Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

3 de juliol de 2017
0 comentaris

Per què comparar la islamofòbia d’avui amb l’odi antijueu dels nazis és una impostura ?

Sovint l’islamisme adopta la forma de victimisme en la seva relació amb Occident (de fet una d’expressar el sentiment d’inferioritat àrab del qual parlava Amin Maalouf ja fa més de vint anys) i propaga la impostura que els musulmans són avui a Europa com antany els jueus perseguits pels nazis. La lluita contra la islamofòbia propugnada pel progressisme antisionista ha fet seva aqueixa argumentació perversa que encobreix una realitat inversa: l’agressió contra les societats obertes europees per part dels grups gihadistes i els diversos estats integristes que els hi donen suport. La islamofòbia és literalment la por a l’islam, no pas odi als musulmans.

Aqueix article de Barbara Lefebvre, (historiadora i col·laboradora de Georges Bensoussan en l’obra col·lectiva “Les territoires perdus de la République”), aparegut avui a Le Figaro i titulat “Pourquoi comparer les musulmans d’aujourd’hui avec les juifs d’hier est inacceptable” clarifica aqueixa qüestió:

On s’indigne, à raison, que le prédicateur Hani Ramadan ait déclaré très récemment via Twitter que «le nazisme n’a pas disparu: il a seulement remplacé le juif par le musulman». Mais pourquoi n’a-t-on rien entendu lorsque les autorités de la Grande mosquée de Paris ont tenu des propos identiques? L’islam «modéré» de son recteur bientôt en retraite a lui aussi le goût de la captation victimaire au mépris de l’histoire. Dans sa «Proclamation de l’islam en France» rendue publique en mars 2017, inspirée par le politologue Thomas Guénolé inventeur du mot islamopsychose – énième néologisme pour décrire les ténèbres dans lesquels sont plongés les Musulmans de France – Dalil Boubakeur déclare en préambule que la Grande mosquée de Paris «s’alarme du fait que l’islamophobie et l’islamopsychose françaises soient de nos jours assurément comparables en gravité à l’antisémitisme français de la fin du XIXe siècle».

Pourquoi n’entend-on rien quand Edwy Plenel s’empare du sujet juif pour dénoncer la situation de parias dont les Musulmans – il emploie toujours l’article défini pour marquer qu’il s’agit d’une catégorie générale d’êtres – seraient victimes en France? Ainsi avait-il capté il y a quelques temps un beau texte de Zola sur l’antisémitisme datant de 1896 (avant l’affaire Dreyfus) intitulé «Pour les Juifs» pour dresser une analogie avec cette haine antimusulmane que Plenel décèle dans une large partie du monde intellectuel et politique français.

Ce livre, Pour les Musulmans, reprend tous les poncifs de l’islamogauchisme dont Jean Birnbaum a brillamment rappelé les origines idéologiques et les corruptions tant sémantiques qu’intellectuelles. Plenel est le gourou de cette gauche qui ne s’intéresse aux couches populaires que quand elles sont musulmanes, cette gauche qui dénonce les «paniques identitaires» et ne voit que paranoïa et racisme dans le combat idéologique que mènent les adversaires de l’islam politique. Le déni du réel n’a pas ici la candeur de ceux qui veulent vivre paisiblement comme des autruches, au contraire, cette gauche morale et inquisitrice a ses cibles, ses obsessions: traquer (jusqu’au prétoire si besoin) les mal-pensants qui osent voir et dire ce qu’ils voient pour paraphraser Peguy.

En 2011, Marwan Muhammad, tout à son œuvre de victimisation pour provoquer le ressentiment de l’éternel humilié musulman, s’était aussi prêté à cette analogie: «c’est l’histoire d’un pays qui chaque jour bascule un peu plus dans l’islamophobie. Ce pays, ce n’est pas l’Allemagne des années 30. C’est la France des années 2010. Cette façon de nommer un culte, cette façon de nommer des croyants, cette façon de les stigmatiser et de dire qu’ils posent problème et qu’ils mettent en péril l’identité du pays, c’est exactement la manière dont on stigmatisait les Juifs au début du siècle dernier. C’est pas dans l’Allemagne des années 30 qu’on mitraille des mosquées». N’en jetez plus, la coupe est pleine.

