La propera commemoració del setantè aniversari de l’Estat d’Israel l’antisemitisme islamista i l’antisionisme d’esquerres intensifiquen la perversa tergiversació d’equiparar-lo al nazisme, presentant els palestins com les seves víctimes alhora que hom justifica els propòsits genocides contra el poble jueu arreu, com s’ha vist la setmana passada a París arran de l’assassinat de Mireille Knoll, una supervivent de l’Holocaust.
Pierre-André Taguieff, un historiador del pensament polític totalitari de l’època contemporània, va ser entrevistat per la Revue des Deux Mondes, el 25 de novembre de l’any passat, exposant l’evolució d’aqueixa nova forma de judeofòbia:
Revue des Deux Mondes – Qu’avez-vous pensé du tweet de Gérard Filoche et de ses arguments pour se défendre ?
Pierre-André Taguieff – Si Gérard Filoche n’est pas l’auteur de ce montage à connotation antisémite (dû à Alain Soral), il a en tout cas immédiatement adhéré au message qu’il véhicule, un message mélangeant antisionisme radical et antiaméricanisme grossier. La centralité du motif antijuif n’est en effet pas niable : le drapeau israélien et le portrait de trois juifs supposés riches montrent l’assimilation des juifs à la finance. Dans le détail, ce visuel évoque trois amalgames polémiques : « Israël = sionisme = racisme », « juifs = argent » et « juifs = puissance de manipulation ». Les juifs sont accusés, d’après ce photomontage, d’être des racistes, des prédateurs de la finance et des manipulateurs, Macron étant leur marionnette.
Au-delà de l’image, l’homme lui-même est emblématique puisque Gérard Filoche représentait, jusqu’à son exclusion en cours, l’aile gauche du Parti socialiste. Manifestement, il a tweeté sous le coup de la séduction : il semble avoir retrouvé sa vision du monde dans ce photomontage anti-juif. Cette mixture douteuse ne l’a pas gêné, elle l’a séduit au point de lui faire négliger toute prudence, dans un domaine où des responsables politiques agissent, en principe, selon l’éthique de la responsabilité. Gérard Filoche a ici oublié toute responsabilité au profit de la diffusion de ses convictions profondes.
Cette affaire joue le rôle d’un dévoilement. Elle révèle des choses cachées depuis les origines du socialisme. Aujourd’hui, on pense souvent à l’antisémitisme nationaliste ou raciste, en oubliant la phase révolutionnaire, socialiste, anarchiste et communiste de l’antisémitisme au XIXe siècle. Or l’antisémitisme révolutionnaire et anticapitaliste, qui commence en France avec Fourier, Toussenel et Proudhon, a précédé l’antisémitisme nationaliste. Le mythe répulsif du juif comme parasite social et prédateur, cette invention de l’anticapitalisme révolutionnaire, y a pris place, à côté de la figure du juif comme principe de dissolution des nations. L’affaire du tweet de Gérard Filoche rappelle à ceux qui ne connaissent pas l’histoire des doctrines et des mentalités antijuives l’un des moments fondateurs de la haine des juifs dans le monde moderne.
Revue des Deux Mondes – Tweet de Gérard Filoche, deuxième profanation de la stèle dressée à la mémoire d’Ilan Halimi début novembre, vague d’antisémitisme sur fond de complot judéo-sioniste dans l’affaire Tariq Ramadan… Qu’est-ce que ces épisodes récents nous disent du climat d’aujourd’hui ?
Pierre-André Taguieff – La vulgate antijuive est aujourd’hui bien installée, surtout à l’extrême gauche et dans les milieux islamistes. Il n’y a là rien de véritablement nouveau, mais simplement la confirmation de la grande diffusion des thèmes centrés sur la diabolisation des juifs, notamment grâce aux réseaux sociaux qui sont le principal vecteur des insultes et des menaces antijuives, et plus largement de tout ce qui est de l’ordre des rumeurs malveillantes et des récits de complot.
