Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

21 de juny de 2020
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La retrologia històrica aplicada contra les societats obertes occidentals

L’enyorat Joaquim Capdevila i Capdevila hagués estat un lúcid interpret del fenomen de retrologia històrica en curs atiat en nom de l’antiracisme i l’anticolonialisme arreu del món occidental. Mariona Lladonosa cita la noció de retrologia que divulgava Joaquim Capdevila: “interpretació del passat en termes del present, i del present a partir d’aquest passat prèviament interpretat” (“Nosaltres els catalans, PAM, 2019, pàgina 135).

Aqueixa noció és escaient per ser aplicada a l’erupció arran de la mort de George Floyd a Minneapolis de l’onada iconoclasta contra les estàtues de personalitats de rellevància història sobretot arreu d’Occident (i a molts estats que foren colònies fins al segle passat). Aqueixa bullanga és el resultat d’una tendència profunda de les elits intel·lectuals desconstructivistes, com explica el professor de la Universitat de Bordeus Andreas Bikfalvi, “Aux origines de la politique des identités… et ses conséquences”, publicat el proppassat 16 a Causeur): “Les caractéristiques venant de la gauche sont l’anti-individualisme, le collectivisme, l’anticapitalisme, le constructivisme et le ressentiment. Ces différents éléments sont mixés dans des proportions variables en fonction d’un corpus identitaire spécifique.”

En el cas concret dels Estats Units, les protestes en curs es pregunta Asaf Romirowsky si poden ser qualificades així: Red and Green Virtue-Signaling — An American “Intifada”?, atesa la confluència dels moviments anticapitalistes, pro-islamistes i anti-israelians que equiparen la situació dels afro-americans amb la dels palestins.

Aqueix comunitarisme neo-identitari de nou encuny arriba a Europa en forma d’amalgama entre antiracisme, anticolonialisme i antifeixisme arbitrari, com es percep actualment a França en les protestes contra la violència policial i el cas Adama Traoré. Les mobilitzacions es regeiren contra les nacions europees, el passat històric i el pòsit cultural dels pobles sense bastir cap universalisme repectuós de tots aqueixos valors. Com escrigué abans d’ahir a Le Figaro Stéphane Nivet, delegat general a França de la LICRA (lliga contra el racisme i l’antisemitisme), Non à un antiracisme qui falsifie l’histoire!, on es desolidaritza de l’enderroc o vandalització d’estàtues estimant que aqueixos actes simplifiquen arbitràriament el passat en funció de propòsits abstractes i de caire autoritari.

Churchill, De Gaulle i fins i tot Gandhi (la seva figura fou abatuda fa dos anys a la Universitat de Ghana per racista), les estàtues dels quals són vandalitzades i en alguns casos enderrocades, foren personatges amb aspectes positius i d’altres negatius (com en tota persona humana) i tenir-los en compte emprant criteris d’universalitat, proporcionalitat i no discriminació és l’única manera de contribuir efectivament a la globalització dels valors democràtics -aparentment- en nom dels quals són blasmats.

Significativament aqueixes protestes multidimensionals tenen lloc a les societats obertes de tall occidental, i en contra seva, mentre en queden al marge tota crítica a totalitarismes expansius com el comunisme xinès, l’islamisme i el tardo-sovietisme. Justament avui Le Monde informa que en una petita localitat alemanya (i no precisament de l’antiga RDA) hom ha inaugurat una estàtua a Lenin ignorant el desastre que fou el règim comunista en la part del país ocupat per l’exèrcit rus.

A casa nostra aqueixa tongada arriba desdibuixada: absència de crítica al supremacisme espanyol, antiracisme sel·lectiu i arbitrari (protector de les comunitats islàmiques i alhora hostil als jueus i a <israel), i en forma d’auto-odi es fixa en la figura de Cristòfol Colom, amb la CUP a l’avanguarda del desballestament del monument barceloní. Només hi pot haver llibertat, individual i col·lectiva, en el context del procés de reconstrucció nacional basat en la catalanitat integradora de les diverses identitats presents al país. No hi és pas aqueix autocentrament nacional, sinó més aviat un cosmopolitisme abstracte i banal sense cap perspectiva concreta, només la ficció de l’emancipació igualitària i sense passat històric que Pierre-André Taguieff critica en en un assaig recent.

Post Scriptum, 22 de juny del 2020.

Kamel Daoud, (escriptor algerià esmentat sovint en aqueix bloc) publica avui a Le Monde un article titulat « L’Occident est imparfait et à parfaire, il n’est pas à détruire », on afirma que voler acusar Occident culpable de tot pot obrir la porta a una « barbarie de revanche ».

Post Scriptum, 24 de juny del 2020.

