Jaume Renyer

per l'esquerra de la llibertat

26 de juny de 2016
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Pierre-André Taguieff i la “primavera occidental”

El politòleg francès Pierre-André Taguieff (tants cops esmentat en aqueix bloc)  va concedir una llarga entrevista al digital d’orientació liberal Atlantico el proppassat 12 de juny, en la qual analitza de manera conjunta els fenòmens polítics emergents a les societats occidentals convencionalment anomenats populismes que posen en qüestió les formes d’organització i participació institucional conegudes d’ençà de la Segona Guerra Mundial.

Podríem estar davant una “primavera occidental”, (aqueix símil és de collita pròpia) de contingut i resultats ben diferents a les fallides “primaveres àrabs“, però amb un punt en comú: la revolta pacífica, (de moment), dels ciutadans contra les elits que ens governen.

Donald Trump, Marine Le Pen, els euro-escèptics que han assolit el triomf al referèndum del Regne Unit per sortir de la UE, són objecte de les seves respostes aplegades al significatiu títol: “Du Brexit à la presidentielle française en passant par l’élection américaine, la vengeance des peuples contre leurs élites sera-t-elle un plat qui se menge froid … ou très chaud”:

Atlantico : L’essor des discours hostiles aux élites et au système rencontre un écho particulier chez les populations occidentales : que ce soit aux Etats-Unis avec Donald Trump ou en France avec Marine Le Pen, voire aussi chez les partisans d’un Brexit. Pourquoi en sommes-nous arrivés à un tel degré inédit d’opposition entre le peuple et les élites ? Quels exemples l’illustrent le mieux selon vous ?

Jacques Sapir : La montée du populisme est un phénomène assez ancien, qui traduit une profonde fracture entre le peuple et les élites. Cette fracture s’enracine dans plusieurs sentiments.

Il y a, bien entendu le sentiment dans la population que ses élus, et globalement les milieux politiques, constituent une “caste” aux intérêts séparés et contradictoires avec ceux de la population.

La pratique d’un “entre soi” condescendant, au sein des politiques, les collusions évidentes avec le monde des affaires, mais aussi ceux du spectacle et du journalisme, accrédite l’idée que l’on est en présence d’une “caste” au mode de vie particulier et séparé du reste de la population. C’est le schéma traditionnel sur lequel se développe le populisme à travers la représentation de deux mondes opposés : “eux” et “nous”. Cette représentation renvoie, en particulier dans l’imaginaire politique en France, à la coupure symbolique d’avant 1789 entre noblesse et tiers-état. C’est aussi l’opposition entre un “peuple” travailleur et une “élite” corrompue, que l’on retrouve aux Etats-Unis entre “Capitol Hill”, assimilé à la noblesse britannique et l’américain moyen qui se représente comme le descendant légitimes des “insurgents”.

Mais, à cette image est venue se superposer une autre : celle d’une élite technocratique qui dépossède les électeurs de leur pouvoir et qui conduit le pays progressivement vers la tyrannie. Cette nouvelle image devient aujourd’hui de plus en plus prégnante en Europe. Il y a des raisons objectives à cela. La confiscation du vote des électeurs français et néerlandais lors du référendum de 2005 par exemple, et plus généralement le fait que la voix du peuple est de moins en moins écoutée.

Il est aujourd’hui évident que l’Union européenne concentre une large part du ressentiment contre les “élites”. Les partis populistes, d’ailleurs, se positionnent essentiellement en critique ou en opposition à l’UE. Mais, la montée de ces partis s’explique aussi, et il ne faut pas l’oublier, par les dérives anti-démocratiques que l’on observe dans ces différents pays.

Pierre-André Taguieff : Il faut être clair sur cette question embrouillée, en commençant par distinguer la révolte de “ceux d’en bas” (la nouvelle “plèbe”) contre les élites dirigeantes (celles du pouvoir politique comme celles de la richesse), la contestation des élites en place par les élites montantes et le rejet global du “système”, jugé verrouillé, par une masse transclassiste qu’on peut appeler “le peuple”. Dans les trois cas, c’est la défiance qui constitue la passion dominante des révoltés ou des protestataires, ce qui accélère la perte de sens du clivage droite-gauche, au grand désespoir des sondologues professionnels qui, oracles sans inspiration et à courte vue, ne savent parler que la langue sondagière. Mais l’absence de confiance affecte également les rapports entre les citoyens ordinaires. Dans les sociétés contemporaines fragmentées, la confiance, condition de toute vie sociale, s’est elle aussi communautarisée.