Il est intéressant d’observer que, dans la situation que nous connaissons en ce moment, l’extrême droite est assez peu mobilisée, notamment du fait qu’elle a le regard tourné vers l’immigration d’origine extra-européenne et ce qu’elle perçoit comme une islamisation des nations européennes. Si des marginaux de l’extrême droite, comme les réseaux d’Alain Soral ou les animateurs de l’hebdomadaire Rivarol, sont impliqués dans la mobilisation antijuive actuelle, l’extrême gauche, alliée avec les milieux islamistes dans l’agitation « antisioniste », joue un rôle infiniment plus important.
Précisons par ailleurs qu’Alain Soral est un ex-communiste. S’il est le responsable du photomontage qu’a relayé Gérard Filoche, il exprime cette propagande communiste oubliée, violemment anti-israélienne et aux connotations antijuives, lancée dès 1952 au moment du procès Slánský suivi, en janvier-février 1953, par le prétendu « complot des blouses blanches » (celui des médecins juifs accusés de vouloir assassiner Staline et de hauts dirigeants soviétiques, complot parfaitement imaginaire). À l’époque, il y avait eu en France une vague très importante de soutien à Staline, les intellectuels communistes s’étaient mobilisés. Aujourd’hui, mutatis mutandis, on observe une vague de soutien à Tariq Ramadan, pseudo-victime d’un pseudo-complot. Parmi les héritiers de l’utopie communiste, les trotskistes sont désormais les principaux défenseurs de Ramadan, présenté mensongèrement comme la cible d’une vaste campagne contre l’islam et les musulmans.
Revue des Deux Mondes – Vous ne parlez pas de “nouvel antisémitisme” mais plutôt de “nouvelle judéophobie”. Quelle différence faites-vous entre ces deux termes ?
Pierre-André Taguieff – Au début des années 1980, je parlais de l’« antijudaïcisme contemporain » car je trouvais que l’expression « antisémitisme », créée par des antijuifs autour de 1879-1880, ne permettait pas de comprendre la vague antijuive observable dans la période post-nazie. Dans les interprétations de la « question juive », les mots ont une grande importance et une puissance symbolique. Or, à mes yeux, le terme « antisémitisme » ne symbolisait pas correctement ce qu’il se passait. La reconstitution d’une « question juive » en Europe ne se faisait pas autour du conflit racial entre Sémites et Aryens mais autour de l’opposition entre « sionistes » et « antisionistes ».
L’instrumentalisation de l’antiracisme m’a paru être un élément nouveau dans l’antisionisme radical. C’est pourquoi j’ai utilisé le vieux terme de « judéophobie » en le redéfinissant à ma manière. Dans la judéophobie « classique », qu’on appelle antisémitisme, nous sommes dans le racisme, au sens où les juifs étaient considérés comme une race hostile. Dans le cas de la nouvelle judéophobie, c’est au contraire au nom de l’antiracisme que les juifs sont stigmatisés et diabolisés, en tant que « racistes ». Dans un cas, on accuse les juifs d’être une race maudite, dans l’autre, on accuse les juifs d’être racistes. Les juifs sont considérés comme des sionistes, réels ou potentiels, et le sionisme est accusé d’être un racisme, une « forme de discrimination raciale ».
Cette instrumentalisation de l’antiracisme va totalement brouiller les cartes. Ainsi beaucoup de gens de bonne foi penseront être antiracistes en s’affirmant farouchement anti-israéliens, en dénonçant le sionisme comme une « forme de racisme » et en érigeant la cause palestinienne en nouvelle cause universelle et absolue, justifiant tout. La cause palestinienne est un puissant catalyseur des convergences entre intellectuels et groupes idéologiquement hétérogènes. Elle réunit des islamistes et des trotskistes, des révolutionnaires professionnels et des intellectuels « humanistes », etc. Tariq Ramadan ou Carlos communient dans la grande Cause avec feu Stéphane Hessel, Edgar Morin, Étienne Balibar ou Judith Butler. Sans oublier Edwy Plenel et ses fans. La cause prolétarienne est derrière nous, la cause palestinienne l’a remplacée, mais elle risque d’être incorporée dans la cause islamique.
Revue des Deux Mondes – Quels sont les visages de cette “nouvelle judéophobie” ?
