Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

27 d'octubre de 2016
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Rellegint Elisabeth Lévy: “L’inquisition d’aujourd’hui est de gauche”

Reprodueixo una entrevista publicada a Le Figaro el 13 d’octubre del 2014 a Elisabeth Lévy directora del magazine «Causeur» on al número d’octubre,  s’interroga sobre les causes de  la desaparició de l’esquerra francesa i dóna la paraula entre a Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, Aymeric Chauprade et Christophe Bourseiller, els intel·lectuals balsmats com a neo-reccionaris.

Le dernier numéro de Causeur s’intitule «Gauche: mourir dans la dignité?» La disparition de la gauche a été pronostiquée plusieurs fois et celle-ci est pourtant toujours là. N’allez-vous pas un peu vite en besogne?

Elisabeth Lévy: Un titre, c’est à la fois un raccourci, une exagération et une coquinerie. Celui-ci répondait au Monde diplomatique qui proclamait le mois dernier sous la plume de Frédéric Lordon «La gauche ne peut pas mourir» (à mon humble avis, tout ce qui est historique peut mourir, mais passons). Certes, il existe toujours un camp politique qui s’appelle «la gauche», quoi qu’il ne soit pas très en forme. Mais il est intellectuellement et idéologiquement moribond: quel référent peut bien désigner un signifiant revendiqué par Najat Vallaud-Belkacem et Jean-Pierre ChevènementBernard-Henri Lévy et Emmanuel ToddJean-Luc Mélenchonet Michel Sapin ? Le mot «gauche» est devenu une sorte de mantra, un totem qu’on s’arrache en jouant à «plus à gauche que moi tu meurs», d’où la traque permanente des imposteurs et hérétiques qui trahissent la «vraie gauche». Mais le mot «chien» ne mord pas et le mot «gauche» ne crée pas de justice.

Cependant, des millions de gens se disent encore de gauche: il doit bien y avoir un noyau rationnel?

Il reste surtout un habitus existentiel, un sentiment d’appartenance, de plus en plus fragile d’ailleurs: raison pour laquelle on ne peut plus deviner au premier coup d’œil si quelqu’un vote à gauche ou à droite. Quant au noyau rationnel, il est maigrelet – et problématique. Ayant (heureusement) renoncé à la révolution, la gauche continue à croire au sens de l’Histoire. Mais ce progressisme messianique ne vise plus que l’extension illimitée des droits des individus: chacun fait ce qui lui plait dans un monde sans frontières. Tout ce qui contribue à abattre les structures anthropologiques, tout ce qui conspire à détruire l’héritage, est célébré comme une avancée et ceux qui s’y opposent dénoncés avec force épithètes dont je vous fais grâce. Le pire, c’est que la gauche feint d’organiser un mystère qui la dépasse: elle croit être le parti du mouvement, alors qu’elle se contente de le suivre, ce mouvement.

Ne parlez-vous pas plutôt de la gauche morale que Philippe Muray qualificait de «rebellocrate»? Justement, vous étiez vendredi à Blois pour débattre avec Marcel Gauchet et Aymeric Caron sur le thème des rebelles.

Malheureusement, Aymeric Caron s’était trompé d’heure (et c’est vrai): c’est la première fois qu’il me manque. Bien sûr, ce que vous appelez la «gauche morale» n’est pas toute la gauche. J’ai évoqué la gauche de gouvernement, qui mène peu ou prou, comme la droite du même nom, «la seule politique possible». Par ailleurs, il y a des individus, des groupes ou des cercles qui, à défaut de proposer des alternatives convaincantes (mais je peux me tromper), ont le mérite d’observer la réalité telle qu’elle est. Et nous leur donnons largement la parole dans ce numéro. Si je m’intéresse à ce que vous appelez la «gauche morale», c’est parce que son pouvoir culturel, et plus encore médiatique, est sans commune mesure avec son poids réel. Le peuple de gauche ou ce qu’il en reste n’aime pas plus que celui de droite les fanfreluches sociétales qui enchantent le bobo de gauche et de droite – qui est conforté par les protestations des ploucs. La gauche morale a accouché de la gauche rebelle, mot remis au goût du par ces Rendez-vous de l’Histoire de Blois. La rébellion, c’est précisément ce qui reste de la révolution à l’âge de l’individu et de Canal +. Ce qui donne le sentiment de vivre dans un asile de fous, c’est qu’aujourd’hui, le rebelle est au pouvoir. Plus il est minoritaire, plus il se sent légitime pour décider ce qu’il convient de penser, plus il est hargneux avec ceux qui ne pensent pas comme lui. Ce rebelle dominant, oxymore qui rappelle les «anarchistes couronnés» d’Antonin Artaud ou les délicieux «mutins de Panurge» de Philippe Muray (upgradés ensuite en «matons de Panurge)- résume le mensonge dans lequel la gauche est engluée: elle cumule les gratifications de la subversion et le confort de l’institution. Ainsi parvient-elle, en dépit de son discrédit croissant, à rester l’arbitre des élégances morales, décider de quels sujets on peut parler et qui peut en parler. Hégémonique et minoritaire, cela finit par poser un problème démocratique, non?

