Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

28 de desembre de 2021
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Rellegint Jean-Philippe Vincent: «Le conservatisme est un acte de modestie devant l’Histoire»

Repassant articles d’opinió sobre el pensament polític a França a Le Figaro del 30 de setembre del 2016 hi trobo aqueixa entrevista a Jean-Philippe Vincent, professor d’economia i qüestions socials a Sciences-Po Paris, ha publicat l’assaig “Qu’est-ce que le conservatisme? Histoire intellectuelle d’une idée politique”, (Belles Lettres, 2016), «Le conservateur est l’idéologue de l‘anti-idéologie», celui qui préfère la réalité aux chimères de l’utopie.”

FIGARO: Le conservatisme a-t-il toujours existé, ou est-ce une réaction à la modernité politique ?

JEAN-PHILIPPE VINCENT: Il a toujours existé un style de pensée conservateur. Il y a toujours eu des gens qui ont eu l’instinct de la limite et le goût de la prudence. Ce qui n’a pas toujours existé, c’est la formalisation politique du conservatisme, qui se révèle au moment des grandes crises. Par exemple, la crise de la République romaine dans les années 70 avant Jésus-Christ, a donné lieu à une formalisation du conservatisme politique par Cicéron. La fin de l’empire romain et la prise de Rome par Alaric ont donné lieu à une construction philosophico-politique importante sous la forme de l’augustinisme, qui est un conservatisme notamment par son insistance sur le péché originel. S’il y a une conviction commune aux conservateurs, c’est que l’homme est pécheur depuis l’origine.

Être conservateur, écrivez-vous, c’est moins une doctrine qu’un style. Quelles sont les grandes caractéristiques de ce «style» conservateur?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Le conservateur est évidement hostile au principe de la table rase. Mais il n’est pas hostile à la raison, si elle ne s’oppose pas à la coutume. Le style de pensée conservateur, c’est avant tout un acte de modestie devant l’histoire. Le conservateur, contrairement au réactionnaire, est dans le présent, il vit la tradition dans le présentet l’actualise. Son idée est de préserver ce qui compte le mieux possible. Le progressiste vit dans le présent en fonction d’une utopie future. Personne n’est conservateur à 100 %. On peut être conservateur et libéral, conservateur et socialiste.

Le conservateur est-il un idéologue?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- C’est un idéologue de l’anti-idéologie.

Vous citez le sociologue conservateur Robert Nisbet, qui fait la distinction entre trois grandes idéologies, le libéralisme, le progressisme socialo-marxiste et le conservatisme. Quelle est la différence fondamentale entre les trois?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Chacune de ces idéologies insiste sur un thème principal: le libéralisme insiste sur la liberté, le progressisme socialo-marxiste insiste sur l’égalité, et parfois l’égalitarisme. Le conservatisme insiste lui sur l’autorité, comme un élément antérieur aux autres et fondateur du lien social. Le conservatisme est la doctrine politique de l’autorité.

Qu’est-ce que l’autorité?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- C’est le consentement légitime, le pouvoir des origines. Celui qui en a le mieux parlé est un des tout premiers conservateurs, Cicéron. L’autorité en pratique chez les Romains, c’était le respect naturel pour des personnes s’étant illustré par leurs vertus, qui avaient vocation à se retrouver au Sénat, qui donnait le consentement à la loi.

Quel est le fondement de cette autorité?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Pour le conservateur, l’autorité est d’abord morale, avant d’être institutionnelle. C’est une alchimie qu’on appelle la concordance des ordres. Un mélange de démocratie, d’aristocratie et de monarchie. La notion d’équilibre est très importante pour le conservateur. C’est un système qui est donc fragile.

Le conservateur est-il un démocrate?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Le conservateur aime la démocratie, parce qu’elle repose en définitive sur quelque chose qu’il apprécie: les préjugés, c’est-à-dire le sens commun. Alors que d’autres doctrines politiques insistent sur le rôle d’une raison abstraite, les conservateurs insistent sur le rôle protecteur et sain des préjugés et des coutumes.

