Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

7 d'abril de 2023
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Pierre-André Taguieff: De l’antifascisme stalinien au néo-antifascisme de l’extrême gauche anti- Macron

El neo-antifeixisme campa enmig de les protestes contra la reforma del sistema de pensions a França promoguda pel president Macron,  Pierre-André Taguieff descriu aqueixa manipulació ideològica en  l’article reproduit per Tribune Juive, 31 març de 2023:

La politique d’Emmanuel Macron peut et doit être critiquée. Mais cette critique nécessaire ne saurait se confondre avec une somme d’accusations aussi délirantes que mensongères.

Dans un bref article intitulé “Sur l’antifascisme”, paru en 1990, l’historienne Annie Kriegel présente une analyse critique sans complaisance de l’antifascisme, qu’elle aborde comme le “mythe stalinien par excellence”[1].  Elle montre que la grande réussite de la propagande soviétique dite “antifasciste” fut d’avoir banalisé et internationalisé l’emploi de l’injure “fasciste !”, en élargissant sans limites son champ d’application, pour criminaliser tout adversaire politique. L’héritage de la propagande antifasciste stalinisée est toujours vivant. C’est ainsi que telle ou telle droite, dans une démocratie parlementaire, peut être encore aujourd’hui qualifiée de “fasciste”, ou que les socialistes non marxistes  peuvent  être dénoncés comme des traîtres, appelés naguère “social-fascistes” et aujourd’hui accusés de “droitisation”. “Fascisme” reste le nom de l’ennemi absolu et l’antifascisme n’a point cessé d’être perçu à gauche comme un juste combat, voire le seul qui vaille.

L’historien allemand Karl Dietrich Bracher, spécialiste de la République de Weimar et  du nazisme, a rappelé l’essentiel sur la question : “L’antifascisme n’est pas  une  notion scientifique. C’est un concept idéologique et politique dont l’utilité a été de sceller une alliance contre l’horreur nazie mais qui a aussi servi à donner une définition trop restrictive de la démocratie” (2). Bracher  a  défini  clairement  les  usages  et  les objectifs politiques, dans les discours de propagande, de la “théorie générale du fascisme” : “Mettant cette théorie au service du combat politique, les auteurs communistes, notamment, l’ont largement appliquée aux démocraties elles-mêmes ; ses limites  deviennent  alors imprécises : on a affaire à une masse de formes intermédiaires allant des régimes autoritaires aux quasi dictadures, souvent fort éloignées du modèle des  “fascismes”  italien  ou allemand”[3].  Cette extension n’a cessé de varier selon les besoins de la propagande. En 1935, la définition canonique du fascisme fut donnée par le secrétaire général du comité exécutif de l’Internationale communiste ( Komintern ), Georgi Dimitrov : le fascisme est “la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins et les plus impérialistes du capital financier”[4].

Mais, dès le 15 août 1933, Béla Kun avait  défini  le  fascisme comme “une  des  formes  politiques  de   la   domination bourgeoise” [5]. Comme l’a noté François Furet, “le communisme stalinien va trouver un nouvel espace politique dans l’antifascisme”[6]. Mais, sous ses aspects savants, la définition de Dimitrov ne faisait que donner une légitimité à une étiquette disqualificatoire permettant d’amalgamer et de diaboliser les ennemis les plus divers du pôle communiste, dont la nébuleuse gauchiste contemporaine est l’héritière. Son postulatest que quiconque n’est  pas  communiste ou  d’extrême gauche (“révolutionnaire”) est fasciste ou potentiellement fasciste ou encore “fait le jeu” des fascistes, par exemple en ne respectant pas strictement la norme du “cordon sanitaire”. Annie Kriegel rappelle que l’expression fut l’”une de ces injures que dans les années 60 et 70 on se lançait facilement à la tête en Europe occidentale quand n’importe quelle forme de résistance aux outrances était qualifiée de ‘facho’”[7].

