Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

9 de juny de 2025
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Anotacions a Daniel Horowitz:”Quand la gauche devient foi: essai sur une croyance politique”

Daniel Horovitz és un lliurepensador israelià que s’expressa habitualment mitjançant el seu bloc personal a The Times of Israel. Fa tres dies hi va publicar un apunt especialment lúcid al meu criteri, hi sap resumir el supremacisme moral de l’esquerraque  ha invertit els valors fundacionals de la modernitat: el liberalisme econòmic i polític, la divisió de poders, el racionalisme crític, la universalitat dels drets humans.

Depuis le massacre du 7 octobre, un trouble s’est emparé de nombreuses consciences de gauche. Des voix critiques ont émergé, non pour remettre en cause les fondements de leur propre tradition politique, mais pour exprimer leur déception vis-à-vis de certains de ses représentants : intellectuels, universitaires, militants. Ce n’est pas là un simple différend interne, mais un symptôme plus profond. Car au lieu d’un réexamen lucide des prémisses qui ont rendu possible une telle faillite morale – l’aveuglement face à la barbarie, la compassion sélective, la criminalisation systématique d’Israël – c’est bien souvent un simple déplacement de la foi qui s’opère : on continue de croire, mais en d’autres figures, supposément plus « fidèles à l’esprit originel ». On incrimine les trahisons, jamais les tables de la Loi.

Il ne s’agit pas d’hypocrisie. Ce refus d’interroger la source tient à une structure de loyauté plus profonde : une fidélité enracinée dans l’histoire personnelle, l’éducation, les lectures, les engagements de toute une vie. Rompre avec la gauche, pour ceux qui s’y sont identifiés, ne serait pas une simple révision politique. Ce serait une rupture intérieure, un reniement existentiel. Car la gauche n’est pas seulement, pour eux, un positionnement idéologique parmi d’autres : elle est un système de sens, une grammaire morale, un univers de légitimation – en un mot, une religion.

Cette religion ne se présente pas comme telle, puisqu’elle se revendique laïque, critique, éclairée. Mais justement : comme toutes les religions, elle se croit au-dessus des religions. Elle oppose la Raison à la superstition, l’émancipation à l’obscurantisme, le progrès à l’ordre établi – et elle le fait avec la ferveur, la certitude, l’absolutisme d’une doctrine du salut. Elle a ses dogmes (l’histoire comme marche vers la justice, la nature oppressive des structures, l’innocence des opprimés), ses péchés (dominer, exploiter, coloniser), ses figures de rédemption (la prise de conscience, la révolution, la critique), ses schismes (entre radicaux et modérés, entre identitaristes et universalistes), et bien sûr ses hérétiques : ceux qui doutent, ceux qui refusent de réciter la liturgie.

Au-delà d’un simple horizon idéologique, la gauche constitue ainsi un système de croyances. Elle s’est peu à peu construite comme un ordre symbolique complet, avec ses figures du péché (la domination, l’aliénation), ses figures de rédemption (la critique, l’émancipation), ses martyrs (Rosa Luxemburg, Allende), ses prophètes (Marx, Sartre), ses textes sacrés (le Manifeste, Les Damnés de la Terre) et ses cérémonies expiatoires. Elle promet la rédemption des sociétés humaines, mais par une voie exclusive : celle d’un humanisme rigide, sacralisé, qui ne tolère aucune mise à distance.

Le fait qu’un événement comme le 7 octobre – où des civils juifs ont été massacrés au nom d’un projet islamo-fasciste – ne produise pas une onde de choc suffisante pour ébranler les certitudes de ce clergé intellectuel est en soi révélateur. On préfère croire à une défaillance passagère du discours plutôt qu’à un vice structurel de la croyance. Ce n’est pas tant que la gauche trahit ses valeurs : c’est que ses valeurs mêmes, lorsqu’elles deviennent sacralisées, produisent mécaniquement l’aveuglement, la hiérarchisation perverse des victimes, le déni de la réalité, l’indulgence envers les pires oppressions du moment qu’elles viennent du « bon » côté de l’histoire.