Tout de même, la gauche est historiquement le parti du Tiers-Etat, c’est-à-dire aujourd’hui celui des plus faibles…

Ah oui, il paraît que la preuve que le président n’est pas de gauche, c’est qu’il n’aime pas les pauvres – les sans-dents. Deux siècles de révolutions, de luttes sociales, de controverses doctrinales, pour en arriver à expliquer que la gauche aime les pauvres – c’est sans doute la raison pour laquelle les pauvres ne sont pas de gauche (eux non plus n’aiment pas les pauvres). Ce sont les pauvres qui, comme chacun sait, résident en masse dans les centres de Paris, Lyon ou Bordeaux qui fournissent à la gauche de gouvernement ses dernières citadelles électorales. Alors peut-être ferait-elle bien d’aimer un peu moins les pauvres et de les écouter un peu plus. En réalité, la gauche d’aujourd’hui n’aime pas les pauvres, elle aime l’Autre, et elle l’aime d’autant mieux qu’elle le croise peu. Résultat: abandon de la nation, abandon du peuple. Ce n’est pas avec ce programme qu’elle va reconquérir les classes populaires.

N’est-ce pas un peu caricatural?

Je vous concède que ce diagnostic est au moins partiel. Il y a bien entendu des penseurs – et même des responsables politiques – qui refusent de communier dans le mépris d’un peuple qui ne veut pas disparaître dans le métissage planétaire – ce qui n’a rien à voir avec le racisme dont on l’accuse en bloc. Ceux-là tentent héroïquement de refonder la gauche en posant la question des frontières, mot très mal porté dans leur camp. Je pense à la nébuleuse qu’on appelle «Gauche républicaine» et, dans le champ intellectuel, à Christophe Guilluy, Jacques Julliard et à Jean-Claude Michéa, même si ce dernier se réclame du socialisme et non de la gauche, mais aussi à Lordon qui a au moins le mérite de la cohérence: «Être de gauche, dit-il, c’est refuser la souveraineté du capital» et cette lutte, poursuit-il, doit être menée au niveau national. Les moyens qu’il a en tête pour y parvenir me semblent assez effrayants, car ils consistent d’abord à désigner les «ennemis du peuple» – et je suis attachée à la liberté économique autant qu’à celle des mœurs et de la pensée. Reste que la liberté sans limites, c’est la jungle, et que des millions de citoyens qui sentent que les manettes ont échappé à leurs élus réclament une nouvelle régulation – qui pourrait s’exercer au niveau européen. Mais le logiciel de la gauche au pouvoir, c’est toujours plus d’Europe et toujours plus d’ouverture. Emmanuel Macron a raison de vouloir alléger les contraintes bureaucratiques et administratives qui pèsent sur l’activité économique. Tant qu’on ne remettra pas en cause le paradigme du sans-frontiérisme, cela améliorera peut-être le sort des ouvriers chinois ou polonais. Les ploucs aimeraient bien que le gouvernement de leur pays s’occupe d’abord de leurs problèmes. Rien que des égoïstes aux idées rances, on vous dit.

Peut-être, mais cette politique n’est pas l’apanage de la gauche – on lui reproche assez d’être de droite. Dès lors qu’on ne sait pas vraiment ce que signifie être «de gauche», pourquoi dites-vous souvent que la seule chose dont vous soyez sûre, c’est que vous ne l’êtes pas?

