Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

11 d'agost de 2024
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Georges-Elia Sarfati: “Information, désinformation, contre-information”

Georges-Elia Sarfati (Tunis, 1957), és un intel·lectual jueu francòfon polifacètic (filòsof, psicoanalista…) que analitza el pensament i el comportament polític contemporani a Occident i al món musulmà en relació al poble jueu i a Israel. Abans d’ahir va publicar a Tribune Juive aqueixa punyent reflexió sobre els prejudicis anti-jueus i antisionistes que escampen els mitjans de comunicació majoritàriament adversos a la causa nacional jueva en plena guerra contra l’eix iranià.

Tous les contemporains conscients des enjeux de la guerre que l’Etat d’Israël mène contre le Hamas s’accordent à penser et à dire qu’Israël a depuis longtemps perdu la guerre de l’information. Une idée reçue a longtemps couru, selon laquelle le refus de communiquer serait le fruit d’une décision des premiers dirigeants de l’Etat d’Israël : ils auraient adopté ce parti pris parce que leur expérience historique de la communication était indissociable de ce que la propagande nazie avait fait subir au peuple juif. Et ils n’étaient pas disposés à associer l’œuvre de renaissance nationale à l’utilisation de la propagande…

Si cette considération est exacte, on voit mal avec près de 80 ans de recul en quoi il était pertinent de résister à une stratégie de communication constante pour éviter à l’Etat d’Israël, mais aussi au peuple juif en son entier, d’être précipité dans l’abîme d’isolement que tous deux connaissent depuis le 7 Octobre 2023.

Faute d’avoir assumé de communiquer, c’est-à-dire d’expliquer ce qu’il en était, et pourquoi il faisait la guerre, ou était susceptible d’entrer souvent en guerre, l’Etat d’Israël a laissé s’installer, puis prospérer, la vision perverse de l’histoire que représente ce que l’on appelle désormais ‘’le narratif palestinien’’.

Il est probable que dans l’histoire moderne du peuple juif, le moment le plus marquant d’une communication digne de ce nom fut celui des développements du sionisme politique, à partir de l’engagement de T. Herzl et des travaux des congrès sionistes successifs. Quelles qu’aient été les versions et les visions d’un Etat juif, à une époque où dominait encore l’Empire Ottoman, et ce jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les entreprises de communication furent de plusieurs sortes, convoquant plusieurs canaux d’expression : la presse juive, dans toute sa diversité, les textes fondateurs, les actes de congrès, les relais de synthèse, par le biais des associations, mais aussi le propos, le discours et l’effort diplomatique. Cette activité inlassable fondait pour la première fois depuis des siècles dans l’histoire du peuple juif une manière de s’adresser aux nations, qui rompait avec de longues périodes de soumission, d’espérance attentiste ou de vie exilique installée, voire protégée, par les quatre coudées de la Torah.

Et voilà qu’une fois l’Etat d’Israël factuellement constitué, d’abord sous le rapport d’une infrastructure pré-nationale, dont l’édification exigea plus d’un demi-siècle d’affirmation et de développement (entre 1882 et 1947), ensuite officiellement à partir de la proclamation de son indépendance en 1947, la fraction souveraine du peuple juif engagea un processus de renaturalisation qui exigeait par lui-même une bonne part d’esprit d’innovation. Dès lors, il semble que la diffusion centripète du programme d’émancipation nationale connut une forme de revirement, puisqu’à partir de la première guerre, il s’agit surtout de fortifier l’Etat nouvellement reconnu par les nations qui représentaient alors la ‘’communauté internationale’’. Pour autant, les premiers dirigeants israéliens ne rompirent pas tout à fait avec la nécessité de tenir un discours de persuasion. Mais au lieu que ce soit en direction des nations, ce fut -et c’est compréhensible- de manière massive en direction des secteurs de la diaspora qu’il convenait encore de sensibiliser au principe d’une souveraineté récemment reconquise. C’est là l’aspect invariablement missionnaire du sionisme, actif à l’endroit des communautés dispersées : appel aux dons, étayage d’un nouveau pôle d’identification imaginaire, construction d’une diplomatie à l’intention des communautés juives, travail inlassable d’intégration/absorption de nouveaux immigrants. Mais tandis que l’Etat d’Israël œuvrait à se fortifier sur ses bases, ses ennemis de toujours se mettaient eux aussi à l’ouvrage pour semer de par le monde les germes d’un antisémitisme renouvelé.