Cette incapacité à rompre n’est pas d’abord politique, elle est psychologique. Pour beaucoup, quitter la gauche, ce serait tomber dans un vide symbolique, renoncer à une vision du monde ordonnée, à une promesse d’avenir, à un récit de soi. Ce serait s’exposer à l’anomie. Dès lors, toute remise en question profonde est vécue comme un blasphème. L’effondrement de la morale devient une question de communication, de stratégie, de formulation. On reste dans le Temple, on change les prêtres.

Et c’est là que réside le cœur du problème : les figures de gauche qui perçoivent les errements de leur camp, mais s’obstinent à s’y inscrire malgré tout, ne réforment rien. Ils déplacent leur foi d’un clergé à un autre, sans jamais remettre en cause la nature religieuse de leur engagement. Cette fidélité, quoique laïque dans sa forme, est une soumission intérieure à un dogme structurant. Ce qui vacille est immédiatement réinterprété, ramené à l’ordre sacré. La gauche n’est plus un outil critique, mais un objet de croyance.

Ainsi, rompre avec cette tradition ne serait pas une simple inflexion idéologique, mais une forme d’apostasie intérieure. Il ne s’agit plus de nuancer un engagement ou d’actualiser une pensée, mais de renier un absolu. D’où l’angoisse, la crispation, la violence symbolique qui entoure toute remise en question. C’est que la gauche, dans sa forme contemporaine, n’est plus une pensée du monde : elle est un monde. Et c’est précisément cette clôture qu’il faut aujourd’hui briser.

Or cette sacralisation ne s’est pas construite en un jour. Elle s’est lentement élaborée, depuis les Lumières, sur la base d’une promesse de libération universelle. L’idée que l’histoire aurait un sens, et que ce sens serait celui du progrès – par la raison, la science, l’égalité – a nourri une eschatologie implicite. La Révolution française a fourni le mythe fondateur, 1848 l’espoir démocratique, 1917 la promesse incarnée d’un salut collectif. Chaque trahison fut réinterprétée comme une erreur de parcours, jamais comme une défaillance du modèle. À chaque crise, la gauche s’est réinventée sans jamais se repenser.

Les institutions intellectuelles modernes – universités, syndicats, médias, partis – ont été les vecteurs de cette continuité. Elles ont fonctionné comme des Églises parallèles, formant les clercs, transmettant la tradition, assurant l’orthodoxie. Dans ces milieux, se dire « de gauche » ne relève pas d’une analyse rationnelle, mais d’un acte identitaire. C’est un gage de moralité, une preuve d’appartenance à l’humanité éclairée. Dès lors, toute remise en question de la gauche n’est pas entendue comme une critique, mais comme une déchéance. Le dissident n’est pas réfuté : il est excommunié.

La gauche, en prétendant incarner la justice, a fini par s’identifier à elle. D’où son incapacité à reconnaître ses fautes autrement qu’en les attribuant à des déviations extérieures. Comme toutes les religions, elle distingue entre la foi et les infidèles. Comme toutes les religions, elle promet la lumière, mais ne supporte pas qu’on éclaire ses zones d’ombre.

Cette religion de gauche, qui se pense comme raison et justice incarnées, en est venue à produire l’inverse de ce qu’elle prétend défendre. Car dans sa version contemporaine, elle s’est entièrement soumise à une logique d’inversion morale : au nom de l’anti-colonialisme, elle soutient des mouvements fondés sur le fondamentalisme ; au nom de l’antiracisme, elle épouse des logiques identitaires fondées sur la race ; au nom de l’émancipation, elle se fait le relais d’idéologies de soumission. Ce glissement n’est pas marginal – il est structurel.

Rien ne l’illustre mieux que la réaction d’une large partie de la gauche occidentale face aux crimes du 7 octobre. L’horreur du massacre n’a pas suscité, chez beaucoup, un élan éthique immédiat, inconditionnel, mais un réflexe de contextualisation. On a cherché les causes, les « provocations », les « racines du mal », comme si la barbarie pouvait être convertie en symptôme. Comme si des hommes découpant des enfants à la machette n’étaient, au fond, que des expressions du désespoir. L’oppression supposée de Gaza est venue réécrire les faits, recoder l’atrocité, jusqu’à la rendre légitime. La compassion s’est inversée.