Une partie de la réponse est dans votre question: je ne me détermine certainement pas sur les programmes économiques que séparent surtout des différences rhétoriques – même si la rhétorique de gauche («mon ennemi c’est la finance», «qu’ils s’en aillent tous») m’exaspère particulièrement. Mais je ne me sens pas particulièrement «de droite». Tout d’abord, on ne peut pas dire que la santé doctrinale, intellectuelle et politique de la droite soit plus brillante que celle de la gauche. Et elle est, comme elle, un foutoir idéologique. Cependant, il y a une différence fondamentale. Dans le fond, être de gauche, c’est avoir raison. Pour des raisons essentiellement historiques, la droite ne prétend pas incarner le Bien, au contraire, elle a en quelque sorte intégré son infériorité morale. Aussi, quelles que soient ses tares et ses turpitudes, la droite est-elle- spontanément plus pluraliste, moins sectaire, moins fanatique que la gauche. L’inquisition d’aujourd’hui est de gauche.

Une fois de plus vous exagérez!

Ah bon? Voulez-vous la liste des gens qui ont perdu un boulot ou des contrats parce qu’ils s’étaient déclarés contre le mariage gay ou qu’ils avaient signé le «Manifeste des 343 salauds» contre la pénalisation de la prostitution de Causeur? On peut évidemment professer sur ces deux sujets des opinions contraires. L’ennui, c’est que certains points de vue (parfaitement légaux) sont frappées d’interdit. On ne les discute pas, on les criminalise. Du coup, beaucoup de gens finissent par cacher ce qu’ils pensent: un «dérapage machiste», c’est-à-dire un compliment un peu lourdingue, peut vous flinguer une carrière. Comment pouvons-nous tolérer une telle régression? On rétablit le délit d’opinion et permettez-moi à ce sujet de vous faire part d’une petite déception amicale. Le Figaro a le droit de préférer Ludovine de la Rochère à Frigide Barjot et peut-être n’est-ce même pas le cas. Mais comment pouvez-vous accepter sans protester que celle-ci et sa famille soient expulsés de l’appartement qu’ils occupaient en toute conformité avec le bail qu’ils avaient signé, simplement parce qu’elle a été la principale initiatrice de l’opposition à la loi Taubira? La RIVP c’est-à-dire la ville de Paris, propriétaire de l’appartement en question, a découvert de graves irrégularités après plus de vingt ans, et trois jours après la plus massive desManifs pour tous, c’est une plaisanterie? La gauche a hurlé au fascisme quand une famille de Kosovars a été expulsée après avoir bénéficié de toutes les possibilités de la loi et vous, vous tolérez ce déni de justice! Pour la presse de gauche, ce n’est pas une famille qui se retrouve à la rue, c’est une famille de droite. Et pour vous, elle n’est pas assez à droite? Quoi qu’il en soit, voilà pourquoi je suis «pas de gauche»: la gauche fait peser une menace réelle sur la liberté de penser. La droite ne la défend pas assez à mon goût. C’est tout de même moins grave.

Mais enfin, vous ne pouvez pas nier que vos idées progressent dans la société?

Encore faudrait-il préciser lesquelles car j’ai du mal à me reconnaître dans les quelques mots par lesquels la gauche médiatique désigne une hydre néo-réactionnaire à cinq ou dix têtes (Dans Libération ce week-end, la short-list était réduite à SoralZemmour et votre servante, vous conviendrez que cet attelage est pour le moins baroque). Cela dit, vous avez raison: dans les représentations collectives, la suprématie morale de la gauche est en train de décliner, son pouvoir culturel finira par suivre. Je ne suis pas sûre que ce qui viendra après me plaira beaucoup plus, mais on n’en est pas là. Pour l’instant, le monde est plein d’idées de gauche devenues folles. Le camp de la liberté prononce des interdits, les adeptes de la transparence luttent contre l’Etat policier et les champions de l’égalité suppriment les bourses au mérite. Ce sont ces idées qu’il faut combattre. Encore faudrait-il que le combat se déroule à la loyale…

Est-ce finalement la victoire culturelle de Causeur et plus largement de tous ceux que cette gauche, convaincue d’appartenir au «camp du bien», relègue un peu facilement dans «le camp du mal»?