Aujourd’hui, l’offre politique anti-élitaire répond directement et avec efficacité à la demande sociale, en Europe comme aux États-Unis. Et cette offre anti-élitaire ou anti-système se rencontre aussi bien à gauche qu’à droite, et bien sûr aux extrêmes. Aussi différents soient-ils, les nouveaux leaders sont tous protestataires et transgressifs. Leur démagogie est celle de la transgression, de la provocation et de l’outrance, fondée sur la subversion des codes de langage ou de comportement : il s’agit pour eux de marquer fortement un écart par rapport au type politique normalisé. Ils peuvent donc se plaindre d’être diabolisés par leurs adversaires, tout en se gardant d’une dédiabolisation trop réussie qui les priverait de leur attractivité. C’est la condition de la séduction qu’ils exercent. Ils se distinguent en cela des leaders formatés et conformistes en quête de respectabilité, ce qui les rend insipides.

En dépit de l’usure du terme, mis à toutes les sauces depuis le début des années 1990, on peut caractériser les nouveaux leaders anti-système comme populistes. Si l’on considère la posture des leaders, le populisme peut être défini comme un style politique, compatible avec n’importe quel contenu idéologique, impliquant l’appel direct au peuple, le rejet des médiations et la critique des élites en place. À cela s’ajoute la promesse d’un changement, geste rhétorique que les leaders populistes partagent avec tous les leaders politiques modernes. Mais ils se distinguent de ces derniers en ce qu’ils sont dotés d’une autorité charismatique, expliquant qu’ils soient admirés ou haïs avec autant d’intensité. Le populisme de l’offre entre désormais en résonance avec le populisme de la demande. Dans les pays européens, il implique un rejet diversement affirmé de l’Union européenne, érigé en modèle-repoussoir de la dictature des élites déterritorialisées, formant aux yeux des “petits”  une caste de bureaucrates/technocrates ou de financiers amoraux.

Il faut distinguer ensuite la pathologie de la démocratie représentative, perçue comme confisquant la volonté des citoyens et leur interdisant de prendre la parole, du malaise dans l’État-nation, contesté et affaibli autant par les forces mondialisatrices que par les forces identitaires ou communautaires infra-nationales (qui peuvent être en même temps transnationales, comme l’islamisme sous toutes ses formes). Ce qui caractérise la situation présente, c’est le fait que la révolte contre la confiscation de la démocratie tend à se confondre avec le projet de faire revivre la souveraineté nationale, de lui redonner un sens. L’utopie du cosmopolitisme postnational, à laquelle les élites occidentales installées se sont globalement ralliées, se heurte désormais à une forte contestation populaire ainsi qu’à une critique sans complaisance venue des élites émergentes. La vague europhobe en fournit une illustration. De là, ce que j’ai appelé dans l’un de mes livres récents la “revanche du nationalisme”, qui commence par la revanche des nations, oubliées, négligées ou méprisées, et taxées d’impuissance par les arrogants de la mondialisation heureuse.

Les liens entre la démocratie moderne et la nation ont été parfaitement caractérisés par Raymond Aron : “La nation a pour principe et pour finalité la participation de tous les gouvernés à l’État. (…) Renier la nation moderne, c’est rejeter le transfert à la politique de la revendication éternelle d’égalité.” Il faut choisir entre la nation comme communauté de citoyens et la société de castes. Ce qu’on appelle aujourd’hui “populisme”, souvent de façon confuse et polémique, c’est notamment, au sens positif du terme, le rappel de l’exigence d’égalité entre les citoyens et celui du principe de la ressemblance entre les gouvernants et les gouvernés, souligné naguère par John Stuart Mill.