Un dels periodistes de referència del diari d’esquerres Libération, Luc Le Vaillant, publicà abans d’ahir un article que comparteixo plenament propugnant un capteniment crític però constructiu sobre el passat històric en lloc de fer el joc a la ignorància i la destrucció de monuments: Se relever ensemble, plutôt que tomber à genoux:

Plaidoyer pour un antiracisme qui s’extirpe des querelles de mémoire, repousse les injonctions culpabilisantes et remette debout la communauté humaine au lieu de la fragmenter.

Je ne déteste pas que les héros du passé mordent la poussière, mais je supporte mal de voir les humains d’aujourd’hui se courber jusqu’à terre et se couvrir de cendres. Et cela aussi grandiose soit la cause, aussi terrible qu’ait été la mort de George Floyd, asphyxié par la rotule et la férule policière américaines.

Je comprends le plaisir qu’il peut y avoir à déboulonner les symboles, à fendiller le plâtre des statues, à pulvériser les statuts gravés dans le marbre. J’aime en user ainsi avec les personnalités qui font l’unanimité, tiens De Gaulle par exemple, même si je me dispense du burin et du surin, et leur préfère la moquerie. Mais j’admets difficilement que, drapés dans la sentimentalité de l’émotion et afin de faire image comme on fait pénitence, l’on puisse s’agenouiller pour glorifier un martyr, cédant ainsi à une bigoterie qui devrait être mieux tenue en laisse.

Je suis prêt à débattre des actes de Colbert ou de Victor Schœlcher avec ceux qui mènent la guerre des mémoires et qui, c’est bien normal, instrumentalisent l’histoire, à l’égal des puissances régnantes de par le monde. Mais je bloque quand il s’agit de s’abaisser pour être relevé des péchés supposés de mes pères. Je me crispe quand on me demande d’endosser la pèlerine du repenti et le suaire du repentant. Je me cabre quand il s’agit de supplier mon voisin de battre en tout anachronisme la coulpe de mes ancêtres sur ma poitrine. Mon masochisme a des limites que ne franchira pas mon refus de confesser des fautes qui ne sont pas les miennes.

Je n’ai pas armé des vaisseaux pour le commerce triangulaire. Je n’ai réduit personne en esclavage, aux Antilles ou ailleurs. Je n’ai pas colonisé le Maghreb, l’Afrique ou l’Asie. Je n’ai pas voté les pleins pouvoirs à Pétain et n’ai encouragé aucune déportation vers les camps de la mort. Je n’ai pas pratiqué la torture en Algérie, ni repris les essais nucléaires français dans le Pacifique. Pour en venir à des sujets plus contemporains, je n’ai pas organisé d’évasion fiscale à grande échelle même si j’ai sûrement contribué, sans trop y songer, au réchauffement de la planète.

Suis-je condamné à perpétuité pour m’être juste donné la peine de naître dans un pays tempéré à démocratie avancée ? Si je suis blanc, c’est un «privilège» que j’essaie d’abolir chaque été, au risque de rôtir en peau rouge, afin que le soleil me donne la même couleur que des gens que je considère comme des égaux. Et parfois même comme des frères, aussi cucul que puisse paraître cette terminologie «united colors». Je demeure un antiraciste de bonne volonté qui n’est pas prêt à s’excuser de ses visées universalistes, ni à implorer le pardon des décoloniaux, indigénistes et autres identitaires. J’admets que mon camp, la gauche, n’a pas toujours tenu ses promesses sociales, butant sur le réel libéral. Elle a régulièrement essayé, sans bien y parvenir, d’intégrer des populations issues de l’immigration que je n’aurais garde de nommer «racisées» car je fatigue de ce renvoi permanent aux origines. Tout le beau projet de l’idée d’émancipation est de faire que l’individu échappe aux déterminismes qui l’encagent : économiques, géographiques, religieux, matériels, sexuels, etc. Il n’y a que sur la question des statistiques ethniques que je balance. D’un côté, je pense qu’il faut éviter de se voiler la face et tenter de chiffrer la réalité. De l’autre, je sais combien les concepts forgés par la sociologie n’ont qu’une scientificité relative et tiennent souvent de la prophétie autoréalisatrice.

En 2017, le joueur de football américain Colin Kaepernick a imaginé cette protestation qui a tout de la prosternation (1). Il a compris qu’il fallait se mettre plus bas que terre pour contester Trump et la verticalité du pouvoir. Il a perçu la force de l’impuissance exhibée. Perspicace, Kaepernick s’est adapté à un univers qui aime les aveux et les dégradations, les excuses et les remords. Je persiste à lui préférer les sprinters noirs qui, en 1968, dressaient leur poing ganté sur le podium des JO de Mexico. La question irrésolue est de savoir si la non-violence que je soutiens n’a pas toujours des accointances secrètes avec la religiosité.

