Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

5 d'abril de 2013
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Hugo Micheron: “La crise lavrée des pays du Golfe”

El politòleg francés Hugo Micheron, especialitzat en la problemàtica del Pròxim Orient ha publicat, el proppassat dilluns 1 d’abril, a Le Monde aqueix article sobre la crisi que cova als països del Golf d’Aràbia.

 

“Des pays du Golfe, on ne voit en ce début d’année que le Qatar et ses nouvelles vitrines françaises: le récent rachat du Paris-Saint Germain et les investissements dans les banlieues. Pourtant à Bahreïn, deux ans après l’écrasement de la révolution par les chars saoudiens, les manifestations en faveur de la démocratie continuent. Par-delà le débat créé par les placements qataris, les tensions dont Bahreïn est l’épicentre sont révélatrices d’un séisme en devenir. La capacité des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG : Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes uni, Koweït, Oman, Qatar) à poursuivre durablement leur expansion internationale est incertaine.

Derrière leur force de frappe financière couve en effet le dérèglement d’un modèle économique rentier, dont les prémices sont perceptibles dans les crises énergétique, de l’emploi et fiscale auxquelles ils font face. La question énergétique est particulièrement emblématique, car la région est un carrefour planétaire en la matière. Cette situation ne l’empêche pourtant pas de faire face à des pénuries d’électricité. La consommation domestique a en effet explosé durant la dernière décennie. Entre 2000 et 2009, les demandes de gaz naturel et de pétrole ont par exemple augmenté de 29 % et de 41 % au Koweït.

Cet emballement est lié à la croissance rapide du pouvoir d’achat et a été permis par les subventions colossales dans ce secteur  – de 1,2 % du produit intérieur brut (PIB) au Qatar à 7 % en Arabie saoudite. Ainsi, les pays du Golfe sont devenus les plus grands consommateurs d’énergie au monde par habitant, sans même être industrialisés. Un Qatari, un Emirati ou un Koweïti consomment en moyenne deux fois plus qu’un Européen tandis que l’Arabie saoudite a les mêmes besoins énergétiques que l’Allemagne, 4e puissance industrielle mondiale et deux fois et demie plus peuplée. Si la tendance se poursuit, le royaume consommera en 2028 l’équivalent de 8,3 millions de barils de pétrole par jour, soit plus qu’il n’en exportait en 2009.

Pour répondre à pareille expansion de la demande interne, les pays du Golfe seraient contraints de produire 80 %d’énergie en plus d’ici à 2015 par rapport au niveau de 2008, objectif qu’ils sont très loin d’être en phase d’accomplir. La situation de l’emploi est tout aussi préoccupante. Premier indicateur en berne, la productivité des travailleurs nationaux a continuellement décliné depuis 1970, alors même que la richesse n’a fait que croître dans la région grâce aux exportations de pétrole et de gaz.

Dans le même temps, le secteur des hydrocarbures n’a créé qu’un nombre marginal d’emplois. Les taux de croissance deux à trois fois supérieurs à la moyenne internationale n’ont pas empêché une augmentation constante du chômage. A l’exception du Qatar, il frappe aujourd’hui entre 10 % et 20 % de la population active de la région. Contraintes d’embaucher en masse dans la fonction publique pour compenser le manque d’opportunités, ces monarchies font aujourd’hui face à un phénomène de saturation bureaucratique. Ces créations de poste pouvaient se justifier dans les années 1980 alors que la région était trois fois moins peuplée.

Cette situation est aujourd’hui intenable : l’Etat emploie 90 % des nationaux au Qatar ou au Koweït, plus des trois quarts en Arabie saoudite. Bahreïn s’est même doté d’un appareil technocratique pour traiter les dossiers urgents à la place du gouvernement, véritable mastodonte paralysé par le poids d’une administration surdéveloppée. En outre, activer cette soupape ne suffira plus pour combler le manque de travail car, dans les vingt prochaines années, pas moins de 4 millions d’emplois devront être créés dans la région, selon la Banque mondiale.

