3 de març de 2009
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FRAGMENTS DE ‘JOURNAL DE DEUIL’ DE ROLAND BARTHES

Darrerament visc en el dol. I aquest llibre d’un dels meus mestres contemporanis, Roland Barthes —sempre he estat molt rolandista— m’ha servit de bàlsam i d’estímul, de refrescador de la ferida i de despertador d’una emotivitat serena. M’ha fet pensera i escriguera. M’ha fet més bo. I poques coses més es poden demanar a un llibre?
Vet aquí uns fragments extrets de la revista Le nouvel observateur. (Uns dels meus hebdomadaris des dels quinze anys!)

Extraits. Le «Journal de deuil», de Roland Barthes

«Je ne suis pas “en deuil”. J’ai du chagrin»

Par Roland Barthes

29 octobre 1977

Idée – stupéfiante, mais non désolante – qu’elle n’a pas été «?tout?» pour moi. Sinon, je n’aurais pas écrit d’œuvre.
Depuis que je la soignais, depuis six mois, effectivement, elle était
«?tout?» pour moi, et j’ai complètement oublié que j’avais écrit. Je
n’étais plus qu’éperdument à elle. Avant, elle se faisait transparente
pour que je puisse écrire.

Roland-Barthes_Journal-de-deuil_0.jpg


31 octobre

Lundi 15 h – Rentré seul pour la première fois dans l’appartement.
Comment est-ce que je vais pouvoir vivre là tout seul. Et simultanément
évidence qu’il n’y a aucun lieu de rechange.

5 novembre

Après-midi triste. Brève course. Chez le pâtissier (futilité)
j’achète un financier. Servant une cliente, la petite serveuse dit Voilà.
C’était le mot que je disais en apportant quelque chose à maman quand
je la soignais. Une fois, vers la fin, à demi inconsciente, elle répéta
en écho Voilà (Je suis là, mot que nous nous sommes dit l’un à
l’autre toute la vie). Ce mot de la serveuse me fait venir les larmes
aux yeux. Je pleure longtemps (rentré dans l’appartement insonore).

Ainsi puis-je cerner mon deuil. Il n’est pas directement dans la
solitude, l’empirique, etc.; j’ai là une sorte d’aise, de maîtrise qui
doit faire croire aux gens que j’ai moins de peine qu’ils n’auraient
pensé. Il est là où se redéchire la relation d’amour, le «?nous nous
aimions?». Point le plus brûlant au point le plus abstrait…

19 novembre

[Brouillage des statuts]. Pendant des mois, j’ai été sa mère. C’est
comme si j’avais perdu ma fille (douleur plus grande que cela? Je n’y
avais pas pensé).

30 novembre

Ne pas dire Deuil. C’est trop psychanalytique. Je ne suis pas en deuil. J’ai du chagrin.

7 décembre

Maintenant, parfois monte en moi, inopinément, comme une bulle qui crève: la constatation: elle n’est plus, elle n’est plus,
à jamais et totalement. C’est mat, sans adjectif – vertigineux parce
qu’insignifiant (sans interprétation possible). Douleur nouvelle.

27 décembre

Urt

Crise violente de larmes (à propos d’une histoire de beurre et de
beurrier avec Rachel et Michel). 1) Douleur de devoir vivre avec un autre «ménage». Tout ici à U. me renvoie à son ménage, à sa maison. 2) Tout couple (conjugal) forme bloc dont l’être seul est exclu.

12 février 1978

Neige, beaucoup de neige sur Paris; c’est étrange. Je me dis et j’en
souffre: elle ne sera jamais plus là pour le voir, pour que je le lui
raconte.

6 mars

Mon manteau est si triste que l’écharpe noire ou grise que je
mettais toujours, il me semble que mam. ne l’aurait pas supportée et
j’entends sa voix me disant de mettre un peu de couleur.

Pour la première fois, donc, je prends une écharpe de couleur (écossaise).

20 mars

On dit (me dit Mme Panzera ): le Temps apaise le deuil – Non, le Temps ne fait rien passer; il fait passer seulement l’émotivité du deuil.

2 avril

Qu’ai-je à perdre maintenant que j’ai perdu la Raison de ma vie – la Raison d’avoir peur pour quelqu’un.

Deuil Casa 27 avril 1978 matin de mon retour à Paris

– Ici, pendant quinze jours, je n’ai cessé de penser à mam., et de souffrir de sa mort.

– Sans doute qu’à Paris il y a encore la maison, le système qui était le mien quand elle était là.

– Ici, loin, tout ce système s’écroule. Ce qui fait, paradoxalement,
que je souffre beaucoup plus lorsque je suis «?à l’extérieur?», loin
d’«?elle?», dans le plaisir (?), la «distraction». Là où le monde me
dit: «Tu as tout ici pour oublier», d’autant moins j’oublie.