On comprend aisément que les adeptes de l’islam politique incarnés en Europe occidentale par les frères Ramadan aient des difficultés à entrevoir les subtilités de l’histoire, eux les petits-fils et héritiers ‘spirituels’ d’Hassan al-Bâna fondateur de la Confrérie des Frères Musulmans d’inspiration fasciste. Leur agenda politico-religieux, calqué sur celui de leur illustre grand-père en version 2.0, fonctionne sur l’identitarisme islamique, le complotisme victimaire, la vindicte perpétuelle pour laver les humiliations dont les Musulmans sont victimes quand les Infidèles chrétiens et/ou Juifs ont le malheur de les dominer en politique ou au combat.

Rien d’étonnant donc. En matière de nazisme et d’antisémitisme, Ramadan sait de quoi il en retourne: les proximités idéologiques et financières entre la Confrérie et le IIIè Reich ont été démontrées par nombre d’historiens, avec le mufti de Jérusalem Al-Husseini comme intermédiaire zélé avec les autorités de Berlin, puis après la guerre avec Sayid Qutb, le prolifique Goebbels islamique. Laissons le donc à ses tweeteries.

Mais pourquoi les propos de Boubakeur inspirés par Guénolé, de Plenel, Muhammad, de Todd et consorts ne sont-ils pas interrogés? Jamais il ne leur est demandé d’expliciter cette comparaison historiquement, factuellement. En quoi la situation des Musulmans qui vivent en France aujourd’hui est-elle comparable à celle des Juifs à la veille de la disparition de près de la moitié du peuple juif? Parce que c’est ce qu’on entend en creux dans ce type de comparaison: un génocide se prépare contre les Musulmans de France. Rien que ça! Qui le prépare intellectuellement, politiquement, concrètement? On compte sur les vigies de l’«islamopsychose» pour débusquer les planificateurs du génocide qui vient.

Ces vigies de l’islamophobie-islamopsychose n’ont pas dû lire beaucoup de livres d’histoire quand ils convoquent ce sujet sur un ton grave. Dans la France des années 1890-1900, puis des années 1930, le climat était tout autre qu’en 2017: les publications antisémites étaient nombreuses et les formations politiques fondées sur l’obsession antijuive actives, ayant pignon sur rue et imprégnant une large part de la droite française. L’antidreyfusisme en fut une illustration. La gauche révolutionnaire n’était en outre pas épargnée par l’antisémitisme au nom de l’anticapitalisme.

Quelle nouvelle affaire Dreyfus, pourraient-ils bien nous sortir de leurs chapeaux? Songent-ils aux caricatures publiées par Charlie Hebdo ou au pitoyable débat sur le projet de déchéance de la nationalité pour les terroristes? Où sont les journaux appelant à la haine antimusulmane et à leur exclusion totale du corps civique? Où sont les revues comme Le Grand Occident, Le Réveil du peuple, la Libre parole ? À moins que Le Figaro qui ouvre ses colonnes à Zemmour ou Polony ne soit dans le collimateur de ceux qui osent se réclamer de Zola et du dreyfusisme, comme Plenel, pour exercer leur vindicte? À moins que Causeur qui laisse s’exprimer librement Finkielkraut soit un journal fasciste préparant les masses à l’extermination des Musulmans de France? À moins que La Revue des Deux mondes qui publie Caroline Fourest ou Elisabeth Badinter n’annonce rien moins que le retour de la peste brune?