La responsabilité en incombera donc aux entreprises privées. Cependant, elles se montrent déjà aujourd’hui incapables de relever ce défi. Elles ne créent que 82 000 nouveaux postes par an, soit moins du quart des besoins actuels. Le secteur marchand est, de plus, très peu attractif pour les nationaux du Golfe, car les rémunérations dans le public sont, pour des raisons clientélistes, déconnectées de la réalité économique.

A titre d’exemple, aux Emirats arabes unis (EAU), le salaire mensuel moyen dans le privé s’élève à 700 dollars, mais il atteint 5 500 dollars dans l’administration. Il est ainsi devenu rationnel pour les diplômés du Golfe de rejoindre les listes d’attente pour entrer dans la fonction publique, quitte à vivre pendant plusieurs années sur le salaire d’un proche, plutôt que d’accepter un poste dans le privé. En conséquence, ce sont les travailleurs expatriés, en constante augmentation, qui viennent compenser le manque de candidats autochtones, au point de représenter aujourd’hui plus des deux tiers de la population active du CCG.

Les mesures mises en place par les autorités, à l’image de l’imposition de quotas de nationaux par entreprise, ne permettent pas de répondre aux besoins d’embauche des citoyens. Le tableau s’assombrit encore si l’on tient compte des tendances budgétaires. Dans les six pays du CCG, les dépenses publiques augmentent à un rythme incontrôlé.Cela est dû à la forte croissance de la population bénéficiaire et aux pratiques de ces régimes autoritaires, qui redistribuent une partie de la rente pour acheter la paix sociale. L’Etat saoudien, exemple le plus révélateur, dépense quatre fois plus aujourd’hui qu’à la fin des années 1990.

A l’heure actuelle, si le baril de pétrole venait à chuter au-dessous de 40 dollars, les finances publiques seraient déficitaires dans les six pays du CCG. Déjà, Bahreïn et Oman puisent dans leurs réserves pour financer une partie de leurs dépenses. Aux EAU, le point d’équilibre budgétaire est garanti, selon l’Institut international de la finance, avec un baril de pétrole à 85 dollars.

Il en va de même en Arabie saoudite, où il pourrait grimper jusqu’à 115 dollars d’ici à 2015 si les dépenses publiques continuent d’augmenter au rythme prévisible de 4 % par an. Dans un tel scénario, le royaume aura épuisé ses réserves de capital placées à l’étranger avant la fin de la décennie.Au Qatar et au Koweït, l’équilibre budgétaire est encore raisonnablement garanti par un baril de pétrole à 50 dollars, mais ce niveau a doublé depuis 2003. Les situations varient donc d’un pays à l’autre, mais les trajectoires engagées sont similaires.

Ce constat de crise latente des pays du CCG est habituellement minimisé au motif que les régimes ont lancé d’ambitieux programmes de modernisation économique. Or, s’il est vrai que depuis 2008 les monarchies ont fait preuve de réformisme, les politiques mises en place sont toutes de nature à consolider les structures rentières existantes. La production agricole et manufacturière reste atone, représentant, comme en 2000, 11 % du PIB régional. Le Golfe continue d’importer quasiment tous types de biens : des pistaches aux Hummer, en passant par les climatiseurs et les panneaux solaires. De même, à l’exception de Bahreïn, les Etats du CCG sont importateurs nets de services.

Si l’immobilier, la construction, le tourisme, la logistique, la finance voire l’industrie pétrochimique ont le vent en poupe, leur dynamisme n’est qu’apparent. Les économies du Golfe sont en effet sous perfusion des réinvestissements de la manne financière qui s’élevaient, en 2011, à 2 400 milliards de dollars, soit deux fois le PIB régional. Malgré ces sommes astronomiques, ces activités n’arrivent pas à dynamiser le marché de l’emploi. Dans de telles conditions, il n’est pas interdit de s’interroger sur la pertinence des projets exubérants qui fleurissent dans la région : pistes de ski en plein désert, îlots artificiels recréant la carte du monde à Dubaï, complexe hôtelier sous-marin aux EAU.