Pour tout dire, j’aimerais que cette victoire culturelle que vous nous prêtez aimablement, se transforme en succès commercial! J’avoue que les calomnies répétées en boucle («un journal de fachos», un «torchon») par des gens qui ne l’ont jamais ouvert et qui, ainsi, en dissuadent d’autres de l’ouvrir, sont parfois décourageantes. Le problème – et je l’espère le charme – de Causeur, c’est que nous n’appartenons à aucun camp. Notre seul parti, c’est celui de la complexité. Nous sommes immunisés contre tout embrigadement, ne serait que-ce que parce que nous avons d’innombrables désaccords entre nous. Nous critiquons de nombreux aspects du monde qui vient, par exemple son horizontalité, mais ne voudrions pour rien au monde revenir à celui des hiérarchies figées. Je déteste que l’on touche au socle anthropologique qu’est la différence des sexes, mais je n’ai aucune nostalgie pour la famille patriarcale ni pour l’âge d’avant la contraception et l’IVG – tout en respectant ceux qui y sont opposés. On me dit qu’on ne mobilise pas avec des nuances, des ambiguïtés, des contradictions. Mon ambition est au contraire de mobiliser tous ceux qui se régalent des tours et détours de la conversation, du choc des arguments, de la bataille des idées. Bref tous ceux qui aiment, comme le suggérait Montaigne, frotter leur cervelle contre celle d’autrui.

Post Scriptum, 16 de gener del 2017.

Elisabeth Lévy ha estat entrevistada per Le Figaro el proppassat 7 d’aqueix mes a propòsit del segon aniversari de la massacre gihadista de Charlie Hebdo essent el titular: “Derrière le terrorisme, la sécession culturelle d’une partie de l’islam de France”:

Le dernier numéro de Causeur s’intitule, «Au coin de la rue la charia». En photo, une femme entièrement voilée. Pourquoi cette couverture choc? Ne cédez-vous pas à une forme de sensationnalisme?

Elisabeth Lévy: Ce serait sensationnel si ce n’était pas réel! Or, cette photo n’est pas un montage, elle a été prise à Paris il y a quelques années et depuis, ce genre de présence fantomatique est devenu encore plus courant dans certains quartiers, lisez Rue Jean-Pierre Timbaud, de Géraldine Smith. Et si on peut voir cela dans le centre de la capitale, imaginez ce qui se passe dans nombre de nos banlieues, la loi des Frères devient la règle. Comme le montre notre reportage à Sevran, effectué dans la foulée de celui de France 2, les femmes sont amenées à se cacher toujours plus, et, finalement, à limiter leur présence dans l’espace public au strict minimum, soit par conviction, soit pour avoir la paix. Nous n’avons pas choisi une image violente, qui suscite la peur, mais une image devenue banale. Et ce qui fait peur, c’est qu’elle soit banale.

Peut-être, mais les femmes voilées ne menacent pas la sécurité publique…

Oui, mais vous vous trompez lourdement en postulant que nous avons d’abord un problème de sécurité. S’il nous fallait seulement neutraliser quelques milliers de djihadistes violents, on y arriverait. Mais il n’y a pas un mur étanche entre l’islamisme pacifique et l’islamisme violent. Et aussi douloureuses soient les pertes que nous inflige le terrorisme islamiste, ce n’est pas lui qui menace à long terme la cohésion et l’existence même de notre pays, c’est la sécession culturelle dans laquelle est engagée une partie de l’islam de France et d’Europe. Le problème n’est pas seulement l’arbre mais la forêt dans laquelle il a grandi, cette contre-société islamiste qui s’est constituée au fil des ans, vit dans un entre-soi que brisent seulement les impératifs du travail et voue une hostilité croissante au mode de vie majoritaire. Pendant ce temps, le président nous complimente comme si nous étions des enfants, pour être restés bien gentils les uns avec les autres. Admettez que c’est un peu court.