En France aujourd’hui, des Musulmans sont, à ma connaissance, libres de se constituer en association pour exprimer et revendiquer leur vision identitaire singulière comme en témoignent le CCIF ou le PIR. Ces associations ‘antiracistes’ souvent rejointes par la LDH ou le MRAP, qui trouvent des alliés bienveillants au Bondy Blog ou dans la Revue du crieur, exercent une vigilance de tous les instants au point d’entraver la liberté d’expression commune quand il s’agit de critiquer l’islam politique ou de dénoncer l’antisémitisme transmis comme une vulgate dans nombre de familles musulmanes, cet «antisémitisme déjà déposé sur la langue, dans la langue» comme l’a dit Smaïn Laacher.

Il serait temps que ces analogies malsaines soient combattues par tous ceux qui ont à cœur de faire vivre le débat d’idées dans le champ démocratique antitotalitaire. Il est insensé qu’une autorité religieuse représentative comme la Grande mosquée de Paris, que des personnalités associatives ou médiatiques, ne trouvent pas d’autres arguments pour défendre leur cause que la comparaison avec le sort funeste des Juifs de France il y a un siècle. Il va falloir que la ritournelle de la menace d’un «retour aux heures sombres de notre histoire» cesse de servir à tous les amalgames, en particulier au service de certains antisémites de l’idéologie indigéniste qui n’aiment rien tant que se comparer à ceux qu’ils honnissent. Ne leur en déplaise, il n’y a pas de palmarès victimaire dont il s’agirait de déloger les Juifs de la plus haute marche du podium. Ce palmarès n’existe que dans leur fantasme.

Les Juifs n’ont jamais proclamé avoir l’exclusivité du statut de victime de l’Histoire. Ils témoignent de leur vécu, pour éviter que cela n’arrive à d’autres, et accessoirement à eux de nouveau s’il leur est encore permis d’espérer. L’histoire des Juifs est longue en temps et en kilomètres parcourus. Elle leur a donné une certaine intuition du réel, et surtout aux Juifs d’en bas: ceux du ghetto, du mellah ou de la cité des ‘quartiers populaires’. Cette invention du palmarès victimaire vient précisément des antisémites qui ne supportent ni la survie du plus ancien peuple de l’Antiquité occidentale, ni sa résilience, et moins encore sa renaissance nationale. Les Juifs ont des existences individuelles dans le pays où ils vivent, mais qu’ils le veuillent ou non, ils ont aussi un destin collectif, l’histoire l’a montré depuis l’expulsion d’Espagne jusqu’à la Shoah. Leur incroyable capacité à faire vivre cette double identité, particulière et universelle, est vécue comme un outrage par ceux qui en sont incapables. Et cela déchaîne toutes les haines, toutes les rancunes.

Mais, une question s’impose à ces donneurs de leçon d’histoire comparée: quelle ‘religion’ (si tant est que l’identité juive se résume à une religion) est victime d’attaques ciblées en France actuellement? Sébastien Sellam, Ilan Halimi, Jonathan Sandler, Arieh Sandler, Gabriel Sandler, Myriam Monsonego, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, Sarah Halimi: tous sont morts, ici en terre de France, coupable de n’avoir commis qu’une ‘faute’, être juifs. Ciblés et assassinés parce que juifs par un concitoyen se revendiquant de son islamité.

Voila où est la mission d’un représentant de l’islam en France et de ces personnalités qui invoquent l’histoire pour l’instrumentaliser politiquement: déraciner la haine antijuive ancrée chez de nombreux Musulmans de France qui prend le plus souvent la forme du complotisme. Ne serait-ce pas plus utile que leur dire qu’ils vivent dans un pays où se développe l’air putride annonçant leur génocide? D’ailleurs, dans l’article 24 de la proclamation de la Grande mosquée de Paris, il est écrit que le djihad guerrier «n’est autorisé qu’en situation de légitime défense contre un agresseur».