Ce phénomène ne relève pas seulement de l’aveuglement, mais d’un dogme : celui selon lequel le faible a toujours raison, parce qu’il est faible. Le dominé est bon par nature, le dominant coupable par essence. L’axiologie est binaire, manichéenne, presque liturgique. Peu importe que le « faible » en question rêve d’un califat, d’une charia, de l’extermination d’un peuple. Peu importe que la « résistance » glorifiée emprunte ses méthodes aux nazis. Il suffit qu’elle se proclame victime pour qu’on lui attribue le statut du juste. La gauche, jadis universaliste, est devenue tribale.

C’est ainsi que des mouvements islamistes, porteurs d’une vision théocratique, sexiste, antisémite, homophobe, trouvent des alliés parmi ceux qui se prétendent progressistes. Que des associations féministes défilent aux côtés de ceux qui oppriment les femmes. Que des antiracistes militent au nom de catégories raciales. Que des défenseurs de la liberté d’expression justifient la censure. Le renversement est total. L’universalisme est trahi au nom de l’altérité. La critique a perdu sa boussole.

Cette dérive ne vient pas d’un hasard, mais d’un pli théologique. Car si la gauche est une religion, alors elle a ses martyrs à défendre, même contre l’évidence. Le peuple palestinien est devenu, dans ce système, une figure christique : souffrant, crucifié, porteur des péchés du monde. À ce titre, il ne peut qu’avoir raison. L’histoire l’a sanctifié. Toute critique à son égard devient un blasphème. Peu importe que ses représentants aient sombré dans la terreur – l’image sacrée absorbe tout.

La même logique traverse les luttes postcoloniales, identitaires, décoloniales. L’identité y remplace la justice. L’ennemi n’est plus l’injustice, mais l’Occident lui-même, l’homme blanc, le libéralisme, Israël, la modernité. Tout ce qui a porté des fruits universels est désormais suspect. L’universalisme est tenu pour un masque de la domination. La Raison est relativisée, la vérité disqualifiée comme construction sociale, et l’égalité réduite à un outil d’hégémonie. C’est ainsi que la gauche moderne se retourne contre l’héritage qui l’a fondée.

Mais ce retournement n’est pas vécu comme une rupture. Il est naturalisé, rendu indiscutable, transmis comme un prolongement nécessaire de l’histoire de la gauche. Là encore, c’est le religieux qui l’emporte : il ne s’agit pas de penser, mais de croire. L’adhésion précède l’analyse, et remplace le jugement. D’où cette répétition automatique de slogans, ces anathèmes distribués à ceux qui doutent, cette incapacité à interroger ses propres présupposés. Comme dans toute foi, la dissonance est résolue par le silence ou par l’exclusion.

Il ne s’agit plus, pour la gauche contemporaine, de corriger des erreurs ou d’actualiser une pensée. Il s’agit de protéger une orthodoxie. Tout événement qui contredit la doctrine est nié, minimisé, ou intégré de force dans le schéma croyant. Le réel est subordonné au récit. La terreur islamiste devient une forme d’antifascisme. Le terroriste est un résistant. Le pogrom est une réaction. L’assassin est une victime. On ne pense plus le monde : on le récite.

Mais une telle clôture dogmatique n’est pas seulement un aveuglement sur le présent : c’est un empêchement radical à penser l’avenir. Car une religion politique ne se réforme pas – elle se répète. La gauche contemporaine, prisonnière de ses rites idéologiques, se révèle incapable de produire autre chose que des gestes incantatoires : dénoncer, commémorer, condamner, se solidariser. Le monde change, elle récite. Les sociétés évoluent, elle conjure. L’histoire bifurque, elle ressasse ses mythes.

Toute tentative de renouvellement est vécue comme une menace. Les rares penseurs qui cherchent à rouvrir le débat de fond sont ostracisés, caricaturés, voués aux gémonies. Le soupçon de « droitisation » suffit à disqualifier toute remise en cause du dogme. Il ne s’agit pas d’avoir tort ou raison, mais d’être dans le vrai ou dans le faux selon la théologie du moment. Et celle-ci n’évolue plus que par glissements internes, sans rupture ni retour critique.

Or penser le monde exige précisément cela : la capacité de rompre. De suspendre la croyance pour affronter la complexité. D’accueillir la contradiction sans y chercher aussitôt un coupable. Mais la gauche devenue foi ne sait plus faire cela. Elle fonctionne à l’indignation réflexe, à la posture morale, à la dénonciation préventive. Elle ne pense plus à partir du réel, mais contre lui.