La possibilité d’une guerre psychologique constamment menée à l’endroit d’Israël gagne d’autant plus en efficacité, en amplitude et en conséquences que ses protagonistes (journalistes-militants, partis politiques, fractions idéologiquement organisées de la société civile, larges secteurs de l’enseignement secondaire et supérieure, etc.) peuvent impunément miser sur la conjonction de trois paramètres.

Le premier facteur concerne l’état de l’opinion commune en matière de culture générale sur l’histoire juive : sur ce plan, le niveau général consiste dans un bagage intellectuel saturé de préjugés et de lieux communs (le judaïsme est une religion, les Juifs se regroupent en cercles d’influence, etc.),

Le deuxième facteur concerne l’état de l’opinion publique quant aux représentations courantes du sionisme : en la matière, la compréhension de l’histoire juive nationale se situe dans un au-delà de l’histoire européenne, comme si l’idée même d’une renaissance nationale du peuple juif au 19è, puis au 20 è siècle, n’avait aucun lien avec l’histoire multiséculaire de l’antisémitisme européen.

Le dernier facteur reflète l’état de l’opinion mondiale quant à la compréhension de ce que signifie et ce qu’implique l’existence de l’Etat d’Israël : les contenus de cette opinion mondialisée récapitulent à eux seuls les sédimentations des précédents stades, en y ajoutant le travail idéologique quotidien de l’information, sans que la moindre mise en perspective historique entre en jeu.

Cela indique au moins une chose : après la Seconde Guerre mondiale, les nations européennes, qui avaient été le théâtre complice de la Shoah, n’ont procédé à aucun aggiornamento conséquent de leurs structures éducatives, ni cherché à modifier en profondeur l’idée que la majorité se faisait des Juifs. Ils avaient été victimes certes, mais n’avaient pas tardé à se lancer dans une entreprise guerrière au Proche Orient… Et ce n’est pas l’activité, certes notable, de quelques grandes fondations (Mémoriaux en tous genres, animés par la devise du « plus jamais ça », ou la philosophie naïve selon laquelle les voyages commémoratifs à Auschwitz avaient per se la vertu d’immuniser les esprits contre le pire.

Ces initiatives culturelles, aussi nécessaires que louables, n’étaient pas de taille à faire pièce à la machine de désinformation incessante qui depuis les années 20 du 20ème siècle n’a eu de cesse d’inoculer ubi et orbi l’antipathie reptilienne d’Israël.

Le principal ressort de cette stratégie a invariablement consisté à instruire la péjoration des mots « sionisme » et « sioniste », ce qui confère aux cycles stratégiques de cette désinformation la puissance d’une seconde nature cognitive : un  faisceau de stéréotypes négatifs et fédérateurs.

Le fait dominant de cette désinformation cyclique, entre culture du préjugé complotiste et mensonges tactiques, c’est son cœur palpitant : le palestinisme et ses relais, qui ont fait souche, les uns et les autres,  avec le refoulement de la culpabilité de l’Europe.

La nécessité d’un contre-discours n’est plus une option, mais une urgence vitale : depuis plusieurs décennies, celui-ci est majoritairement assumé par des Juifs engagés, israéliens ou non, désireux d’apporter leur pierre à l’édifice de la reconstruction nationale. Mais la plupart du temps, faute du moindre soutien de la part de l’Etat d’Israël, y compris par le biais de ses ambassades, l’articulation comme la propagation du contre discours demeure de l’ordre de l’initiative bénévole, discrète et discrétionnaire.

Certes en temps de guerre, Tsahal assure bien une diffusion de l’information, mais celle-ci est loin d’être calculée aux fins d’atteindre le plus grand nombre. Cette information est certes disponible, mais elle n’est pas relayée. Mais surtout, comme elle émane de Tsahal, elle est d’emblée mise en minorité, sinon discréditée. Ce qui est le moindre des effets en retour de la désinformation.