Et puis, dites-moi, qui s’agenouille ? Le manant devant son propriétaire terrien. Le vassal devant son suzerain. Le chevalier qui réclame adoubement. Le croyant devant son dieu. D’ailleurs, à Noël, les églises catholiques pas encore désaffectées chantaient : «Peuple à genoux, attends ta délivrance.» En tout cas, si on pouvait m’éviter cette mise en scène culpabilisante, à échine courbée et nuque brisée, ce serait un progrès indéniable qui nous sortirait du ressentiment et de la désunion. Essayons de vivre debout, pour que plus personne n’ait à mourir à genoux.

Post Scriptum, 27 de juny del 2020.

Segons informa avui Le Monde, la Universitat de Princeton ha retirat el nom de Woodrow Wilson d’une de les seves escoles al·legant que durant el seu mandat presidencial (1913-1921) va permetre als estats del Sud practicar la segregaió racial. En res han tingut en compte la seva decisió contribució a la desfeta d’Alemanya a la primera Guerra Mundial ni la declaració que porta el seu nom sobre el dret dels pobles a l’autodeterminació, vigent encara.

Post Scriptum, 1 de desembre del 2020.

He llegit amb atenció l’assaig “De las ruinas de los imperios. La rebelión contra Occidente y la metamorfosis de Asia”, (Galaxia Gutenberg, 2014), de l’escriptor indi Pankaj Mishra, tan lloat a Occident per la intel·lectualitat addicta a la culpabilitat masoquista per mor del passat colonial dels estats europeus. Aqueixa propensió no permet observar críticament alguns aspectes cabdals que l’autor no té en compte. Per exemple, l’omissió de tota referència a l’eradicació de les comunitats autòctones cristianes arreu del món islàmic, especialment als segles XX i -sobretot- al XXI, un capteniment no derivat d’una resposta al colonialisme europeu sinó d’una voluntat endògena de l’islamisme (cas del turcs otomans contra grecs i armenis). Una altra mostra de poc rigor històric és la qualificació de l’estat d’Israel com un producte tardà del colonialisme occidental, ignorant la continuïtat de la presència jueva tot i que minoritzada a la seva terra ancestral i els successius moviments migratoris de retorn a partir del segle XIX, obstaculitzats pels imperis ocupants, otomans i britànics.

Post Scriptum, 3 d’abril del 2021.

La nova traducció holandesa de “L’infern” de Dante ha estat amputada de la seva referència al profeta Mahoma per tal de no ferir inútilment els musulmans. Christophe de Voogd s’indigna d’aqueix triomf del nou codi cultural políticament correcte que s’aplica únicament l’heretatge occidental en aqueix article publicat a Le Figaro el propassat 26 de març: Dante: «Le politiquement correct s’apparente à une forme de suicide culturel».

Post Scriptum, 12 de setemebre del 2021.

Fa tres dies Le Figaro publicava aqueixa entrevista amb el professor Joshua Mitchell: «L’Occident a une telle culpabilité qu’il est prêt à détruire sa civilisation pour en sortir». Professeur de théorie politique à l’université de Georgetown, spécialiste de Tocqueville, Joshua Mitchell est «Washington fellow» au centre pour le mode de vie américain de l’Institut Claremont. Dans un livre percutant, American Awakening, il déchiffre le caractère profondément religieux du mouvement identitaire de la gauche américaine, qui vise à purger l’Occident de ses «péchés».

LE FIGARO. – C’est dans un contexte sombre que l’Amérique commémore le 20 anniversaire du 11 Septembre. Vingt ans après les attaques contre les tours jumelles, les États-Unis ont quitté l’Afghanistan dans un contexte de débâcle géopolitique. Les talibans sont de retour au pouvoir, la menace terroriste islamiste est plus présente que jamais et les Américains sont empêtrés dans une crise démocratique profonde. Assistons-nous au crépuscule de la puissance américaine? L’esprit de faction prospère. Comment définiriez-vous ce moment politique? Assistons-nous au crépuscule de la puissance américaine? Ou sommes-nous en 1979 “sous Carter”, à la veille d’une nouvelle surprise de la part d’un pays qui a rebondi maintes fois?