Pierre-André Taguieff – La page raciste de la judéophobie a été tournée. Nous sommes passés à sa page antiraciste, ou pseudo-antiraciste. Dans ce cadre, les juifs sont assimilés polémiquement non seulement à des racistes mais à des nazis. C’est là la grande inversion victimaire, permettant de présenter les Palestiniens comme les nouveaux juifs et les Israéliens comme les nouveaux nazis. La nazification des juifs en tant que sionistes est au cœur de la propagande antisioniste.
Cette opération de propagande mensongère est liée à une transformation de la rhétorique judéophobe : l’islamisation croissante du discours antijuif et des mobilisations antijuives. Pour comprendre cette islamisation, qui fait que le vieil antijudaïsme chrétien est aujourd’hui un archaïsme, il faut percevoir et reconnaître le dynamisme international de l’islamisme sous ses différentes formes (Frères musulmans, salafisme séparatiste, salafisme jihadiste). Dans ce cadre de réflexion, l’affaire n’est plus franco-française, au sens où nous n’avons pas à chercher des origines proprement françaises de la nouvelle judéophobie. Celle-ci, telle qu’on l’observe en France, est seulement un cas particulier d’une grande vague judéophobe internationale.
Après l’orchestration d’un antisémitisme mondial par la propagande soviétique du début des années 1950 jusqu’au début des années 1980, nous sommes entrés dans une phase où le principal foyer de la haine antijuive est le monde musulman, et plus précisément les mouvances islamistes de l’islam mondial. À la fin des années 1980, avant même la chute de l’URSS, au moment où la première Intifada est lancée et le Hamas créé, la nouvelle judéophobie est centrée non plus seulement sur la nazification des juifs, mais sur l’islamisation des discours d’accusation. Des accusations traditionnelles que l’islam tranquille avait oubliées, et que des idéologues du djihad comme Sayyid Qutb ou le Palestinien Abdallah Azzam, le maître à penser des fondateurs d’Al-Qaida, ont réveillées et réinterprétées, notamment en termes conspirationnistes.
Les islamistes, qu’ils soient à visage souriant comme Tariq Ramadan ou à visage terroriste, reprennent des passages du Coran interprétés de telle ou telle façon, ou des hadîths qui font autorité dans la tradition musulmane, pour montrer que les juifs sont des comploteurs, des lâches, des traîtres, et sont par nature des ennemis de l’islam. Le juif n’est alors plus l’ennemi de la chrétienté, comme il l’a longtemps été. Il est devenu l’ennemi mondial de l’islam. C’est ce discours d’accusation qui, aujourd’hui, se diffuse massivement sur les réseaux sociaux.
Revue des Deux Mondes – Vous dites que la France n’est pas devenue antijuive mais qu’il existe une France antijuive dans la France contemporaine. Comment la caractériser ?
Pierre-André Taguieff – Cette nouvelle France antijuive n’est pas toute la France. Elle se concentre dans les populations issues de l’immigration de culture musulmane. Les faits sont là : depuis l’horrible assassinat de Sébastien Sellam par Adel Amastaibou le 20 novembre 2003 jusqu’au meurtre de Sarah Halimi, torturée et massacrée dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 par Kobili Traoré, la plupart des agressions et massacres antijuifs sont le fait de djihadistes professionnels ou amateurs (c’est-à-dire des musulmans influencés par la propagande djihadiste).
Le principal foyer de la France antijuive est donc cette troisième France. Je m’inspire ici librement des analyses du géographe Christophe Guilluy. Il existe une France des grandes métropoles, celle des élites mondialisées, une France périphérique dont les populations sont relativement pauvres et marginalisées, et une France des banlieues à dominante culturelle musulmane où l’antisionisme est très virulent et joue même le rôle d’une véritable vision du monde : tout s’explique par le complot sioniste ou juif, la domination juive dans les médias, l’économie ou la politique, etc.
Revue des Deux Mondes – La violence antijuive est particulièrement présente en France mais est un phénomène mondial. Quels sont les moyens de lutte à mettre en œuvre pour combattre ces nouvelles formes de haine envers les juifs ?