La stratégie de multiplication des flux de rentes, notamment par les placements des fonds souverains à l’étranger, permettra certainement de fournir un apport financier substantiel à ces pays ; voire, comme le prévoit le Qatar, de générer à l’horizon 2030 des revenus équivalents à ceux des hydrocarbures aujourd’hui. Pour autant, à l’image de l’argent du pétrole actuellement, ces nouvelles ressources ne répondront ni au besoin d’emplois, ni à l’emballement de la dépense publique et de la consommation énergétique.

La confiance affichée par les élites du Golfe en leur capacité à transformer le système rentier en des économies postindustrialisées peut être mise en doute. Si ces pays ont pu, grâce aux pétrodollars, importer en cinquante ans les standards de vie occidentaux pour une partie de leurs concitoyens, jeter les bases d’une économie productive en moins d’une génération est une mission autrement plus compliquée. Les débats actuels autour du développement économique et politique du Golfe sous-estiment donc la profondeur des enjeux domestiques et surévaluent la capacité des régimes à y répondre. Alors que les tendances lourdes engagées dans le Golfe font courir le risque d’un effondrement généralisé de leur modèle rentier, l’heure est, dans les médias ou au sein des institutions internationales, à l’engouement pour des réformes pourtant conduites dans une opacité quasi totale.

Les mobilisations populaires de 2011 à Bahreïn, Oman et en Arabie saoudite en soulignent déjà les limites. Les programmes de développement mis en place dans le Golfe ne sont pas viables et ne préparent pas l’ère de l’après-pétrole. L’absence de solution concrète apportée par les élites vieillissantes de ces pétromonarchies pose problème : comment croire que le Golfe demeure à l’abri des bouleversements profonds qui secouent le monde arabe depuis deux ans ?.”

Post Scriptum, 3 de novembre del 2020.

Hugo Micheron fou entrevistat per Le Figaro el proppassat 1 d’aqueix mes abans, per tant, de l’atemptat jihadista de viena: «La menace djihadiste concerne toute l’Europe de l’Ouest».

LE FIGARO. – Après la décapitation de Samuel Paty, la France a de nouveau été visée par les islamistes à Nice. Pourtant pour vous, plus que notre nation, c’est toute l’Europe de l’Ouest qui est désormais menacée par l’islam radical. Pourquoi faites-vous cette analyse? En quoi ces attentats s’inscrivent-ils une nouvelle géopolitique mondiale?

Hugo MICHERON. – Le djihadisme se construit dans des territoires, dans une géographie, et dans le temps. Il faut considérer qu’il y a une histoire du djihadisme à l’échelle de l’Europe du nord-ouest. Celle-ci s’était révélée avec l’avènement de Daech en 2014, puisque nous avions vu à ce moment-là 5000 Européens (pour 90 % d’entre eux concentrés dans quelques pays d’Europe du Nord-Ouest) partir vers la Syrie ou l’Irak. Il fallait comprendre à cette époque – et cela n’était pas chose aisée – que ces mouvements de convergence de combattants européens vers la Syrie et l’Irak étaient révélés par l’État islamique, mais non créés par celui-ci. La dynamique islamiste précédait Daech. Et depuis que Daech a été détruit sous sa forme territoriale en Syrie et en Irak, ces dynamiques n’ont pas disparu. Elles ont même en partie été réimportées en Europe notamment à travers l’incarcération des djihadistes.

De fait, nous sommes entrés dans une nouvelle séquence du djihadisme qui se pense dans «l’après Daech» et qui se pense aussi en Europe à travers ces individus. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la séquence actuelle est, du point de vue djihadiste, une séquence de faiblesse. La mouvance est retournée dans une phase de structuration à bas bruit où elle cherche à se rendre moins visible. C’est ce qu’il se passe notamment dans les autres pays européens: Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse, etc.

En ce qui concerne la France, nous sommes en ce moment dans un autre cycle notamment parce que le procès Charlie Hebdo a réveillé les réseaux djihadistes comme Al Qaida. La France essaie de juger les complices car les pouvoirs publics prennent conscience que les attentats ne concernent pas seulement des gens qui passent à l’acte mais bien des individus qui arment, qui cachent, qui aident ces derniers.