Joshua MITCHELL. – Deux décennies ont déjà passé depuis ce jour terrible du 11 septembre 2001. Beaucoup d’entre nous se souviennent de l’endroit où nous étions, de l’incrédulité et de la détresse que nous avons ressenties, de la vengeance que nous avons recherchée. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a raconté aux Américains que la modernisation balaierait les préjugés de la nation, de la religion et des liens tribaux, que l’Amérique était la «cité sur la colline» dont la lumière illuminerait le chemin menant vers la modernisation. Septembre 2001 a été la confirmation brutale, pour la psyché américaine, que cette histoire de modernisation était fausse. Les néolibéraux, qui gardent largement le contrôle des affaires, pensent, comme ils le pensaient alors, que le monde peut se moderniser à travers la propagation de «normes globales». Le fait que le secrétaire d’État Antony Blinken ait donné l’ordre aux ambassades, à travers le monde, de faire flotter le drapeau de la Gay Pride est la preuve qu’un néolibéralisme naïf est toujours en vigueur sous Biden. L’Afghanistan est tombé en un week-end! Cela ne montre-t-il pas à quel point les «normes globales» sont faibles dans ce pays en guerre?

De l’autre côté, il y a les néoconservateurs. Après 1989, quand les États-Unis ont gagné la guerre froide, les néolibéraux ont été débordés par un groupe de néoconservateurs persuadés que la modernisation viendrait non pas à travers le soft power de «normes globales», mais grâce à la puissance militaire. Humiliés par vingt ans d’échecs militaires au Moyen-Orient, les néoconservateurs ont finalement perdu leur crédibilité et se sont alignés, sans surprise, avec les néolibéraux de gauche pour s’opposer au «nouveau nationalisme» de Donald Trump. Nos élites néolibérales de gauche et nos élites néoconservatrices de droite insistent pour dire que les erreurs commises au Moyen-Orient ne sont pas leur faute, comme s’il n’y avait qu’une seule forme politique légitime, à savoir la démocratie, exportable partout. Ils prennent pour postulat que toutes les autres formes politiques doivent être combattues, ouvertement ou clandestinement. Cette croyance dangereuse selon laquelle le monde devrait ressembler à l’Amérique est le plus grand obstacle à un retour à une bonne santé mentale de nos élites.

Quoi que l’on pense de Trump, il faut comprendre qu’une partie des Américains ont voté pour lui, en 2016 et 2020, parce qu’ils étaient dégoûtés par cette vision destructrice de notre rôle. Le slogan l’Amérique d’abord peut paraître chauvin. Mais les alternatives néolibérale et néoconservatrice sont pires. Si vous voulez comprendre l’Amérique d’aujourd’hui, vous devez l’appréhender comme un champ de bataille entre ceux qui pensent en termes universels et ceux qui pensent en termes particuliers, en croyant à leur pays et à leurs religions. Oui l’Amérique paraît faible et impotente aujourd’hui. Si l’Irak ne l’a pas prouvé, notre récent retrait d’Afghanistan le prouve à coup sûr. Notre faiblesse et notre impotence persisteront aussi longtemps que nos élites insisteront sur le fait que l’Amérique a une mission globale à accomplir, plutôt qu’un objectif modeste consistant à vivre en paix dans un monde de nations, où elle ne doit prendre le leadership qu’en cas de nécessité, et en se coordonnant avec les autres, là où cela est possible. Penser que le monde entier doit ressembler à l’Amérique est une dangereuse croyance

Le Figaro.- Quel est le motif central de la crise intérieure?

La racine immédiate de notre crise américaine est le fossé grandissant entre élites et classes populaires. La gauche comme la droite ont contribué à ce problème. À droite, l’engagement sans nuances en faveur du «veto du marché libre» a nui aux classes populaires. Par «veto du marché libre», j’ai en tête l’idée que la politique sociale devrait être déterminée par la simple mesure de l’efficacité économique, quelles que soient les conséquences pour les ouvriers. Mais si on s’en tient à ce principe, les grandes entreprises américaines délocalisent les emplois vers la Chine, tout en gardant le bénéfice politique d’être incorporées en Amérique. Cela a eu pour conséquence la délocalisation d’une énorme partie d’activités jadis menées dans nos frontières. Mon opinion personnelle est que si une grande entreprise américaine veut la protection politique de l’État de droit, du respect des contrats, la plupart de ses produits devraient aussi être fabriqués ici. Les républicains, depuis Reagan, ont donné aux grandes entreprises américaines un blanc-seing qui a contribué à éviscérer la classe ouvrière. Les entreprises ont gardé leur siège en Amérique mais cherché à faire des profits ailleurs. C’était une folie. Car nous vivons dans un monde de nations. La droite l’avait oublié. Mais la gauche aussi a contribué au fossé entre élites et classes populaires. Après avoir été le parti de la classe ouvrière, elle est devenue celui de Hollywood, de la Silicon Valley et de New York. Pour le dire autrement, la gauche est le parti du mépris des médias, de la Big Tech et du capital financier pour les classes populaires. Devons-nous être vraiment surpris, dans ces conditions, qu’un feu populiste dévore l’Amérique?