Les dénonciateurs néo-gauchistes contemporains de la “fachosphère”, de ses alliés ou complices supposés et de ses compagnons de route imaginés sont les héritiers, souvent sans le   savoir,   des  propagandistes   staliniens [8]. Les deux postulats catastrophistes des dénonciateurs  de la  “fachosphère”,  terme  synonyme  d’”extrême droite”, sont que cette dernière est “en expansion” et qu’elle a “gagné la bataille des idées” (ou encore la “guerre culturelle”, la “bataille d’Internet”, etc.). C’est là une manière de dire que les “digues ont sauté”, que le “cordon sanitaire” a disparu. Une politiste néo-gauchiste, disciple de Pierre Bourdieu, ne cache pas son indignation en novembre 2021 : “Il n’y a plus beaucoup de digues pour empêcher les représentants  de  l’extrême  droite  d’imposer  leur vision du monde – d’autant que les contradicteurs s’épuisent face au bloc réactionnaire, quand ils ne font pas de concessions regrettables en se croyant dos au mur”[9].  Dans le monde intellectuel et les milieux journalistiques, le néo antifascisme se réduit le plus souvent à une dénonciation hyperbolique des “mauvaises  fréquentations”  de tel ou  tel auteur ou personnage public. C’est ainsi qu’on reproche d’une façon récurrente à des écrivains comme Michel Houellebecq ou Sylvain Tesson leur “compagnonnage” avec “l’extrême droite intellectuelle”, ce qui aurait “permis aux obsessions racistes, antisémites et xénophobes de sortir des ‘marges’”[10]. Le geste le plus simple du néo-antifascisme de plume consiste à repérer  les intellectuels ou les écrivains “compromis” par  leurs relations avec “l’extrême droite”.

Le discours anti-fachosphère est donc destiné à inquiéter et, ainsi, à mobiliser les milieux de gauche qui, ne croyant plus aux “lendemains qui chantent”, peuvent encore croire à  la menace fasciste, aussi chimérique soit-elle en France aujourd’hui. Mais ceux qui croyaient aveuglément au paradis communiste peuvent désormais sans effort se mettre à redouter de sombrer  dans  l’enfer  fasciste. La dénonciation litanique du capitalisme et  du néolibéralisme doit être portée à l’incandescence par  la résurrection d’une grande peur, celle du fascisme. Il leur suffit de remplacer, dans leurs cauchemars mobilisateurs, les figures  répulsives  de Mussolini et de Hitler par celles des forces de l’ordre ou du président Macron. On peut bien sûr juger pitoyables ces mises en scène d’un grand retour du spectre du fascisme. Mais il faut néanmoins ne pas les négliger, et, avec le courage requis, se mettre à analyser les représentations et les émotions qu’elles présupposent, en ce qu’elles structurent l’imaginaire politique de la nouvelle extrême gauche.

Prenons un exemple. Sur son blog de “Mediapart”, un nommé “Spartacus 2022” a posté le 13 janvier 2020 un billet intitulé   “Appelons   un   chat   ‘un   chat’,   Macron   est   un fasciste”[11]. Ce militant néo-antifasciste avance trois principaux arguments accusatoires, fondés sur des analogies plus que douteuses ou des ressemblances imaginaires. Le premier argument fallacieux est le suivant, qui met en avant  le “en même temps” : “Avec Adolf Hitler, nous avions le ‘en même temps’ si cher à Emmanuel Macron, c’est-à-dire une jambe droite dite nationaliste et une jambe gauche dite socialiste. Nous savons  tous  que les jambes gauches ont toujours eu du mal à s’entendre avec leurs composantes droitières. Le IIIè Reich a donc privilégié sans aucun état d’âme les industriels au détriment des salariés, balayant d’un coup et d’un seul tous les syndicats favorables aux travailleurs. En 2020, avec la réforme des retraites, il est troublant de constater que les syndicats connaissent la même censure que sous Adolf Hitler”.

Le second argument fallacieux se fonde sur l’accusation de “mépris” visant le président Macron, nouvelle incarnation du “chef” fasciste “Albert Camus (…), dans    L’Homme révolté     en 1951, disait : ‘Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou installe le fascisme’. Le fascisme est à mon humble avis de retour sur la scène mondiale. Pour qu’il existe, il doit se personnifier, prendre corps. Il doit s’incarner. Qui mieux qu’un jeune Rastignac plein d’ambitions et de mépris peut l’incarner à l’ombre d’une pyramide. (…) Tous ces régimes [autoritaires ou  totalitaires] expliquent  leur projet politique par une vision messianique du chef (…). Emmanuel Macron, élu par une très faible minorité, se croit détenteur d’une vérité supérieure à toutes les autres. Il n’écoute pas, n’entend pas. Adolf Hitler ou Benito Mussolini étaient dans le même déni de réalités”.

Le troisième argument fallacieux consiste à rapprocher le comportement des forces de l’ordre sous la présidence de Macron de celui des polices dans diverses dictatures : “Autre signe inquiétant est le rôle joué par les forces de l’ordre dans tous les régimes autoritaires. Elles sont dans leur grande majorité désensibilisées,  c’est-à dire  qu’elles  ne sentent plus le lien charnel qui les liaient au peuple. Elles peuvent dès lors donner libre cours à leurs pulsions les plus barbares comme matraquer, gazer ou éborgner et  cela  en  toute impunité puisque les sanctions à leur encontre sont minimes ou inexistantes. Voilà encore un fâcheux parallèle avec les régimes d’Adolf Hitler, d’Augusto Pinochet et du dictateur ibérique Francisco Franco ainsi qu’à leurs forces de répression”.