Après les attentats de 2005 à Londres, l’Angleterre n’avait pas réussi à faire un procès des complices. La raison était simple: personne dans les entourages des tueurs à Beeston Hill, à Leeds, n’avait donné la moindre information à la police. L’enquête n’avait donc pas pu déboucher sur un procès. En France, un procès historique a lieu et c’est bien ce qui agace les djihadistes et leurs sympathisants. Nous sommes l’un des rares pays à penser cette question; pourtant les autres États européens sont aussi concernés.

Le Figaro.- Dans cette dynamique, quel est le rôle joué par Erdogan ?

Hugo Micheron.- La Turquie a des relais parmi les islamistes vivant en France et s’en sert comme des leviers de pression interne. Ils lui permettent, par leurs discours, d’inverser certaines logiques. Une semaine après la décapitation de Samuel Paty, une campagne de dénigrement orchestrée par la Turquie vise par exemple à inverser le rapport de coupable et de victime en insinuant la présence d’un racisme systémique en France qui expliquerait le passage à l’acte djihadiste… C’est un contre-feu international.

Après les attentats de 2015, comme après les attentats du 13 novembre, les réseaux proches des Frères musulmans, ainsi que certains relais dans le débat public plus ou moins conscients de ces enjeux, avaient déjà développé ce type de discours: «regardez, la France est islamophobe et met en place l’État d’urgence» présentée alors comme une «arme» tournée contre «les musulmans». Après les attentats de Nice en 2016, l’affaire du burkini avait également été instrumentalisée selon la même logique. Après la décapitation de Samuel Paty, la question porta sur le droit au blasphème et sur la responsabilité de Charlie Hebdo.

Nous constatons qu’il y a des contre-feux médiatiques qui sont allumés après chaque attentat majeur. Ils visent à déclencher des polémiques et empêcher le débat public d’avoir lieu autour des causes du jihadisme – et non ces conséquences, c’est-à-dire les attentats. Cela a été particulièrement visible après l’assassinat extrêmement grave de Samuel Paty, une séquence dans laquelle le modèle républicain et la laïcité ont été incriminés à l’étranger notamment en Turquie, donnant une ampleur internationale et suscitant une campagne de dénigrement dans le monde musulman. Ce type de logique rejoue en grand des dynamiques déjà observées à l’occasion des affaires des premières caricatures au Danemark en 2005, ou avant cela de Salman Rushdie en 1989, à la différence que désormais l’incrimination vise un pays tout entier et un principe fondamental de la vie démocratique: la liberté d’expression.

Le Figaro.- Les autres pays d’Europe de l’Ouest ont-ils aujourd’hui conscience des enjeux et de l’ampleur de la menace?

Hugo Micheron.- En réalité, il y a une erreur qui est faite en Europe de manière générale, c’est que nous oublions très vite le djihadisme. Nous n’arrivons pas à penser le djihadisme entre deux attentats, à comprendre le lien entre des militants djihadistes actifs et un amont plutôt composé d’un islamisme porté par les Frères musulmans ou les salafistes qui intellectuellement valide un certain nombre de ruptures avec la société. Les dynamiques en France sont extrêmement visibles et ne peuvent plus être niées du fait des attentats à répétition.

Mais les autres pays ont tendance à penser que c’est une singularité française. C’est une deuxième erreur: le foyer djihadiste originel en Europe, dans les années 1990, avait pris forme au cœur de la capitale britannique dans ce qui était alors désigné comme le «Londonistan», et était composé d’anciens idéologues du djihad en Afghanistan. Des environnements identiques se sont structurés ailleurs en Europe, comme cela avait été le cas en Belgique à Molenbeek, mais aussi en Allemagne, au Danemark bien qu’à plus petites échelles. Les Européens doivent prendre conscience que ce qui se joue en France est semblable à ce qui se joue chez eux. Si la France semble particulièrement subir ces dynamiques en ce moment, c’est parce que nous avons peu ou mal pensé ces enjeux lors des vingt dernières années. En rendant visible ces dynamiques, Daech nous a permis de comprendre la réalité et la profondeur du djihadisme européen. Désormais nous réagissons, avec retard certes, mais nous réagissons et prenons conscience des enjeux, qui se pensent à l’échelle de la décennie qui s’ouvre et du continent européen.