On ne comprendrait pas qu’averti de la survenue prochaine d’un plan d’extermination, le musulman ne considère pas légitime de s’en prendre, par avance, à ses supposés bourreaux! Pour avancer sur le chemin de la raison, il faudrait qu’ils admettent que la «question juive» tient une place centrale dans la pensée islamique, que la concurrence avec la matrice juive est un impensé de la civilisation musulmane dès l’islam des origines. Ils ne peuvent pas continuer à trier dans le texte coranique ce qui les arrange: invoquer le Coran mecquois, pour satisfaire les non-Musulmans qui attendent une parole de paix, pour faire oublier le Coran médinois qui appelle à tuer ces «chiens de yahoudi» en prenant modèle sur les actions de Mohamed dont le premier acte de guerre fut d’exterminer les tribus juives de l’oasis de Khaybar. Or la règle de l’abrogation veut qu’en cas de paroles contradictoires, les versets médinois – ceux de l’islam militaire, hégémonique et intolérant – prévalent sur les versets mecquois – ceux de l’islam spirituel et respectueux des autres religions.

Point essentiel: il faudrait des savants de l’islam qui cessent de penser les Juifs comme des falsificateurs de la parole divine ainsi que le Coran les décrits en racontant qu’Ezra aurait volontairement falsifié la Torah lors de son passage à l’écrit pour substituer Ismaël à Isaac dans l’épisode de la ligature et dès lors capter l’héritage abrahamique et la primauté de l’Alliance divine. Ezra (4è siècle avant JC), figure centrale de la tradition juive, est aussi accusé par l’islam d’avoir ouvert la voie à l’insoumission envers Dieu en favorisant l’avènement du débat exégétique rabbinique ouvrant sur l’univers talmudique. L’interprétation talmudique étant considérée comme blasphématoire pour l’islam, alors qu’elle est le cœur vivant du judaïsme.

C’est sur cette seule base (‘les Juifs avec et après Ezra ont falsifié la Torah’) que le Coran leur dénie le droit d’être souverains sur leur terre, sinon aucun verset coranique ne remet en cause «le don» de la terre d’Israël au peuple juif. Mais par cette vision coranique du peuple juif falsificateur et menteur, les germes de l’antijudaïsme plantés par l’islam des origines ont fait florès, enrichi par l’antisémitisme européen il y a un siècle.

Autre point de divergence sensible qui mériterait attention: du point de vue théologique et philosophique, la morale juive accorde au libre arbitre de l’individu une place prépondérante, l’être humain peut agir pour le bien ou pour le mal, il est une créature divine dont le rôle est de parfaire l’œuvre de Dieu. La morale islamique considère, elle, que le monde crée par Dieu est parfait, qu’il n’appelle aucune amélioration humaine, que sa parole ne supporte aucune interprétation, seule la soumission totale de l’humanité à Dieu verra s’accomplir la mission confiée à Mohamed. Quand l’islam acceptera qu’il puisse exister un espace où la responsabilité morale de l’individu est entière, que l’exil est un état dans lequel le Musulman peut vivre sans se perdre aux côtés de populations différentes de lui, que l’obsession de l’unicité ne peut que produire le mal absolu, alors peut-être que les racines de la haine antijuive seront arrachées, car ces trois éléments (responsabilité morale de l’individu, possibilité de l’exil, et acceptation de la diversité humaine) sont au cœur de l’antinomie autant que de la réconciliation de l’islam avec le judaïsme, et peut-être de l’islam avec un monde qui n’est que diversité et multitude.

La France laïque et démocratique n’est-elle pas le pays idéal pour réaliser enfin la véritable Nahda dont le monde musulman a besoin, au moment où son apparente force incarnée par la terreur jihadiste, masque peut-être davantage les préludes de sa chute et de sa fin?

Post Scriptum, 13 de desembre del 2021.