Pourquoi le conservateur est-il hostile à l’égalité ?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Il estime qu’en dehors de l’égalité devant la loi qui ne se discute pas, l’égalité peut conduire à menacer la liberté. Il préfère la lutte contre la pauvreté concrète à la lutte forcenée contre les inégalités qui est l’alpha et l’oméga de beaucoup de politiques économiques. Il vaut mieux selon lui se concentrer sur l’absolu que sur le relatif, déterminer un seuil de pauvreté à partir duquel la plupart des gens peuvent progresser. Aujourd’hui, l’argument de la liberté cher aux conservateurs se retourne contre eux: prenons l’exemple du burkini, où l’on a invoqué la liberté individuelle de s’habiller comme bon lui semble… Le conservateur est favorable à la coutume. Tout ce qui peut se régler par la coutume est préférable à ce qui peut se régler par la loi. Ça n’est pas la coutume de France de se baigner en burkini, par conséquent il lui est défavorable. Il n’y a pas de liberté individuelle sans liberté institutionnelle.

À la suite de l’américain Russel Jacoby qui conspuait “Cette droite qui vénère le marché tout en maudissant la culture qu’il engendre”, de nombreux intellectuels, dont le plus connu en France est sans doute Jean-Claude Michéa, ont dénoncé l’illusion d’un conservatisme-libéral, et souligné l’incompatibilité entre un capitalisme fondé sur l’illimitation des désirs et les fondements de la morale conservatrice. Que pensez-vous de cette critique?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.-Je comprends cette critique et la partage en partie. Mon seul reproche est qu’elle s’adresse bien davantage au libéralisme capitaliste qu’au conservatisme. Les conservateurs sont généralement partisans d’une certaine ascèse, et n’adhèrent pas au slogan du jouir sans limites. Je cite Soljenitsyne comme l’une des grandes figures du conservatisme. Pour lui, la solution consistait en une capacité volontaire d’autolimiter ses désirs. Chez certains libéraux et certains capitalistes, l’idée s’est répandue selon laquelle le marché de lui-même pouvait créer des résultats optimaux pourvu qu’il soit libre. Ce que les conservateurs ont bien montré, c’est que le marché sans l’éthique et sans les institutions, n’allait nulle part. Dans le conservatisme, il y a deux mains invisibles: celle d’Adam Smith, et celle de la confiance. Aujourd’hui, la main invisible d’Adam Smith fonctionne, mais à vide, car la confiance, qui se fonde sur la tradition, un certain nombre de valeurs communes, une autorité mutuellement reconnue, n’existe pas.

Le conservateur peut être capitaliste, ce n’est pas une obligation, mais ce n’est pas non plus une contradiction. Il est conscient de deux choses: la clé du développement n’est pas endogène au capitalisme. Ce qui fait qu’un pays réussit, ce n’est pas le bon fonctionnement de son marché, mais de ses institutions. C’est ce que disait Daniel Bell dans Les contradictions culturelles du capitalisme: si il n’y a pas d’éthique, il n’y a pas de succès économique. Pour le conservateur l’économie est une servante, dans le sens où Saint Thomas d’Aquin parle de la philosophie comme servante de la théologie. Ce qui vient en premier pour lui, c’est la culture, et la religion. De cette culture ou de cette religion découle une politique qui a un bras, c’est l’économie.

De nombreux commentateurs évoquent un «conservatisme» qui serait consubstantiel à toutes les religions. Y a-t-il un lien spécifique entre conservatisme et religion?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Les conservateurs attachent de l’importance à la religion, car à leurs yeux, il faut un élément de régulation sociale exogène à la société. Pour qu’une société fonctionne, il est préférable de concevoir un lieu – qu’on croie ou pas- extérieur, transcendant qui constitue un ultime recours ou une limite au pouvoir. C’est l’idée selon laquelle l’immanence est infiniment plus dangereuse que la transcendance.