Le Figaro.- Dans une récente tribune cosignée par Bernard Haykel, vous dénonciez une cécité américaine face au phénomène djihadiste. Les Anglo-Saxons remettent souvent en cause le modèle laïque et républicain français. Les modèles multiculturalistes ou communautaristes vous semblent-ils plus efficaces pour lutter contre l’islamisme?

Hugo Micheron.- Obsédée en ce moment par les élections, la presse américaine projette son débat interne sur la situation française. Dans les médias conservateurs, nous observons une lecture binaire et antagoniste qui assimile islam et djihadisme. Mais de l’autre, nous avons une presse influente et «progressiste», incarnée notamment par le New York Times et le Washington Post, qui semble avoir bien du mal à penser la question djihadiste – ce qualificatif n’apparaît jamais dans les articles couvrant ces attaques! Par une inversion des choses, la responsabilité de la violence est imputée non pas aux islamistes mais au modèle républicain français, ce qui résonne avec la vulgate popularisée par la Turquie d’Erdogan ou la Tchétchénie de Kadyrov.

Cette lecture ne perçoit ni la dimension européenne du djihadisme, ni sa dimension militante, ni ses liens avec l’islamisme. Le fait que la géographie du djihadisme européen par exemple ne recoupe aucunement la carte des zones marginalisées économiquement et socialement leur échappe. Comment expliquer que les départs pour la Syrie depuis la Belgique se soient produits à Bruxelles et en Flandres et non en Wallonie, région la plus pauvre? Qu’il y ait eu plus de djihadistes à Lunel dans l’Hérault que dans tous les quartiers nord de Marseille? Cela ne peut se comprendre si on applique uniquement une grille d’analyse socio-économique. Elle doit être prise en compte, mais réduire le djihadisme à celle-ci est soit une erreur de jugement qu’il faut pouvoir corriger par le recours aux faits, soit une lecture idéologique d’un enjeu considérable pour les équilibres politiques des démocraties européennes.

Paradoxalement, le modèle français est critiqué, or c’est un modèle qui est résistant. Nous avons ici un abandon de la défense de la liberté d’expression par une partie des libéraux américains qui en ont longtemps été les porte-étendards. Sous prétexte d’œuvrer à plus de justice sociale, ils n’arrivent pas à penser le djihadisme et rendre compte de ces enjeux qui mettent la France en danger.

Le Figaro.- Dans ce contexte d’incompréhension du modèle républicain français par les États-Unis et par les pays arabes, est-ce que l’initiative de Macron d’un entretien auprès du média Al-Jazeera vous semble intéressante, ou est-ce qu’elle peut être interprétée comme un acte de contrition?

Hugo Micheron.- Ce qui est certain, c’est qu’il fallait se positionner dans ce débat qui se pense en arabe, et qui a lieu à l’intérieur du monde arabe. Cette interview prolonge une série d’initiatives de tweets en arabe que le président a mis en place dans sa communication, et qui a été relayée par le Quai d’Orsay. Je crois que cet enjeu est moins compris en France. Pourtant, il est déterminant de porter la réplique dans cette langue à travers un média influent dans le monde arabe.

Le choix de la chaîne Al-Jazeera en tant que telle peut être débattu mais c’est une affaire de choix politique qui a sa logique. C’est une chaîne qatarienne, et l’émirat entretient un rapport de proximité politique avec la Turquie dans la période actuelle. Fallait-il s’adresser à cette chaîne pour essayer d’apaiser les tensions? L’alternative, qui n’est pas forcément meilleure, aurait sans doute été de choisir la chaîne rivale saoudienne Al-Arabiyya qui aurait fait passer un message de fermeté. Tout ceci est de l’ordre des choix politiques et de la communication en temps de crise.

Sur le fond, il était important que la diplomatie française puisse se positionner dans un débat qui se pense aussi en arabe et qui était pénétré par des propos enflammés et souvent mensongers qui ne souffraient d’aucune contradiction ni éclaircissement. Il faut aussi le faire en anglais parce que, par rapport aux derniers éléments que j’ai évoqués plus haut, nous nous rendons compte que cette incompréhension du modèle français et du djihadisme de manière générale n’est pas uniquement liée à de l’instrumentalisation politique mais aussi à une ignorance du monde anglo-saxon vis-à-vis des dynamiques en cours en Europe. Le travail de pédagogie vise aussi à toucher les gens de bonne foi. C’est important politiquement.