Cela a un prix. Ce prix, c’est sa désaffection croissante. De plus en plus de citoyens, y compris parmi les plus jeunes, ne se reconnaissent plus dans ces slogans sans prise sur le réel. Ils voient bien que l’idéologie remplace le discernement, que le langage est vidé de son sens, que la morale est devenue un instrument de manipulation symbolique. Ils sentent la présence d’un clergé sans transcendance, d’une liturgie sans Dieu, d’un catéchisme sans ciel – mais non sans enfer.

La gauche, à force de s’ériger en conscience universelle, a perdu son ancrage. Elle parle d’émancipation, mais refuse la liberté intérieure de douter. Elle parle d’égalité, mais divise le monde en communautés victimaires hiérarchisées. Elle parle de justice, mais s’aveugle face à la souffrance qui contredit ses dogmes. Ce n’est pas simplement un échec intellectuel, c’est une faillite spirituelle.

Et cette faillite ne pourra être surmontée qu’en acceptant une vérité difficile : il faut désacraliser la gauche. La rendre à ce qu’elle aurait dû rester – une tradition politique parmi d’autres, critiquable, réformable, faillible. Ce travail est d’autant plus urgent que les valeurs mêmes qu’elle prétend incarner – la liberté, la dignité humaine, la solidarité, la lucidité historique – exigent qu’on les arrache à leur emprise doctrinale. Sauver ce qu’il peut rester d’universel, c’est commencer par rejeter ce qui prétend en monopoliser le sens.

En d’autres termes, il ne s’agit pas d’abandonner toute idée de gauche : il s’agit de sortir de la gauche comme croyance close. De renoncer à la religion pour retrouver la pensée. Ce pas, rare, douloureux, mais libérateur, est le seul chemin vers une conscience politique adulte – c’est-à-dire désenchantée, responsable, et capable d’affronter les tragédies du monde sans béquille morale.

Ce que révèle la réaction d’une grande partie de la gauche face au réel, c’est qu’elle ne se vit plus comme un outil au service de l’analyse ou de l’action, mais comme une vérité à préserver coûte que coûte. La fidélité qu’elle exige n’est pas politique mais spirituelle. La gauche n’est plus un espace de débat, mais un sanctuaire. Ceux qui en sortent ne sont pas contredits : ils sont excommuniés.

Tant que cette structure religieuse restera intacte, aucun renouvellement ne sera possible. Ce ne sont pas les discours qu’il faut corriger, ni les porte-parole qu’il faut remplacer. C’est le fondement qu’il faut interroger. Le dogme qu’il faut désarmer. Car il ne suffit pas de « réconcilier la gauche avec ses valeurs ». Il faut cesser de croire que ces valeurs lui appartiennent en propre. Et surtout, il faut cesser de les traiter comme des absolus.

Penser librement suppose d’abord de se libérer des cadres de pensée qui interdisent le doute. Ce que la gauche est devenue, il faut désormais pouvoir en sortir – sans honte, sans culpabilité, sans peur. Non pour changer de religion, mais pour en finir avec la religion politique. Alors seulement pourra s’ouvrir un espace critique nouveau, affranchi des fidélités automatiques, capable d’accueillir le réel tel qu’il est : incertain, tragique, contradictoire – mais pensable.

Post Scriptum, 12 de juny del 2025.

Daniel Horowitz disecciona avui a Tribune Juive el rerefons d’una crida: « Israël-Palestine : l’appel de 153 personnalités à un congrès mondial pour la paix », cette tribune publiée par le Nouvel Obs se présente comme une initiative de sagesse. Mais derrière l’apparente modération, elle déploie une logique d’accusation où l’obsession morale tient lieu de pensée stratégique, et où la paix n’est qu’un slogan destiné à dissimuler un procès politique. Il s’agit d’un appel sans paix — un document qui, sous couvert d’humanisme, reconduit les aveuglements idéologiques les plus tenaces, et dont la moraline nietzschéenne, c’est-à-dire une morale de surface fondée sur le ressentiment, sert de couverture à une délégitimation en règle d’Israël.

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