Après tout François Hollande a raison de se féliciter que la France soit restée unie…

Eh bien pendant que François Hollande se félicite, que d’autres proclament que nous ne céderons pas et que d’autres encore font la chasse aux islamophobes, un nombre croissant de quartiers passent sous la férule d’une idéologie séparatiste érigeant une barrière entre purs et impurs, fidèles et kouffars, putes et soumises, des enfants juifs sont exfiltrés de l’école publique (pour leur sécurité, bien sûr), des collégiennes condamnées au jogging informe, des lycéens obligés d’observer le ramadan ou de faire semblant, des populations entières contraintes de se soumettre à la loi des Frères, au nom de la solidarité entre musulmans supposée prévaloir sur toute autre allégeance. Sans oublier les caricatures qu’on n’ose plus publier, les vérités qu’on n’ose plus dire, les libertés qu’on n’ose plus exercer. Or, ce que nous avons découvert, c’est que cette emprise s’exerce non seulement dans certains territoires mais aussi dans certains milieux comme le foot amateur, dans certaines entreprises: permettez-moi d’attirer votre attention sur l’enquête passionnante qu’Olivier Prévôt, auteur et critique cinéma de Causeur décédé le 25 décembre, consacre à la RATP. On y voit comment l’heureuse politique des grands frères, assaisonnée de lamento victimaire, a permis d’installer les salafistes dans la place. Et le jour même où notre numéro paraissait, on apprenait de Jean-Claude Lagarde que la fermeture de PSA à Aulnay avait été en partie due à la volonté d’échapper aux revendications islamistes.

N’exagérez-vous pas l’ampleur du problème? Tout cela est très impressionniste…

Les témoignages de professeurs enseignant dans les «territoires perdus de la République» sur l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie d’un grand nombre de leurs élèves, en 2002, n’étaient pas impressionnistes. Ceux que nous publions sur la RATP, les stades, l’exclusion des femmes non plus. Pas impressionnistes non plus, les travaux de Kepel ou ceux du chercheur Tarik Yildiz que nous interrogeons dans ce numéro. D’ailleurs, quand bien même ils le seraient, si autant d’impressions convergent, cela doit avoir un sens, non? Même la sociologie découvre la lune après avoir déployé toute son énergie à dénoncer le doigt, tout comme ces prétendus savants et autres idiots utiles de l’islam politique qui répétaient que le problème ne venait pas de l’antisémitisme mais de ceux qui le dénonçaient, pas du séparatisme musulman mais du racisme français, pas de l’islam mais de l’islamophobie. Le soir du 7 janvier 2015, après l’attentat de Charlie Hebdo, Edwy Plenel et Laurent Joffrin expliquaient que le problème de la France s’appelait Finkielkraut, Zemmour ou Houellebecq.

D’accord, mais les éditos de Plenel ou Joffrin ne sauraient constituer une anti-preuve…

Si cela ne vous suffit pas, en deux ans on a publié plus de témoignages, d’enquêtes, de reportages, d’études, de sondages sur l’islam radical et ses diverses manifestations, que durant les treize années précédentes. Le tableau d’ensemble est de moins en moins conjectural et de plus en plus effrayant. Ce n’est pas une infime minorité mais une fraction notable (entre un quart et un tiers selon les critères retenus) des musulmans français qui n’habitent plus mentalement le même temps et le même espace que nous. Beaucoup d’autres musulmans sont les premiers surpris et l’effroi de certains responsables comme Tareq Oubrou, Kabtane et d’autres, qui ont pourtant constitué la première génération islamiste, n’est pas feint, devant le monstre qu’ils ont enfanté ou laissé prospérer – une jeunesse en colère née dans un pays qu’elle dit exécrer et qui divise le monde entre «eux» et «nous», le «eux» comprenant l’essentiel de ses compatriotes. Alors non, je ne crois pas que nous exagérions le problème.

Comment en est-on arrivé là?