La conclusion pratique de cette mise en accusation est simple : lutter contre le fascisme, aujourd’hui en France, c’est lutter contre Macron et sa police. Sous différentes variantes, ce refrain s’entend dans la plupart des mouvances du néo-gauchisme. Les démagogues de LFI dénoncent “l’État autoritaire” et accusent Macron de “brutaliser” la société française.  Leur chef charismatique Jean-Luc Mélenchon enseigne que “la police tue” [12]  tandis que les médias mélenchonisés dénoncent les “violences policières” ou la “répression policière” [13] . Échos tardifs, dans les têtes des nouveaux activistes d’extrême gauche, du slogan “CRS-SS”. Mais si le macronisme est un fascisme, voire une forme particulièrement dangereuse, parce que masquée, du fascisme, alors tout  est permis pour lui faire barrage. Le vieux principe qui justifie notamment le recours à la violence revient à l’ordre du jour : “La fin justifie les moyens”. Ironie de ce court moment historique : la diabolisation néo-antifasciste du macronisme est contemporaine de la dédiabolisation du néo- lepénisme.

La politique de Macron peut et doit être critiquée. Mais cette critique nécessaire ne saurait se confondre avec une somme  d’accusations  aussi  délirantes  que  mensongères. Significativement, l’imaginaire complotiste ne manque pas au tableau : l’idée d’un complot d’en haut contre “le peuple” saisi par une juste “colère” se répand dans le discours anti-Macron. Faut-il rappeler que l’excès polémique sombre inévitablement dans l’insignifiance et le ridicule. La pensée critique n’a rien à voir avec la répétition paresseuse de clichés et de slogans empruntés à la rhétorique antifasciste, ni avec le recours systématique à l’injure, à l’argument ad personam ou au mensonge “utile”,  pour la “bonne cause”.

Notes

1. Annie Kriegel, “Sur l’antifascisme”, Commentaire , n° 50, été 1990, pp. 299-302.

2. Karl Dietrich Bracher, cité par Annie Kriegel, «”Sur l’antifascisme”, art. cit., p. 301.

3. Karl Dietrich Bracher, La Dictature allemande. Naissance, structure et conséquences du national-socialisme [1969, 1980], tr. fr. Frank Straschitz, préface d’AlfredGrosser, Paris, Éditions Privat, 1986, p. 644.

4. Georges Dimitrov, Pour vaincre le fascisme , Paris, Éditions sociales internationales, 1935, p. 223 (traduction légèrement modifiée).        Sur les diverses exploitations contextuelles de l’antifascisme communiste, voir Pierre-André Taguieff,    Qui est l’extrémiste ?   , Paris, Éditions Intervalles, 2022, pp. 107-117.

5. Béla Kun, Internationale communiste , 15 août 1933, cité par Daniel Guérin,      Fascisme et grand capital [1936, 1945], nouvelle édition augmentée, Paris, Éditions Libertalia, 2014, p. 457.

6. François  Furet,  Le  Passé  d’une  illusion.  Essai  sur  l’idée communiste au XXe siècle,                   Paris, Robert Laffont/Calmann-Lévy, 1995, p. 249.

7. Annie Kriegel, “Sur l’antifascisme”, art. cit., p. 299.

8. Voir   par   exemple Dominique Albertini &   David Doucet,  La Fachosphère. Comment                    l’extrême    droite       remporte              la   bataille   d’Internet ,   Paris, Flammarion, 2016.

9. Frédérique Matonti, « Il n’y a plus de digues pour empêcher l’extrême droite d’imposer sa vision du monde » (propos recueillis par Simon Blin), 7 novembre 2021 . Voir Frédérique Matonti, Comment sommes-nous devenus réacs ? , Paris, Fayard, 2021.

10. Simon Blin, «    Mauvaises fréquentations. Houellebecq, Tesson, Moix : leurs liaisons sulfureuses avec l’extrême droite dénoncées dans un livre », 29 mars  2023 . Voir François Krug,  Réactions  françaises.  Enquête  sur  l’extrême  droite littéraire , Paris, Le Seuil, 2023.

11. https://blogs.mediapart.fr/spartacus- 2022/blog/130120/appelons-un-chat-un-chat-macron-est-un-fasciste .

12. Jean-Luc Mélenchon, Twitter, 6 juin 2022.

13. Le lundi 27 mars 2023, en référence aux violents affrontements entre des groupes d’ultra-gauche armés et les forces de l’ordre à Sainte-Soline deux jours auparavant, le quotidien Libération choisissait de titrer à la une : “Répression policière : l’escalade”.

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