Rachel Khan est juriste, scénariste, actrice et écrivain, (auteur de “Encore debout. La République à l’épreuve des mots”, L’Observatoire, 2024). Ahir va publicar a Le Figaro aqueixa crònica sobre l’agressió a un rabí jueu per part d’un palestí a una localitat de la rodalia de París:
Libération a relaté l’agression du rabbin Elie Lemmel en inversant les rôles, brouillant sciemment les repères, au point que le lecteur ne sait plus très bien qui est frappé, ni pourquoi. Une chaise est lancée. Un homme tombe. L’important pour Libé ? Que l’auteur de l’agression, un Palestinien, ait été hospitalisé d’office. Le rabbin, lui, est relégué au rang de circonstance. À égalité avec la chaise.
Un choc. Non seulement dans les faits, mais dans leur traitement. Car frapper un rabbin assis à la terrasse d’un café n’est pas un « fait divers ». C’est un symbole. Une image qui dit où nous en sommes. Le cliché d’une époque : d’un côté, un homme d’étude, un visage de paix ; de l’autre, un jet de haine. Trop simple, peut-être ? Mais ce sont les faits. Une scène française, contemporaine. Elie Lemmel avait déjà été attaqué, quelques jours auparavant. Cette fois, son agresseur n’est pas un « terroriste », c’est un Palestinien, un civil Palestinien. Un homme qui brandit une chaise comme on brandit une sentence.
Lemmel, c’est un rabbin, pas un soldat. Un enseignant. Un visage identifiable, ciblé pour ce qu’il incarne : le judaïsme. Et peut-être est-ce cela, l’insupportable. Non ce qu’il a fait, mais ce qu’il est. Un homme qui prie, qui transmet, qui parle. Un homme qui rappelle, malgré lui, une permanence historique. Et peut-être, aussi, une gêne insurmontable pour ceux qui rêvent d’effacement.
Depuis le 7-Octobre, le conflit israélo-palestinien a muté. Il a cessé d’être local. Il est devenu mondial, hybride, déterritorialisé. Les réseaux sociaux servent de champ de bataille. Les hashtags remplacent les bombes ou les précèdent. Une guerre par vagues : numérique, symbolique, physique. Une synagogue vandalisée à Berlin. Des enfants insultés dans les écoles françaises. Des drapeaux israéliens brûlés à Rome. Et aujourd’hui, un rabbin frappé à Neuilly.
Un homme assis. Une chaise. Une haine nue. Il y a quelque chose de biblique dans cette scène. Une simplicité presque théâtrale, brutale, essentielle. Caïn ne tue pas parce qu’il est cruel, mais parce qu’il ne supporte pas l’existence d’Abel. Celui qui prie, celui qui vit en paix. Lemmel n’est pas frappé pour une opinion. Il est frappé pour une identité.
Et pourtant, il se relève. Il parle. Il raconte. Il réfléchit. Il évoque ses parents, cachés en France par des Justes. Il ne dénonce pas, il relie. Il replace l’événement dans une continuité — douloureuse, lucide. Non, nous ne sommes pas à Varsovie. Ni à Odessa. Ni à Lviv. Nous sommes en France. Pays des rafles, mais aussi des résistants. Pays des collabos, mais aussi de la rédemption.
Et il y a cette vérité crue, que nul ne veut formuler : plus les Juifs sont frappés dans les rues de Paris, de Londres, de Sydney ou de Montréal, moins Israël peut cesser le combat. On exige de lui un cessez-le-feu alors qu’on agresse, au même moment, ceux pour qui cet État fut fondé comme un refuge. L’absurde est total : on prétend vouloir la paix, tout en rendant son existence impossible.
Ce nouvel acte de haine du Juif marque un tournant. Pour quatre raisons.
D’abord, le visage tuméfié du rabbin : c’est l’effacement de l’humain. Ensuite, la chaise, objet banal devenu arme : on jette la paix à la figure de celui qui la représente. Puis, la terrasse de café — déjà théâtre de sang en 2015 —, frappée encore : on cible ce qui fait la douceur, l’art de vivre à la française. Enfin, le silence, trop souvent. Mais pas cette fois. Car des passants et les « garçons de café » se sont levés. Ils ont réagi. Identifié. Témoigné. Ils n’ont pas détourné le regard. Et cela, dans la France d’aujourd’hui, a valeur de résistance.
Pendant ce temps, sur les réseaux, une autre guerre se joue. Celle de Greta, de Rima et des autres influenceuses de la morale sélective. Elles voguent en flottille vers Gaza, armées de stories, de slogans préfabriqués et d’une humanité calibrée pour Instagram. Elles rêvaient de guerre, elles y sont allées. Et sont reparties, non sans embarquer quelques bouteilles d’eau — et sandwich casher offertes par les Israéliens « génocidaires ». Ironie de l’image. En Israël les chaises ne frappent pas.
En France, il y avait un homme. Un rabbin. Une chaise. Et tout un peuple qu’on voudrait renvoyer à l’ombre de sa seule existence. Mais les masques tombent. Les illusions avec. Reste la vérité nue : ce que certains refusent de voir, d’autres le vivent, en silence. À nous d’être du côté de ceux qui, comme le rabbin Lemmel, choisissent la parole, la lucidité, et la responsabilité.”
Us ha agradat aquest article? Compartiu-lo!