Anne Hidalgo , candidata del PSF a l’elecció presidencial ha dit avui a Perpinyà que «le langage des années 30» contre les juifs est aujourd’hui appliqué aux «musulmans», cercant el vot islamogauchista que capgiri les expectatives electorals adverses. En resposta Le Figaro ha tornat a publicar l’article de Barbara Lefebvre reproduït en aqueix apunt.

Post Scriptum, 30 de gener del 2024.

Evelyne Sylva et Michel Ben Arrous analitzen, el proppassat 23, al seu bloc de The Times of Israel “La haine imparable, ou la ‘morale’ tordue d’Edwy Plenel“.

Israël a perdu la guerre des mots et des images. Nous avons visionné les images du 7 octobre. Nous n’avons pas dormi depuis. L’orgie de violence perpétrée ce jour-là par le Hamas, documentée à la GoPro par les propres auteurs d’une boucherie indescriptible, hante nos insomnies. Nous avons également eu accès à des rushes non utilisés, toujours filmés à la GoPro, montrant la liesse des bouchers auto-célébrant leur boucherie, goguenards et triomphateurs. Leur jubilation n’est pas moins insoutenable. Nous voyons aussi depuis un mois les images de Gaza sous les bombes − les vraies images et les fausses, créées sur Midjourney ou empruntées au conflit syrien, comme si la réalité de la guerre ne suffisait pas. Nous n’en dormons pas mieux.

Reste qu’Israël se défend, que son armée mettra peut-être le Hamas hors d’état de nuire, mais qu’il en va bien autrement sur le front de l’information et de la communication. Le langage, la raison, la probité sont les victimes de cette guerre-là. Des victimes qui pourraient paraître dérisoires au regard des morts de chair et d’os, mais sans lesquelles aucune issue politique n’est possible. Au moins le Hamas, qui prône dans sa Charte la destruction d’Israël, énonce-t-il les choses clairement : il s’agit bien, pour lui, d’effacer un Etat, et ceux qui l’habitent, de la carte du Moyen-Orient. Les relais plus lointains du mouvement islamiste, partisans assumés, soutiens opportunistes ou simples idiots utiles, parlent quant à eux un newspeak digne d’Orwell, inversant tout à la fois les positions et le sens des mots. Dans cette novlangue, décapiter des enfants se dit « résister ». La guerre contre le Hamas se dit « génocide des Palestiniens ». L’évacuation des civils gazaouis à distance des combats se dit « épuration ethnique ».

Il suffit de parcourir les réseaux sociaux pour réaliser qu’aucun mensonge − les pires étant ceux dont on se laisse docilement convaincre − n’est désormais trop gros. Le faux bombardement de l’hôpital Ahli Arab, ou plus exactement l’accueil des preuves innocentant l’armée israélienne, qui était accusée dans un premier temps d’avoir opéré un carnage, constitue un cas d’école. Sur TikTok, Facebook et Telegram, deux réactions ont prévalu. L’une, récusant par principe la recevabilité des preuves, présumées « fabriquées » ou « inventées » du moment qu’elles émanaient d’Israël. L’autre, admettant du bout des lèvres l’évidence mais refusant de s’en émouvoir : « de toute façon, ils [les Juifs] commettent tellement de crimes qu’un de plus ou de moins… » Le narratif général n’a pas varié d’un iota. Si le Hamas assassine aussi des civils palestiniens, en les utilisant comme boucliers humains et en les mitraillant lorsqu’ils s’enfuient, c’est encore et toujours « la faute d’Israël ».