Pierre-André Taguieff – Il faut d’abord bien poser le problème. Qu’on l’appelle « nouvel antisémitisme » ou « nouvelle judéophobie », il s’agit d’identifier son noyau dur sans le diluer dans le racisme ou l’antisémitisme. S’il y a certes de la xénophobie ou du racisme anti-immigrés dans certains pays européens, ce phénomène n’a rien à voir avec ce que j’appelle la nouvelle judéophobie. Cette dernière a une forte spécificité, qu’elle soit diffuse, diluée, d’ambiance, ou élaborée et relevant d’une haine antijuive très intellectualisée, où l’on rencontre toujours une forte imprégnation conspirationniste – j’allais dire « conspira-sioniste ».
De Jean Genet à Alain Badiou, en passant par les négationnistes Roger Garaudy et Serge Thion, l’intellectualisation de la judéophobie est restée fixée à l’extrême gauche. Le pourrissement intellectuel de l’extrême gauche attend d’être étudié d’une façon systématique.
Concernant la lutte directe, il s’agit bien sûr d’appliquer la loi, mais le plus important me semble être de corriger l’image d’Israël et du sionisme dans l’enseignement et les médias, en les responsabilisant. La diabolisation du sionisme et d’Israël a commencé quelques années après la création de l’État juif. La propagande soviétique, relayée ensuite par la propagande panarabe (Nasser) et palestinienne et, plus récemment, par la propagande islamiste ont diabolisé Israël, en construisant peu à peu une image intrinsèquement négative. Il faut tout faire pour redresser cette image et faire barrage au processus d’endoctrinement auquel on a affaire.
La lutte indirecte passe, elle, par une lutte contre l’islamisme en tant que doctrine, comme ensemble de représentations et de croyances, et contre la séduction qu’il exerce. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas facile. Nous avons trop pris l’habitude de traiter les islamistes comme de simples délinquants islamisés ou comme des déséquilibrés. Or il s’agit de croyants qui peuvent avoir un très fort effet de séduction, d’entraînement ou de fascination. Le fanatisme est contagieux.
Il faut reprendre la lutte intellectuelle contre le fanatisme qui, aujourd’hui, dérive principalement des mondes de l’islam. C’est regrettable car je ne suis pas de ceux qui assimilent l’islam tout entier aux divers islamismes qui prétendent le représenter. Sur ce point, je renvoie la question aux intellectuels et aux théologiens musulmans, mais aussi aux islamologues. Il leur appartient de balayer devant leur porte, ce qu’ils font assez peu en dépit des efforts très méritoires d’Abdennour Bidar et du regretté Abdelwahab Meddeb. Deux intellectuels qui ont montré qu’ils connaissaient les mondes de l’islam, les traditions musulmanes, leurs corruptions idéologiques et leurs dérives politiques, et qu’ils savaient faire la part des choses afin d’éclairer le débat.
Post Scriptum, 14 d’octubre del 2018.
Pierre-André Taguieff, filòsof i historiador del pensament polític contemporani esmentat sovint en aqueix bloc, acaba de publicar «Race»: un mot de trop? Science, politique et morale”, (CNRS Éditions, 2018). Amb gran precisió semàntica i conceptual, clarifica els termes de les nombroses controvèrsees derivades de l’ús dels mots «raça» i «racisme» a la França actual tot denunciant la «police du langage» imposada pels adeptes d’una «gnose antiraciste». Abans d’ahir i ahir ha estat entrevistat per Le Figaro: “La haine des Juifs, la haine de la France et la haine de l’Occident s’entrecroissent”.
Post SCriptum, 14 de desembre del 2018.
Avui, Le Figaro entrevista Pierre-André Taguieffa propòsit de la rehabilitació literària de Céline per part del progressisme cultural que mira de desvincular la seva obra del comportament fanàticament pro-nazi i antijueu que va mantenir durant l’ocupació (1940-1945) i del qual mai es va penedir.
Post Scriptum, 19 de juliol del 2019.
En una entrevista al setmanari L’Express el 8 de desembre del 2017 Pierre-André Taguieff fa un retrat psicològic i polític d’Edwy Plenel, un dels referents mediàtics de l’islamo-gauchisme i l’antisionisme: “Edwy Plenel n’explique pas, il prêche et dénonce“.
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