Floros à Paris
Text pronunciat a la presentació de la traducció francesa de Der Mensch, die Liebe und die Musik (2000) de Constantin Floros: L’homme, l’amour et la musique (2018, Éditions des archives contemporaines, París). La presentació tingué lloc al Goethe Institut de París, amb la participació de la prof. Grabócz Márta, que va organitzar l’acte; del prof. Damien Ehrhardt; de l’autor, i de mi mateix.
Merci beaucoup aux Éditions des archives contemporaines, à Geneviève Bégou pour la traduction, et merci à Márta Grabócz d’organiser cette présentation et de m’y inviter. Pour une certaine “grande francophonie” entre guillemets de gens de tous les continents pour lesquels le français est une seconde langue de culture, et de laquelle nous Catalans nous sentons très proches, cette traduction est une excellente nouvelle. Pour moi personnellement c’est une grande émotion et un grand honneur de me retrouver assis près de vous deux. Pour moi, les œuvres de Floros et de Grabócz ont été les deux portails qui m’ont introduit à une étude musicologique, donc scientifique, de la signification musicale, chacun à sa façon très différente. En outre, tous les deux m’ont honoré de leur bienvieillance, et m’ont fait sentir toujours invité, jamais exclu.
Avec prof. Floros nous partageons une origine méditerranée et une formation germanique, en particulier à Vienne, où nous avons étudié la composition et la direction d’orchestre. Nous avons même partagé le prof de composition, Alfred Uhl, que j’ai encore rattrapé dans ses dernières années à la Hochschule. Et ça je ne l’ai appris que récemment, en préparant cette présentation.
Voici un homme savant, voici un humaniste. Voici un musicologue qui a fait une contribution décisive à restituer de la signification à la musique. Parler de la signification musicale c’est important parce que ça signifie de rendre l’art du son aux Humanités. L’épigraphe du Préambule le dit, en empruntant des mots de Richard Wagner – je cite: L’Homme est le plus noble sujet de l’Art et le plus digne d’expression. Donc antan on le savait, et c’est l’affreuse première moitié du 20e siècle qui nous a dégagés de cette tradition humaniste dans laquelle la musique s’inscrivait depuis toujours.
Floros, avec sa formation en humaniste, sur la philosophie et la psychologie, était un des rares qualifiés pour cette tâche de pionnier où il se lance très tôt, dans les années 60. Il en reçoit d’abord la mésentente d’un monde musicologique installé dans le dogme formaliste, la doctrine qui déclare que la musique n’est que formes, structures abstraites sans aucun rapport avec les réalités humaines. Floros combat ce formalisme avec un effort d’érudition immense, soutenu pendant des décennies. Il le combat avec les armes pacifiques de la parole et la réflexion, avec l’art de la persuasion qui nous aide à penser depuis les anciens Grecs desquels lui-même est un héritier directe.
Voici donc le cadre idéologique où je crois qu’on doit placer l’œuvre de Constantin Floros. Mais permettez-moi encore quelques mots sur l’ouvrage qu’on est en train de présenter ici, L’homme, l’amour et la musique, un des livres de Floros qui m’ont ému davantage lors de sa publication en 2000. C’est sans doute son livre le plus philosophique de tous, celui où Floros montre ses atouts en humaniste d’une façon plus ouverte. Je cite du Préambule:
Je me suis surtout attaché à faire ressortir la dimension humaine de la musique, à parler de fondamentaux, à marquer des orientations, à esquisser des courants d’évolution, à examiner de plus près la musique comme langage de l’amour et à mettre en lumière les incidences des diverses conceptions de l’amour aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles sur la musique, de manière exemplaire ou si l’on veut : par des études de cas.
Toujours dans ce magnifique Préambule, on lit sur l’apanage théorique et méthodologique de sa propre méthode d’analyse de sémantique musicale l’idée d’Ernst Robert Curtius que le progrès des sciences historiques se ferait partout où « la spécialisation et une approche globale se combinent et s’interpénètrent ». Et il reconnait que, je cite, Cette maxime guide mon travail musicologique depuis toujours. De cette approche interdisciplinaire en témoigne encore la bibliographie à la fin du volume, qui se divise en des catégories telles que Ouvrages philosophiques, Histoire de l’art, Études littéraires, études psychologiques et, bien sûr, Études musicologiques.
Si l’on jette un coup d’œil à la table des matières, on se rend compte de l’ambition intellectuelle de cet ouvrage à l’apparence modeste. Le point de départ ne pourrait être plus radicale : il se demande d’abord Qu’est-ce que la musique ?, puis sur Les pouvoirs de la musique, puis sur les affects majeurs, l’amour et la haine, la joie et la mélancolie, tels qu’ils se manifestent musicalement. Ensuite il dédie toute une deuxième partie du livre à la musique comme langage de l’amour, pour en finir avec un épilogue décidément politique, voir polémique. Là, la démarche philosophique de l’auteur culmine avec une analyse critique du monde contemporain, sans éluder des questions délicates comme les conséquences de la Seconde Guerre mondiale, l’esthétisation de l’horreur –selon l’expression de Karl Bohrer– dans des œuvres sur Hiroshima ou Auschwitz, et en général le danger d’une déshumanisation de la musique et du monde.
Je voudrais finir avec ce point : le regard désillusionné sur notre temps présent, que Floros partage avec assez de chercheurs et d’intellectuels.
C’est que Floros aime désespérément cette Europe des Humanités, celle dont Stefan Zweig ou George Steiner déplorent la disparition. Il la connaît comme peu de gens de notre temps, et il voit comment aux gens des générations actuelles le temps et peut-être l’intérêt manque de se faire une telle bibliothèque, même virtuelle; d’apprendre le Latin et le Grec classiques, de lire La Divine Comédie, la poésie de Kavafis, les récits de Tchèkhov ou Le Quichotte. Eh oui d’accord: aux universités, ont est confronté de cette réalité tous le jours. Mais de mon point de vue, les livres de prof. Floros, comme ceux de prof. Grabócz d’ailleurs, contribuent très efficacement à nourrir et conserver la mémoire de cette culture humaniste qui nous a fait tels que nous sommes, que nous en soyons conscients ou pas.
Donc merci beaucoup prof. Floros de vos efforts, qui donnent déjà des fruits et vont en donner encore plus, et Merci beaucoup à vous aussi de votre attention.