A côté de cette communication  d’Etat, circonstancielle et limitée, il existe bien de nombreuses initiatives privées : sites, blogs, collectifs d’analystes, associations de juristes, initiatives d’intellectuels isolés, ou décidant de se regrouper pour affronter ensemble une hostilité généralisée, celle de leurs contemporains d’abord, celle des medias publics aussi.

Le rapport de force est de toute façon disproportionné : les nouveaux antisémites disposent depuis un siècle de budgets d’Etats, de financements privés absolument colossaux, d’organisations très ramifiées, et lourdement financées, capables d’injecter dans les medias main stream un discours anti-israélien et antijuif qui finit par inspirer la tonalité même de l’ information nationale, partout dans le monde (la sphère occidentale et orientale a minima).

La Hasbarah ne peut plus être le fait de quelques envoyés (shlihim), ni de militants isolés, ni d’intellectuels de bonne volonté. Elle doit être envisagée, pensée, conceptualisées et mise en œuvre selon une amplitude de vue qui n’a pour équivalent qu’une économie militaire. Puisque l’information, la désinformation  sont mises au service d’une guerre psychologique inlassable, il est vital pour l’image d’Israël, mais aussi pour la sauvegarde et l’intégrité des Juifs dans le monde, que le peuple juif se dote d’une armée de défense communicationnelle capable, tout comme Tsahal ou le Mossad, de mener des opérations loin en territoire hostile, ou de répliquer conséquemment à chaque campagne d’agression. Mais la contre-information ne peut non plus se donner sur le mode réactif de la contre-attaque, elle doit aussi être pensée comme une politique de prévention.

Post Scriptum, 14 de setembre del 2024.

Ahir, Georges-Elia Sarfati publicava a Tribune Juive aqueixa reflexió:  “Le palestinisme et le choix du libraire”.

La cause est entendue : le propalestinisme fait désormais partie intégrante de la mentalité française, de sa culture populaire et universitaire, il est l’une des composantes de son tropisme identitaire. Près d’un an après le début de la Guerre de Gaza, destinée à éradiquer la puissance militaire du Hamas, le pli est pris en matière de routine médiatique : il faut plaider, coûte que coûte, la cause du mythique peuple palestinien. Et pour ce faire, rien de tel que le robuste achalandage des présentoirs du libraire, juste après l’été, affaire de cueillir les lecteurs de la nouvelle rentrée scolaire. La Fnac espérait faire fond sur le roman de Y. Sinwar, l’organisateur des massacres du 7 Octobre. Mais sous le flot des protestations républicaines, l’enseigne a été obligée de retirer de la vente ce mode d’emploi de la justification génocidaire. Dommage, car L’Epine et l’œillet – c’est le titre que l’artiste-boucher a donné à son œuvre unique – aurait permis de sustenter pour les mois à venir la propagande des associations de solidarité avec “les victimes du génocide” (entendez : l’armée des djihadistes qui font corps avec leurs familles et les murs de leurs édifices).

Qu’à cela ne tienne, si la bibliothèque du prêt à penser se trouve amputée de l’un de ses titres phares, la libraire avisée – Gibert-Jeune, sis en plein cœur du Quartier Latin, à quelques pas de la Sorbonne, mais aussi de Sciences Pô, de l’ENS, des Beaux-Arts- aurait commercialement tort de renoncer à la promotion du catéchisme le plus couru de l’histoire de France, depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Dans l’ordre de leur disposition, une petite dizaine de publications tendent leurs couvertures au chaland. Ce dernier se trouve happé par un halo d’interpellation, par des mots et des couleurs qui lui rendent l’évidence facile à reconnaître, et confortent d’emblée ce qu’il est appelé à admettre. Ce n’est pas une galerie de portraits, c’est une diplomatie de la conviction, un crescendo dans la surenchère de la victimisation du “combattant” (“Le” Palestinien) et la disqualification de l’ “oppresseur” (“Le” Juif sioniste).