Le prêt-à-penser et le prêt-à-haïr

Cette détestation de principe, beaucoup l’endossent par conviction, la diffusent et l’amplifient en toute bonne conscience − encore un mot galvaudé. A ceux-là, gorgés de slogans et bardés de certitudes, nous n’avons plus rien à dire. Hélas. Car parler, se parler, suppose de part et d’autre une capacité d’écoute. Sans cette dernière, l’exercice est vain. Restent celles et ceux qui s’interrogent, qui résistent encore aux positionnements automatiques, au prêt-à-penser et au prêt-à-haïr qui l’accompagne. Celles et ceux-là n’ont pas déjà oublié le 7 octobre. C’est à eux que nous nous adressons. Entendons-nous : pas pour imposer une lecture particulière du conflit israélo-palestinien, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le conflit, son histoire et sa résolution sont et doivent rester des objets de débat légitimes. Illégitime, en revanche, est le dévoiement de la « cause palestinienne » pour justifier l’injustifiable.

Edwy Plenel, donc. Pourquoi le mentionner nommément ? Parce que le patron de Mediapart dispose d’une audience considérable, d’un public qui lui est acquis et qu’il manipule, en l’occurrence, de manière aussi habile qu’éhontée. Son article « Israël-Palestine : la question morale », publié en ligne le 22 octobre, puis repris face caméra le 24, a généré des milliers de likes et de commentaires approbatifs : « bravo monsieur », « respect », « excellente analyse », « lucide », « vraie », « juste »… Dans leur unanimité comme dans leur concision, ces commentaires témoignent d’une connaissance limitée du Proche-Orient, mais l’ignorance n’est pas un crime. On ne saurait tenir rigueur aux admirateurs de Plenel de ne pas se saisir de ce que celui-ci escamote, déforme ou travestit. Il est préoccupant, en revanche, de les voir endosser sans broncher une conception de la ‘morale’ qui tient la boucherie du 7 octobre pour une fatalité et considère la question ‘politique’ sous un angle purement mécaniste − ce qui est la négation même du politique.

« La question morale », dit Plenel, « est un repère pratique, concret, un repère politique ». Pourquoi pas ? Sauf que le monde de Plenel se réduit à deux catégories : les oppresseurs d’un côté (entendez, Israël), les opprimés de l’autre (les Palestiniens). Les premiers ont forcément tort, les seconds toujours raison. Les aspirations des uns et des autres, leurs projets, la conduite de leurs objectifs, ne comptent pas. Les individus non plus. Pas plus que la diversité interne de chaque grand bloc. De là, le caractère prétendument inéluctable de la violence. Violence oppressive d’un côté, présumée fondatrice, inhérente à l’existence même d’Israël. Violence des Palestiniens de l’autre, « légitime et de nécessité », nécessairement libératrice.

Nulle place, dans cette logique binaire, pour autre chose que l’affrontement : c’est le degré zéro du politique. Un fantasme mortifère et, pour les Palestiniens, un jeu de dupes. Soixante-quinze ans après la déclaration d’indépendance d’Israël, leur mouvement national court toujours après la création d’un Etat. Un Etat qu’ils auraient pu créer eux aussi en 1948, en acceptant le plan de partage de l’ONU qui en prévoyait deux, l’un juif, l’autre arabe (dans une configuration territoriale au demeurant bien plus favorable que les Accords d’Oslo). Sous la pression de la Ligue arabe, les Palestiniens ont refusé. L’Egypte, l’Irak, la Jordanie, la Syrie, prirent alors l’initiative d’une première guerre contre Israël, promettant aux Palestiniens qu’ils n’auraient effectivement rien à partager, que tout leur reviendrait − de la Mer au Jourdain. Une première guerre perdue. D’autres guerres ont suivi, d’autres défaites arabes, d’autres désirs de revanche jamais assouvis. Qu’y ont gagné les Palestiniens ? Trois, bientôt quatre générations de réfugiés dans les pays voisins − des pays ‘amis’ qui veillent à les maintenir éternellement dans ce statut de réfugiés en limitant leurs droits civiques, leur mobilité, leur accès à l’emploi. Les conseilleurs, pas plus la Ligue arabe que Plenel, ne sont pas les payeurs.