C’est ce double rappel qu’on rencontre, selon des modalités différentes et avec des accents démagogiques (le “mauvais” populisme), chez Donald Trump et chez Bernie Sanders aux États-Unis, chez Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon en France, chez Virginia Raggi en Italie. La posture anti-élitaire est illustrée en Espagne par les gauchistes de Podemos, en Grande-Bretagne par les partisans du “Brexit” et en Autriche par le FPÖ qu’incarne Norbert Hofer. Dans tous les cas, l’opposition entre le peuple et les élites (supposées être les bénéficiaires du “système”) tend à se substituer aux vieux clivages, et, se traduisant par l’appel direct au peuple, bouleverse le champ politique institutionnel : les vieux partis sont divisés, affaiblis et menacés de disparaître s’ils ne s’adaptent pas à la nouvelle donne. Encore faut-il s’entendre sur ladite adaptation : elle peut aller d’un simple badigeonnage sous la direction d’un metteur en scène habile à la refonte complète impliquant de la sueur et des larmes, sinon du sang.

La prévalence de l’opposition entre le peuple et les élites produit un brouillage du paysage idéologique conventionnel. Réactionnaires, conservateurs, réformistes, révolutionnaires : désormais, les quatre grandes orientations politico-philosophiques se chevauchent, s’entrecroisent, se confondent dans certains cas, ce dont témoigne la banalisation de certains oxymores (comme  “conservateur progressiste”, “socialiste libéral”, etc.). Le rejet de la mondialisation destructrice et des élites illégitimes fédère les adversaires d’hier. Mais ce front commun conjoncturel n’équivaut pas à un projet politique.

Existe-t-il un dénominateur commun aux “élites” dénoncées partout en Occident, tant sur le plan des méthodes employées que de l’idéologie qu’ils véhiculent ? Si les élites devaient se remettre en question, que devraient-elles changer pour retrouver la confiance du peuple ?

Jacques Sapir : La montée d’un pouvoir à la fois technocratique, qui entend substituer des choix “techniques” aux choix politiques, mais aussi oligarchique, ce que l’on constate avec la crise des classes moyennes et l’ouverture de l’écart entre les plus riches et le reste de la population est le grand dénominateur commun des élites modernes.

Elles sont fondamentalement oligarchiques dans leurs intérêts, mais elles dissimulent cela derrière un discours qui se prétend fondé en technique, et ce discours est essentiellement d’apparence économique. J’avais identifié cette évolution dans mon livre de 2002, Les économistes contre la démocratie.

L’abus des techniques de “communication” qui ont remplacé dans les grands partis le discours politique (au sens de la définition du bien commun), la collusion entre les politiques dominants et les journalistes, collusion qui va jusqu’à l’intime – que les politiques se mettent en couple avec des journalistes ou qu’ils livrent à pâture leur intimité aux journalistes – constituent les méthodes de cette élite oligarcho-technocratique.

Idéologiquement, cela s’est accompagné de la transformation du projet européen en une religion dont cette élite s’est constituée tout à la fois le clergé et le bras séculier. Or, cette transformation s’est accompagnée de la prise de mesures qui sont en train de tuer l’Union européenne. Et à cet égard, le rôle de l’Euro a été important. Mais, plutôt que de l’admettre, l’élite se jette à corps perdu dans une fuite en avant européiste dont les conséquences seront catastrophiques. Clairement, elle n’est plus capable de remettre en cause sa croyance religieuse.

La seule manière de sortir de cette situation pour des dirigeants politiques serait de refaire de la politique, non pas tant sur des sujets que l’on dit sociétaux, mais sur le fond : notre rapport à l’UE, le modèle économique et social que nous voulons pour les trente prochaines années, la question des alliances de notre politique étrangère et enfin la question des institutions et de la réintroduction de véritables mécanismes démocratiques. Mais, on doit alors constater qu’il n’y a en France que trois personnes à porter ce discours profondément politique : Marine le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon. Il sera donc des plus instructif de regarder où montera l’addition de leurs voix au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2017.

Pierre-André Taguieff : Ce qu’elles ont d’abord en commun aux yeux de leurs ennemis, c’est la connivence. L’accusation n’est nullement délirante en tant que telle, elle peut se fonder sur des arguments solides, et avancer des preuves empiriques, mais elle peut aussi dériver vers le soupçon plus ou moins paranoïaque, et prendre la forme d’une vision complotiste (“ils s’entendent tous pour nous tromper”, “nous plumer”, etc.). L’accusation de connivence implique l’idée d’une certaine complicité entre les élites dirigeantes, qui se partagent le pouvoir et les richesses. On retrouve la vision d’un “système” avec une scène visible (où se donnent en spectacle les groupes politiques concurrents) et des coulisses (où se nouent des ententes et se trament des complots). Bref, les élites mentent et le “système” est intrinsèquement trompeur : tel est le premier argument polémique.