Toutes les religions sont-elles également conservatrices, et prônent-elles la même forme de conservatisme?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Deux religions ont des affinités électives fortes avec le conservatisme: le christianisme et le judaïsme, car la Tradition y tient un rôle central. Pour les chrétiens, les deux sources de la Révélation sont les écritures et la tradition. Pour les Juifs, c’est un peu la même chose, la Torah écrite et orale. La différence dans le cadre de l’islam, c’est que la tradition est close, elle ne s’invente pas au jour le jour. Le dernier dogme de l’Église est celui de l’Assomption, proclamé par Pie XII en 1950: on consacre une tradition comme un élément de la foi révélé. Dans le cadre de l’islam, la sunna est bouclée depuis le XIIème siècle. Il peut y avoir des interprétations, mais il n’y a pas de tradition actualisée vivante.

Comment expliquez-vous qu’en France, aucun parti ne se réclame officiellement du conservatisme?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- C’est un français, Chateaubriand, qui a inventé en 1818 le terme «conservateur» avec le journal du même nom, dont la devise était «le roi, la charte et les honnêtes gens». Mais aujourd’hui le terme est devenu péjoratif. Cette honte vient notamment de l’expérience de Vichy, qui a déshonoré le conservatisme. Le régime de Vichy n’était absolument pas conservateur: c’était une dictature d’inspiration traditionnaliste et matinée d’Action française. Mais la rhétorique de Vichy a récupéré certains thèmes conservateurs (famille, travail, patrie, communautés, bien commun) et certains auteurs conservateurs (Le Play, Renan, de Maistre). Ce fut un véritable détournement de pensée! Mais le résultat fut que certaines valeurs conservatrices furent durablement discréditées. Et certains auteurs conservateurs aussi. D’où un malentendu persistant sur la nature du conservatisme et sa difficulté à se faire entendre.

Mais déjà, au XIXème siècle, le conservatisme s’était réfugié dans un certain nombre de classes sociales: la magistrature, l’église, l’armée. Or ces trois corps se sont déshonorés au moment de l’affaire Dreyfus, même si ils se sont ensuite rattrapés pendant la première guerre mondiale. Ces deux chocs, l’affaire Dreyfus et le régime de Vichy ont largement contribué à imprimer dans l’inconscient collectif français l’idée selon laquelle le conservatisme serait infamant.

Une notion propre aux conservateurs est très hostile à toute la tradition jacobine et centralisatrice, c’est celle de «subsidiarité». Que signifie-t-elle?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Le conservateur estime que c’est dans le cadre des communautés naturelles- famille, village, entreprise, syndicat, corporation- que se réalise une grande partie du Bien commun et que se fait l’apprentissage de la liberté. La subsidiarité, c’est-à-dire la délégation du pouvoir à l’échelle la plus appropriée plaît au conservateur, car il estime que plus la communauté est réduite, moins celle-ci aura tendance à partir en guerre. Or, si il y a une valeur que le conservateur tient à défendre, c’est la paix.

Pourquoi?

JEAN-PHILIPPE VINCENT.- Quand on est en guerre, le pouvoir central grossit et s’accapare tous les autres pouvoirs. Il n’y a qu’à voir la France qui a commencé sa centralisation administrative avec la guerre de Trente ans. La guerre favorise la croissance du pouvoir, et les conservateurs n’aiment pas cela. La jouissance tranquille des biens autant spirituels que matériels, ne fonctionne bien qu’en temps de paix. Ils se sont opposés tout au long du XIXème siècle à la colonisation et à l’universalisme impérialistes. J’ai été frappé en allant au Panthéon en remarquant qu’il n’y avait aucun conservateur. Pourquoi? Parce que ce sont les gens de l’expérience locale. Être enterré c’est forcément être enterré chez soi, près des leurs. De Gaulle a récusé totalement l’idée par avance de se faire enterrer dans ce temple universel et désincarné, il préférait Colombey.

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