(…) Lorsque j’ai fait la connaissance de Françoise Sagan, à Key West (elle était venue voir Carson McCullers, qui était mon invitée), j’ai aperçu derrière elle ce cortège fantôme dont je viens de parler, car son roman Bonjour tristesseétait déjà en tête de la liste des best-sellers américaine (comme il l’avait été en France), et en découvrant cette meute de poursuivants, encore plus acharnée que de coutume sur les traces du gibier, j’ai cherché dans ses yeux un indice permettant de présager de l’issue de la course ou de la fuite, et j’ai décelé quelque chose, dans leur brun pailleté d’or, quelque chose de froid dans leur indifférence, mais de chaleureux par la sensibilité, qui m’a rassuré quant à l’avenir de cette jeune artiste. Je me suis dit qu’elle était l’élève de sa classe qui avait le plus de chances de réussir; cette gloire à dix-neuf ans ne se changerait pas en infamie, ni à vingt ans, ni plus tard. Il y avait dans ses jeunes yeux de la résolution et de l’humour, non du désarroi ou de la crainte. C’était le soir quand j’ai fait sa connaissance. Je m’étais demandé si, le lendemain matin, je la trouverais devant sa machine à écrire, en train de se colleter à un nouveau roman, avec une énergie compulsive. Eh bien, pas du tout. Le lendemain matin, elle est allée nager et prendre un bain de soleil, l’après-midi, nous sommes partis pêcher en haute mer et, le soir venu, elle s’est mise au volant de ma voiture de sport et l’a conduite si vite, avec un sourire si joyeux, que j’ai dû la mettre en garde contre la police de la route. Je crois que la passion de la vitesse est un signe de bonne santé chez les jeunes artistes: cela indique qu’ils ont déjà compris qu’il leur fallait tenir la meute à distance.
Comme Carson, j’ai bien aimé Françoise. Je ne suis pas du tout surpris qu’elle ait remporté un deuxième succès qui, soit dit en passant, a dépassé le premier. Certes, dans ce métier, rien n’est jamais acquis, mais je miserais tout de même sur cette jeune Française. Peut-être n’a-t-elle pas encore, à ce stade de son évolution, le pouvoir visionnaire, inquiétant et profondément dérangeant de son idole Raymond Radiguet, mort très jeune après une oeuvre immense mais si brève, et pour le moment, elle n’a pas non plus écrit quoi que ce soit de comparable à «La Ballade du café triste» de Carson McCullers, mais je crois que si j’avais connu Mme Colette quand elle avait vingt ans, j’aurais noté chez elle la même froideur détachée et la sensibilité chaleureuse que j’ai décelées dans les yeux pailletés d’or de Mlle Sagan. Elle est jeune et tendre, mais elle est fine mouche. Elle n’échangerait pas une vache contre un chapeau plein de haricots, comme dans l’histoire de Jacques et du haricot magique, pour se retrouver le lendemain dans le four de l’ogre!»
Un recueil d’essais, et une biographie, permettent de mieux connaître Tennessee Williams, dont on fête le centenaire. «De vous à moi», par Tennessee Williams, traduit de l’américain par Martine Leroy-Battistelli, Editions Baker Street, 300 p., 19 euros. «Tennessee Williams: Une vie», par Catherine Fruchon-Toussaint, Editions Baker Street, 350 p., 21 euros
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