Le Figaro.- L’un des aspects préoccupants est l’effondrement de la confiance. Envers le système et les élites gouvernantes, mais aussi entre citoyens…

La confiance est plus précieuse que l’or. Une nation peut être riche, mais s’il n’y a pas de confiance entre les citoyens, elle ne sera jamais forte et combative. Dans les années 1830, Alexis de Tocqueville a écrit De la démocratie en Amérique, le plus grand livre écrit sur l’Amérique. Il a été le premier à y reconnaître que si la vieille aristocratie venait à vaciller, les citoyens se sentiraient isolés et solitaires. Ils demanderaient à l’État de s’occuper d’eux, et la confiance diminuerait. Tocqueville pensait que si une nation voulait rester bien portante à l’âge démocratique, elle devrait avoir des institutions intermédiaires robustes, comme la famille, l’église, le gouvernement local, la société civile. C’est dans ces institutions médiatrice, que nous apprenons la confiance, mais aussi comment gouverner et être gouvernés, comment développer des compétences, et quelles sortes d’habitudes et de traits de caractère la liberté exige. Malheureusement, Tocqueville avait prédit que ces institutions vacilleraient sans une attention constante, et que le futur serait sombre si les citoyens tombaient dans l’isolement. Nous y sommes. Nous sommes tous devenus ce que j’appelle des «hommes selfies» qui ne pensent plus qu’à eux-mêmes et à l’humanité abstraite, jamais au voisin avec lequel ils doivent pourtant construire un monde, à l’intérieur de notre nation.

Le Figaro.- Les élites politiques et intellectuelles, celles qu’on appelle aux États-Unis “la classe de la connaissance”, ont-elles mérité cette défiance que vous décrivez, parce qu’elles ont tenté avec condescendance d’imposer des valeurs que la moitié du pays ne partage pas?

Nous ne savons pas encore clairement comment décrire la division qui déchire nos nations. La distinction élite-classes populaires est un moyen de le faire. Mais la distinction entre classe des sachants et classe ouvrière en est un autre. Je me demande si l’approche la plus pertinente n’est toutefois pas celle qui sépare «la classe digitale» de ceux qui vivent dans le «monde réel». La pandémie du Covid a révélé clairement cette rupture. Si vous pouvez vous mettre en quarantaine, commander vos provisions par internet, vous amuser sur votre ordinateur, et gagner votre vie sur Zoom, vous être un membre de la classe numérique. Si vous apportez les courses, si vous n’avez pas de compte Netflix ou Amazon et que vous produisez les choses à distribuer, vous êtes un membre de l’autre classe. Le rêve de la classe numérique est celui d’un monde sans le chaos des «choses», un monde sans limites, et notamment un monde sans les inconvénients d’être un homme ou une femme mortels, dans une communauté à laquelle vous êtes attachés dès votre naissance.

Le Figaro.- Trump ou pas Trump, au moins la moitié des citoyens électeurs en ont assez qu’on leur dise qu’ils sont des déplorables irrécupérables

Les membres du «monde réel» n’ont pas ce rêve. Ils vivent comme l’humanité a vécu historiquement, dans un monde défini par le temps et le lieu, entouré d’objets, impliqués dans les tâches de la vie concrète. Ils côtoient la saleté et la mort, au lieu de s’en détacher. La bataille grandissante sur la manière de gérer le Covid traduit cette division. La «classe digitale» estime évident de décréter que les quarantaines et les vaccins nous protégeront complètement de la mort et que nous devons fermer nos économies pour tenir cette dernière à distance. L’autre classe sait qu’il s’agit d’une recette menant à l’étouffement économique et reconnaît que la mort ne peut être conjurée pour toujours. Le vrai monde, c’est le leur. L’existence digitale peut être un supplément, pas un substitut.

Le Figaro.- Pendant quatre ans, Trump a été le thème de discussion politique. Le leitmotiv était qu’une fois Trump parti, les problèmes disparaîtraient. Mais la rébellion trumpiste est bien vivante. Pourquoi?