Cet effort de pédagogie permet aussi de ne pas avoir l’air de s’arc-bouter sur nos principes au point d’en devenir incapables de les expliquer à l’extérieur de nos frontières. Autant être clair, ce qui se joue en France aujourd’hui aura des répercussions sur les équilibres politiques en Europe et ailleurs dans la zone euro-méditerranéenne.

Le Figaro.- Selon vous, après la chute de l’État Islamique, le mouvement djihadiste mondial serait en pleine reconfiguration. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus?

Hugo Micheron.- Les idéologues djihadistes ont une temporalité de l’action – qu’ils ont d’ailleurs empruntée aux penseurs des Frères musulmans égyptiens les frères Sayyed et Mohammed Qotb – qui est divisée en deux. Il y a la phase de faiblesse, qui repose sur l’éducation, l’endoctrinement et la constitution des réseaux, puis la phase de force, qui est la phase d’offensive et d’action. Sous Daech, les djihadistes se sont crus en période de force et ils ont été défaits, ce qui a conduit de nombreux sympathisants français à considérer que Daech s’était précipité dans les attentats.

Daech aurait, selon eux, fait les choses trop tôt, car les djihadistes n’étaient pas encore suffisamment forts au Levant. Selon cette logique, ils cherchent désormais à attendre la prochaine opportunité pour agir de façon plus forte. C’est une nouvelle configuration. Voilà pourquoi l’enjeu sur la décennie à venir est de saisir les mutations en cours dans la mouvance djihadiste. Il ne faut donc pas réduire le djihadisme aux attentats.

Nous devrions d’ailleurs évoquer ce qui se passe en prison qui est un véritable enjeu pour la suite. Il y a une vraie question autour de la sortie dans les cinq prochaines années de dizaines et de dizaines de djihadistes. Car les reconfigurations précitées se déroulent certes en Syrie mais aussi dans les prisons. Il faut s’intéresser à ce qui se passe dans ces terrains afin de ne pas perdre à nouveau le retard qui a été en partie rattrapé, du fait de la très grande visibilité qu’avait prise le jihadisme durant la campagne d’attentats de Daech en Europe entre 2014 et 2017. Sans cela, nous risquons de nous trouver dépourvus dans les prochaines décennies face aux nouvelles mues du jihadisme.

L’enjeu du djihadisme n’est donc pas que sécuritaire, il est aussi intellectuel et sociétal, et il est nécessaire de saisir ces dynamiques propres pour reprendre le contrôle sur ces évolutions en France et en Europe. Malgré les difficultés du moment, la réflexion générale dans le débat public a évolué dans le sens d’une meilleure compréhension de ces enjeux en France, d’une sortie du déni, et cet effort doit être prolongé et adopté par la société civile ce qui est sans doute un bon antidote à terme. Il est important de s’en saisir dès maintenant, précisément parce que la période est plutôt à une mutation interne qu’à l’affirmation d’une nouvelle forme de djihadisme.

Le Figaro.- Les récents attentats en France, en particulier celui de Samuel Paty, préfigurent-ils un djihadisme de 4e génération?

Hugo Micheron.- Je ne suis pas certain. Dans la «phase de faiblesse», le gros de la mouvance des djihadistes militants à tendance à considérer qu’il ne faut pas être trop visible, ce qui les pousse à ne pas multiplier les attentats. Ils s’en réjouissent bien sûr quand cela se produit mais ils appellent surtout à se reconfigurer plutôt que de passer à l’acte. À l’heure actuelle, les individus qui passent à l’acte sont plutôt des gens qui sont idéologiquement proches de cette mouvance mais qui sont en marge des membres actifs. Cela correspond à tous les profils des responsables des derniers attentats en France ou en Grande-Bretagne depuis deux ans.