D’abord les grands classiques du cru. D’Edward Saïd, feu professeur à Columbia : Israël, Palestine. L’égalité ou rien ; du grand dissident Illan Pape, Le nettoyage ethnique de la Palestine ; un exemplaire de la revue Araborama : Ce que la Palestine apporte au monde. Précisons, sans rire, que ce titre reflète le nom de l’exposition éponyme longtemps abritée par l’Institut du Monde Arabe. Il s’agit d’une publication collective, à laquelle ont contribué les incontournables J.P. Chagnollaud, J.P. Filiu, A. Laabi, H. Laurens, E. Sanbar, S. Sand, L. Shahid, D . Vidal, pour ne citer qu’eux, soit le gratin de l’establishement antisioniste, sur le panorama du vaste échiquier qui va du Collège de France à Sciences Pô (toujours présent quand il s’agit de se prononcer à charge sur Israël). Puis viennent, comme un inévitable écho, à cette tête de gondole, quelques ouvrages d’approfondissement, destinés à décliner sur un mode ‘’explicatif’’ ce que le militantisme le plus cru n’aurait pas suffit à faire. En première intention, la voix la plus autorisée, voix endogène depuis longtemps adoubée en France, à l’initiative frondeuse du défunt J. Lindon, fondateur des très Rive Gauche Editions de Minuit, deux titres de celui qui, plus distingué que son mentor Arafat, perlabore depuis des lustres en intellectuel raffiné, la mémoire de “l’exil”. Nous avons nommé Elias Sambar, toujours complaisamment interviewé par Edwy Plenel : Figures du Palestinien. Identité des origines, identité de devenir (chez Gallimard, fatalement), ainsi que : La Palestine expliquée à tout le monde (aux Editions du Seuil, chiquement). Précisons que ce dernier titre tombe à point nommé dans l’esprit du temps, un peu plus de redondance didactique achèvera de cimenter la doxa intrépide qui a transformé nos contemporains en perroquets de Pavlov.

Pour faire bonne mesure, ajoutant un contre-point à la confession masochiste d’un Illan Pape, l’édition française s’est récemment enrichie d’une perle ; nous voulons parler du récit d’un nouveau littérateur judéo-américain (forcément opposé au gouvernement de l’Etat d’Israël, dans lequel il vit) : Nathan Thrall, auteur du très célébré : Une journée dans la vie d’Abed Salama (chez Gallimard, forcément). Observons que contrairement à Soljenitsyne, Thrall n’est pas un rescapé du goulag, et que son roman a seulement été récompensé par le Prix Sulitzer de non-fiction, pour son audacieuse et très frondeuse plongée dans l’horreur sans nom de la condition des Arabes d’Israël.

Ce panorama araboramique serait résolument incomplet si par extraordinaire devait y manquer la grande trilogie du faussaire, hargneux et dépressif S. Sand. J’ai nommé, par ordre d’entrée dans l’imaginaire du suicide : Comment le peuple juif fut inventé ? Comment la terre d’Israël fut inventé ? De la terre sainte à la mère patrie, et : Comment j’ai cessé d’être juif. Il faut surtout saluer ce dernier titre, auquel manque délibérément le point d’interrogation, puisque l’auteur nous y explique qu’il n’entretient plus aucun lien avec ce peuple inventé. Ce qui d’une certaine manière nous indique, que comme il n’entendait strictement rien à ce qu’il écrivait, en proie à son appartenance fictive, grâce à ce retour d’expérience, il a finalement lui-même commencé d’être vrai.

Enfin, cerise sur le présentoir, au risque de l’indigestion, le très rebattu essai de G. Corm, longtemps membre du prétendu “Tribunal Russell pour la Palestine”, pionnier de l’historiographie antisioniste en France, et voix longtemps “autorisée” : Histoire du Moyen Orient. De l’Antiquité à nos jours, où l’auteur témoigne d’un ethnocentrisme romano-musulman qui ne saurait étonner le lecteur (un peu) instruit.

Il ne nous reste plus qu’à souhaiter à nos concitoyens, curieux d’ethnologie, un complément d’enquête fructueux sur ce qui attend encore l’édition française dans cette période troublée, dès qu’il s’agit de se prononcer sans beaucoup “réfléchir”, sans se renouveler, sur la longue histoire du peuple d’Israël.

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