Donald Trump reste l’obsession de la gauche. Il est, si je peux m’exprimer de manière indélicate, «la mauvaise sorte d’homme blanc». Ne vous méprenez pas. Je suis troublé par ses manières. Mais pour comprendre la réaction que Trump suscite à gauche, vous devez comprendre ce que «la bonne sorte d’homme blanc» est supposée être. «L’homme blanc acceptable» est celui qui considère que l’Amérique est systémiquement raciste, qu’aimer votre pays relève d’une maladie mentale, que les hommes et les femmes sont identiques (et qu’un homme peut décider d’être une femme et vice versa), que l’énergie verte sauvera notre monde, que la guerre est obsolète, et que les élites plutôt que les citoyens doivent gérer le monde… Si l’arc de l’histoire produit «la bonne sorte d’homme blanc», alors un homme comme Donald Trump ne devrait pas exister au XXIe siècle. C’est la raison pour laquelle la version acceptable de l’homme blanc croira toujours que c’est une collusion russe qui a donné à Trump la victoire en 2016. La gauche le voit comme une anomalie historique. Ce qu’elle ne comprend pas est qu’une vaste portion de l’Amérique croit en nombre des choses qui révulsent «l’homme blanc acceptable»: leurs églises, leurs nations, leurs familles d’origine. Trump ou pas Trump, au moins la moitié des citoyens électeurs en ont assez qu’on leur dise qu’ils sont des déplorables irrécupérables.

Le Figaro.- Deux tiers des électeurs républicains ne croient pas à l’élection normale de Joe Biden. Sommes-nous face à une sécession politique et mentale qui annonce d’autres 6 janviers potentiels?

Beaucoup des électeurs républicains en Amérique ne sont pas sûrs des résultats de l’élection. Un large nombre d’entre eux estiment que l’élection a été “volée”. Cela peut vouloir dire que les votes ont été comptés de manière incorrecte, ou qu’ils ont été comptés correctement mais que les nouvelles règles mises en place ont rendus les totaux illégitimes. Cela peut vouloir dire que les votes ont bien été validés mais que les médias et les élites ont biaisé le processus pour voler l’élection. C’est ce dernier sentiment qui me préoccupe le plus. Sa signification profonde est qu’un vaste segment de l’électorat se sent exclus, réduit au silence. L’une des conséquences est le sécessionnisme mental dont vous parlez, l’autre est la violence. Nous vivons avec la culpabilité, mais sans pardon chrétien. C’est cela qui hante l’homme occidental, ce fardeau, chaque jour qui passe. C’est la source véritable de la fatigue de l’Occident

Le Figaro.- Dans Le Réveil américain, vous expliquez que l’un des maux affligeant la société américaine est l’affaiblissement de la nation au profit d’un nouveau mouvement porté par la gauche, «la politique des identités», qui vise à remplacer la politique libérale des compétences par des catégories religieuses: les innocents (les minorités) qu’il faut défendre, et les transgresseurs qu’il faut purger (l’homme blanc hétérosexuel occidental). La rébellion trumpienne est-elle aussi un rejet de cet identitarisme?

La «politique des identités» n’est pas encore complètement comprise. Elle émerge du postmodernisme, et doit être distinguée du marxisme, dont l’origine remonte à la pensée allemande de la génération d’avant Nietzsche. C’est un courant distinctement américain, même si l’Europe semble y succomber aussi. À première vue, ses buts sont nobles. Qui ne voudrait pas prendre au sérieux l’identité de quelqu’un? Mais ce n’est pas ce dont il s’agit. Ce mouvement vise en réalité à évaluer chaque membre de chaque groupe identitaire en fonction de leur supposée innocence ou culpabilité collective. De plus, chaque groupe soi-disant innocent est défini en fonction de sa distance vis-à-vis du «transgresseur primordial», qui est actuellement l’homme blanc hétérosexuel.

Si vous êtes une femme, vous obtenez des points d’innocence. Si vous êtes non blanc, aussi. Si vous êtes homosexuel, également. La politique des identités est un tableau de classement de pureté morale. C’est, selon moi, le «nouvel eugénisme spirituel», qui sépare les purs des damnés. Les voix des purs doivent être entendues, mais si vous êtes parmi les damnés vous devez être purgé du corps social. Le but de la politique n’est plus de construire un monde ensemble, mais redistribuer les ressources afin que «l’équité» – qui signifie de fait la disqualification sociale des mâles blancs hétérosexuels – puisse prévaloir.

Mon livre s’appelle American Awakening, parce que je compare ce phénomène à un réveil religieux, dans lequel de pauvres âmes recherchent désespérément l’absolution morale pour leurs péchés. Je déteste le racisme quel qu’il soit. Je n’ai aucun intérêt à défendre «la blanchité», comme on dit aujourd’hui. Je veux défendre une politique décente, dans laquelle les citoyens sont traités justement, dans le cadre de l’État de droit, quelle que soit leur identité. Donald Trump, bien sûr, était un mâle blanc hétérosexuel. Son «crime» a été de ne prêter aucune attention ou crédit au postulat de la «politique des identités», qui est de dire que le temps du mâle hétérosexuel blanc est révolu. Il était fier de ce qu’il était. Dans le monde de la gauche identitaire, ce type d’homme ne peut exister, ou s’il existe, il ne peut qu’être raciste. C’est pour cela que Donald Trump était autant haï.