Les quatre derniers attentats dans l’Hexagone étaient ainsi portés par un Soudanais pendant le premier confinement, un Pakistanais devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, un Tchétchène à l’encontre de Samuel Paty, même si ce dernier était arrivé à la différence des autres il y a douze ans, j’en conviens, et Tunisien pour le dernier qui venait de passer en Europe, semble-t-il dans l’objectif même de tuer.

À ces profils, souvent jeunes par ailleurs, s’ajoutent aussi ceux d’individus extrêmement idéologisés, qui refusent la défaite de Daech au Levant et cherchent à perpétuer des attaques. Ces deux types de profils ne sont pas dans les logiques de réflexion à moyen terme et de reconfiguration que j’évoquais plus haut. Ils ont saisi le mode opératoire de Daech mais ils ne sont pas forcément représentatifs du gros de la mouvance française. Je ne pense pas que nous soyons face à l’avènement d’un djihadisme de nouvelle génération mais plutôt face à l’expression de ce djihadisme qui apparaît à marée basse. Il était à marée haute, au moment de l’apogée de Daech en Syrie en 2015, moins visible car fondu dans la «masse».

De fait, ces attentats sont problématiques car ils se produisent dans un moment de mutation qui devrait être synonyme d’accalmie relative. Si le contexte bien particulier lié au procès des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher l’explique en partie, le fait qu’ils aient lieu est bien un indicateur du fait que le territoire idéologique du djihadisme en Europe est loin d’être détruit, contrairement au territoire physique de Daech au Levant. L’enjeu est de savoir comment réduire ce territoire idéologique dans la décennie qui s’ouvre.

Ainsi, ces attentats ne sont pas tant un nouveau type de djihadisme qu’un djihadisme qui ressemble à celui que nous avons connu entre 2005 et 2013 en Europe, c’est-à-dire entre la fin d’Al Qaida en Irak et le début de Daech en Syrie. J’y vois ainsi plus de continuité qu’une rupture avec notre djihadisme d’aujourd’hui. La rupture se situe dans le nombre, et c’est pour cela que nous n’avons pas d’autres choix hormis celui d’agir, et à l’échelle européenne.

Post Scriptum, 5 d’abril del 2024.

Hugo Micheron va ser entrevistat per El País el 17 de desembre de 2023: “Hemos pasado de un yihadismo de células terroristas a uno de célula familiar”.

El País.- Explica usted en el libro que el yihadismo europeo ha pasado por fases de marea alta, con grandes atentados, y periodos de repliegue o marea baja. ¿Nos encontramos en una marea baja?

Hugo Micheron.- Sí. En la marea baja, el yihadismo se construye en silencio y gradualmente, y con métodos que son los mismos en España, Dinamarca o Francia. Yo lo llamo “las máquinas de predicación”. La cuna del yihadismo es la guerra en Afganistán en los años ochenta tras la invasión de la URSS. En realidad estaban en Peshawar, en la frontera de Pakistán. Montaron institutos para adoctrinar, con seminarios, cursos. Apareció en la retaguardia del frente afgano y bajo forma de una matriz intelectual, no solo guerrera.

El País-. ¿Qué ocurre entonces?

Hugo Micgeron.- El modelo de Peshawar se traslada directamente a las ciudades de Europa en las que se implantarán los veteranos de la yihad afganos, argelinos y bosnios. Ahí montan institutos y seminarios, asociaciones, librerías islámicas, controlan mezquitas… Cuando, tras el 11-S, estos veteranos son detenidos o tienen que huir, han formado a individuos que pueden seguir con el trabajo de predicación. La perennidad de las máquinas de predicación explica que se haya pasado de unas decenas de yihadistas en los noventa a 6.000, 20 años más tarde, en Europa.

El País.-  Da la impresión, sin embargo, de que se acabó la época de los grandes atentados. Los autores son solitarios y ya no hay el mismo riesgo.

Hugo Micheron.- Es un error evaluar el riesgo del yihadismo según el riesgo de terrorismo. El yihadismo es una ideología. El terrorismo, un medio. Si los yihadistas pueden hacer avanzar su agenda sin atentados, no los harán.