Les élites dénoncées le sont ensuite en ce qu’elles sont perçues, souvent à juste titre, comme appartenant fondamentalement à une communauté transnationale. Dans la hiérarchie des cercles d’appartenance qui leur est propre (ou qui leur est prêtée), l’appartenance nationale est secondaire. C’est en cela qu’elles violeraient l’un des principes constitutifs de la démocratie moderne, qui suppose le cadre de l’État-nation. Elles apparaissent dès lors comme plus ou moins étrangères aux communautés de citoyens que sont les nations dotées d’un toit étatique. La souveraineté nationale et l’identité historico-culturelle de la nation leur paraissent se réduire à des survivances déplorables d’un passé dépassé. Les “élites mondialisées” sont devenues à la fois étrangères et hostiles aux appartenances nationales. C’est pourquoi elles peuvent être visées par une forme spécifique de xénophobie : le parti des élites devient le parti de l’étranger. Ou encore le parti des traîtres et des déserteurs de la patrie.

Les élites en place sont aussi accusées d’être aveugles, complaisantes ou impuissantes face aux nouvelles menaces pesant sur les nations : d’une part, une immigration massive et incontrôlable, et, d’autre part, ce qui ressemble à une nouvelle conquête musulmane, théorisée par les diverses mouvances islamistes (des salafistes “piétistes” aux djihadistes). Ces deux raisons d’avoir peur et de se défendre prennent une signification plus large, voire un sens tragique, dans un contexte marqué par la crise de l’État-providence et les échecs ou les effets pervers d’une politique fondée sur les droits de l’homme. Sur ces deux fronts, une politique strictement “humanitariste” est impossible, elle est une pseudo-politique, ou, plus exactement, elle relève de l’impolitique, en ce qu’elle méconnaît le fait fondamental, souligné par le philosophe-sociologue Julien Freund, selon lequel ce n’est pas nous qui désignons l’ennemi, c’est l’ennemi qui nous désigne, en dépit de nos “génuflexions, courbettes et autres protestations de bienveillante compréhension”.

Enfin, les élites sont accusées d’être corrompues, ou d’être particulièrement exposées à la corruption. L’impuissance du politique est rapportée à la corruption des élites du pouvoir, supposées être de connivence avec celles de la richesse. Et, ici encore, les faits observables sont accablants et nourrissent la défiance. D’où le retour du vieil argument selon lequel le pouvoir pousse à l’abus du pouvoir. C’est ce qui justifie les appels à des formes de régulation institutionnelles renforcées. Mais les protestataires anti-système se soucient avant tout de remettre en marche une nation échouée sur les bords de la mondialisation, de délivrer un corps national entravé et paralysé. Qu’ils en soient capables est une tout autre affaire.

Il serait aussi vain que ridicule de demander aux élites d’être infaillibles et parfaitement vertueuses : qui oserait exiger des classes populaires qu’elles soient exemplaires dans leur comportement ? Il ne s’agit pas non plus, pour les élites, de plaire au peuple à tout prix, car ce serait pour elles sombrer dans la démagogie le plus pitoyable. Pensons au triste exemple de ces démagogues de tous bords qui recherchent aujourd’hui la popularité en jouant la carte du football, nouvel opium des peuples, en particulier du peuple français. La fonction politique étant désacralisée, les leaders politiques, mi-administrateurs mi-comédiens, cherchent désormais la consécration, hors des urnes, par la fusion dans la masse des supporters. Manière de lancer aux gens ordinaires : “Je suis comme vous”. Mais ils ne le sont pas, et ne trompent que les imbéciles.

Je ne vois qu’un principe pour permettre aux élites de perdre leur figure répulsive : qu’elles se montrent capables d’auto-limitation dans l’exercice de leur pouvoir, en ayant à l’esprit le bien commun. C’est déjà beaucoup leur demander.