Le Figaro.- Vous écrivez que l’Amérique revient à des catégories religieuses, mais sans laisser de place pour le pardon divin…

La crise de l’Occident est une crise de la culpabilité. Pendant la période chrétienne, l’homme pouvait se repentir et pardonner dans un monde imparfait de transgression et de péché, dont seule pouvait nous sauver la grâce de Dieu. Mais qui vit avec cette connaissance en son cœur aujourd’hui? Aujourd’hui, nous vivons avec Rousseau qui nous chuchote que l’homme est naturellement bon, que la violence et la transgression sont exceptionnelles, et peut-être même bien l’unique prérogative des hommes blancs hétérosexuels. Nous n’avons plus le courage d’assumer le tableau terrible de l’homme que nous avait légué le christianisme en même temps que sa proposition d’alléger le fardeau du péché à travers Dieu. On peut rêver d’un âge post-chrétien qui ferait disparaître à la fois le péché et son antidote, un âge sécularisé où il n’aurait plus de culpabilité. Mais nous n’y sommes pas. Nous vivons avec la culpabilité, mais sans pardon chrétien. C’est cela qui hante l’homme occidental, ce fardeau, chaque jour qui passe. C’est la source véritable de la fatigue de l’Occident.

L’homme occidental a peur d’agir, peur d’ajouter à son fardeau de culpabilité. Il n’ose plus croire en lui-même. Les conséquences sont graves. Mais ceux qui pratiquent la «politique des identités», ces nouveaux pasteurs de notre temps, disent: venez à moi, vous qui vous sentez coupables. Je vous donnerai l’absolution. Vous devrez juste renoncer à votre nation (source de violence), à votre religion chrétienne (patriarcale et homophobe), à votre famille (hétéro-normative).

Déclarez votre allégeance au monde digital cosmopolite qui ne connaît ni le temps ni l’espace et vous trouverez la paix dont vous rêvez. C’est l’offre religieuse qui nous est faite. Et parce que nous n’avons plus la religion chrétienne, nous acceptons l’offre d’absolution de ces nouveaux pasteurs, même si cela signifie la destruction de notre nation, de notre religion et de nos familles. Nous avons tellement faim d’une vie sans culpabilité, que nous sommes prêts à tuer notre civilisation pour y parvenir.

Post Scriptum, 26 de novembre del 2021.

Avui, Le Figaro entrevista Nicolas de Pape, “journaliste, romancier et essayiste. Il publie Tout doit disparaître (Edilivre): «Le “wokisme” prospérera tant qu’il n’aura pas d’opposition structurée contre lui».

Post Scriptum, 14 d’octubre del 2022.

Olivier Amiel, jurista perpinyanenc i doctor en Dret Públic, publica avui a Le Figaro aqueix article: «Aux États-Unis, peut-on encore étudier sérieusement l’Histoire ?»

Le 17 août dernier, le professeur James H. Sweet, président de l’Association américaine d’histoire (AHA), publie une chronique dans le magazine de l’association intitulée «L’Histoire est-elle de l’Histoire ?».

Faisant référence à la position dans ces mêmes pages il y a quelques années d’une autre historienne réputée, Lynn A. Hunt, spécialisée dans la Révolution française, James H. Sweet constate aujourd’hui l’échec de leur discipline dans les avertissements de sa collègue contre le présentisme, soit «l’intérêt décroissant pour les sujets antérieurs au XXe siècle» (chiffres à l’appui) et surtout la «tendance croissante à interpréter le passé à travers le prisme du présent». C’est ce second point qui fait l’objet de développements courageux par l’auteur dans sa chronique.

En effet, en se demandant ouvertement si un historien ne fait pas un travail qui compte sans lire «le passé à travers le prisme des questions contemporaines de justice sociale, race, genre, sexualité, nationalisme, capitalisme», James H. Sweet jette un pavé dans la mare dans un pays atteint par la folie de la «cancel culture» qui souhaite juger les individus et les périodes passées avec la morale présente. En ignorant toute perspective historique, valeurs et mœurs des époques étudiées, c’est toute l’Histoire qui peut être brûlée, ce sont toutes les statues qui peuvent être déboulonnées…

De manière encore plus courageuse, James H. Sweet, dont la spécialité est l’Afrique et la diaspora africaine ose pour étayer son propos prendre comme exemple dans sa chronique le présentisme du sujet intouchable qu’est l’esclavagisme. Il remet tout d’abord en cause une nouvelle fois l’iconoclaste «Projet 1619» lancé en 2019 par une journaliste du New-York Times, devenu fer de lance du «wokisme», pour faire reconnaître comme acte fondateur de la nation des États-Unis le débarquement d’esclaves le 20 août 1619 et non plus la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Pour James H. Sweet c’est une manière très efficace de faire du journalisme partisan et de la politique, mais pas de l’Histoire.