Difficile de résumer l’incroyable accumulation de bons sentiments dévoyés, de complaisances intéressées, de lâchetés inavouées, d’aveuglement volontaire et d’une énorme dose d’imbécillité à visée électoraliste, qui a permis à cet islam de s’implanter, souvent avec l’aide de l’argent public. Il faut remonter au tournant idéologique des années 1980. La droite ayant ouvert les vannes à l’immigration de masse, la gauche, se trouvant fort dépourvue quand la bise individualiste et libérale fut venue, recycla alors les immigrés en damnés de la terre avec l’antiracisme en guise de lutte des classes et l’exaltation des différences comme mantra. Ces excellentes intentions antiracistes ont finalement empêché les nouveaux arrivants de s’assimiler et même de s’intégrer. La mise en musique de ces sottises idéologiques a été réalisée par un clientélisme local parfaitement œcuménique sur le plan politique, qui assignait les descendants d’immigrés à leur culture d’origine puisque c’est cette assignation qui permettait d’obtenir leurs voix. Ainsi a-t-on recruté les barbus dans des structures locales associatives ou parapubliques, qui leur ont permis de quadriller les quartiers avec des animateurs acquis à la cause. Ensuite, la pression a fait le reste. Selon le vieil adage, les plus gênés s’en vont et une fois qu’on est entre musulmans ou presque, la conception la plus étroite c’est-à-dire celle qui permet le plus facilement au croyant d’enquiquiner ses contemporains s’impose à tous.

En somme, c’est arrivé sans que personne ne le veuille?

Je ne dirais pas tout-à-fait cela. Chez beaucoup, l’idéologie a agi comme un voile qui les empêchait de voir ce qui se passait: la jeunesse immigrée était victime des Dupond Lajoie et autres beaufs franchouillards, quand elle sombrait dans la délinquance c’était bien normal à cause du racisme si répandu. Mais d’autres n’ont pas l’excuse de l’inconscience ou de l’aveuglement. Il y a en France un parti de l’islam, que Finkielkraut appelle justement le parti de l’Autre, qui s’est prêté à toutes sortes d’accommodements avec «les Frères», représentants de la «religion des pauvres», comme disait Emmanuel Todd, non pas par cynisme électoral mais parce qu’il comprend, dans le fond, que seul l’islam pourrait effectivement le débarrasser de ce peuple qui vote de plus en plus mal et demeure, on se demande pourquoi, rétif aux séductions très relatives du multiculturalisme réel. Ramadan, les Frères musulmans de l’UOIF, et plus encore leurs alliés de l’islamo-gauche, comme Edwy Plenel ou Clémentine Autain et pas mal d’autres ont clairement encouragé la sécession que j’ai évoquée en lui fournissant des visages présentables, une panoplie idéologique de légitimation et des relais médiatiques. Et ce sont les mêmes qui ont seriné aux jeunes nés sur notre sol que nous étions coupables de tout et eux responsables de rien. On ne saura jamais à quel point ce discours victimaire a contribué à faire haïr la France par des Français.

Il y a tout juste deux ans, les attentats de Paris contre la rédaction de Charlie Hebdo puis l’Hypercacher ensanglantaient la France. Depuis rien n’a changé?

Si évidemment! Maintenant non seulement tout le monde voit mais on a le droit de dire. Même dans Le Monde, qui a publié cette semaine une excellente enquête sur Stains où l’imam, très républicain, n’a pas vu que sa mosquée était un vivier de recrutement pour l’EI. Et même à France Télévision où on a pu voir au 20 heures de David Pujadas, le reportage sur Sevran dans lequel on voit un patron de bistrot lancer «Ici, c’est le bled!» (comprenez qu’il est normal qu’on n’y voie pas les femmes). Aujourd’hui, seule une minorité continue à nier le problème et à radoter sur les méchants islamophobes qui sont à l’origine de tout le mal. Même la lutte sacrée contre le populisme fait de moins en moins recette. Quoi qu’on pense du FN, il est difficile de prétendre qu’il est plus dangereux pour la République que l’islam radical.

Les propos de Vincent Peillon qui compare les musulmans aux juifs des années 30 laissent penser que l’influence politique des islamo-gauchistes n’a jamais été aussi grande …

Ah bon, expliquez-moi en quoi. Ce qui prouverait que cette influence est grande, c’est que Vincent Peillon gagne la primaire – et l’élection présidentielle. On n’en est pas là et quelque chose me dit au contraire qu’il risque de payer fort son ânerie historique et politique. Reste une aberration que je ne m’explique pas. Sauf à croire que les électeurs de gauche vivent dans un monde enchanté protégé de tous les maux de l’époque, je ne comprends pas que les candidats à la primaire cherchent à flatter une fibre multiculti qui est plutôt chancelante, même chez les meilleurs croyants. Et s’il semble que Manuel Valls conserve un certain socle électoral, je suis convaincue que la fermeté qu’on lui prête face à cet islam y est pour beaucoup.