El País.-  ¿Qué es lo que no vemos mientras no hay grandes atentados?

Hugo Micheron.- Daesh integró a las mujeres, cuyo papel no es combatir o perpetrar atentados, sino transmitir las ideas, educar a los más jóvenes y reclutar a otras mujeres. Se trata de perennizar el yihadismo durante generaciones. La figura de yihadista de la marea baja es una mujer. Hemos pasado de un yihadismo de células terroristas a un yihadismo de célula familiar. Es otra lógica. Aparece la cuestión de la educación, muy destacado en Francia. El sistema de educación nacional francés, que históricamente ha construido ciudadanos y republicanos, se ve designado por yihadistas y salafistas como el templo de los infieles.

El País.- Pero, pese a los atentados recientes con cuchillo en Francia, algunos contra escuelas, y las reivindicaciones de sus autores, hay un abismo entre su programa y lo que logran.

Hugo Micheron.- El problema del yihadismo no es que haga realidad su proyecto. Daesh se hizo con un territorio tan grande como Gran Bretaña, con seis millones de sirios e iraquíes, y lo controlaron durante casi tres años. Terminó con una insurrección en contra de sirios e iraquíes y con su Estado Mayor matándose entre ellos. El problema es que entretanto hubo una campaña de atentados por todo el mundo y sobre todo en Europa, y que intentan enfrentar a la gente con una narrativa de guerra de civilizaciones y de confesiones. Esto, en el marco de las democracias europeas, provoca desperfectos. En el mismo periodo, vemos cómo evoluciona la extrema derecha.

El País.- En su libro señala “la capacidad de las organizaciones yihadistas de anclar sus acciones en relatos eminentemente políticos, potencialmente amplios y movilizadores”. La guerra de Israel y Hamás ¿es el relato que nutrirá la próxima marea alta?

Hugo Micheron.- Sí y no. En los últimos 30 años, los yihadistas siempre han necesitado deflagraciones geopolíticas exteriores. El inicio de todo esto es la guerra de Afganistán y la invasión por la URSS. En los años noventa es la guerra civil argelina, la guerra en Bosnia y la guerra en Chechenia. En los años dos mil es la invasión de Irak por EE UU. Diez años después, la guerra civil siria. Hay diferencias y puntos en común con la guerra en Gaza. Las crisis que he mencionado eran en zonas fácilmente accesibles para los yihadistas. No es el caso en Gaza, que está cerrada y enclavada. Hamás es un grupo que el 7 de octubre empleó métodos próximos a Daesh, pero no pertenece al movimiento yihadista global. En los conflictos citados, se trataba de Oriente Próximo, Afganistán o conflictos locales, pero Israel-Palestina no tuvo un papel enorme respecto a la organización de las redes. Sí en el imaginario de los islamistas y en el mundo árabe, por lo que es fácil de explotar para distintos grupos y sobre todo para los yihadistas.

El País.-  ¿Cómo?

Hugo Micheron.- Vemos en las redes sociales un entusiasmo considerable con la guerra en Gaza. El discurso de los grupos islamistas converge en un punto. Resumiendo: Israel comete un genocidio contra mujeres y niños en Gaza —es así como se presenta, no digo que sea verdad, es su propaganda, su interpretación del conflicto— y Europa y EE UU apoyan a Israel. Así que Europa y EE UU son cómplices y deben ser castigados. Así que es normal que haya ataques en Europa. Este ruido de fondo evidentemente es incitativo. Pero, como se ha visto en Bélgica y Francia, incita a pasar al acto a individuos más bien fuera de las redes y con métodos de bajo coste para crear una situación de tensión política y eventualmente inspirar otros ataques.

El País.- No hablamos de grandes atentados.

Hugo Micheron.-  Desde hace unos años no hay atentados así, lo que no significa que no podamos contemplar otros escenarios. Con pequeños golpes repetidos se busca crear una situación políticamente ingestionable, que nos encontremos, como hemos empezado a ver en Irlanda, Francia y en las redes sociales, con grupos de extrema derecha que dicen “el Estado no puede defendernos, defendámonos nosotros”. Tensión comunitaria que los yihadistas explotarán.

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