Ce que Plenel dit, ce qu’il masque

Le degré zéro du politique, c’est aussi le degré zéro de la morale − qui toujours suppose un choix. L’être moral est celui qui se détermine en fonction d’un système de valeurs, qui choisit, entre plusieurs options, celle qui s’accorde le mieux à sa conception du bien, du juste, du vertueux. Or c’est précisément ce qu’interdit aux protagonistes la vision dogmatique d’un Plenel, dans laquelle la violence est construite comme inéluctable et nécessaire. Les seuls capables de faire un choix sont en réalité ses lecteurs, observateurs lointains. C’est à eux qu’il réserve cette possibilité, en les poussant à ‘vertueusement’ épouser son propre parti pris − non comme un journaliste soucieux de les éclairer, mais comme un propagandiste se faisant fort de les embrigader. Sa plus sûre méthode : l’oblitération sélective. Le plus intéressant, en effet, n’est pas ce qu’il dit mais ce qu’il masque.

Sur la création de l’Etat d’Israël, d’abord. Plenel reprend le récit convenu, voulant qu’aux lendemains de la Shoah, les puissances européennes aient « réparé l’injustice » faite aux Juifs (leur génocide) en commettant une autre « injustice », cette fois contre les Palestiniens (la Nakba). Il néglige le temps long : l’attachement viscéral des Juifs à Jérusalem (tel qu’il s’exprime chaque jour depuis deux mille ans dans les prières et le rituel) ; la présence ininterrompue de communautés juives sur les lieux de leurs anciens royaumes (quelles qu’aient été les puissances occupantes, Romains, Croisés, Ottomans) ; et plus près de nous les ratés de la décolonisation britannique. Ayant reçu de la Société des Nations mandat d’administrer les territoires anciennement ottomans qui deviendraient, de nos jours, la Jordanie, Israël, la Cisjordanie et Gaza, les Britanniques promirent les mêmes terres aux uns et aux autres. Ils favorisèrent chacun tour à tour, s’opposèrent militairement à l’immigration juive avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, et laissèrent derrière eux, comme en Inde à la même époque, une poudrière. Mais l’histoire, courte ou longue, est mal employée lorsqu’elle vise à trancher la vaine question du qui était là avant. Elle pourrait plus judicieusement éclairer la faillite morale, et politique, consistant à légitimer une autochtonie arabe indéniable au détriment d’une autochtonie juive tout aussi indéniable. Elle pousserait alors à reconnaître l’égale dignité de deux peuples condamnés à cohabiter.

Sur la société israélienne, ensuite, Plenel n’apprend rien à ses lecteurs en condamnant Benjamin Netanyahu et son gouvernement, le plus à droite que le pays ait connu. Il ne les instruit qu’à moitié en observant qu’ »il y a des suprémacistes juifs comme il y a des suprémacistes blancs comme il y a des suprémacistes chrétiens » (tout en omettant les suprémacistes musulmans, dont la région n’est pourtant pas avare). Silence, surtout, sur ce que son édifice rhétorique rend inconcevable − et qui n’est pas si rare : on peut être sioniste et bienveillant à l’égard des Palestiniens. Les victimes du 7 octobre étaient en grande majorité les deux, les deux à la fois. Sionistes, parce qu’ils incarnaient le droit du peuple juif à vivre libre sur sa terre ancestrale. Engagés aux côtés des Palestiniens, parce qu’ils militaient aussi pour le droit des Palestiniens à disposer des mêmes droits qu’eux. Les habitants des kibboutzim du sud d’Israël, frontaliers de Gaza, étaient pour la plupart des gens de gauche − cette gauche qui chaque samedi soir à Tel Aviv conspuait le gouvernement Netanyahu dans des manifestations monstres, et qui animait un large réseau d’associations et d’initiatives en faveur des Palestiniens des territoires. C’étaient eux les artisans au quotidien d’une entente possible, les partisans d’une paix juste et durable. Leur absence de la ‘question morale’ façon Plenel est moralement inexcusable. Mais commode : exit les empêcheurs de caricaturer en rond.

