu – où chacun se vit comme tel – auquel ni les enseignants ni les parents, les uns et les autres devenus des flatteurs des enfants et des élèves, n’ont enseigné l’acceptation, le dépassement et la transfiguration. Personne n’enseigne à l’enfant qu’il y a au monde des choses beaucoup plus importantes que sa petite personne. L’idéologie des instituteurs et des professeurs, qui est devenue l’idéologie officielle de l’Éducation nationale, s’étant donnée pour but l’épanouissement du moi de l’enfant et la chasse aux inégalités, ayant supprimé les sanctions les unes après les autres, lui laissant de plus en plus de choix (jusqu’aux menus de la cantine), est la principale responsable de la violence. Je précise : la responsable matricielle. Outre le refus de transmettre le savoir, au motif qu’il serait discriminant, l’École, avec la complicité active des enseignants, a renoncé à sa mission historique : diffuser le sentiment national et l’amour de la patrie. L’horizontalité nihiliste voulue par l’École contemporaine, issue de la loi Jospin, engendre la violence généralisée. Quand, dans un conseil de classe, sans parler d’un conseil de discipline, cette parodie, l’enfant et les parents sont écoutés autant, et souvent plus, que le maître, la société est perdue. Le beau rêve de Victor Hugo s’est perdu en son inverse, parce qu’on a changé la nature de la scolarité : ouvrez des écoles, vous ne viderez pas les prisons pour autant !

Face aux héros «extraordinaires» comme Arnaud Beltrame ou Henri d’Anselme, que pensez-vous des héros de la vie ordinaire, qui témoignent de leur courage dans l’ombre ?

Le courage connaît des degrés. Il faut du courage pour – toute une vie durant, sans espoir d’amélioration de sa condition, un jour par-dessus l’autre – aller à l’usine chaque matin, quand on est ouvrier, ou bien faire le pain et ouvrir la boutique, quand on est boulanger. Ou encore pour élever seule ses enfants dans la dignité quand on est mère célibataire. Ou aussi pour labourer sa terre, faucher ses prés, soigner ses bêtes, pour un maigre revenu, quand on est paysan. Il y a beaucoup plus de courage chez les gens ordinaires, dont la vie est difficile, que dans les classes supérieures, en particulier les élites politiques, managériales, et administratives.

C’est ce courage au quotidien, obstiné, des petites gens, des classes populaires, lesquelles sont la chair vive de la nation, qui maintient le pays debout à travers les siècles, qui le relève quand il est abaissé, en dépit de la constante vanité et de la fréquente médiocrité des élites. Il serait sot pourtant de dissocier le courage d’Arnaud Beltrame et d’Henri d’Anselme, dont la beauté est celle des vitraux des cathédrales, dont la grandeur est celle de la noblesse du Moyen-Âge, du courage du peuple profond, qui a dessiné le visage de notre pays : les deux, formant la France éternelle. Charles Péguy avait saisi cette jonction et synthèse : « Il n’y eut jamais que du menu peuple », pour être fidèle « quelque temps, à Jeanne d’Arc », écrivit-il.

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