De la même manière James H. Sweet évoque un séjour au Ghana durant lequel il corrige les indications d’un guide lors d’une visite du fort St George d’Elmina axées seulement sur les Afro-Américains alors que les esclaves ayant transité par ce lieu sont allés à 99 % dans d’autres pays, et regrette de plus l’absence de références à l’esclavagisme autochtone. Enfin, il corrige la falsification du récent film «The Woman King» qui laisse croire que les guerrières de Dahomey auraient combattu la traite négrière alors qu’elles l’ont promue.

Ces trois exemples ne sont pas graves en soi mais révèlent un mal plus profond : «Hollywood n’a pas besoin d’adhérer aux méthodes des historiens, pas plus que les journalistes ou les guides touristiques, mais la mauvaise histoire donne de la mauvaise politique». C’est là où le bât blesse, quand le même usage falsifié de l’Histoire est réalisé à des fins politiques. Prenant l’exemple d’un débat juridique sur les armes à feux, James H. Sweet montre l’utilisation qui peut être faite de faits historiques anachroniques afin de justifier des positions personnelles dans des débats contemporains.

Par la régression du débat politique on retrouve ce présentisme un peu partout, que cela soit aux États-Unis, mais aussi en France où on se traite de «fasciste» ou «bolchevique» à tout va, où un président peut comparer la colonisation en Algérie à un «crime contre l’humanité» et où un ancien premier ministre peut justifier de vouloir débaptiser une salle de l’Assemblée nationale du nom de Colbert… Mais au-delà du présentisme sur la petite scène médiatico-politique, James H. Sweet veut prévenir en tant que Président de l’AHA, ses collègues du danger que cette interprétation utilitariste et à court terme de l’Histoire risque de porter au sérieux de leur discipline scientifique.

De notre côté de l’Atlantique, un autre grand historien français, Marc Bloch, écrivait déjà exactement la même chose en 1940 et 1941 : «L’Histoire est un mode de connaissance scientifique. Elle n’a donc point à porter de jugements de valeur, lesquels sont (dans leurs caractères sommaires) du domaine de l’action. (…) Or longtemps l’historien a passé pour une manière de juge des Enfers, chargé de distribuer aux héros morts l’éloge ou le blâme. (…) Par malheur, à force de juger, on finit, presque fatalement, par perdre jusqu’au goût d’expliquer».

Pleine de bon sens et de courage, la chronique de James H. Sweet, a néanmoins fait l’objet d’une campagne immédiate de dénigrement, d’un tombereau d’attaques et d’un lynchage sur les réseaux sociaux l’accusant de racisme, de sexisme et d’appropriation culturelle. À tel point que deux jours après sa publication, comme c’est une histoire américaine, une note larmoyante d’excuse du président de l’AHA a été rajoutée à la chronique, dans laquelle il regrette d’avoir offensé ses collègues et d’avoir été maladroit dans sa démonstration… C’est une histoire américaine pour le moment… Qu’elle le reste !

 

  1. La seua obsessió islamofòba i ultrasionista és esgotadora. Els molesta l’antiracisme perquè és contrari al seu nacionalisme essencialista. Els molesta perquè com ja identificava amb molta claredat Nelson Mandela, la lluita antiracista i antiapartheid dels pobles i ètnies africanes d’arreu del món, tant a “occident” com en el continent Africà, és una lluita germana amb la de l’antisionisme inperialista a Palestina.

  2. Jaume Renyer, chapeau. Tota la raó. Es molt curios que aquest antiesclavisme d’ara relatiu a fa 200,300 o 500 anys enrera, casualment, no esmenta mai el totalitarisme,el partit unic xinès, la manca d’eleccions obertes i lliures, o obliden, també casualemnt (he he) els conflictes històrics xinesos/japonesos, les amenaces militars a Taiwan, l’incompliment d’allò tat maco i tan fals de “un pais,dos sistemes” (Macao ja no despetra cap comentari(?), i Hong Kong, sembla amb moltes possibilitats, que serà una segona Plaça Tianamen, amb milers de morts, pel sol fet de no ser ni voler ser comunistes dictatorials. O les minories nacionals reprimides ad limitum pel partit comunista xines de manera ferotge i assasina (Tibet, la Mongòlia Interior o el Turquestan Oriental, dels Uigurs, com a 3 exemples sagnants.

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