Indigence

Le passage le plus confus est celui où Plenel explicite ses attentes vis-à-vis des Palestiniens : « le camp de l’émancipation, qui est en l’occurrence le camp de la Palestine (…) a le devoir d’avoir une morale supérieure ». Son objectif, précise-t-il, doit être de « libérer le peuple qui l’opprime de sa propre violence ». A ce degré d’éloignement de la réalité, Plenel se retranche derrière la figure de Nelson Mandela au détour d’un épisode imaginaire de l’histoire sud-africaine. L’ANC aurait « commis dans les années 80 des massacres sur les civils », avant que Mandela, conscience morale inattaquable, fasse son autocritique et réconcilie la nation arc-en-ciel avec elle-même. Ah ? Que viennent faire là des massacres qui n’ont jamais eu lieu ? Pour mémoire, rappelons que l’ANC a fusillé des prisonniers dans ses camps d’entraînement à l’étranger, puis a combattu l’Inkatha de Buthelezi au tournant des années 1990, mais rien qui s’apparente à des « massacres de civils ». La fonction de ces massacres jamais commis semble être d’éviter la disqualification du Hamas : voyez, l’ANC aussi a commis des horreurs… La façon dont Plenel convoque, en suivant, l’autorité de Franz Fanon, conforte l’hypothèse. Mobiliser Fanon en défense de la violence, parfois légitime (et parfois seulement, reconnaissait Fanon) du colonisé contre le colonisateur, c’est instiller, de manière subliminale, deux fausses équivalences : entre les islamistes d’aujourd’hui et les colonisés d’hier, entre violence terroriste et luttes anticoloniales.

Il eût été plus simple de citer Amilcar Cabral, dont le combat visait explicitement le système colonial portugais, non les Portugais comme individus. Cabral, dans ses écrits comme dans les maquis de Guinée-Bissau, condamnait sans équivoque les pulsions violentes prétendument libératrices. Il avait conscience de l’existence d’un seuil infranchissable dans l’usage de la violence, au-delà duquel, devenue criminelle, elle perd toute dimension émancipatrice. Plenel ne pouvait trouver exemple plus accompli de ce qu’il appelle une « morale supérieure ». Mais il lui aurait alors été impossible de maintenir plus longtemps, fallacieusement, le Hamas dans le « camp de l’émancipation »…

Enfin, dernière déclinaison de la ‘question morale’ : la France serait aujourd’hui « indigne ». Plenel lui reproche d’avoir « oublié sa position d’équilibre » − un euphémisme pour la politique étrangère pro-arabe mise en place par le général de Gaulle à la fin de la Guerre d’Algérie. Les trois derniers présidents français (Sarkozy, Hollande, Macron) auraient allumé le feu d’une « guerre des civilisations » en France-même, « une guerre de tous contre tous ». Plenel se pose ici en pompier, ce qui serait parfaitement honorable s’il ne jouait aussi les pyromanes. Son argument central est que la France « est le premier pays musulman d’Europe ». C’est exact. Elle est aussi, démographiquement, le premier pays juif même s’il ne le mentionne pas. Mais la démographie n’est pas un argument moral, c’est au mieux un argument de maître-chanteur, brandi comme une menace d’embrasement. Plenel n’est évidemment pas le seul, en France, au Proche-Orient et ailleurs, à souffler sur les braises des solidarités primaires en manipulant les peurs et les affects. Mais la posture moralisatrice qu’il se donne, et qu’un public complaisant lui concède trop hâtivement, n’en rend que plus indécente sa triple indigence : morale, politique, journalistique.

Deixa un comentari

L'adreça electrònica no es publicarà. Els camps necessaris estan marcats amb *

Aquest lloc està protegit per reCAPTCHA i s’apliquen la política de privadesa i les condicions del servei de Google.

Us ha agradat aquest article? Compartiu-lo!