Combien de temps cette situation pourra-t-elle durer ? Quelle pourrait en être l’issue en France ?

Jacques Sapir : Il est aujourd’hui évident que la fracture entre l’élite, ce que Jean-Pierre Chevènement appelait “l’établissement” et la majorité de la population est un fait politique majeur.

On n’a pas assez dit en quoi la victoire du “non” lors du référendum de 2005 avait été un premier soulèvement contre cet “établissement”. Désormais, la fracture est profonde. Mais à cela s’ajoute le fait que le pouvoir, Hollande et Valls, est profondément déconsidéré et délégitimé.

Ce pouvoir peut se maintenir par une combinaison de force répressive et d‘artifices. Mais, il sera sans cesse confronté à des révoltes locales. Nous allons vivre des mois très troublés, mais l’élection présidentielle prendra la nature d’un référendum. Si, du moins, on arrive jusque-là.

Pierre-André Taguieff : Je pense que la contestation des élites exprime l’insatisfaction profonde ressentie par la majorité des citoyens des démocraties modernes, qui ne se reconnaissent pas dans leurs dirigeants. Ces derniers, de gauche comme de droite, sont de plus en plus perçus comme des démagogues, disons des orateurs habiles et des imposteurs, ne se souciant nullement du bien commun. Cette perception négative de la démocratie installée (libérale, représentative) se fait en général, du moins pour le moment, au nom des idéaux démocratiques, jugés non réalisés, trahis ou corrompus. C’est la voie de la démocratie directe, multipliant les procédures référendaires, ou celle du populisme, d’un “bon” populisme, entendu comme forme pure du gouvernement du peuple par lui-même, sans médiations. Mais elle peut aussi alimenter un rejet de la démocratie comme type de régime et la quête de modes de gouvernements alternatifs, où, par exemple, le principe d’autorité primerait sur tous les autres. On sait que l’Histoire nous donne le spectacle de l’alternance des démocraties ingouvernables et des régimes autoritaires sacrifiant les libertés individuelles. Sans être probables, les révolutions instauratrices de dictatures ne sont pas impossibles. 

Face au dynamisme des mouvements protestataires et identitaires dans les démocraties occidentales, la piètre imagination des politiques “normaux” ne propose plus qu’une arme rouillée : la stratégie du “cordon sanitaire” (en version française : le “front républicain”), nouvelle ligne Maginot vouée à être percée, renversée, contournée. Ceux qui imaginent, face la “menace populiste”, pouvoir se contenter de museler ou de contenir l’adversaire par des artifices juridiques, des accords cyniques ou le recours à l’intimidation, reconnaissent malgré eux que le dynamisme est dans le camp d’en face. En prenant une posture défensive et en reverrouillant le “système”, on vérifie l’accusation selon laquelle le “système” est verrouillé.

Ce qui est sûr, c’est que l’individualisme libéral, la fragmentation multicommunautariste et l’égalitarisme démocratique convergent pour rendre les sociétés contemporaines ingouvernables. On peut bien sûr espérer qu’il ne s’agit que de dysfonctionnements provisoires, liés à un état de crise. Mais le sentiment d’une menaçante chaotisation du monde est bien là. Face aux minorités actives de toutes sortes, l’autorité politique a les mains liées. Sermonneurs et censeurs veillent et dénoncent au nom des droits de l’homme ou d’un antiracisme instrumental. Dans ces sociétés dites démocratiques où le dirigisme bureaucratique et le prêchi-prêcha “humanitariste” vont de pair avec l’inefficacité, le cynisme et l’incivilité, l’insatisfaction grandissante alimente la contestation permanente. Ce qui reste supportable tant que les affrontements sont ritualisés et ne basculent pas dans la guerre civile. C’est la responsabilité des élites de  prévenir cette dernière, ce qui suppose intelligence des situations, capacité de décision, honnêteté et courage. Cela ne s’apprend pas à l’ENA. C’est pourquoi l’on ne peut se risquer à formuler la moindre prévision. L’avenir reste indéterminé. La croyance aux lendemains qui chantent appartient à la préhistoire de l’âge moderne.

Post Scriptum, 1 de gener del 2019.

Pierre-André Taguieff publica avui a Causeur aqueix article: “Le fond du populisme, c’est sa forme”.

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