12 mai

J’oscille – dans l’obscurité – entre la constatation (mais
précisément: juste?) que je ne suis malheureux que par moments, par à-
coups, d’une façon sporadique, même si ces spasmes sont rapprochés – et
la conviction qu’au fond, en fait, je suis sans cesse, tout le temps, malheureux depuis la mort de mam.

barthes_0.jpg

Graeme Baker/Sipa
Roland Barthes

5 juin

Chaque sujet (c’est ce qui apparaît de plus en plus) agit (se démène) pour être «reconnu». Pour moi, à ce point de ma vie (où mam. est morte) j’étais reconnu (par
les livres). Mais chose étrange – peut-être fausse? -, j’ai le
sentiment obscur qu’elle n’étant plus là, il me faut me faire
reconnaître de nouveau. Ce ne peut être en faisant n’importe quel livre
de plus: l’idée de continuer comme par le passé à aller de livre en livre, de cours en cours m’a été tout de suite mortifère (je voyais cela jusqu’à ma mort). (D’où mes efforts actuels de démission).

Avant de reprendre avec sagesse et stoïcisme, le cours
(d’ailleurs non prévu) de l’œuvre, il m’est nécessaire (je le sens
bien) de faire ce livre autour de mam. En un sens, aussi, c’est comme
si il me fallait faire reconnaître mam. Ceci est le thème du «monument»; mais: pour moi, le Monument n’est pas le durable, l’éternel (ma doctrine est trop profondément le Tout passe: les tombes meurent aussi), il est un acte, un actif qui fait reconnaître.

16 juin

Parlant à Cl. M. de l’angoisse que j’ai à voir les photos de maman, à
envisager un travail à partir de ces photos: elle me dit: c’est
peut-être prématuré. Quoi, toujours la même doxa (la mieux inten­tionnée du monde): le deuil va mûrir (c’est-à-dire que le temps le fera tomber comme un fruit, ou éclater comme un furoncle).

Mais pour moi, le deuil est immobile, non soumis à un processus: rien n’est prématuré à son égard (ainsi ai-je rangé l’appartement, dès le retour d’Urt: on aurait pu dire aussi: c’est prématuré).

29 juillet

(Vu un film de Hitchcock, «les Amants du Capricorne») Ingrid Bergman
(c’était vers 1946): je ne sais pourquoi, je ne sais comment le dire,
cette actrice, le corps de cette actrice m’émeut, vient toucher en moi
quelque chose qui me rappelle mam.: sa carnation, ses belles mains si
simples, une impression de fraîcheur, une féminité non narcissique…

1er août

Deuil. A la mort de l’être aimé, phase aiguë de narcissisme: on sort
de la maladie, de la servitude. Puis peu à peu, la liberté se plombe,
la désolation s’installe, le narcissisme fait place à un égoïsme
triste, une absence de générosité.

18 août

L’endroit de la chambre où elle a été malade, où elle est morte et
où j’habite maintenant, le mur contre lequel la tête de son lit
s’appuyait j’y ai mis une icône – non par foi – et j’y mets toujours
des fleurs sur une table. J’en viens à ne plus vouloir voyager pour que
je puisse être là, pour que les fleurs n’y soient jamais fanées.

Partager les valeurs du quotidien silencieux (gérer la
cuisine, la propreté, les vêtements, l’esthétique et comme le passé des
objets), c’était ma manière (silencieuse) de converser avec elle. – Et
c’est ainsi qu’elle n’étant plus là, je peux encore le faire.

21 août

Pourquoi aurais-je envie de la moindre postérité, du moindre
sillage, puisque les êtres que j’ai le plus aimés, que j’aime le plus,
n’en laisseront pas, moi ou quelques survivants passés? Que m’importe
de durer au-delà de moi-même, dans l’inconnu froid et menteur de
l’Histoire, puisque le souvenir de mam. ne durera pas plus que moi et
ceux qui l’ont connue et qui mourront à leur tour? Je ne voudrais pas
d’un «monument» pour moi seul.

Le chagrin est égoïste.

Je ne parle que de moi. Je ne puis parler d’elle, dire ce qu’elle
était, faire un portrait bouleversant (comme celui que Gide fit de
Madeleine).

22 novembre

Hier soir, cocktail pour mes 25 ans au Seuil. Beaucoup d’amis – Es-tu content?? – Oui, bien sûr [mais mam.
me manque]. Toute «mondanité» renforce la vanité du monde où elle n’est
plus. J’ai sans cesse «le cœur gros». Ce déchirement, très fort
aujourd’hui, dans

la matinée grise, m’est venu, si j’y pense, de l’image de Rachel,
assise hier soir un peu à l’écart, heureuse de ce cocktail, où elle
avait un peu parlé aux uns et aux autres, digne, «?à sa place?», comme
les femmes ne le sont plus et pour cause puisqu’elles ne veulent plus
de place – sorte de dignité perdue et rare – qu’avait mam. (elle était
là, d’une bonté absolue, pour tous, et cependant «à sa place».) J’écris
de moins en moins mon chagrin mais en un sens il est plus fort, passé
au rang de l’éternel, depuis que je ne l’écris plus.

© Seuil

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