Sur le plan intellectuel, certaines digues ont sauté. En revanche, sur le plan politique, c’est toujours le règne de l’impuissance …

Sur le plan intellectuel, il est urgent d’améliorer notre connaissance objective des faits et d’y réfléchir calmement, sans minimiser ni exagérer. L’enquête CNRS/CEVIPOF en chantier ainsi que d’autres travaux devraient nous y aider. Seulement, plus on sait qu’il faut agir, moins on sait comment agir. En effet, les enjeux sécuritaires sont infiniment moins complexes que les fractures culturelles et idéologiques. On peut traquer des criminels, couper leurs sources d’approvisionnement et de financement, les juger, les condamner ou les abattre. On peut combattre les discours de haine, en tout cas quand ils sont tenus publiquement, même si c’est plus compliqué et en grande partie vain. En revanche, on ne sait pas comment lutter contre les idées fausses qui s’emparent de certains esprits. Ou plutôt on sait que c’est une guerre de trente ans qu’il faudrait mener sans relâche sur tous les fronts où se fabrique l’esprit public: école, université, médias, justice. Tout en s’employant par ailleurs à réduire le plus possible des flux migratoires que plus personne n’est aujourd’hui en état d’accueillir, ni les issus-de ni les de-souche.

Vous écrivez, «on ne saurait tout attendre des gouvernants ou de la loi». Mais les Français victimes de cette terreur lente, souvent les plus pauvres, attendent que l’Etat les protège …

Il ne vous a pas échappé que nous entrons en campagne électorale? Par ailleurs, il paraît que nous vivons dans le monde merveilleux des réseaux sociaux et de la participation citoyenne. Alors, que la majorité silencieuse profite de ces quelques mois où on va la courtiser pour faire savoir à ceux qui briguent ses faveurs ce qu’elle veut – en l’occurrence rester un peuple, un peuple, divers, et même chatoyant, accueillant aux individus, mais qui n’entend pas accueillir un autre peuple, poursuivant un autre projet, et encore moins un contre-peuple poursuivant un contre-projet. Les Français, y compris musulmans, veulent que l’islam s’adapte à la République, pas le contraire.

Vous expliquez que la reconquête des territoires perdus ne se fera pas par la force. Mais le recours à l’autorité de l’Etat et du politique, y compris en prenant le risque de nouvelles émeutes, n’est-il pas le meilleur moyen d’éviter à terme la guerre civile que certains redoutent?

Quand la sécession prend des formes violentes, l’Etat doit répliquer par la force et, de mon point de vue, en faisant un tout petit peu moins de chichis – d’ailleurs c’est déjà le cas avec l’assouplissement des règles de tir pour les policiers. Je ne vois pas aujourd’hui de foyers d’émeutes tels que vous semblez les décrire, mais si des événements du type de 2005 devaient se reproduire, j’espère que la réaction serait rapide et ferme. Cependant, pour l’essentiel, la sécession qui met la République au défi est en apparence, sinon pacifique, du moins non-violente. C’est dans les esprits qu’il faut mener la reconquête des territoires perdus – ce qui veut dire à la dure, sans céder sur ce que nous sommes, pas par la force. Nous ne gagnerons pas cette guerre si la majorité silencieuse des musulmans ne choisit pas bruyamment la loi de la République contre celle des «Frères» et la majorité silencieuse le restera tant qu’elle aura plus peur du jugement des siens que besoin de l’approbation de ses concitoyens. Surtout, ne laissons pas tomber ceux et surtout celles qui, dans les quartiers, refusent de céder. Salman Rushdie dit que, si la fatwa contre lui était prononcée aujourd’hui, il serait beaucoup moins soutenu qu’à l’époque. Je veux croire qu’il se trompe et que nous sommes collectivement déterminés à résister, calmement mais fermement, à l’emprise islamiste. Faute de quoi, dans quelques décennies, on recensera les quartiers de France où il est permis de se promener en mini-jupe et de s’embrasser dans la rue.

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